A l'occasion de la sortie du projet NoLand, Music Waves est parti à la rencontre du multi-instrumentiste et compositeur Olivier Mellano et de Brendan Perry, chanteur de Dead Can Dance, pour évoquer entre autres l'esprit de cet unique morceau de 40 minutes.
Nous avons pour tradition de commencer nos interviews sur Music Waves par la question qui vous a été trop posée, alors nous vous la posons, quelle est cette question ?
Olivier : Pour nous c'est notre première interview sur cet album alors....
Brendan : ... Cette question, c'est si ennuyeux (Rires) !
C'est une bonne introduction qui permet à tout le monde de rire. Brendan et Olivier, on se rencontre pour le projet NoLand écrit par toi Olivier, et ce sera peut être une question ennuyeuse que l'on va beaucoup vous poser mais pour cette interview se sera la seule ennuyeuse, comment en êtes-vous arrivés à collaborer ensemble pour ce projet ?
Olivier : Je suis un grand fan de
Dead Can Dance depuis le début...
Brendan : Wahou...
Olivier : Il y a 2 ou 3 ans j'ai rencontré Brendan par l'intermédiaire d'un ami, Robin Guthrie, et nous avons échangé sur la musique et différents sujets. C'était au tout début du projet NoLand en fait. Dans mon esprit, c'était un projet essentiellement instrumental et lorsque j'ai rencontré Brendan, j'ai souhaité l'inclure dans le projet. J'avais cet homme-là sous la main avec la possibilité de lui demander de participer à cette chose un peu folle. Il a dit oui. Je connais tellement sa voix.
As tu composé quelque chose de particulier autour de sa voix ?
Olivier : Oui, j'ai composé autour de sa voix
C'est comme avoir un rôle pour quelqu'un sur lequel écrire quelque chose
de particulier. Lorsque j'écrivais, je savais exactement quoi dire et
faire comme un rêve.
Ce qui a changé l'orientation de ton projet initial !
Olivier : Absolument. C'est comme avoir un rôle pour quelqu'un sur lequel écrire quelque chose de particulier. Lorsque j'écrivais, je savais exactement quoi dire et faire, comme un rêve.
Pouvons-nous dire Olivier qu'il s'agit du projet de ta vie et de te dire qu'après se sera difficile d'en trouver un autre aussi ambitieux ?
Olivier : Je ne pense pas, c'est sans doute la composition la plus importante jusqu'à présent. Ce sera peut être différent à l'avenir, une autre voie, une nouvelle aventure tout aussi ambitieuse. Je suis tellement content d'avoir mené à terme, celui-là.
Brendan, as-tu participé à la composition ou à l’écriture de cette unique pièce de 40 minutes environ ?
Brendan : Je suis intervenu uniquement pour la traduction. La première étape a été de corriger la grammaire et ensuite de suggérer des sonorités et ligne de chant en anglais tout en gardant à l'esprit le message que souhaitait faire passer Olivier dans son projet, ce qui a été la deuxième étape.
Olivier : Comme je connaissais la voix de Brendan, je voulais composer quelque chose de bien précis par moi-même, une mélodie pour sa voix. Je me suis projeté à travers sa voix dans la manière de composer de façon indirecte, comme si c'était lui qui l'avait fait.
NoLand est construit sur la base d’une musique folklorique bretonne (Bagad de Cesson), Brendan que représente pour toi cette musique qui a des points communs avec la musique celtique et tes origines ?
Brendan : Cette musique est bien évidemment inspirée par la musique celtique. Elle apporte une certaine couleur et une grande énergie avec les bombardes et cornemuses. C'est une musique traditionnelle. Tous ceux qui écoutent cette musique font une connexion avec la culture celtique. Il s'agit de quelque chose d'universel et de reconnaissable avec ces instruments bien particuliers, de fort, ancré dans une conception
folk music.
Quand je compose, j'essaye de me surprendre moi-même, les choses arrivent d'elles mêmes sans que j'ai besoin d'y retourner.
Quelle a été ton approche n’ayant apparemment jamais écrit dans ce style particulier en terme d’harmonie et de densité ?
Olivier : C'est un seul mouvement. J'avais déjà composé en 2012 un morceau symphonique qui s'appelle "How We Trye" d'une même durée de 40 minutes en 4 mouvements mais sur une base identique d'aller d'un point à un autre. Une sorte de parcours. Quand je compose, j'essaye de me surprendre moi-même, les choses arrivent d'elles-mêmes sans que j'ai besoin d'y retourner. Mes autres projets sont plus pop. Pour NoLand j'ai capté une ligne directrice et je me suis laissé inspirer par le mouvement.
Pourquoi avoir choisi de ne pas être plus fusionnel dans l’approche musicale comme peut l’être un projet comme Seven Reizh (si vous connaissez) ? Souhaitais-tu composer une symphonie typiquement bretonne ?
Olivier : Ce qui m'intéressait c'était le son du Bagad, la puissance. Avoir un son assez régionaliste avec une contrebalance avec la voix de Brendan qui flotte au-dessus. Je ne voulais pas faire une musique fusionnelle. Je voulais ressentir l'émotion que peut faire ressentir un Bagad, quelque chose de fort avec le fait d'en tirer le maximum en le tordant, trouver différentes harmonies et mélodies. Ce qui était assez difficile car ces instruments ne sont pas faits pour ça par définition.
A la base NoLand littéralement traduit « sans pays » en français semble être un hymne anti-identitaire, peut-on y voir aussi un aspect plus politique sur les réfugiés et l’accueil dans les pays européens ?
Olivier : Absolument. Au départ, c'est un point de vue essentiellement poétique, mais bien sûr c'est aussi très politique. Dans un premier temps j'ai écrit pour un magazine breton et j'ai été touché par ces problèmes identitaires lorsque les gens disent nous sommes d'ici, nous sommes les meilleurs...
Au regard du contexte actuel, les paroles ont pris un sens plus terre à terre, moins poétique et une autre résonance
C'est drôle et en même temps paradoxal car vous vous servez d'une musique ultra-identitaire pour passer ce message ...
Olivier : C'est juste. Au départ je voulais composer une musique bretonne pour quelque chose d'universel. C'est presque une sorte de blague sur laquelle je m'excuse. Mais après avoir commencer à travailler sur le texte des éléments très politiques se sont greffés comme le fait de défendre ses frontières, se battre pour son pays ce qui est absurde et qui est source de beaucoup de conflits actuels... avec les migrants, l'exode. Au regard du contexte actuel, les paroles ont pris un sens plus terre à terre, moins poétique et une autre résonance ce que Brendan peut confirmer.
Brendan : le texte va dans le sens d'une sorte d'anti-appropriation, car l'appropriation est un danger collectif. Les humains comme les animaux ont déterminé leurs territoires respectifs en essayant de vivre en harmonie mais nous sommes les seules espèces à délimiter nos frontières, à faire des contrôles d'identité à nos frontières, avoir une nationalité. Il n'y a qu'à voir le conflit qui oppose depuis des années Israël et la Palestine, cette histoire d'appropriation d'un territoire avec un élément religieux parce que un jour un Dieu a dit que c'était la terre promise ce qui conduit à des drames... Il y différents niveaux : psychologiques, sociologiques, historiques... Il y a vraiment un problème qui nous touche en raison de cet attachement.
Olivier voulait justement en parler et tu es d'accord avec ça ?
Brendan : Oui, je suis très sensible à ce conflit israëlo-palestinien, je suis un activiste convaincu de la cause palestinienne sur ce sujet, et je suis très concerné par ça.
Ce conflit dure depuis pas mal d'années et entraîne une cristallisation des positions dans le monde, ne craints-tu pas que lorsque tu prends position, les gens te blâment pour ça ?
Brendan : Oui bien sûr, j'en suis totalement conscient, c'est le cas pour Roger Waters. Ce qui me trotte dans l'esprit c'est que toute cette situation trouve son origine suite au vol d'un territoire ! Mon plus gros problème est que depuis Israël refuse le dialogue et reste campé sur sa politique colonialiste que l'Amérique soutient aussi. Il y a une sorte de honte sur ce pays qui promeut Israël qui continue a attaquer des villages anciens et historiques...
Je pense au plus profond que nous pouvons croire en une cause mais naturellement elle peut aussi engendrer le mal sans le vouloir
Cela inclut aussi un aspect très religieux aussi. Les gens peuvent y trouver parfois leur vérité, la religion pilote la façon dont vivent les gens et les musèle parfois...
Brendan : Oui, certainement, je pense au plus profond que nous pouvons croire en une cause mais naturellement elle peut aussi engendrer le mal sans le vouloir, ce n'est pas simple comme sujet
Pouvez-vous concevoir que ce genre de projet puisse délivrer un message à ces personnes ?
Brendan : Je ne pense pas, ils n'en auront pas conscience dans leurs problèmes politiques.
Tu n'en es pas convaincu, pourtant le message et fort et pour toi le public se contentera d'écouter la musique en disant c'est beau simplement ?
Brendan : Oui, ça délivre un message mais sans être un forcément un message salutaire. Il est fait pour faire grandir l'esprit, en faisant appel à l'imagination à la sensibilité de celui qui le recevra.
Olivier : Nous souhaitions apporter un autre point de vue, donner le la hauteur et juste déplacer le regard et avoir quelque chose de plus ambitieux, généreux, positif et large. Nous sommes tellement attachés à des petits points comme cela, sur internet avec les informations qui arrivent sans que les gens prennent du recul et pensent par eux-mêmes.
Il y a une réflexion à avoir sur le fait de vivre collectivement
aujourd'hui et comment aborder ces question d'appropriation et
d'identité
Tout va très vite avec les nouveaux médias...
Olivier : tout doit aller tellement vite maintenant, tu dois répondre presque dans la minute....
Brendan : il y a une réflexion à avoir sur le fait de vivre collectivement aujourd'hui et comment aborder ces question d'appropriation et d'identité. Nous sommes tellement obsédés par ça... c'est un peu compliqué tout ça. C'est une obsession lorsqu'on vous dit Dieu vous a promis la Terre promise, alors que ce que vous faites n'est pas légal. Vous vous installez là à Jérusalem, le berceau du christianisme et des fondamentalistes situés aux Etats-Unis disent que si vous restituez Jérusalem aux musulmans se sera la fin... Il y une organisation juive qui s'appelle Asbud qui fait de la propagande juive. Elle possède beaucoup de volontaires qui regardent ce qui ce passe sur internet, contrôlent les messages que des personnes vivant là-bas diffusent et peuvent ensuite bloquer la connexion. Elle veut réguler le monde et la pensée....
La musique est très puissante avec les bombardes et cornemuses qui offrent peu de place à des respirations, comment en 40 minutes arrivez-vous à aérer le propos ?
Olivier : C'est en effet difficile pour ces instruments de proposer des respirations : ils jouent ou ils ne jouent pas... Il y des nuances rythmiques ou vocales voire
a cappella. J'ai essayé d'explorer différentes harmonies mais j'ai voulu avant tout faire quelque chose de puissant, de fort jusqu'à la fin.
Peut-on parler de rock progressif folklorique ?
Olivier : Nous pouvons, mais je n'en sais rien en fait !
Nous aimons les étiquettes (Rires). Qu'est ce que vous attendez de cet album ?
Olivier : J'espère que les gens vont écouter d'une traite ce long morceau de 37 minutes.
C'est la raison pour laquelle nous avons évoqué la musique progressive car nous sommes un webzine à tendance progressive, c'est le genre de musique que nous écoutons aussi ?
Olivier : Aujourd'hui les gens zappent les morceaux...
Nous avons fait ce que nous souhaitions en dehors de toute conception commerciale.
Justement cela ne t'effraie pas, d'être en dehors de ce que le business musical veut, sortir du cadre ?
Olivier : On s'en moque un peu, nous avons fait ce que nous souhaitions en dehors de toute conception commerciale. Faire la musique que j'aurais aimé entendre et ensuite de la partager...
Avez-vous prévu une tournée justement afin de la partager avec le plus de gens possible ?
Olivier : nous avons fait environ une dizaine de concerts, seulement en France mais c'est quelque chose d'envisageable oui.
C'est déjà un bel effort d'avoir enregistré ce CD mais en live, il doit prendre tout son sens ?
Olivier : Oui, c'est encore plus puissant. Nous allons jouer prochainement courant novembre à Rennes puis à Strasbourg puis nous allons arrêter car Brendan et moi avons d'autres projets.
Brendan porte également ce projet avec une voix très posée et grave, tu es baryton, quelle technique as-tu utilisée pour porter ce texte plein de sens ? A l’écoute de ce morceau, on a l’impression d’entendre une sorte de sage qui raconte un poème alors qu’on aurait pu s’attendre à peut-être plus de nuances ?
Brendan : Tu veux dire apporter une expression plus personnelle ? C'est intéressant que vous parliez de ça, de nuance. Il y a pas de symétrie avec la musique et les instruments. C'est comme un son hors du corps. Apporter au chant quelque chose de personnel aurait été m'approprier le texte et donner un sens qui m'aurait été propre et non collectif. J'ai souhaité chanter avec une sorte de détachement froid dans la voix pour respecter le message.
Aurait-on pu voir Lisa Gerrard dans ce projet afin de contrebalancer ta voix grave pour instaurer peut être une sorte de dialogue ?
Olivier : Non, je souhaitais vraiment travailler avec la voix de Brendan pour flotter sur cet océan sonore. Il y a beaucoup d'options pour qu'il se greffe sur la puissances de la mélodie avec son détachement.
Tu as évoqué vos futurs projets, quels sont-ils ?
Olivier : Pour moi c'est revenir à un projet plus personnel, plus pop rock avec un second album du MellaNoisEscape.
Brendan : Je travaille sur un nouvel album de Dead Can Dance, ce sera un concept album symbolique.
Et est-ce qu'il y aura un nouvel album de No Land, travailler ensemble ?
Olivier : Non je ne pense pas.
Ce sera donc un one shot...
Olivier : je pense avoir tiré le maximum que je pouvais faire avec ces instruments.
Mais peut être sur un autre plan, retravailler ensemble ?
Olivier : Nous ne pouvons pas savoir encore.
Nous avons commencer cette interview par la question qui vous a été posée trop souvent, nous terminons par la question que vous auriez aimé qu'on vous pose ?
Brendan : Dur de répondre...
Cette question n'est pas si ennuyeuse !
Brendan : (Rires)..
Nous vous invitons à y réfléchir peut être à l'occasion de la sortie l'année prochaine du nouveau Dead Can Dance et nous commencerons l'interview par celle-ci. Merci beaucoup.
Olivier : Merci à vous de nous avoir accorder votre temps...
Brendan : Merci...