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TITRE:

LUKE (07 OCTOBRE 2015)


TYPE:
INTERVIEWS
GENRE:

ROCK



Les années n'ont pas eu raison de la rage de Luke qui revient avec un album à la portée décuplée suite aux derniers évènements tragiques...
STRUCK - 18.12.2015 -
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Quelle est la question qu’on t’a trop souvent posée ?

Thomas Boulard : Hum….Première question et… bonne question (Sourire) ! Allez "Pourquoi Luke ?", on me l’a toujours posée.


Et nous ne le ferons pas. En revanche, n’en as-tu pas assez de voir Luke résumé à 'La Sentinelle' voire 'Soledad' par le grand public ?

Qui est le grand public ? On ne peut rien y faire. Le grand public écoute la radio pour entendre des chansons qu’il connaît.





Tu parles de la radio, quel est ton avis sur les quotas ?

J’écris en français depuis très longtemps et comme cela va dans mon sens, je ne dirais pas grand chose, ce serait prêcher pour ma paroisse.


Luke qui existe depuis 1998 a été mis entre parenthèses, notamment pour te consacrer à ton projet solo si bien que l’actualité est ce cinquième album studio "Pornographie" qui fait suite à "D’autre Part" sorti en 2010 : ne crains-tu pas qu’avec cette parenthèse le public ait oublié Luke ?

Oui, mais je ne sais pas ce qu’est la gestion de carrière.


Avec le recul, tu es conscient que ce n’était pas forcément la bonne décision pour percer avec Luke ?

Ca, on le saura plus tard mais toi, qu’en penses-tu ?


J’aurais sorti d’autres disques si j’avais eu quelque chose d’autre à dire


Je pense qu’à l’ère d’Internet où tout va vite, les gens seront passés à autre chose et auront oublié Luke.

De mon côté, je cherche avant tout à faire de bon disque ! Effectivement, énormément de choses sortent aujourd’hui mais il y a très peu de bons disques. Et on n’a pas toujours quelque chose à dire : j’aurais sorti d’autres disques si j’avais eu quelque chose d’autre à dire.


Pour ceux qui auraient pu penser que cette parenthèse aurait été une période propice à apaiser tes colères, tes démons … en fait, tu reviens plus rageur que jamais avec un album qui règle ses comptes à tout va : que ce soit la France du FN, celle de Michel Drucker …

Je ne règle pas mes comptes ! Je ne suis pas plus rageur, c’est juste que ma colère a changé : aujourd’hui, elle est plus froide, dirigée contre une société technophile qui est finalement uniquement fondée sur l’argent et la guerre.
Ce qui me rend d’autant plus rageur et colérique, c’est qu’on fait passer les gens qui hurlent que le néo-libéralisme tel qu’il est a dégénéré - et c’est la vraie utopie du 21e siècle - pour de jeunes adolescents rebelles.
Ca me rend fou !


Après tant d’années, le côté froid de cette colère explique une certaine désillusion, résignation aussi ?

Peut-être, mais c’est également une colère teintée de l’époque. Entre le moment où j’ai commencé et aujourd’hui, le monde s’est révolutionné et a connu des transformations massives. Je crois qu’entre un jeune de 25 ans aujourd’hui et un jeune de 25 ans de 1985, c’est le jour et la nuit. Alors que la différence entre un jeune de 25 ans de 1908 et de 1958 était infime.
Les transformations sont arrivées à un paroxysme jamais atteints notamment en termes de progrès mais également de choix politiques. Et ce qui est très nouveau, c’est que ces transformations sont arrivées à une vitesse folle et de plus en plus vite.


Penses-tu que cela nous dépasse ?

Oui et je pense que nous avons besoin des artistes pour faire face à ce défi qui consiste à comprendre.





Est-ce que finalement derrière le titre "J’veux être un héros" ne se cache pas ta réelle volonté à savoir être un héros à savoir qui ouvre les yeux d’une génération MTV mouton endormi comme tu le sous-entends dans "Ici c’est la guerre" ?


Je ne dis pas "mouton endormi", je parle de "génération somnifère"… Je fais partie de cette génération MTV, donc quelque part, je fais mon auto-critique.
(Il réfléchit) Mais oui, d’une certaine manière, j’aimerais être ce héros. Mais on s’en fout, l’important n’est pas de savoir si je souhaite être calife à la place du calife, l’important est de dire la vérité et pour le coup, la fin justifie les moyens.


Tu cites la France de Michel Drucker, la génération MTV, la télé-réalité … Estimes-tu qu’une des dérives majeures de notre société est liée à la télé justement ?

En autre mais je critique le système que reproduit la télévision (Sourire) ! C’est un système qui court après l’argent immédiat, qui reproduit des phénomènes de castes… C’est ce système que je critique et un des ces produits éminemment critiquables est entre autres la télévision et aussi les images poubelles sur Internet. Mais attention, il ne faut pas se méprendre, j’en suis le pur produit.


Quand j’entends les récentes déclarations de Nadine Morano, je trouve que mes textes sont en deçà de la réalité et j’aurais pu aller encore plus loin


Et une des phrases phares de cette dérive télé est 'L’amour est dans le pré, la haine est dans les urnes'…


Elle n’est pas de moi mais d’un ami. Mais c’est vraiment un morceau de ce qu’il m’est réellement arrivé. En retournant dans mon village natal, je retrouve des gens par hasard, des personnes avec qui j’étais au lycée, on discute et l’alcool aidant, la discussion devient un monologue qui dégénère en avouant avoir fièrement voter et faire désormais partie des listes du Front National. Et finalement au bout du compte, quand j’entends les récentes déclarations de Nadine Morano, je trouve que mes textes sont en deçà de la réalité et j’aurais pu aller encore plus loin.


A l’écoute de cet album, on a autant l’impression d’un constat désillusionné d’une époque noire, te retrouves-tu dans notre société actuelle, la France du trop tard, la France morte ?


Moi ? Non, je ne me retrouve pas là-dedans : j’ai décidé de crier, de hurler. Je le fais depuis des années. Je ne dis pas que je fais mieux que les autres mais l’artiste est embarqué dans son époque avec tout le monde. Mon travail est de m’isoler et de retrouver en moi ce que les autres disent : ce n’est pas moi qui parle ! Dans ce titre, je ne fais que citer celui qui se sent laissé pour compte en estimant que la France du maillage économique est morte, mais moi, je n’en fais pas partie.


Tu te fais messager de ce constat, tu le cries mais crois-tu que les albums à texte, qui dénoncent … aient encore un impact au-delà de leur portée strictement musicale ?


Ce n’est pas la question ! Ce n’est pas la bonne question ! La bonne question est "Au regard de l’importance que revêt la politique de nos jours, pourquoi ceux qui n’en parlent pas n’en parlent pas ?" Et il faut la poser à tous les autres. Ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question de savoir pourquoi j’en parle sachant que ça n’a pas beaucoup d’incidence.


Et en parler si fort et constater que cela n’a que si peu d’incidence, n’est-ce pas frustrant ?


Attention, je ne dis pas les choses pour les changer…


… Mais c’est un rêve secret malgré tout ?


Non ! Ce que tu décris s’appelle le romanesque et ça n’a rien à voir. Pour ma part, je suis là pour dépeindre l’époque dans laquelle nous sommes. Je travaille donc sur un tableau totalement blanc sur lequel je mets ce qu’est le monde d’aujourd’hui et le monde d’aujourd’hui, c’est ce disque « Pornographie ».
Je n’ai pas de velléité en disant que telle chose est bien ou mal, j’estime juste que la politique et l’économie n’ont jamais eu autant d’influences. A partir de ce constat, je suis obligé de l’inclure dans mes textes sinon c’est de la malhonnêteté artistique.


Et peindre un tel tableau a-t-il des vertus cathartiques pour toi ?

On se fout de moi : je ne suis qu’un médium…


J'observe - j’espère - avec justesse une époque qui s’est profondément radicalisée en tout et donc, ce disque, la musique, les textes se sont également radicalisés


Nous sommes quand même ici pour parler de toi ?


Non, je ne suis pas là pour parler de moi, en fait ! C’est vraiment tout le paradoxe de l’artiste, je ne suis pas là pour parler de moi mais pour évoquer ce que je vois autour de moi. Je suis dans un biotope, j’observe - j’espère - avec justesse une époque qui s’est profondément radicalisée en tout et donc, ce disque, la musique, les textes se sont également radicalisés. Il est impossible d’écrire comme Verlaine à notre époque. Quand on écrit, le langage qu’on emploie doit déterminer ce qui se passe autour de nous. Il y a un travail de sculpture dans le langage pour essayer d’être assez juste avec ce qui nous semble se passer dans la tête d’un jeune post-adolescent en 2015. Encore une fois, ce n’est pas moi qui parle : d’ailleurs, comme tu peux le voir, je ne parle pas comme je chante.


Tu parles beaucoup de textes…

Non, je ne me parle pas beaucoup de mes textes, on me pose beaucoup de questions sur mes textes…


… nous allons parler de ta musique donc… "Le rock est mort et vous avec ! Discothèque !" : est-ce la version française désabusée de U2 ?


Ca n’a rien à voir !


Malgré tout, musicalement tu peux entendre des esquisses musicales de U2…


C’est vrai ! Mais ça n’a rien à voir, U2 a abandonné les textes depuis bien longtemps et je pense d’ailleurs qu’ils ont de gros problèmes fiscaux à forcer de défiscaliser en Hollande (Sourire). "Le rock est mort et vous avec !" est mort avec U2 mais bon…
J’ai pris comme postulat que le monde n’est plus qu’une grande discothèque où nous ne sommes plus que sur une immense piste de danse entourée d’écrans géants sur lesquels sont diffusés des images poubelles. Je trouve cette métaphore sur la modernité occidentale assez juste.





Question pourrie : ne craints-tu pas qu’à force de faire des albums dénonciateurs qui portent ta vérité, on se dise que Thomas a le boulard ?


(Silence) Oui peut-être si ils veulent ! De toutes façons, à partir du moment où tu commences à hurler, à faire des choses… il y a une part d’ego mais c’est un débat stérile !


Qu’attends-tu de cet album ?


De l’argent, oui beaucoup d’argent ! Non mais cet album a le mérite d’exister : cet album n’aurait pas dû exister ! A notre époque, un album n’a pas de raison d’exister, il existe parce que il se trouve que j’ai un contrat avec une maison de disques qui me permet de le sortir. Ceux qui ont aimé ce disque peuvent donc remercier la maison de disques.


D’ailleurs, comment expliques-tu cette confiance sachant que le tableau que tu peints n’est pas du tout formaté pour la société de consommation dans laquelle nous vivons ?

Ils sont juste fous !


C’est la raison pour laquelle vous vous entendez bien finalement.

Je suis un peu fou et on s’entend effectivement très bien. Je crois qu’on est dans une telle transformation de l’industrie du disque qu’aujourd’hui, plus personne ne sait vraiment comment faire.
D’une certaine manière, j’en ai bénéficié et on m’a laissé ainsi dire ce que j’avais à dire. Mais effectivement, ils sont assez courageux en défendant ce disque !


Justement, quelle est la prochaine étape ? Défendre ce disque sur scène ?


Il y a beaucoup de travail. Ce disque est fait pour la scène ! Contrairement à ce qu’on pourrait croire du fait des textes et de leur côté radical, qui est finalement assez soft par rapport à la réalité, on me prend pour un intellectuel mais il ne faut pas oublier qu’on parle de musique avant tout.


Penses-tu que ta musique en pâtit ?


J’espère que non ! J’ai écris les textes et j’ai fait en sorte que la musique soit cohérente avec les textes. Ca reste des morceaux évidents, couplets/ refrains, taillés pour la scène… C’est vrai que je joue des formats textuels mais je fais ce que j’ai toujours su faire, et il faut reconnaître que ce sont des morceaux qui percutent malgré tout.
Je crois qu’il est temps qu’on comprenne que les musiques de genre peuvent faire des œuvres. Je crois par exemple que la littérature américaine a révolutionné par le polar américain. C’est beaucoup plus dur de faire un disque de genre pour dire quelque chose au-delà du genre. Je joue des codes du rock et j’aime ça : Luke est évidemment un groupe de rock mais il est temps qu’on comprenne que ce n’est pas un sous-genre et qu’il peut dire quelque chose au-delà de son propre genre.





Questions traditionnelles, quel est ton meilleur souvenir d’artiste ?


J’en ai de nombreux mais j’en ai deux catégories.
Je citerais le meilleur souvenir anecdotique qui serait peut-être un concert qu’on a fait en Algérie, à Alger. C’était extraordinaire parce qu’on a vu dès les premières notes, le public se lever. Il avait un désir de danser, que les corps s’expriment tout simplement. C’était très touchant, un souvenir qui restera à jamais gravé car c’est vrai que notre démocratie prospère, on ne se rend plus compte de la chance que l’on a d’avoir une liberté de parole …
Les autres meilleurs moments sont ceux quand je réécoute ce que je viens de faire et que je trouve ça bien. Ces petits moments sont exquis car très rares.


Au contraire le pire ?

Le pire souvenir ? Et bien, ce n’est pas avec Luke mais avec mon groupe de lycée. Pour gagner un peu d’argent, nous faisions la tournée des bars de la côte et on a joué un jour sur une esplanade autour d’un restaurant. Nous jouions des reprises d’A/DC et des compos perso et nous avons reçu des tomates. J’en ris aujourd’hui mais sur le moment, nettement moins d’autant que c’était des tomates assaisonnées…


On a commencé cette interview par la question qu’on t’a trop souvent posée, au contraire, quelle est celle que tu souhaiterais que je te pose ?

Je n’aime pas cette question ! Pour moi, tout est dit dans le disque mais il y a beaucoup de choses à dire que je ne sais pas encore. Et je pense que je pourrais les dire à l’occasion de dialogues et c’est en ça que je trouve le travail de journalisme intéressant : quand ils nous font dire des choses auxquelles nous n’aurions pas pensé.


On t’a fait un peu réfléchir à l’occasion de cette interview ?

Oui et d’ailleurs j’estime qu’ "interview" est un très mauvais terme et nous devrions appeler ça "dialogue".  Je pense que c’est important parce que parfois, je dis des choses auxquelles je n‘aurais pas pensé : je ne prémédite pas mes réponses !


Certains le font…

Tant mieux pour eux, je suis très mauvais dans cet exercice : j’ai un désir de véracité certainement fantasmé…


Malgré tout, au travers de cette interview, que n’aurions-nous pas couvert on a beaucoup parlé de messages mais finalement pourquoi ce titre d’album ?

C’est effectivement peut-être ce que j’aurais voulu ajouter ou préciser. En lisant certains commentaires, je voudrais leur expliquer que je ne suis pas là pour imposer un monde plus pur et que je qualifierais ce monde pornographique. Non ! Je qualifie l’ordre moral, les valeurs morales qu’on est en train de nous imposer en ce moment de pornographique. Pornographie dans sa traduction littérale et étymologique du terme c’est à dire la peinture des prostituées et par extension c’est l’écriture des corps qui se vendent. Nous sommes tous des corps qui se vendent et nous cherchons de la dignité.





Merci

Merci à toi !


Plus d'informations sur https://fr-fr.facebook.com/legroupeluke
 
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