Bonjour Laurent, je te présente brièvement : tu es le boss du label Finisterian Dead End, un label de metal breton: peut-on dire que ce projet est né suite au succès de Breizh Cola? Et si oui, penses-tu qu’il y aura bientôt un Bougna Dead End?
Laurent : Ce pourrait être amusant (Rires) ! Mais non, ça n’a rien à voir avec Breizh Cola, ni un autre produit de Bretagne…
Plus sérieusement, l’histoire dit que ce projet est né en juin 2011 au retour d’un Hellfest: que s’est-il passé depuis ?
Il s’est passé plein de choses… Mais pour faire très simple, effectivement l’idée du label est née en juin 2011. J’ai monté le label de façon totalement virtuelle pendant plusieurs mois.
Qu’entends-tu par virtuel ?
Le temps qu’on créé un site web, notre page Facebook… Pendant ce temps, j’arborais déjà des t-shirts Finisterian Dead End quatre jours après avoir décidé d’avoir monté ce projet. Je me suis baladé huit mois avec mes t-shirts et mes cartes de visite Finisterian Dead End, j’ai rencontré pas mal d’associations locales et ça m’a permis de découvrir le premier groupe qui a été signé sur le label, Pictured qui a marqué les vrais débuts de Finisterian Dead End en février 2012.
Pictured, on parle bien de l’ancien groupe Klonosphere ?
C’est une très bonne réflexion. Pictured a été distribué via la Klonosphere au tout début pendant quelques mois…
Beaucoup de labels oublient aujourd’hui la donnée humaine
Finalement, quels ont été tes arguments pour enrôler Pictured pourtant chez Klonosphere qui est un gage de qualité en France ?
Il y a une chose très importante et que beaucoup de labels oublient aujourd’hui, c’est la donnée humaine.
Avoir des artistes, c’est bien ! Avoir des artistes de qualité, c’est mieux ! Connaître ces artistes et pouvoir travailler avec eux au jour le jour, c’est encore mieux !
Tu es train de dire que Klonosphere a cette qualité mais en grossissant a perdu cette dimension humaine ?
Non ! Le label Finisterian Dead End a 12 groupes signés. Nous sommes sur une tendance de 2 ou 3 signatures par an alors que Klonosphere tourne plus une douzaine par an : nous ne sommes pas du tout sur la même base !
Tu bottes en touche avec une telle réponse lisse…
Concrètement, les 12 groupes actuellement signés, je les ai tous les jours au téléphone ou par mail, je pense que tu ne peux pas gérer quand tu en as trop à moins d’avoir l’infrastructure qui va avec…
Admettons que l’aventure Finisterian Dead End soit couronnée d’un succès retentissant, viendrais-tu à te poser des limites pour privilégier le côté humain au détriment du développement ?
Si il y a un cap à passer, il se fera sur une infrastructure différente : on garderait le label Finisterian Dead End avec ses 12 ou 15 voire 20 gérés en totalité c’est à dire management, promotion… et ensuite, à voir pourquoi pas un catalogue distribution à côté. Ce sont des choses envisageables mais en aucun cas, je ne troquerais ce que je vis avec les groupes aujourd’hui.
J’estime qu’une signature chez Finisterian Dead End est un investissement total du label mais également des groupes. La distribution est plus une donnée de service. Ce sont deux choses bien distinctes !
Quels sont les blocages inattendus dans l’avancement de ce projet ? au contraire les avancées que tu n’aurais pas osé espérer ?
Je n’ai rencontré aucun blocage ! Le seul que je connais est celui du temps ! Il faut savoir que je suis auto-entrepreneur depuis mars 2012 et le seul souci que j’avais était le temps imparti : en effet, je travaille à côté et du coup, je faisais une deuxième journée le soir sans compter les week-ends. Bref, ce qui m’a manqué c’est le temps.
Ensuite et pour en revenir au Pictured dont je te parlais tout à l’heure, quand je les ai signé en 2012, je leur a dis qu’ils joueraient au Hellfest en 2013. Ils m’ont regardé avec un grand sourire en me prenant pour un fou. Et l’un de mes meilleurs souvenirs est quand ils sont montés sur la scène du MetalCorner l’année d’après, ils sont tous venus me voir dans une humilité totale, sans effusion… en me disant qu’ils m’avaient pris pour un fou un an auparavant mais aujourd’hui, nous y sommes : merci ! Ca s’est arrêté là, ils sont montés sur scène faire leur set et tout déchirer : c’était une belle récompense !
Il faudrait être fou pour ne pas voir la crise du disque
- il y a eu un changement des us et coutumes de consommation de la
musique - cependant grâce à ces changements, aujourd’hui, il y a une
scène émergente qui n’existait pas il y a 10 ans.
Pourquoi se lancer dans la creation d’un label de musique dans les années 2010 au plus fort de la crise musicale? N’as-tu pas cru que le rêve se transformerait en cauchemar par moment ?
Non parce que j’ai une formation de commercial, j’ai bossé dans le commerce pendant 15 ans, j’ai donc été structuré par les boîtes pour lesquelles j’ai travaillé et j’ai acquis une certaine organisation.
Certes, aujourd’hui, il faudrait être fou pour ne pas voir la crise du disque - il y a eu un changement des us et coutumes de consommation de la musique -, cependant grâce à ces changements, aujourd’hui, il y a une scène émergente qui n’existait pas il y a 10 ans. Si bien qu’effectivement, on se retrouve avec pléthore de groupes sur le marché : c’est une vraie révolution du système.
Après, il faut voir que nous sommes dans le milieu metal, sur un milieu de niche, avec des consommateurs qui sont quand même un peu fétichistes, qui aiment avoir l’objet physique d’ailleurs, tout le monde se remet à faire du vinyle…
Vous vous y êtes également mis ?
Aujourd’hui non, mais ce sont des choses en réflexion.
Et pour en revenir à l’évolution du système, il y a 10 ans de ça, le marché des petits labels et des petits groupes n’était pas visible. Aujourd’hui, ce marché s’est ouvert. Ce qui fait que tout en restant sur des volumes de ventes faibles, mine de rien, ils sont quand même 20%, 30%, 50% voire 100% plus importants qu’il y a 10 ans.
Bref, en restant sur des choses structurées pour ça, je pense que faire vivre un label est faisable !
L’année 2015 a été marquée par la signature de la distribution par Season of Mist : as-tu déjà constaté des changements ?
Le changement a été énorme non pas en termes de ventes - puisque nous sommes qu’en mars, il est donc trop tôt pour ça -, mais dans la vision qu’ont eu les gens de Finisterian Dead End et de ses groupes. Aussi bien pour le public que les professionnels, nous avons monté une marche qui permet d’être regardé de façon totalement différente et souvent avec un œil bienveillant.
L’autre avantage de cette signature et nous sommes en train de travailler dessus, c’est la distribution à l’international.
Bref, le but est d’avoir quelque chose de petit avec peu de groupes certes mais avec une réelle envie de se montrer au maximum.
Quels sont les résultats en terme de vente ?
Tous les albums que nous avons sorti sont sur des volumes au pressage qui sont faibles c’est à dire entre 500 et 1.000 ce qui est la norme.
Aujourd’hui, on ne peut pas vraiment parler de volume de ventes. De la vente, il y en a mais elle est liée en partie à un gros travail que font les groupes ou que nous faisons sur des conventions, des concerts ou des magasins avec des chefs de rayon bienveillants.
Mais qu’est-ce qui permet de faire vivre le label ?
La passion !
La volonté première n’est pas financière. Si ça avait été le cas, j’aurais fait autre chose !
Mais rassures-nous les comptes financiers de Finisterian Dead End sont quand même équilibrés ?
J’équilibre largement. Malgré tout, je ne roule pas en Porsche, aujourd’hui, je suis venu en train (Rires) mais la volonté première n’est pas financière. Si ça avait été le cas, j’aurais fait autre chose ! La volonté est une vraie philosophie qui consiste à montrer des groupes qui ont un talent. Le but est de montrer que nous avons le potentiel : il n’y a pas que les Finlandais ou les Allemands qui ont des groupes capables de s’exporter, nous avons également ces groupes, et il faut un peu les aider.
L’objectif est de promouvoir le metal breton : à ce jour, quelle est la locomotive de cette scène ?
Ta question est super parce que la volonté du label Finisterian Dead End n’a jamais été de promouvoir le metal breton. Si on peut le faire, on le fera mais pas seulement. Sur les 12 groupes signés : 8 groupes sont bretons/ nantais, un groupe vient de Bordeaux, un suisse, un québécois, un slovaque !
Si la volonté avait été de promouvoir le metal breton, je n’aurais pas appelé le label Finisterian Dead End mais je lui aurais donné un nom Breizh : on aurait fait de la musique avec des violons en duo avec le bagad de Lanbiouais.
Mais pour répondre à ta question quand même, je vais répondre de façon simpliste mais ce n’est pas grave : chacun des groupes est une locomotive vu que chaque groupe a son propre style… Par exemple, j’ai signé en septembre dernier, The Ersatz qui est un groupe d’indus. Il faut savoir qu’en France, signer un groupe d’indus, est une folie pour la simple et bonne raison qu’il y a très peu de groupes de ce style. Donc dans leur style et à leur niveau, ils ont ce potentiel. Après, est-ce qu’on arrivera à les travailler sur la France ou faudra-t-il traverser les frontières ... c’est une autre question ! Malgré tout, au même titre qu’un CNK ou Aneroxia Nervosa avec qui ils ont tourné, ils sont moteurs dans cette scène.
Après, si on parle de renommée directe, de façon toute bête, Breakdust ouvre le Hellfest, il a gagné le tremplin l’an dernier… J’ai récupéré ce groupe alors qu’ils étaient en mode « est-ce qu’on continue la musique ou non ? » à la suite de l’échec du premier album. Aujourd’hui, on est sur une vraie dynamique pour eux.
Comment expliques-tu ce revirement ?
Je pense que déjà les mecs ont mûri - il y a eu 6 ans entre les deux albums -, et je pense que la façon de travailler de Finisterian Dead End est certainement différente, plus punchy que leur label précédent. Je suis commercial donc prendre des "non" dans la gueule, j’en ai l’habitude mais un "non" ne reste finalement qu’un "non", il faut juste savoir l’encaisser. Si on doit en prendre dix, on les prendra mais au bout du dixième, tu as peut-être le onzième qui sera un "oui" : je suis l’éponge au "non" (Rires) !
Malkavian, c’est exactement la même chose, leur album est sorti il y a à peine un an. Ils sont distribués par Season of Mist six mois après pour un premier album, ils jouent le Hellfest cette année… on est sur quelque chose de cohérent !
De leur côté, les Pictured continuent de bosser dans leur coin. Aujourd’hui, ils sont un peu plus calmes parce qu’ils sont en recherche d’un nouveau batteur mais ils travaillent toujours sur le nouvel album… et ainsi de suite…
En revanche, ne crains-tu pas que certains groupes viennent vers toi en voyant Finisterian Dead End comme un tremplin et signer ailleurs lorsqu’ils auront passé un cap ?
Je ne rêve que d’une chose, c’est que demain, un label me téléphone pour me prendre un groupe.
Tu ne le prendrais pas comme une frustration à savoir que quand ton groupe devient réellement rentable, il signe ailleurs… en d’autres mots, le manque à gagner ne te gênerait pas ?
Je pense que tu as raison, sur le moment, c’est frustrant mais ensuite, quelle est la meilleure publicité pour notre label ?
Je comprends mais dès lors, ne crains-tu pas que la publicité qui en découle soit que Finisterian Dead End est un découvreur de talents ?
Ca me va pas mal ! Si cela peut permettre d’ouvrir des partenariats avec des structures plus importantes qui se diront que le responsable du label Finisterian Dead End a une oreille et donc regarderont d’un peu plus près ce que je fais : ça me va pas mal !
Si mon boulot consiste à sortir un groupe de sa petite ville ou région et de l’amener sur quelque chose de plus important et que demain, il s’en aille signer sur Nuclear Blast : je pense que j’aurai bien fait mon job !
Avec le risque pour ces groupes qu’ils reviennent aussi vite chez Finisterian Dead End déçu de la gestion froide d’une telle major à l’opposée de la tienne humaine ?
Pourquoi pas…
L’histoire du label s’écrit par l’histoire de ses groupes : on avance
ensemble et on se cassera la gueule ensemble ! On est sur une
philosophie un peu familiale !
Penses-tu que le seul moyen de réussir dans la musique et dans notre société aujourd’hui est de miser sur des niches et jouer sur la fibre patriotique expliquant le success de Finisterian Dead End?
Non ! Tout d’abord, le metal est une niche mais au regard du nombre de festivals qui existent un peu partout en Europe et dans le monde, certes c’est une niche parce que le style n’est pas mainstream.
Je pense que c’est une facilité au départ de partir sur quelque chose de petit et de développer. Par exemple, j’arbore un t-shirt du label : le label a sa propre identité et je peux dire que le treizième groupe du label est le label lui-même ! On a notre identité, on a du merchandising lié au label lui-même et ça fonctionne très bien : ça permet de faire un peu d’argent aussi et de le réinjecter ailleurs !
L’histoire du label s’écrit par l’histoire de ses groupes : on avance ensemble et on se cassera la gueule ensemble ! On est sur une philosophie un peu familiale !
A ce titre, Music Waves leader dans sa niche du prog en France a failli disparaître après 12 ans de loyaux services. A savoir que les frais liés au site sont payés par des bénévoles comme moi qui prenons de notre temps pour chroniquer et faire des interviews sans aucune contrepartie si ce n’est des liens musicaux digitaux : quel est ton avis sur le sujet ?
Je crois qu’un groupe ou un site web qui veut avancer, se restructurer… ça coûte de l’argent : faire un site web coûte très cher, ça n’est pas neutre ! Il faut arrêter de se mettre des œillères et se dire que la musique est un milieu gratuit ! L’industrie digitale a amené cette donnée du tout gratuit, tout de suite…
Par exemple, le concert gratuit chez Germaine m’insupporte au plus haut point parce que ça a plusieurs conséquences à commencer que les gens n’ont aucun respect pour les choses gratuites considérant que si ce n’est pas payant, c’est de la merde. Il y a un facteur qui fait que quand ce n’est pas cher, on n’y va pas mais si c’est trop cher non plus ; il faut savoir trouver le juste milieu ! Par exemple, les Dysdencia ont sorti leur dernier EP les 4 mars, ils ont organisé une release party à Rennes avec en ouverture Breakdust. Pour un groupe local qui sortait son album, on a fait 180 entrées payantes à 12 ou 13 euros la place soit plus d’entrées que Napalm Death quelques mois avant ! Je pense que les gens comprennent que quand il y a une entrée à 7 ou 8 euros, ce n’est pas de l’argent qui va dans la poche de l’organisation ou du label : ça permet de défrayer les groupes qui ont aussi la possibilité d’un vrai son sur scène, ce n’est pas de l’extorsion de fonds. Mais aujourd’hui comme tout le monde veut absolument jouer, les groupes sont prêts à accepter des conditions intolérables qui consistent à ne pas être payé…
Bref, à un moment donné, quand un groupe veut faire sa promotion, si il veut avancer, il ne doit pas faire de telles concessions sans pour autant gagner des millions…
Il y a pléthore de blogs qui côtoient des sites pro et à ce titre, il a un choix à faire au niveau des groupes et c’est notre responsabilité de les aider dans ces choix. Mais à ce jour, un groupe qui sort son album ou sa démo a comme objectif d’avoir d’une quinzaine de chroniques mais il ne fait pas de différenciation entre celle écrite par un blog qui fait 3 lecteurs mensuels et celle écrite par Music Waves : pour le groupe, ça ne reste qu’une chronique !
Autre exemple, quand nous avons fait le Dead End Fest II, notre promotion flyer a été faite en partenariat avec Garmonbozia. A un moment donné, il y a des acteurs qui sont sur le terrain et il faut savoir utiliser ces acteurs.
Quels sont tes rêves hormis le fait celui realisé à ce jour d’une interview dans le webzine français de reference Music Waves ?
(Rires) Les rêves à venir sont que le label continue sur sa lancée. Aujourd’hui, je vis un peu un rêve au quotidien et je rêve que ça continue : que les gens continuent de nous suivre, que les groupes s’exportent et puissent jouer et contribuent à l’aura du label.
Je n’ai pas de rêve en particulier parce que demain, je peux avoir une nouvelle de folie comme un distributeur anglais qui voudrait bosser avec nous…
Un dernier mot à nos lecteurs…
Le dernier mot sera tout bête mais finalement va résumer le propos qu’on a tenu un peu avant :
1/ soutenez les locaux
2/ soutenez les indépendants
3/ choisissez bien vos partenaires et ça ira beaucoup mieux !
Merci beaucoup
Je t’en prie, merci à toi !