Bien que visiblement peu à l'aise dans l'exercice de l'interview, nous avons réussi à percer par moment l'épaisse armure de timidité de la belle Tanita...
Quelle est la question que l'on t'a trop souvent posée ?
Quelle est la signification du titre "Twist In My Sobriety".
Nous ne te la poserons donc pas mais je comptais débuter en te demandant justement si tu n'en avais pas assez d'être résumée, en France par exemple, à cet unique titre ?
Non cela me va. Ce sont des choses que nous ne pouvons donc pas changer de toutes façons, comme d'avoir un gros nez ou de grandes oreilles, ça fait partie de moi. Non, c'est très bien comme cela.
Ton actualité est ce nouvel album "Closer To People" et c'est un grand plaisir pour nous que de pouvoir te revoir aussi vite car après "Capuccino Songs" en 1998, "Sentimental" en 2005, "Can't Go Back" en 2012, nous n'attendions pas de nouvel album avant 2019.
Oui mais je n'ai pas tourné autant que je l'aurais voulu pour "Can't Go Back". J'ai eu un gros accident, la tournée a dû être raccourcie et de ce fait j'ai très vite ressenti un manque de proximité avec mes musiciens, la scène, le public. Je n'avais pas eu ma dose la dernière fois, je voulais donc revenir assez vite.
Oui mais donc tous ces breaks, car ils sont nombreux dans la carrière de Tanita Tikaram…
(Riant) J'aime beaucoup les breaks !
Dans la vie nous faisons des choix qui apportent à la fois du positif et du négatif, je ne regrette rien.
... oui mais n'ont-ils pas porté préjudice à ta carrière ? Ta popularité aurait pu être bien plus grande sans ces nombreuses ruptures ?
Je ne vois pas les choses comme cela. Dans la vie nous faisons des choix qui apportent à la fois du positif et du négatif, je ne regrette rien.
Comment te sens-tu un mois avant la sortie de ce nouvel album ?
Un peu comme dans l'attente de l'arrivée d'un bébé. C'est une sorte d'anti-climax, une période très bizarre. Je suis très nerveuse… mais en même temps nous partageons cette nervosité ensemble, donc c'est plus facile que lors de l'attente d'un bébé. Mon producteur joue aussi dans le groupe et mes musiciens sont tous très impliqués également. Nous supportons notre nervosité en groupe.
Donc dans ton prochain album tu te présenteras donc sous le nom de Tanita Tiakram and…band ?
Oui peut-être… Non, en fait non ! (Rires)
C'est très important de pouvoir choisir ton propre chemin
Si nous devions résumer ta carrière à un seul mot, nous choisirions "non-conformiste". Es-tu d'accord avec cela et si oui, est-ce important pour toi dans ton évolution ?
Oui tout à fait, je suis d'accord. C'est très important de pouvoir choisir ton propre chemin.
Mais penses-tu que cela puisse également être la cause d'un manque de popularité ici en France par exemple ?
Je ne sais pas car je ne vis pas pour cela. Je verrai demain, après tout (Rires). Ce n'est pas la bonne réponse c'est ça !?
(Se reprenant, faignant d'être très sérieuse) Oh oui, peut-être (Rires).
Ta façon d'écrire les chansons a-t-elle évolué durant ces neuf albums ?
Oui bien sûr. Quand tu es plus jeune, tu es précieux envers toi-même, solitaire aussi. Tu cherches ta propre personnalité alors qu'avec l'âge, la pratique, tu deviens plus confiant, plus ouvert à la collaboration également. Dans ce dernier album, par exemple, j'ai écrit avec chacun de mes musiciens, séparément, (à part pour 'Night Is A Bird'). Et j'ai appris des choses de chacun d'eux, dans leur manière de composer, dans la pratique de leur instrument également. C'était très riche. Je n'avais pas cette maturité à 18 ans.
Pourtant, ce sont les titres de cette époque qui ont connu le plus de succès, provenaient-ils plus du cœur alors ?
Non, pas du tout. C'est une idée que je trouve assez ridicule concernant un artiste. Je pense que chaque artiste écrit chacune de ses chansons avec le cœur. Quel que soit son était d'esprit, son âge. On peut aborder un titre différemment en fonction de l'âge, le traverser autrement, mais le cœur est toujours là, heureusement. Et j'ai toujours croisé cela chez les artistes que j'ai côtoyé.
Tu sembles avoir une écriture très personnelle. Alors que les artistes vont généralement chercher tout au fond d'eux même pour s'ouvrir aux autres, ton écriture, sage, est également plus versatile, jusqu'à ce qu'arrive cette phrase, pleine de sens, contenant tout le message de la chanson. Est-ce vrai ?
Oui, je crois toujours en cette phrase clé qui va soudain lier tout cela en une chanson et révéler tout son sens. S'il n'y a pas cela, d'un point de vue mélodique ou dans le texte, il n'y a pas de chanson.
Ta voix et ton songwriting sont reconnaissables entre mille, es-tu fière de cela ?
Ah bon ? Je trouve cela curieux car je ne suis pas très fière de ma voix. J'aime bien les voix black et jazzy mais je n'ai pas ce talent-là malheureusement.
Mais de ce fait ta voix serait semblable à bien des autres.
Oui c'est vrai, je n'avais pas vu cela comme ça... Oui, j'aime bien ma voix (Rires).
Tu as commencé à la guitare et maintenant tu travailles au piano. Pourquoi ce changement ?
Quand tu composes il est plus facile d'avoir un instrument pour te guider, un instrument que tu maîtrises et qui puisse donner un cadre à ta composition. Je n'ai jamais eu d'éducation musicale et ne suis donc pas attachée particulièrement à la guitare. Et puis, je me suis rendu compte que le piano était un instrument bien plus clair, limpide et qui reproduit plus vite ce que j'ai en tête. Je trouve qu'il m'offre plus de possibilités. Je me lie plus vite à lui de ce fait, et peux explorer une plus grande musicalité.
Par moments dans l'album on pourrait presque entendre une mouche voler. Pourquoi cette approche si intimiste ?
Je ne pense pas que la musique soit avant tout destinée à la batterie. La musique peut être intime, se laisser approcher. Elle peut posséder une certaine intimité. La musique aujourd’hui est très bombastique, bruyante. Le son passe avant l'harmonie. Je voulais revenir à la voix, son harmonie, et à la musicalité qui s’installe autour.
Ton groupe a aussi joué pour Van Morrison et dans 'Everybody's Angel' par exemple, on y trouvait ce son, ces influences. Cela ne t'effraie pas un peu ?
Non, non. C'est mon groupe. Je remercie Dieu qu'il y ait ce genre d'artistes, possédant un réel talent d'écriture. Mon saxophoniste par exemple ou notre ancien batteur Bobby, qui est malheureusement décédé, sont des artistes qui savent jouer avec la voix, comme Van Morrison justement, d'où la comparaison.
"Closer To The People" est-il un titre autobiographique ?
Non. Cette chanson parle d'Anita O'Day. Je trouve sa biographie "Hard Times High Times" fascinante, tout comme sa vie d'artiste et de musicienne. Voilà de quoi ce titre parle. L'album traite également de la façon dont les gens s'opposent ou s'attachent, s'attirent ou se repoussent.
Mais au fil de cette discussion on peut aussi se dire que c'est autobiographique car tu te dis proche des gens, du public, de ton groupe avec lequel tu composes étroitement...
Oui, ce titre peut avoir de nombreux sens.
La vidéo de 'Food On My table', belle histoire d'amour réalisée par Natacha Horn, est en noir et blanc. Comment expliques-tu que nombreuses de tes vidéos, comme 'Twist In My Sobriety' sont en noir et blanc ?
Cela collait bien à l'ambiance du titre et à son atmosphère nue. Mais je vous assure, la prochaine vidéo sera totalement en technicolor (Rires). J'aime bien le noir et blanc. C'est difficile de travailler en noir et blanc et j'aime ce défi.
Tu parlais de musique jazzy tout à l'heure et ce genre est très propice au noir et blanc également. Peut-être que ta musique est plus adaptée au noir et blanc finalement...
Je ne pense pas. Dès lundi, nous débutons la vidéo pour 'The Way You Move' et je pense qu'elle sera très bien en couleur. Quand tu es artiste, tu es plus un arc-en-ciel qu'une seule et même couleur. C'est comme cela que je vois mon rapport au son.
Quelles sont tes attentes à la sortie de ce nouvel album ?
Je crois, les mêmes que pour chaque artiste aujourd’hui. Nos objectifs ne sont plus de vendre mais de pouvoir tourner, rencontrer les gens, en toucher un maximum avec notre musique. Construire notre audience...
C'est bien de faire plaisir au public mais il ne faut jamais cesser pour autant de suivre son instinct
Et ta tournée ayant déjà débuté, penses-tu que l'album rempli son contrat ?
Oui je pense. Même si ce set n'est pas un set facile. Il contient beaucoup de nouveaux titres. Mais l'audience est là et c'est fantastique. Mon public est assez ouvert et apprécie la nouveauté et les ambiances que je mets en avant. C'est bien de faire plaisir au public mais il ne faut jamais cesser pour autant de suivre son instinct. Et puis je fais aussi cela pour apprécier pleinement la forte relation que j'ai créée avec mes musiciens.
Quelle est ton meilleur souvenir en tant que musicienne ?
Je dirais trouver mon "gang" de musiciens. Plus jeune je n'avais pas cela esprit. On ne peut trouver un groupe si on n'en a pas la maturité. Plus jeune je n'avais même pas besoin de musiciens. Je travaillais seule dans ma chambre. Mais cela ne se commande pas. Cela ne vient qu'avec le temps.
Nous avons une certaine harmonie, qu'on ne trouve pas dans tous les groupes. Et cela me pousse à continuer et me motive beaucoup.
Au contraire quel pourrait être le pire souvenir en tant que musicienne ?
Je dirais travailler sur un album quand tu n'aimes pas les gens avec qui tu travailles. C'est difficile de travailler sans connexion musicale, et quand cela arrive, pas forcément à mes débuts d'ailleurs, ça n'est vraiment pas agréable.
Regrettes-tu de ce fait d'avoir suivi le choix de certaines personnes sans vraiment être d'accord avec elles ?
Je ne crois pas que je regrette, mais faire les choses sans réelle conviction n'est jamais très agréable. Tout le monde connaît cela.
Nous avons débuté cette interview avec la question que l'on t'a trop souvent posée. Quelle serait au contraire celle que tu aimerais qu'on te pose ?
C'est une chose à laquelle je n'ai jamais pensé donc je n'ai pas de réponse à vous donner. Ou bien... Comment s'est passée cette bande originale que tu viens de composer pour Pedro Almodovar ? (Rires)
Cela serait un rêve pour toi ?
Un titre serait déjà superbe. Ses bandes originales de film sont très recherchées et adaptées à l'image. Mais oui, ce serait quelque chose de très intéressant à faire. Difficile mais... et puis il y aurait une pression assez folle à composer tout cela.
Mais quand tu composes je suppose que tu vois aussi des images. Ce sont elles qui te donnent l'idée de la composition ou bien ta composition qui entraîne ensuite des images ?
Un album s'écrit de façon très cinématographique. Il y a le paysage et chaque titre est comme une scène. Moi je suis la directrice de tout cela. Assembler tout cela revient un peu à travailler comme un détective, il faut chercher, assembler tout cela pour un rendu très naturel et logique.
Et être dirigée comme dans un film te plairait-il ?
Non je ne pense pas. Même s'il ne faut jamais prendre les remarques du réalisateur pour des remarques personnelles, cela doit être assez difficile.
Cette interview sera peut-être lue par des artistes du cinéma français, quel artiste aimerais-tu voir lire cette interview ?
Isabelle Hupert je pense.
Le message est lancé... Et bien merci !
Merci à toi, ce fut très agréable…
Merci à Mr Blue pour cette retranscription...