Quelle est la question qu’on t'a trop souvent posée ?
Arsène : Hum... Je dirais pourquoi est-ce qu'on s'est appelé "L'Esprit du Clan", d'où ça vient... La réponse est toute bête : on avait un autre groupe avant, on cherchait un nouveau nom et on a choisi à partir du titre d'une chanson qu'on avait qui s'appelait 'L'Esprit Du Clan' (sourire).
Votre actualité est la sortie de votre sixième album, le bien nommé "Chapitre VI" qui débarque 5 ans après l’album du drame, le mal nommé "Drama". Pourquoi être revenus sur ce choix et ouvrir un nouveau chapitre ?
L'envie, l'excitation, le plaisir de rejouer... Quand j'allais voir d'autres concerts de metal, ça piquait, il fallait que je retourne sur scène. Surtout le fait est qu'avec les potes on se voyait toujours, mais moins que quand on est un groupe. Ils me manquaient, ON se manquait... On s'est dit que ça allait nous obliger à nous réunir à nouveau pour répéter, composer, partir sur les routes... Tout ça, ça nous manquait.
Pourquoi avoir simplement nommé ce nouvel album "Chapitre VI" ? Est-ce une manière de boucler la boucle ? Peut-on le voir comme un nouveau départ ou comme un disque de plus ?
Aucun des deux. C'est difficile de résumer un album. Drama, c'était un album sombre, sans aucun doute. On avait cherché, par le titre, à illustrer ce côté sombre. Là, on a des chansons assez revendicatives, mais il y en a aussi d'autres qui sont plus solaires, ouvertes. Je ne voulais pas résumer l'album à un aspect en particulier.
Effectivement, notre chronique fait état d'un discours sombre, mais différent du précédent, à l'image de 'Rat des Villes' où on sent un message d'espoir...
Ahh, 'Rat des Villes' c'est un cri d'amour à ma ville quelque part. Donc, oui, j'ai voulu revendiquer parce que c'est dans les gènes de notre musique mais cette fois particulièrement, j'ai voulu voir le verre à moitié rempli. Je suis dans une période positive où je suis plutôt bien. Je n'ai pas envie de passer mon temps à crier sur les choses. Mon message est donc plutôt positif, solaire, où j'ai envie de crier des choses pour lesquelles je suis pour, et moins l'inverse.
Est-ce que ce message a été motivé par les récents événements qui ont ébranlé la capitale, avec cette rageuse envie de lui chanter votre amour inconditionnel ?
Exactement, bien sûr. Il y a aussi d'autres événements dans ma vie. Tout ça y fait. Le fait de tomber si bas, d'avoir été mis à genoux avec ces événements parisiens m'a fait réaliser que la vie est courte... Ca fait cliché, mais c'est tellement vrai. J'ai envie de profiter, de dire aux gens que j'aime que je les aime. Dans la musique, c'est pareil, pour ma ville, mes potes...
Puis Paris qui se fait sortir par Manchester (en Champions Ligue, car Arsène est pro PSG, ndlr)...
Arrête!!! Là, tu veux vraiment me fâcher (rires)! Pfff, bon, on parle de Laurent Blanc tout de suite? (rires)
Juste après avec plaisir. Sur "Chapitre VI", les textes sont moins noirs, moins pessimistes, presque une lettre d'amour à Paname... Est-ce une réponse ou un clin d'œil à Booba dont une des chansons porte le même titre ?
Ecoute, c'est vrai que pour avoir écouté quelques albums de Booba, j'avais dans un coin de ma tête qu'il avait nommé une chanson comme ça. Je t'avoue franchement que quand j'ai posé le texte j'avais oublié... Honnêtement. Après, on a aussi une chanson qui s'appelle 'Céleste', alors qu'il y a un groupe qui s'appelle comme ça. Les mots, surtout quand tu n'en emploies que deux, reviennent vite! Un peu comme des expressions toutes faites qui sont dans le domaine commun. J'allais pas me priver parce que Booba a fait une chanson, y'a 10 piges... Donc même si j'y avais pensé avant, je pense que je l'aurais fait quand même.
Malgré ce temps de pause, y'a-t-il dans ce nouvel album des idées qui n'avaient pas été utilisées dans le précédent ?
Non, on est parti de zéro. La seule chose qu'on voulait faire en particulier était d'apporter plus de groove et de simplicité. On n'avait plus envie de faire des choses hyper Metal, compliquées et rapides, on voulait plus jouer sur le groove. Et sans se mentir, les musiciens n'ont quasi pas touché leur instrument pendant 4 ans, donc l'idée était de jouer comme on est là, comme quand on avait 20 piges. Les maitres-mots étaient simplicité et plaisir.
Avec le recul, tu penses avoir réussi ce pari ?
Je crois, ouais. Bon, t'imagines bien que le fait d'avoir composé ces morceaux, de les avoir écoutés maintes fois, enregistrés, etc. rend le boulot super dur. Ce que les gens découvrent maintenant avec cet album, je l'ai vécu il y a 3/4 mois à la fin de la compo, avant de passer en studio. Aujourd'hui c'est plus compliqué à dire.
Avez-vous composé cet album de la même manière de "Drama", tous ensemble ?
Non, ça n'a pas été possible, vraiment trop compliqué. Avant, on était capable de virer carrément un morceau si l'un n'aimait pas une idée...
Ce qui explique le point de saturation auquel vous êtes arrivés avec Drama ?
Ouais, c'est exactement ça, c'était trop compliqué. Là, on s'est réuni avec Ben et Chamka, ce sont eux qui composent tous les riffs alors que moi j'écris tous les textes, ça a toujours été comme ça. On est allé à l'essentiel, en se disant "on fait comme ça, vous prenez les riffs, j'écris mes textes dessus." On a presque imposé les morceaux à Bastos et Julien, notre nouveau bassiste. Sans en faire tout un état, ça s'est super bien passé comme ça, c'était super fluide.
La sortie de « Chapitre VI » se fait sous Verycords qui compte désormais dans ses rangs Mass, No One, Sidilarsen... Est-ce que vous êtes en train de créer dans le label ce fameux esprit du clan ?
Je ne sais pas! J'ai pas de part dans Verycords, mais à part Sidilarsen qui sont de Toulouse, on connait très bien effectivement les autres groupes... On est potes avec The Arrs, Black Bomb A, les mecs de Bukowski avec qui on a joué la semaine dernière... Je ne sais pas s'il y a un vrai esprit du clan, mais on s'apprécie et surtout on n'a plus 20 ans...
Je te coupe là-dessus. Justement, n'y a-t-il pas un côté frais avec ce clan-là? Car comme tu le dis, vous n'avez plus 20 ans et à l'image de Sidilarsen qui avait créé, il y a 20 ans, le collectif Anti-Statique avec Psykup, tel qu'on le voit de l'extérieur, tu dis être potes avec Mass, BBA, etc. on a l'impression de retrouver ce clan avec Verycords avec l'esprit frais de ce retour, et une certaine nostalgie quelque part...
C'est marrant ce que tu dis car je n'avais pas envisagé nos relations avec les autres groupes comme ça. C'est vrai qu'avec le temps qui est passé, on s'est plus ou moins rapproché. Il y a plus d'entraide, on se voit davantage, on se dédicace plus de trucs... C'est tout con, mais il y a des échanges de posts sur les clips, sur les pages, alors qu'avant, il y avait une espèce de pseudo-compétition, la jeunesse peut-être ou la connerie. Aujourd'hui, je suis vachement détendu, je souhaite le meilleur à tous les groupes.
Les deux derniers albums sont très différents. "Drama" était sombre et agressif, celui-ci semble moins virulent. On parle de maturité, est-ce que tu ne penses pas que ce qu'on a vécu ne nous aide pas à aller à l'essentiel à moins tirer sur la tête des autres et plutôt s'entraider ?
Ca y contribue, j'en suis certain. J'ai une amie qui travaillait dans l'humanitaire et a vécu au Moyen Orient, sur les lieux de guerre véritablement. Elle me disait qu'on n'avait pas idée d'à quel point ça fait la fête, picolait, baisait. On n'en est pas là, heureusement, mais il y a cette idée de mieux profiter avec les gens, de se détendre et de ne pas se prendre la tête sur des choses anodines.
Votre regard sur la société a-t-il changé ? Car la France connait actuellement de nombreux maux, vous auriez pu vous en nourrir pour vous montrer plus rageurs que jamais...
Ecoute, ça a été l'effet inverse. Je saurais pas t'expliquer mais ça m'a donné envie de profiter. J'ai moins envie de revendiquer "pour rien", on a une chanson qui s'appelle 'Mélasse' qui parle un peu de ça, du fait de se tourmenter pour des choses qui ne sont pas importantes. J'ai vieilli aussi, j'ai envie de voir ce verre à moitié plein.
Comme votre nom l'indique, l'unité, la fraternité, la communauté sont importants à vos yeux. Le fait que Shiro et Clem s'éloignent du clan, ne remet-il pas cela en cause ?
On a encore bouffé ensemble hier soir avec Clem, et Shiro j'ai bossé avec lui ce matin, avant de venir ici. Quelque part, ils font toujours partie de moi. L'esprit du clan est toujours là, mais tu vois, on a été en coloc' pendant 10 ans, fallait voir! Maintenant, on est chacun chez nous, avec nos p'tites femmes, tout ça quoi! C'est la vie, on évolue et c'est normal. L'Esprit est donc toujours là, moins sectaire, disons-le, mais l'esprit familial, lui est toujours là, c'est hyper important.
Bien qu'accrocheur et souvent très lourd, Chapitre VI est pourtant très accessible, parfois pas si éloigné que cela du Death Mélodique. Je pense à des titres tels que 'L'art est grand' ou 'Des volcans'...
Ouais, c'est la force des choses. Quand on a fait une série de chansons assez rentre-dedans et hardcore, on a parfois eu envie d'avoir des choses avec des harmonies, plus solaires. Non, y'a rien de réfléchi, c'est naturellement venu comme ça.
Bien que solide, hargneux et très bien fait, "Chapitre VI" ne prend pas trop de risques, album rassembleur et relativement positif. Qu'en pensez-vous ?
Tout à fait d'accord, on a voulu cette simplicité, c'est tout à fait assumé. On a parfois revu certaines choses trop complexes. Je composais la batterie sur l'ordi, les mecs étaient aux riffs derrière, et dès que ça partait trop loin, on revenait à plus accessible : à composer, à jouer, et du coup à écouter, à comprendre pour l'auditeur.
On sent bien dans cet album la recherche du groove, où dans la structure des chansons on monte jusqu'à tomber sur un groove monumental où tu imagines une foule se balancer en rythme...
Exactement! T'es pas loin d'expliquer par les mots ce qu'on a voulu faire. Un côté simple et à un moment "BAM!" ça pète pour le live. Et bêtement, plus c'est simple et plus ça va sonner sur scène. Les sons sont clairs, définis, et plus ça va pêter. Même en répet, les morceaux sonnent!
Comme tu le disais, vous êtes désormais un peu plus vieux, presque des vétérans de la scène Metal en France...
(rires) Tu sais que c'est marrant de s'arrêter 4 ans et de revenir avec comme accueil : "les tontons", "les anciens"...
... l'esprit sectaire en moins, on vous voit plus ouverts, on vous accueille comme des "Tontons", comment le vis-tu ?
Je vais te dire, c'est super agréable. Je préfère être dans le groupe aujourd'hui, au niveau de l'ego, de ce que ça provoque en moi, et où je suis beaucoup plus apaisé, plutôt qu'à l'époque où on commençait. C'est sain car il y avait cette rage, cette compétition. Il fallait le faire car on n'en serait pas là aujourd'hui, mais c'est vachement plus agréable. J'ai envie de pousser les jeunes, d'être potes avec les anciens. De revenir aujourd'hui, ça fait bizarre d'entendre des "Je vous écoutais quand j'avais 16 ans!" Je suis très preneur, ça me va très bien!
Au niveau personnel comme dans le groupe, on est tous mieux dans nos baskets, ça se ressent sur la musique.
Vous êtes à la base originaire de Seine-Saint-Denis...
Pas originaires, non. On y a vécu longtemps à Saint-Denis, tous ensemble...
... ok, alors associés à Saint Denis, où le rap, le slam ou le hip hop sont plus présents que le hardcore et le metal en général. Le côté paradoxal étant que vous avez des messages positifs avec des riffs tout de même violents...
Je ne l'explique pas. Le rap a des codes. Malheureusement, il y a des clichés partout, dans le rap, dans le metal, le hardcore où les gars vont se la jouer "tough guy". Certains vont rester bloqués sur les clichés et certains sont plus ouverts. Je ne regarde pas forcément ce que font les autres.
Qu’attendez-vous de cet album plus solaire ?
Du plaisir, encore du plaisir, et de la belle date. Rencontrer des gens, faire de beaux voyages. On va sûlrement retourner au Canada, donc continuer nos jolies rencontres...
Quelle destination vous ferait rêver ?
Dans l'absolu, mon rêve, c'est de faire le Japon. Je suis sûr qu'il y a moyen de trouver un échange avec un groupe jap, ou un fest et quelques clubs. Depuis qu'on est gamin, on rêve du Japon. Des groupes comme Tagada Jones ont réussi la-bas, Arch Angel y va tous les 3 ans. C'est un pays qui m'attire tellement que si on n'y va pas avec cet album, j'irai quand même! (rires)
Question traditionnelle de Music Waves, quel est ton meilleur souvenir d’artiste ?
Ouaah, y'en a beaucoup, tu me poses une colle... Allez, je me lance, je dirais d'avoir rencontré Big Red de Raggasonic, qui a produit notre premier album. Tu vois, Raggasonic c'était 300/400.000 albums, ils jouaient avec NTM... ça a été une inspiration pour moi. Il nous avait conseillé de croire en nous, de ne rien lâcher. Il nous avait mis dans son studio, le studio Davout à port de Montreuil. C'est un lieu vraiment extraordinaire, tu peux y enregistrer des orchestres symphoniques. Il y a Gainsbourg et tant d'autres qui y sont passés... J'ai eu beaucoup de bons souvenirs, mais celui-là m'a marqué.
Ce souvenir évoque tes débuts, comment tu te vois aujourd'hui? Le Arsène de ces années a bien compris le message ou penses-tu qu'il s'est un peu perdu par moments ?
Non, j'ai bien écouté ce qu'il m'a dit et je crois avoir appliqué au mieux. Il m'a donné les clés, même dans la façon de me comporter avec les gens... Je ne suis pas loin de ces rêves de gosse, ouais. J'ai cette chance de prendre du plaisir à faire ça, je pense que ça se ressent.
Au contraire, quel serait le pire ?
Il y en a eu plein aussi... Je crois que le pire concert qu'on ait fait, il devait y avoir une entrée payante, c'était dur! Bon, c'était y'a très longtemps, aux tout débuts. Une autre fois aussi, pendant une tournée en Europe un peu casse-gueule, où une date avait été annulée, et on avait dû dormir dans le camion, entassés à 9... Tous les groupes l'ont fait, mais je peux te dire que c'était pas drôle! Quand t'y es, c'est dur! On a aussi passé une nuit en taule en Croatie à cause d'une boulette de shit. On devait jouer à Sarajevo et on s'est fait arrêter pour un contrôle sur la route. Ils nous ont fait vider le camion, de la grosse caisse au médiator, tout était aligné comme ça sur la route sur 100m. Ils pensaient trouver un gros truc, mais on avait juste une boulette, quoi. On a dû annuler 3 dates, payer une amende... Tu vois, il y en a!
On a commencé cette interview par la question qu’on vous a trop souvent posée, au contraire, quelle est celle à laquelle tu aurais souhaité répondre ?
Alors y'a une chanson qui s'appelle 'Zenon' dans cet album, qui n'est pas très claire, j'aimerais qu'on me demande "Qui est Zenon?"
Alors justement, mais qui est Zenon ?
(rires) Je me la pose tout seul, très bonne question, bien joué! Je suis très content car Zenon, c'est un personnage de Marguerite Yourcenar, dans son Œuvre au Noir. J'ai découvert cette écrivaine il y a 4 ans et je pense avoir tout lu d'elle. C'était une révélation pour moi. Zenon, c'est un mec à cheval entre le moyen âge et la renaissance, et qui passe donc d'une époque à une autre. Il était déjà athée, difficile pour l'époque et avec une sexualité déviante, donc qu'il ne devait pas étaler, mais il refusait de mentir. C'était un docteur à qui on a bien cassé les couilles et qui a dû faire face à tout ça. Il faut le lire, vraiment. Je suis assez fier d'avoir réussi à placer ça sur l'album.
Quel est le but d'avoir introduit ce personnage dans tes textes? Montrer votre ouverture et que ce personnage était en avance sur son temps ?
Exactement, c'est toujours bien de revoir ses classiques. Tu vois, je lis de moins en moins l'actu, on apprend tellement de choses en lisant des bouquins historiques ou des romans sur d'autres époques. J'ai réussi à placer du Yourcenar et du Nietzsche dans les textes!
Ca tranche beaucoup avec le style, c'est sûr, on le voit d'ailleurs dès la lecture des titres au dos de l'album. Ne regrettes-tu pas que certains n'aillent pas plus loin que votre musique ?
Les interviews peuvent servir à ça aussi. Si à la lecture de celle-ci, 10 mecs vont avoir envie d'être curieux et lire Yourcenar, c'est gagné. C'est ça aussi l'art, la musique. J'ai réécouté des albums qu'on avait fait et il y a certains textes qui sont durs à avaler aujourd'hui. Sans avoir honte, car il faut que jeunesse se fasse, j'assume parce qu'il y a l'âge qui va avec, mais aujourd'hui, à 38 balais, je suis vachement curieux et j'ai envie que ça se ressente dans les textes. Je suis fan de Bashung et pour cet album, j'ai imprimé tous ses textes pour les lire, sans la musique, et voir comment il avait assemblé ses mots. J'ai voulu faire ressentir cette ouverture sur l'art, la littérature, la "musique de variété". C'est important pour moi. Si ça peut en plus aider un mec qui est dans les clichés du metal à penser "ben tiens, c'est marrant ce qu'il raconte", pourquoi pas!
Merci Arsène !
Merci à vous les gars, bon on doit le virer Laurent Blanc ou pas ? (rires)