C'est dans les salons d'un grand hôtel parisien que Timo Kotipelto nous a reçu pour un long échange où il est question du retour au premier plan de Stratovarius, ce qui constitue une surprise pour les fans de la première heure pour qui le groupe se résumait à Timo Tolkki dont nous évoquerons la désastreuse carrière solo... Une interview sans langue de bois que Jens Johansson n'aura même pas pu divertir...
Revenons sur "Nemesis" pour commencer, le considériez-vous comme en quelque sorte l’album de la vengeance et de la justice ?
Timo Kotipelto : … (Rires)
En effet, le disque était aussi plus sombre, aviez-vous besoin de faire un disque de cette sorte, assez vengeur en quelque sorte pour solder définitivement les comptes du passé ?
Hum, c’est un point de vue totalement nouveau (Rires) ! Je n’avais pas pensé de cette façon, mais le fait est que quand nous avons composé et enregistré les morceaux de "Nemesis" nous n’étions effectivement pas super heureux. Mais pour ce nouvel album, nous n’étions pas super heureux non plus : nous ne sommes jamais super heureux (Rires) ! C’est amusant mais je pense que les Scandinaves ont tendance à être dépressifs, et finalement quoi de plus naturel quand tu ne vois pas le soleil pendant 4 mois… Par exemple, nous avons eu un jour ensoleillé en janvier et c’était tellement inhabituel que nous nous demandions ce qu’il se passait (Rires) ! Et je pense que cela influe sur nos humeurs, et c’est pourquoi nous faisons cette musique qui n’est pas dépressive en soi, mais une façon de lutter contre la dépression justement…
Tu conçois la musique de façon cathartique ?
Je pense qu’elle a des vertus thérapeutiques et plus spécialement pour des Finlandais comme nous…
Avec ce disque, vous avez définitivement prouvé que Stratovarius était reparti sur les bons rails….
Oh merci, c’est super !
Cela a dû être un soulagement de le voir rencontrer un tel succès à la fois auprès des critiques et du public ?
Pour être honnête, ce fut une vraie surprise pour moi de voir à quel point les gens ont apprécié cet album, au point de dire que c’était notre meilleur album depuis 10 ans.
Mais aujourd’hui, avec le recul, comprends-tu cet engouement ?
Non, je ne l’explique toujours pas, même si je comprends un peu mieux certaines choses que les gens ont particulièrement appréciées. C’est super de recevoir un tel accueil mais encore une fois, au moment de composer / enregistrer un album, nous ne savons pas si nous faisons un bon ou un mauvais album : nous faisons juste la musique que nous savons faire, finalement. Si j’étais un meilleur compositeur, je saurais vraisemblablement écrire des tubes et dupliquer la même formule mais ce n’est pas le cas… Nous avons juste enregistré des riffs, des mélodies qui nous venaient et qui nous semblaient corrects. En aucun cas, nous ne pensions recevoir un tel accueil du public pour cet album : ce fut une vraie surprise !
Le single 'Unbreakable' a connu un beau succès, ce morceau est un des meilleurs jamais sortis, avec cette mélodie entêtante et ce refrain fédérateur. Comment arrive-t-on, après autant d’années de carrière et autant de titres écrits, à proposer un tel titre ? Avez-vous senti rapidement tout le potentiel de ce morceau digne des meilleurs titres de votre carrière ?
Quand nous avons fini d’écrire cette chanson, nous savions que nous tenions le single de l’album "Nemesis". Si je savais que c’était le plus catchy de cet
album, en revanche, cela ne fait pas un album : en clair, je ne savais pas toujours pas si l’album était bon ou non…
Mais pour répondre à ta question à savoir, quel est le secret pour composer un tel titre après une si longue carrière, la réponse est très simple : il suffit d’engager un nouveau guitariste qui compose (Rires) !
Ce nouvel album "Eternal", en comparaison, semble plus apaisé, de sa pochette à son titre il rappelle des albums comme "Polaris" ou "Infinite" avec ce côté zen presque new age dans cet esprit positif que l’on retrouvait aussi sur les "Elements". Stratovarius sort du lot commun du metal par cette caractéristique, avec ce côté écologique et même presque bouddhiste dans l’âme, qu’en penses-tu ?
Bouddhiste (Rires) ? Je ne saurais pas répondre : la seule chose qui me rapproche d’un état de la relaxation est de faire du sport ou certaines autres choses avec ma petite amie (Rires) ! En fait, nous ne sommes pas un groupe croyant. En revanche je me sens très proche de la nature, ce qui rejaillit dans mes textes. Et concernant le côté bouddhiste, je pense que le lien se fait avec le côté ermite qui est en moi puisque j’habite dans un cottage éloigné de tout, et spécialement en hiver.
Mais pour répondre à la première partie de ta question, je pense que tu pousses ta réflexion plus que nous le faisons nous-mêmes sur nos albums (Rires) ! Mais finalement, ton propos a du sens. En effet, sur le précédent album, nous avions 4 compositeurs et pour celui-ci, nous sommes 5 : cela influe déjà un peu sur les compos. De plus, nos vies personnelles influencent forcément notre musique et il est probable que les titres que Mattias (NdStruck : Matias Kupiainen) a écrit aient été plus agressifs puisqu’il l’était lui-même - et il s’est calmé depuis.
En revanche, je pense que cet album est plus dans une veine
power metal que "Nemesis" qui est plus sombre et progressif. Même si nous ne sommes pas un groupe progressif comme Dream Theater, nous avons des éléments du prog dans notre musique.
Y-a-t’il un concept derrière cet album, comme pourrait le laisser le suggérer la pochette très zen, à savoir une sorte de concept-album autour de l’homme, la création et son rapport à la nature ?
C’est effectivement le cas mais pour autant, ce n’est pas un concept-album. Malgré tout, nous avons essayé d’amener quelque chose de totalement nouveau dans cet album.
Si jusqu’à présent, nous composions des titres et puis, au moment du mix final, nous trouvions le titre de l’album et ensuite, nous faisions appel à l’artiste pour réaliser l’
artwork en fonction du titre, pour cet album, nous avons procédé totalement différemment : la pochette a été faite 1 an avant que nous nous ne travaillions sur cet album. Nous voulions attaquer la composition de cet album sous un angle nouveau.
Et finalement, cette pochette vous a-t-elle influencés ?
Elle nous a vraisemblablement un peu influencés. Mais ce dont je me souviens, c’est qu’au moment où nous avons reçu cette pochette, cela nous a retiré un poids des épaules, nous avions déjà la pochette qui en plus était géniale !
Tu parles de pression, justement à la vue d’une telle pochette, cela a dû rajouter de la pression pour la composition ?
Non, nous n’avions pas de pression parce que nous avions déjà plusieurs idées de chansons qui fusaient, en revanche nous étions soulagés de savoir qu’un élément de l’album à savoir la pochette était déjà finalisé.
Et enfin, il restait la question du titre de l’album et cette malédiction que nous trainons avec ces titres à 7 lettres : encore une fois, c’est un titre à 7 lettres (Rires) ! Même si, comme pour la pochette, nous avons essayé des noms différents mais ça ne fonctionnait pas … Et finalement, on s’est rendu compte après coup que c’est notre 7e album dont le titre comporte 7 lettres : même si je ne sais pas ce que ça veut dire, il semblerait que c’était écrit (Sourire) !
"Nemesis" marque le retour de nombreux fans dont certains qui n’étaient même pas au courant que nous continuions à faire de la musique
Pour la musique à présent, chaque titre donne l’impression d’avoir été composé par le groupe au complet tant on sent une cohésion à chaque instant. Personne ne domine dans sa présence musicale, chaque instrument est bien mis en valeur, de la voix aux claviers, la batterie et la guitare. On a vraiment l’impression d’entendre une œuvre d’un groupe soudé, as-tu conscience de cet état de fait et si oui, cela doit être une satisfaction d’être parvenu à le faire ressentir ?
Nous ne composons pas en groupe dans le sens où nous nous réunissons autour d’une table en partant d’une feuille blanche. En revanche, je considère que nous sommes entrés dans un nouveau cercle depuis que Matias est dans le groupe, depuis "Polaris" en fait… et avec "Nemesis", nous avons probablement prouvé à nos fans que nous étions de retour, que nous étions sérieux en essayant de faire la meilleure musique possible. "Nemesis" marque le retour de nombreux fans dont certains qui n’étaient même pas au courant que nous continuions à faire de la musique.
Tu dois être particulièrement fier de cela ?
La route a été particulièrement longue. Et je suis particulièrement content de pouvoir parler avec toi : le business musical est une industrie vraiment difficile de nos jours et je suis très content de pouvoir toujours en faire partie.
Cet album comporte son lot de titres teintés de speed mélodique dans la tradition de Stratovarius avec cette marque de fabrique particulière, à savoir faire du speed mais en gardant ce côté mélodique et frais. Dans cette idée 'Rise In The Fire', 'My Eternal Dream' et 'Feeding The Fire' sont de totales réussites, digne des années 90 et de votre époque de gloire…
Je suis assez d’accord et c’est cool que tu dises cela, mais pour être franc je ne pense pas être la bonne personne pour dire que ces titres rappellent les heures glorieuses du groupe. Malgré tout, je suis d’accord pour dire que ce sont de bonnes chansons dans un style
power metal traditionnel qui a fait notre réputation.
Le genre speed mélodique se fait rare : Sonata Arctica n’en fait plus, les autres groupes du genre ont pas mal disparu de la circulation, Rhapsody, Edguy ou Hammerfall qui ont du mal ou artistiquement ou commercialement. Finalement, 30 ans après sa création, Stratovarius demeure la référence du genre avec Helloween, ça doit te faire plaisir de rester une sorte de phare auquel on se rattache ?
Bien entendu que je suis très heureux, mais quitte à me répéter, ce qui me rend le plus heureux, c’est d’être encore là après toutes ces années. Plein de groupes qui ont débuté en même temps que nous ont changé de style, sachant que le
power metal n’est plus trop à la mode ces derniers temps … donc si les gens, de façon générale, ne veulent pas écouter du
power metal en revanche pour les fans de ce genre musical, il ne reste plus que des groupes comme Helloween que tu as cité et c’est tout …
En 1994, quand Stratovarius m’a demandé de les rejoindre, le
power metal n’était déjà pas très populaire. Mais nous nous en foutions ! Nous étions un peu fous et faisions la musique qui nous plaisait et la seule que nous sachions vraiment jouer. Dans ces conditions, pourquoi changer ?
On retrouve aussi avec 'Fire In Your Eyes' et 'Lost Without A Trace' des chansons plus mélodiques, voire des ballades classiques, mais là encore la patte Stratovarius fait la différence. Alors que pas mal de groupes sombrent vite dans le mièvre, vous parvenez à sonner émotionnel mais pas niais. Il y a une marque de fabrique des ballades Stratovarienne ?
La frontière entre une chanson désuète et une bonne chanson est très fine : c’est un vrai piège ! Et honnêtement, je ne saurais pas te dire si nous le faisons bien et comment nous faisons pour faire en sorte de rester du bon côté. Pour être franc, je suis convaincu que certaines de nos mélodies peuvent être désuètes, mais nous faisons en sorte que dans un tout, cela sonne bien. Sachant que c’est un vrai dilemme de composer des mélodies originales qui ne sonnent pas comme d’autres que nous avons déjà composées.
Et c’est assez impressionnant finalement de garder ce niveau de qualité après tant d’années, surtout quand on sait que le groupe a perdu son leader charismatique Timo Tolkki. Tous les fans de Stratovarius ont pensé que son départ sonnerait le glas du groupe et qu’il mènerait une carrière solo à succès or il n’en est rien, c’est même tout l’inverse qui s’est produit…
Je suis d’accord avec toi, et c’est dommage parce que je ne lui souhaite que du bien finalement ; j’espère vraiment qu’il nous proposera prochainement quelque chose de cool …
Et oui, je suis content d’avoir réussi à sortir tous ces albums qui sont bien accueillis. En effet, comme tu l’as sous-entendu, il composait 95% des chansons, il était le leader du groupe et c’était dur d’imaginer que nous puissions nous relever de son départ.
Justement, c’est peut-être là toute la différence. Même si tu nous as avoué que vous ne composiez pas en groupe, la musique de Stratovarius sonne comme un groupe : ne serait-ce pas la clef de votre succès ?
Je suis entièrement d’accord avec toi : chaque membre apporte sa touche dans Stratovarius.
Enfin, cet album comporte sa longue pièce finale de 11 minutes, 'Lost Saga', qui regroupe en son sein tous les éléments du style Stratovarius. C'est-à-dire du pur heavy mélodique et épique sans chichis symphoniques, dans l’esprit d’un Iron Maiden avec ce côté aérien et atmosphérique en plus, sur le final notamment. Que penses-tu de cette vision que Stratovarius serait une sorte d’Iron Maiden atmosphérique ?
Ce que tu dis là est très sensé… Mais Iron Maiden ? Hum… J’aurais pensé que les textes relatant une histoire de vikings nous auraient plus rapproché de Manowar ou Hammerfall, mais finalement, j’aime beaucoup ta définition "une sorte d'Iron Maiden atmosphérique" par Stratovarius : j’aime vraiment (Sourire) !
Et considères-tu qu’un long titre comme 'Lost Saga' est le passage obligé dans chaque album de Stratovarius ?
Pas vraiment, puisqu’il n’y en avait pas dans "Nemesis" au contraire d’ "Elysium" qui effectivement en comportait un (NdStruck : le titre éponyme justement). Je pense que nous avons la possibilité de créer des structures pour des titres aussi bien longs que pop, mélodique, metal, instrumental… Nous ne jouons pas seulement un seul style musical, ce qui est bonne chose !
Quelles sont tes attentes pour cet album ?
On en revient à ce qu’on évoquait en début d’interview, avec "Nemesis": je ne savais pas si le public allait l’aimer ou non, et quand j’ai lu les chroniques, j’ai été extrêmement et positivement surpris. Aujourd’hui, concernant "Eternal", je me retrouve dans la même situation : je ne sais toujours pas si les gens vont l’aimer ou non…
Tu as évoqué le succès de "Nemesis", avez-vous une pression particulière au moment de vous lancer dans la composition de "Eternal" ?
Cet album nous a fait beaucoup transpirer et a provoqué pas mal de douleurs mentales (Sourire) … Faire un album de façon générale est stressant, mais ce dernier plus particulièrement : je ne saurais dire pourquoi, mais nous avons dû chercher au plus profond de nous pour le faire !
Au moment de la
deadline, nous savions que nous aurions 3 jours de retard. Le label a donc décalé la sortie de 3 semaines par rapport à la date initiale. Mais finalement, il n’y a rien de grave puisqu’il est sorti avant la tournée…
Si faire un album était si facile et amusant, ça se saurait et on sortirait 4 à 5 albums par an (Rires) !
Merci
Merci à toi
Et un grand merci à Noise pour sa contribution..