Entre 2009 et 2014 la ville de Denain a vécu la belle aventure des Metallurgicales. Ce festival créé à l’initiative de son député maire Patrick Roy, et qui a survécu à sa disparition en mai 2011, a vu passer de jolis noms tel que Anthrax, Soulfly, Stratovarius ou encore Paradise Lost et Destruction. Malheureusement, toutes les belles histoires ayant une fin, le festival avait fini par disparaitre fautes de retombées économiques et médiatiques. Mais comme les histoires parviennent toujours à proposer une suite heureuse. Le festival voit un nouvel évènement lui succéder dans cette même ville de Denain et à l’initiative de Nord Forge qui gérait les dernières éditions des Metallurgicales. Rendez-vous est donc pris en ce Samedi 12 mars 2016 au cœur de Denain dans son superbe théâtre pour la première édition d’In Theatrum Denonium.
Pour ce nouveau festival, les organisateurs ont choisi d’évoluer : ils avancent déjà avec prudence en programmant juste quatre formations et musicalement ils s’éloignent aussi du style d’avant en faisant honneur au Black Métal. Parmi les quatre groupes au programme, trois sont français et représentent la nouvelle vague du genre en faisant la preuve de la richesse intense du style et de la force de la scène hexagonale. A leurs côtés on retrouve un maître du genre,
Melechesh, qui depuis plus de 20 ans a su mêler à sa base black des éléments orientaux de premier ordre. La soirée commence un peu en retard, les balances ayant un peu trainé. Le public est lui bien au rendez-vous, l’évènement affiche quasiment complet, et patiente tranquillement. Le théâtre de Denain a été parfaitement agencé pour cette soirée avec une grande partie du staff déguisé en sombres personnages tout droit sortis du
Fantôme de l’Opéra. La partie merchandising a été judicieusement répartie dans les allées autour de la salle et cette même salle a été un peu chamboulée. Ses premiers rangs assis ont été retirés pour créer une petite fosse debout, parfaite pour créer une forte communication avec les groupes et derrière chacun peut profiter du confort des sièges. Et cette atmosphère théâtrale et un peu mystérieuse va être parfaite tant elle va se mettre en symbiose avec la musique des groupes. Ces groupes vont nous prouver qu’au-delà de l’aspect parfois violent le black métal est bel et bien un art à part entière qui va ce soir s’épanouir à merveille dans ce cadre somptueux.
Ce sont les français de Déluge qui ont l’honneur d’ouvrir les hostilités devant un parterre déjà bien garni. Fraîchement formés en 2013 du côté de Metz, les musiciens ont fait très forte impression avec leur premier album, "Aether", sorti l’année dernière. Ils sont devenus très rapidement un des leaders de cette riche scène post black et un des fers de lance du label Les Acteurs de L’Ombre qui œuvre avec talent pour mettre en lumière tout la force de l’art extrême. Post black est un terme un peu réducteur pour qualifier la musique de Déluge. Le groupe a cette facette black qu’il mêle avec des influences post hardcore et atmosphériques pour créer un univers personnel très fort dédié à l’eau et les océans. Servi par un son parfait, à la fois puissant et audible, et par des lumières discrètes, une constance de la soirée, il va proposer une superbe prestation qui va marquer pas mal d’esprits.
Dès le départ avec 'Bruine' et une longue introduction pendant laquelle se fait entendre le bruit de la pluie, cette ambiance à la fois sombre et attirante se crée. Jouer dans un théâtre ajoute un côté tragique et majestueux qui sied très bien à la musique. Mais quand il envoie la sauce Déluge ne fait pas de quartier et nous rappelle que sa part black métal est bien réelle. Entre puissance et mélancolie il nous délivre un concert de grande qualité avec les titres de son album qui passent à merveille le cap de la scène. Quelque part entre l’ancien Neurosis, Shining et une pincée de doom funeste, des titres comme 'Mélas/Kholé', 'Avalanche' ou encore 'Naufrage' et 'Houle' s’avèrent être d’excellents moments musicaux parfaitement joués par des musiciens peu bavards mais techniquement très au point. Ce concert lance en tout cas la soirée sous les meilleurs auspices et laisse augurer du meilleur pour la suite.
La suite est très attendue avec un autre brillant élément, Regarde Les Hommes Tomber. En deux albums, le groupe français a fait sensation auprès des amateurs d’art extrême. Car art est un terme qui sied parfaitement à ce que propose R.L.H.T. avec une démarche assez intellectuelle, loin des préoccupations traditionnelles du black métal. Le groupe œuvre lui aussi dans un post black mais teinté de sludge et de doom pour un résultat impressionnant de maitrise. De fait le public piaffe d’impatience à l’idée de découvrir le rendu scénique de ces chansons.
C’est dans une atmosphère sombre et teintée d’ésotérisme, les bougies et
l’encens posés sur le devant de la scène aidant beaucoup à créer cette
ambiance singulière, que le groupe débarque et attaque fort et durement.
Sa musique évoque à la fois le black métal d’un Emperor que le sludge teinté de hardcore notamment pour un chant très hargneux. Comme leurs collègues de Déluge, le groupe se rapproche du son d’un Neurosis par cette capacité à être à la fois violent et hypnotique. Tout cela nous donne un concert intense et sombre, donnant réellement l’impression d’être entrainé au fond des abysses. Et chaque titre joué nous fait pénétrer plus intensément dans cet univers qu’on pourrait relier par sa noirceur à l’univers horrifique d’un Lovecraft. Clairement 'Sheep Among Wolves' ou encore 'The Fall' et 'Thou Shall Lie Down' auront collé une belle claque au public. Avec un tel concert il ne fait guère de doute que Regarde les Hommes Tomber a toutes les cartes en main pour devenir rapidement une formation majeure et cela au-delà même de l’hexagone.
La chute dans les abimes va continuer de plus belle avec la troisième formation, Céleste. Le groupe lyonnais a déjà une belle carrière mais est finalement moins connu que les autres au-delà d’un cercle d’initiés, préférant volontairement de rester caché comme un secret au cœur de l’underground métallique. En quatre albums depuis 2008 il a lui aussi imposé un post black teinté de sludge et de hardcore en se positionnant comme un précurseur de ce genre de mix musical. Le groupe s’entoure aussi d’un certain mystère, sur scène les musiciens sont plongés dans une pénombre complète avec juste des lumières rouges au-dessus de leur visage pour pouvoir les repérer et pour amener une part de mystère supplémentaire.
Entre misanthropie, nihilisme et noirceur, Céleste est une formation clairement à part, chantant en français des textes bien loin du lot métallique habituel. Et quand il se lance il ne fait pas semblant, la déflagration est totale quand les hostilités débutent. Ce savant mélange d’influences nous donne un cocktail redoutable à la fois haineux, violent et terriblement hypnotique. Il y a dans ces chansons un côté froid et désespéré d’une rare intensité. La set list nous présente essentiellement des titres du dernier disque en date du groupe, "Animale(s)". Et avec 'Laissé pour compte comme un bâtard' ou encore 'D’errances en inimitiés' et nombre d’autres chansons aux titres aussi poétiques Céleste adresse un uppercut en bonne et due forme à tout le public. Ce concert restera un moment à part de la soirée tant il a été intense. Céleste fait s’entrechoquer les genres avec un talent énorme, certes il faut réussir à pénétrer dans cette musique clairement à part, mais personne dans la salle n’est ressorti insensible à la prestation d’un groupe hors normes.
Après ces trois concerts à la fois brillants et fascinants, la soirée revient avec sa tête d’affiche à un style plus classique même si encore très riche et brillant. Melechesh est dans la place et le groupe d’origine israélienne, par son chanteur Ashmedi, va mettre le feu et nous confirmer qu’en matière de black métal teinté d’influences orientales il reste le maître absolu. Melechesh est un groupe assez rare, il a juste proposé six disques en 20 ans et est très attendu, pas mal de personnes présentes se souvenant de la claque reçue lors du concert du Raismes Fest 2012. Le groupe va lui aussi profiter de l’atmosphère particulière de ce théâtre qui va amener à sa musique une dimension spirituelle supplémentaire. Et servi par un son toujours aussi bon le groupe va entrer directement dans le vif du sujet dès le début de son concert avec une force et une conviction qui forcent le respect.
D’entrée on saluera le travail du batteur Kévin Paradis qui frappe ses fûts comme un bucheron avec une puissance phénoménale. A ses côtés les musiciens sont en pleine forme, Ashmedi hurle avec puissance tandis que musicalement on savoure avec délice un black métal très rentre-dedans. Les passages orientaux s’intègrent eux toujours aussi bien aux chansons et sans prendre toute la place amènent cette touche de diversité qui fait la force du groupe. Cela donne un concert très prenant et intense avec la sensation d’avoir en face de soi une machine de guerre implacable. Le temps va passer très vite, trop sans doute... chacun en aurait volontiers repris une bonne dose.
Au niveau des titres le groupe balance un bel équilibre entre ses albums et donne un aperçu très complet de sa riche carrière en piochant dans 5 de ses 6 albums. Avec "Enki" en 2015, Melechesh a sorti un grand cru digne de ses glorieux débuts et savourer en concert les très réussis ‘Tempest Temper Entil Enraged’, ‘The Pendelum Speaks’ ainsi que ‘Multiple Truths’ est un réel plaisir. A côté, les classiques font bien sûr leur effet et la petite fosse est proche d’exploser bien souvent avec le public très motivé. Il faut dire que des chansons tirées de l’album essentiel qu’est "Emissaries" comme ‘Ladders To Sumeria’ ou ‘Deluge Of Delusional Dreams’ font toujours leur effet. Le mariage black et orient s’y fait à merveille, nous entraînant dans un univers à part, dans les anciennes légendes sumériennes. "The Epigenesis" sorti en 2010 est aussi à l’honneur avec les très bons 'Grand Gathas Of Baal Sin’ et ‘Ghouls Of Nineveh’ qui nous rappellent que cet album moins en vue était un bon cru. Enfin les temps plus anciens ne sont pas oubliés avec ‘Genies, Sorcerers and Mesopotamian Nights’ et ‘Triangular Tattvic Fire’, deux belles pépites qui ont été savourées avec plaisir.
Cela nous a donné un fabuleux concert qui conclut en beauté une très belle soirée sous le signe de l’occulte. Avec In Theatrum Denonium la ville de Denain tient un superbe nouveau festival auquel on souhaite une très longue existence et d’autres affiches aussi riches que celle de cette année. Il nous reste à remercier les groupes pour leurs belles prestations, les organisateurs et les bénévoles pour leur travail de grande qualité et la ville de Denain pour avoir mis son superbe théâtre à disposition d’un public bien différent de ses habitudes.