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TITRE:
HUBERT-FELIX THIEFAINE (09 DECEMBRE 2014)
TYPE:
INTERVIEWS
GENRE:
ROCK
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A l'occasion de la sortie de son nouvel album "Stratégie de l'inespoir", Music Waves a rencontré l'icône de toute une génération Huber-Félix Thiéfaine...
STRUCK
- 22.12.2014 -
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"Stratégie de l'inespoir" vient compléter une discographie débutée en 1978 contenant désormais 17 albums ! On peut donc définitivement dire que c'est un monstre sacré de la musique française que Music Waves a eu le privilège de rencontrer. Il a fallu quelques temps pour amadouer le personnage pour qu'il nous ouvre totalement son coeur et son univers...
Nous allons commencer par la question traditionnelle de Music Waves, quelle est la question qu’on t’a trop souvent posée ?
Hubert-Félix Thiefaine : Mes rapports avec les médias...
Tu as des rapports tendus avec les médias?
Non, mais disons que j'ai été absent des médias pendant très longtemps, donc cette question revient assez souvent.
Justement avec ''Supplément de Mensonge'', tu as enfin été
reconnu par tes pairs : deux victoires de la musique et un grand prix
SACEM, on finissait par ne plus y croire ! Ça te fait quoi d’être tout
d’un coup reconnu par une profession qui ne t’a jamais vraiment mis à
l’honneur avant ?
Je n'ai pas eu le temps d'analyser. La veille des
Victoires de la musique, j'étais en concert et le lendemain, je retrouvais mon public. Ça ne m'a donc pas perturbé dans
mon quotidien, mais par contre le public a beaucoup aimé, ça s'est senti
par ses ovations et ses manifestations de joie.
Ils se sont peut-être sentis reconnus à travers toi ?
Tout à coup, ils se sont dits : ''Nous n'étions pas idiots de croire en ce mec.'' (Rires) !.
"Je suis assez fier aujourd'hui d'être un des rares [...] qui arrive à vivre de ses propres choix, de ce qu'il aime faire. "
Tu as parlé de peur, mais est-ce que tu n'as pas eu peur que ce type de reconnaissance cache quelque
chose du genre : ''Allez on va lui donner un prix, pendant qu'il est
encore là ?''
Non, je m'en fous complètement. Et je ne suis pas au sommet de ma carrière, car cela
fait quarante ans que je suis dans la musique. Je suis assez fier
aujourd'hui d'être un des rares, d'après les pourcentages, qui arrive à
vivre de ses propres choix, de ce qu'il aime faire. Je
n'ai pas de regrets et en plus je vis un rêve de gosse. Tout va bien de
ce côté là !
Les fans avaient tendance à penser que le précédent
disque, suivi de ta très longue tournée, aurait pu être le dernier. Est-ce-que l’idée de la retraite
te travaille de temps en temps ?
Je ne sais pas. De moins en moins. Il y a un moment, je me disais que ce
ne serait pas mal de s'arrêter, mais je ne voyais pas ce que j'aurais
pu faire et l'oisiveté ça fait vieillir plus vite. J'aimerais juste parfois
ralentir un peu. Même en ayant une vie saine depuis quelques années, ça
reste fatigant.
De tourner ?
En tournée, si c'est physique pendant deux heures,
ça reste malgré tout supportable. Ce qui est le plus fatigant c'est le stress. Si
j'arrête un jour, c'est parce que j'en aurais ras-le bol.
En outre tu as des textes particuliers qui ne sont
pas forcément faciles à retenir. Est-ce que cela ne contribue-t-il pas à
ce stress?
Oui mais l'apprentissage des textes aide à entretenir la mémoire. Il y a
des comédiens de 90 ans qui jouent encore au théâtre et qui balancent
du texte tous les soirs pendant deux heures.
Tu disais que c'était difficile, que tu voulais prendre un peu
de recul, est-ce que tu n'as pas peur d'une récidive du burn-out de 2008 ?
Non, je suis vigilant, j'ai une vie beaucoup plus saine.
"Contrairement à l'idée reçue, je n'écris ni dans l'espoir ni dans le désespoir"
Ton nouvel album se nomme ‘Stratégie de l’inespoir’. Qu'est ce que cache ce titre ?
Je trouve que l'espoir, c'est un peu
naïf, c'est une illusion qui nous déçoit assez souvent. L'absence
d'espoir me convient tout à fait. Mais l'absence de
désespoir me va encore mieux, car on n'est plus obligé de souffrir.
Moi, j'ai tout essayé. Je sais que quand je suis mal, que je suis dans un état
proche du désespoir, je ne peux ni écrire ni composer.
Tu ne fais pas partie de ces artistes qui considèrent qu'il faut passer par des moments difficiles pour proposer une musique qui diffuse des sentiments forts ?
Non! Non ! Et de même, quand je suis complètement enthousiaste,
je ne peux pas écrire. Pour écrire, il me faut un no man's land or,
l'inespoir, c'est ce no man's land où on peut lâcher prise, prendre du
recul, bénéficier d'un silence émotionnel et être lucide.
Peu
importe la façon d'écrire, c'est important d'être lucide et calme, et
d'avoir envie. Trop d'émotion, ça bloque. Il faut prendre du recul et
laisser passer ces sentiments que l'on connaît pour les traiter à froid, sinon on tombe dans
le premier degré et moi je ne fonctionne pas avec le premier degré.
"Je suis avant tout un observateur qui essaie d'analyser"
On peut voir cet album comme un florilège des sentiments humains. As-tu la volonté de donner à ton public
l'envie de se questionner sur son destin et ses rapports avec la société ?
(Il réfléchit) Quelles sont mes envies ? Pourquoi créons nous ? Il y a d'abord
une volonté. On est artiste avant d'être peintre, chanteur ou cinéaste.
Entre 15 et 20 ans, j'ai essayé différentes techniques, j'ai fait de la
peinture par exemple. Il s'est trouvé que je me sentais plus à l'aise
dans la chanson et je trouvais intéressant de composer dans ce domaine
assez stable depuis des siècles.
A l'origine, l'idée était de provoquer, de rentrer
dans la chanson pour bousculer. J'écrivais en prose, ce n'était jamais
carré, j'aimais déchirer tout ce qui se faisait pour imprimer ma propre
envie, celle d'entendre des chansons différentes.
Je suis avant tout un
observateur qui essaie d'analyser. Même mes chansons les plus
surréalistes sont sous analyse et je sais de quoi je parle. Seulement, à
une certaine époque, j'étais plus timide ou plutôt pudique et je
n'avais pas envie de balancer tout ça devant des inconnus.
Tu te retenais ?
Je me retenais et puis je voilais cela d'un peu de mystère. Il y a des
choses magnifiques à écrire de façon onirique ou surréaliste.
Maintenant, j'essaie toujours de garder un peu de brume, mais c'est vrai que j'ai
bien éclairci mes toiles.
Ce qui m'intéresse aussi dans ma façon
d'écrire, c'est que je balance des émotions un peu personnelles mais ce n'est jamais complètement autobiographique. J'essaie de m'appuyer sur quelque chose de
collectif. Je ne vois pas l'intérêt de raconter dans une chanson ma
petite histoire perso qui n'intéresse que moi ou mes proches. M'inspirer
de ce que je ressens, c'est autre chose. Je vais aller vers ce qui
pourrait intéresser les autres et le dire d'une certaine façon qui leur permettra de s'identifier.
Tu parlais d'écriture. Est-ce que tu as eu envie un jour de te
lancer dans un roman ou de faire un film ? On verrait bien ton univers
fonctionner dans d'autres domaines artistiques.
J'ai fait ça entre 15 et 20 ans notamment pendant les heures de cours,
particulièrement quand il y avait un prof ennuyeux qui nous baratinait
des choses insensées. J'écrivais des romans, des nouvelles, des poèmes,
des scénari de films, des pièces de théâtre, j'ai fait de la peinture,
de la photo... Disons que j'ai véritablement tout essayé mais il y a un
moment où la révélation s'est faite à travers la chanson. C'est dans la
chanson que je pouvais bousculer le plus de choses. J'avais 20 ans, on
était en 1968, j'avais envie de tout bousculer mais pas de façon politique comme
mes camarades, plutôt d'une façon plus situationniste.
Tu parlais de politique, on en retrouve un peu dans la chanson
qui m’a le plus marqué c’est 'Karaganda 99' qui évoque les goulags
présents dans cette ville du Kazakhstan au temps de l’URSS. C’était important pour toi de souligner
ce genre de crimes souvent oubliés du grand public par rapport aux
crimes nazis ?
Le but de la chanson, c'était de dénoncer la barbarie avec des exemples
proches dans le temps. J'essaie de remettre les pendules à l'heure par
rapport aux vainqueurs de la guerre. Le vainqueur en 39-40, c'est
Staline. C'est lui le chef à Yalta. C'est lui qui prend les décisions et
ce type là, c'est un assassin sordide, l'autre en face ne valant pas
mieux. Mais comme il était vainqueur, on a essayé de cacher tout ce
qu'il y avait derrière. Il ne faut pas oublier que les partis
communistes européens remportaient 25% des voix aux élections
d'après-guerre. On ne pouvait pas leur dire qu'ils avaient du sang plein
les mains.
J'avais envie de raconter les horreurs de Staline, qu'on
commence seulement à raconter. La première partie du XXème siècle sous
nos latitudes a été particulièrement abominable et c'est encore récent,
il y a encore beaucoup de gens vivants qui ont vécu cela. Il est
peut-être temps de se lever et de dire ''Stop'' à la barbarie toute
proche.
Tu as travaillé sur ce disque avec ton fils, Lucas, qu'est-ce que cela fait de travailler en famille?
C'est surprenant, car ce n'était pas du tout prévu au départ. Lucas
jouait de la musique dans son coin. Il a commencé la batterie à 5 ans.
Après dix ans de batterie, il s'est orienté vers d'autres instruments et
a commencé à jouer avec ses potes.
Il est arrivé un moment où
nous avons partagé le studio dans lequel nous faisions nos expériences.
Il avait à sa disposition du vrai matériel pour enregistrer. Il avait
aménagé le studio de façon professionnelle, alors que chez moi, ça reste
très amateur. Comme il savait l'utiliser, je suis venu avec les textes
que j'avais écrits pendant la tournée au fil des chambres d'hôtel, à
tête reposée sur mon Iphone, sur des dictaphones et je lui ai dit que je
voulais faire une maquette plus raisonnable et plus correcte. On a
passé quelques jours à enregistrer ma voix avec ma guitare, et avec un
clic, c'est important le clic... pour la suite (Rires). Je savais que je
n'en garderais pas beaucoup, mais c'était fait et je voulais en rester
là. Je suis parti en voyage et quatre jours après j'ai reçu un mail avec
le morceau 'En remontant le fleuve'. Comme il y avait le clic, il a
refait tout l'arrangement autour de la voix. J'ai été bluffé, j'ai
trouvé ça super, d'autant plus que ça allait dans ma direction. Il avait
compris que ce texte devait être arrangé de cette façon.
Est-ce que cette collaboration peut perdurer voire se développer dans le futur?
Je l'ai rappelé pour lui dire que j'étais enthousiasmé par son travail.
Je lui ai dit qu'il pouvait aller voir ce que nous avions fait sur
'Karaganda', 'Toboggan' et aussi une chanson que j'avais faite un peu
plus tôt avec Yan Péchin, 'Angélus'. Je lui ai dit qu'il pouvait
continuer s'il avait des idées d'arrangements. Et puis il a été très
rapide. J'ai mis mon directeur artistique de chez Columbia au courant et
on était d'accord pour qu'il réalise l'album dans un premier temps.
Mais après réflexion de ma part, connaissant par expérience ce qu'est le
travail d'un réalisateur sur un album et ne voulant pas lui foutre en
l'air ses vingt ans, je lui ai dit qu'il sera plus sage qu'il y ait un
co-réalisateur. Je pensais à Dominique Ledudal, qui est ingénieur du son
et avec qui j'avais fait le mixage de l'album précédent. Lucas amenait
la musique et Dominique son expérience d'ingénieur du son et des idées.
ça a marché...
"Je suis un artiste, j'essaie de transformer les choses pour en faire quelque chose de beau. Mais je ne suis pas un messager du Seigneur"
Quel message souhaites-tu délivrer à travers cet album ?
Je suis un artiste, j'essaie de transformer les choses pour en faire
quelque chose de beau. Mais je ne suis pas un messager du Seigneur
(Rires). Je donne mon point de vue d'artiste, j'essaie de le dire d'une
façon esthétique pour interpeller. Je n'ai
pas de message particulier. Sinon que ce n'est pas gratuit. Il y a de
l'épaisseur. Je dis un certain nombre de choses mais je le dis en
musique, de façon divertissante...
Qu'est-ce que tu attends de cet album?
Si mon album peut être un support à la
réflexion, tant mieux. Mais on peut aussi l'écouter d'une oreille distraite tout
en faisant le ménage... Pas en passant l'aspirateur, car on
n'entendrait rien (Rires)...
Quel est ton meilleur souvenir d'artiste
Il y en a pas mal (Rires) Je ne sais pas. Il se passe beaucoup de choses...
Travailler avec ton fils ?
Oui, effectivement, mais on est encore dedans, on prépare la tournée,
alors c'est trop proche pour être un souvenir.
(Il réfléchit) Je suis
entré en fac surtout pour échapper à l'armée, j'avais passé quatre ans
de fonction et la promiscuité me gonflait. J'ai attendu que l'armée me
dise que j'étais sursitaire de la classe 68, que je n'étais pas obligé
de faire mon service militaire pour pouvoir partir à Paris avec mon sac à
dos et à ma guitare. A partir de ce moment là, les souvenirs se sont
empilés. Je suis allé en stop à mon premier festival (Rires). C'est
beaucoup trop de souvenirs...
J'ose espérer que tu aies moins de pire souvenirs que de bons souvenirs ?
J'ai fini plusieurs concerts en ambulance à une époque où je provoquais,
enfin ce qu'il faut entendre par 'provoquer' (Rires). Ça peut marquer. Je me souviens d'un spectacle où on m'avait prévenu qu'il y
avait un trou sur la scène mais je n'avais pas fait gaffe. Je chantais
'Autoroute Jeudi Automne' et quand j'ai chanté ''Et Je me dis stop''
toutes les lumières se sont éteintes. Quand elles se sont rallumées,
j'ai avancé d'un pas, juste là où il y avait le trou. Je suis tombé dans
le trou et ma tête est passée à quelques centimètres des bouts de
ferraille. Mais une fois atterri au fond, j'ai continué de chanter pour
dire que j'étais vivant. Quand la lumière s'est allumée et que j'ai pu
voir où j'étais, cela tenait du miracle. Il y a beaucoup d'accident sur
scène. Louis Jouvet disait : 'La scène est l'endroit le moins
confortable du monde.'' J'ai testé (Rires).
Ça ne t'empêche pas d'y retourner
Il y a des métiers dangereux (Rires).
On a commencé l'interview par la question qu'on t'a trop
souvent posée. Au contraire, quelle est celle que tu
voudrais que je te pose ? Ou alors quelle est celle à laquelle tu
aimerais répondre ?
Non, je réponds aux questions au fur et à mesure. Je n'ai pas du tout la veine des
journalistes ou des animateurs. Je n'aurais jamais pu faire cela, je
n'ai ni le talent ni les compétences.
Ces talents sont si différents des tiens ?
C'est totalement différent. Je connais des chirurgiens très doués qui
aiment ce que je fais. Et moi je me dis que ce n'est rien comparé à eux
qui sauvent des vies tous les jours. Je suis sincère quand je dis ça, je
n'essaie pas de me faufiler en faisant le malin.
Je pense qu'on devrait
remettre cela en relief dans l'éducation nationale. Il faut informer
les enfants sur ces métiers pour voir ce qu'ils veulent faire plus tard
et leur poser la question plusieurs fois. J'ai été confronté au système
scolaire quand j'étais en psycho, je connais bien ce sujet. Il faut
orienter les enfants là où ils sont compétents et donc là où ils seront
heureux de travailler plus tard. Ça changera complètement la société et
la vie.
Pourquoi mettent-ils tant de gens incompétents à l'école qui
racontent n'importe quoi à des gosses ? Heureusement que certains dorment
pendant que les autres parlent. J'ai fait le bilan des quinze ans
passés sous l'égide de l'éducation nationale en tant qu'élève puis
étudiant. Je me suis remis à étudier ce qu'on avait essayé de
m'apprendre d'une façon laide et inutile à l'école, pour chercher ce qui
pourrait m'intéresser aujourd'hui. Dans cette histoire tordue, on
devrait mettre des psychologues spécialisés pour repérer les talents,
comme les talent scouts aux USA au début du XXème siècle, afin de
pouvoir tester chaque élève et faire une véritable orientation au lieu
d'aller regarder ce dont l'économie a besoin pour former des gens en
fonction des demandes. Généralement quand le gosse sort, bardé de
diplômes, l'économie a changé et n'a plus besoin de lui. Je suis
conscient de mes incompétences et de mes compétences. Je rêve d'un monde
où chacun serait compétent dans sa spécialité. On en est loin...
Avant de nous quitter, as-tu un mot à faire passer aux lecteurs de Music Waves?
Je n'ai pas de message, mais si ça les intéresse, j'ai dix-sept albums
studio. Il y a plusieurs bouquins qui sont sortis sur ce que je fais et
sur ce que je suis. Il y a des concerts prévus pour 2015-2016. Il y a
des albums live avec près de 40 ans d'histoire de ma musique. Vous
pouvez me retrouver pour les prochaines années sur scène.
Merci beaucoup.
Merci.
Et merci à Noise pour sa contribution et surtout la réactivité d'Adrianstork sans qui nous ne pourrions pas lire cette interview...
Plus d'informations sur http://www.thiefaine.com/
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