Et bien que malade, c'est un Steve Hackett visiblement ravi de nous revoir que nous avons la chance de rencontrer...
Le monde de la musique a traversé une très sombre année 2016. Nous y avons perdu des héros comme David Bowie, Keith Emerson, Greg Lake. 2017 débute sur un même mode mortuaire avec la disparition de John Wetton. Comme pour Chris Squire qui est parti en 2015, tu avais travaillé avec John Wetton, comment as-tu ressenti cette disparition?
Steve Hackett : Tout d'abord, je dois dire que John était un ami. Je l'aimais. Je ne pense pas qu'il n'est plus là. Pour moi, je crois que John Wetton continue de vivre quelque part. Plusieurs fois, nous avons pensé à créer des groupes ensemble. Nous devions faire un groupe avec Rick Wakeman et Carl Palmer, nous voulions tous travailler ensemble. Malheureusement, ça n'a pas pu se faire, et à la place j'ai failli faire un groupe avec Jack Bruce, Anthony Phillips et Keith Emerson. Cela aurait pu être un projet intéressant. J'ai eu la chance de travailler avec Chris. Quand je faisais ''Choir'', j'ai pensé que nous nous étions influencés mutuellement.
Chris [Squire] aurait aimé cette musique
Particulièrement sur la chanson 'Anything But Love' qui rappelle Yes.
C'est vrai. A l'origine, Nick Beggs devait jouer de la basse sur cet album. Mais il est tombé gravement malade après la tournée. Roger King l'a remplacé. Et en l'écoutant jouer, je me suis dit que Chris aurait aimé cette musique. Beaucoup de contrepoints, de changements de signature rythmique, comme à l'origine.
Est-ce que tu considères cet album comme un hommage à Chris Squire?
Non... officiellement oui. A chaque fois que je débutais une nouvelle idée, je me demandais : ''Est-ce que Chris aurait aimé cela?'' Et parfois, il aimait beaucoup ce que je faisais. Je pense que j'ai essayé de faire un album comme ''90125'', qui est un bon album, car tous les morceaux sont bons.
C'est drôle que tu mentionnes cet album, car ''90125'' est considéré comme l'album le plus commercial de Yes, mais aussi le plus détesté de la part des fans acharnés de Yes.
Cela dépend, je ne suis pas un puriste. Le
line-up est très fort, c'est une bonne équipe... comme Chelsea !
Plutôt le Paris Saint Germain!
(Rires) Je pense que chez tous les grands groupes, il y a toujours quelque chose d'important à prendre dans chaque album.
Je voulais m'aventurer sur un nouveau terrain
Ton actualité, c'est la sortie de ton 25ème album solo "Night Siren" qui s'annonce comme un retour aux sources et avec des chansons comme 'Behind The Smoke', 'Martian Dreams', 'The Gift' peut évoquer ton premier effort solo "Voyage Of The Acolyte", enregistré en 1975. Était-ce une volonté de réaffirmer ton identité musicale (s'il y avait besoin de le faire?)
Ce n'était pas intentionnel de rappeler aux gens mon premier album, en tout cas ce n'était pas conscient. Je voulais m'aventurer sur un nouveau terrain. Les chansons finissent par entrer dans des catégories.
Je ne veux pas faire quelque chose de codé
Mais est-ce que tu penses que cet album peut sonner pour les fans comme plus progressif?
Oui. Je pense que c'est un album progressif, mais je n'ai pas essayé de faire quelque chose difficile d'accès ou totalement compliqué juste pour être compliqué. Il y avait naturellement des variations et le morceau devenait naturellement compliqué, mais ça fonctionnait! Je n'ai pas envie de comprendre ce que je fais, je ne veux pas faire quelque chose de codé. Je veux que ce soit facile à digérer, et éventuellement simple.
Justement avec tes nombreuses influences et sons différents, comment réussis-tu à garder un son naturel?
J'ai toujours aimé la musique classique, jouer de la musique classique. Ce sont deux choses qui sont naturelles pour moi. Je dois aussi m'écarter de ma zone de confort. Quand je fais 'Anything But Love', le flamenco... j'essayais d'utiliser les influences que j'ai vu dans la musique gitane. La musique acoustique c'est le challenge. Je n'avais jamais joué de flamenco, je ne savais pas utiliser la guitare comme des percussions à leur façon ou en legato. Mais j'ai vu un concert à Grenade près de l'Alhambra, c'était très surprenant, mais un nouveau challenge.
On a l'impression qu'un nouveau palier a été franchi sur cet album. Le son de ta guitare sonne plus heavy, plus dense, peut-être plus contemporain, était-ce voulu après 25 albums pour montrer que tu étais toujours aussi créatif?
Après chaque nouvel album, on découvre de nouveaux challenges, de nouvelles façons de faire sonner la guitare, qu'on veut utiliser sur l'album suivant. La première chose que j'ai enregistrée était le solo de guitare à la fin d' 'Anything But Love', le même morceau qui contient du flamenco.
Tu as dit contemporain, moi je dirai plutôt classique. J'ai plutôt pensé à 'I'm So Glad' de
Cream, ou 'Spaceship Blues' de
Jimi Hendrix. A ce moment-là, on parlait de progressif pour décrire ce que faisait le groupe d'
Eric Clapton, et ces mêmes gens considéraient comme progressif pour le jazz de
Roland Kirk. Quand je joue du jazz avec ''Hungarian Horizons'', je me dis que ce qui était important c'était la liberté de jouer. Voyons où peut nous conduire l'idée de liberté ? Les gens pensent que la musique progressive c'est ça : ''Ok, pensons à quelque chose d'encore plus compliqué.''
Et comment perdre l'auditeur?
(Rires) Exactement! Pour moi, résumer le progressif à une définition n'est pas envisageable. Ce que j'aime, c'est l'élément de surprise.
Justement, en mélangeant des influences si différentes, tu veux dire que chacun pourrait y trouver son compte loin de tout communautarisme.
Tout à fait, lorsque l'on prend un morceau comme 'Martian Sea', nous avons la sitar, sa sensibilité conjuguée avec sa jumelle guitare. Ce n'est pas la première fois que je les utilise ensemble, mais je commence à avoir de l'expérience. Sur ce morceau, j'ai changé les batteries, j'ai apporté un aspect psychédélique, qui renoue avec la liberté de la musique des années 60.
La musique est meilleure ambassadrice de paix que la politique
En parlant de liberté, tu as invité des musiciens israéliens comme Kobi Fahri de Orphaned Land et des musiciens palestiniens. Au-delà du symbole, était-ce une volonté de montrer que la musique pouvait finalement unifier les gens d'horizons différents? Et comme Kobi, te considères-tu comme le ''guerrier de la paix''?
Oui, j'aime bien la contradiction. La musique est meilleure ambassadrice de paix que la politique. Les politiciens essaient plutôt de diviser les gens. L'unité est le message sous-jacent de cet album. Quand nous avons commencé à enregistrer cet album, nous ne nous attendions pas à enregistrer un disque de
world music. Je me suis fait des amis à travers le monde, j'ai travaillé avec des instruments péruviens, le batteur Nick D'Virgilio travaille à Miami. J'ai eu d'agréables retours sur cette expérience et j'ai compris que nous avions fait un album qui serait considéré comme un symbole.
Ce qui est le cas. Il y a beaucoup de mélodies poignantes sur cet album 'The Gift', 'The Night Siren'... voulais-tu faire ton album le plus mélodique de ta carrière?
Je pense que c'est un album très mélodique. La sortie de cet album a été comme une lune de miel, je l'ai adoré! Pendant Noël, je l'ai écouté dans ma voiture, et avec les décorations et les lumières de Noël, et je me suis dit que c'était merveilleux d'avoir écrit cela. 'Fifty Miles From The North Pole' est une chanson sur l'Islande, joué par un batteur islandais. L'idée de batterie serait qu'elle flotte, qu'elle soit à son propre tempo, comme un choc d'énergie.
Tu parlais de lune de miel, mais on dirait que Jo Lehmann est une vraie muse pour toi?
Oui (Rires) Vous serez étonnés de l'apport de Jo dans l'écriture de cet album. C'est un travail de groupe même s'il porte mon nom.
Est-ce que tu penses tourner avec une set-list seulement composée de tes chansons en solo? Est-ce que tu penses que c'est toujours nécessaire de jouer les chansons de Genesis pour afficher complet?
J'essaie de trouver un équilibre. Jouer des chansons de
Genesis ça marche, les gens attendent que j'en joue. J'y suis forcé émotionnellement et contractuellement. Mais pour moi, ce n'est pas un compromis, j'aime toujours les chansons de
Genesis même quarante ans après. J'ai la chance d'avoir un groupe exceptionnel sur scène qui me permette de jouer sur les deux plans.
Lors de notre dernière rencontre, tu nous as confié que l'un de tes rêves serait que Bach te dise qu'il aime ta musique. Maintenant que tu sembles plus à l'aise au sujet de ton chant, rêverais-tu qu'Edith Piaf te dise qu'elle aime ta voix?
Ca serait extraordinaire. Edith Piaf a une voix si chaleureuse. Et je ne dis pas cela seulement parce que je suis à Paris. La voix permet de véhiculer différentes émotions. J'ai essayé de chanter, non pas comme un soliste, mais en essayant de partager des émotions, en particulier sur cet album.
Mais tu y es arrivé!
(Flatté) Merci!
Merci à Thibautk pour sa contribution...