Quelle est la question que l’on vous a trop souvent posée ?
Vincent Bosler : T’as pas une clope ?
Vous étiez trois au départ. Six ensuite. Comment le nouveau trio s´est-il adapté ?
En fait à la base on était même que deux, Kiki (harmoniciste) et moi, d’où le nom, The Very Small Orchestra. Don Rivaldo, le violoniste nous a rapidement rejoints. On a toujours eu des invités sur nos albums, les amis, les collègues d’autres groupes dans lesquels on joue, enfin bref tous les gens avec qui on avait envie de faire de la musique. On s’est stabilisé avec un noyau dur de six musiciens qu’on appelle
The Very BIG Small Orchestra avec donc Pascal Lamige (accordéon), Jérome Bertrand (contrebasse) et Denis Barthe à la batterie. C’est ce groupe-là qu’on retrouve sur scène. C’est donc forcément une énergie différente qu’en trio mais on s’efforce de garder ce côté minimaliste pour tirer la substantifique moelle des morceaux, que ce soit nos compos ou des reprises.
Vous avez également été généreux en invitant d´autres personnes dans votre univers sonore. Comment travaillez-vous avec ces "other fuckers" comme on peut lire sur la pochette ?
"Other fuckers" et "fuckeuses", on a aussi une chanteuse sur ce disque ! C’est au coup de cœur, pour cet album on savait juste qu’on voulait faire un truc avec ces musiciens-là, on s’est retrouvés, on a réfléchi le moins possible et on s’est laissé surprendre par le résultat. C’est très excitant de voir un morceau jaillir d’une rencontre, et plus c’est improbable, plus c’est intéressant.
Est-ce qu´on vous demande encore pourquoi Denis Barthe est dans le groupe ou si c´est son groupe. Comment réagissez-vous à ce genre de questions ?
Haha ! Oui, on nous le demande encore! Pour ma part ça n’est pas un problème, c’est le jeu ma pauvre Lucette… le fait est que c’est un très bon musicien et qu’il a mérité d’être célèbre. Moi, c’est juste mon copain et j’adore faire de la musique avec lui, surtout quand on n'est pas d’accord !
Votre spécialité c´est le lifting sonore de reprises. Comment ça se passe ? Est-ce que vous vous réunissez et l´un de vous dit : "Alors, Bruce Springsteen, ‘Born To Run’, avec des harmonicas, un violon et un bouzouki" ?
On se dit rien du tout ! Ça part d’une envie, on essaie de jouer le morceau, on rajoute plein d’arrangements et à la fin on vire quasiment tout pour ne garder que ce qui fait vivre le morceau.
Dès ´Back In Town´, l´auditeur a l´impression d´être en terrain familier. Etait-ce volontaire cette introduction minimaliste qui rappelle les premiers travaux en trio ?
Non, pas spécialement. On n'a pas vraiment fait exprès et l’ordre des morceaux s’est fait dans la voiture le jour du
mastering ! Il faut que j’arrête, tout le monde va croire qu’on est une bande de décérébrés qui ne réfléchit à rien ! En fait ce morceau aurait du se trouver sur le premier album puis sur le deuxième, ça n’est que pour cet album qu’on a réussi à trouver un angle d’attaque pour le jouer tous ensemble.
Question reprises vous nous avez choyés. ´Light My Fire´ est une balade nocturne avec une pluie de violon et de contrebasse. Le thème de l´introduction n´est joué qu´à la fin. Etait-ce une façon de vous démarquer de l´original en frappant là où l´on ne s´attendait pas ?
Quand on fait une reprise on essaie toujours d’écouter l’original le moins possible pour vraiment le jouer à notre sauce. Pour 'Light my Fire', c’est la ligne de contrebasse de Jérôme très érotique (la ligne de basse pas lui !) qui a donné le ton, on a laissé le morceau s’installer tranquille comme on se vautrerait dans un canapé en velours, à la fin on s’est dit « ah ouais on a oublié le thème ! » donc on l’a joué !
On trouve quelque chose de très nostalgique voire triste dans votre version de ´Smalltown Boy´ (une chanson qui traite de la différence), est-ce que les paroles de l´original vous ont inspirés pour réaliser cette reprise de cette façon ?
Oui, on voulait rendre justice à cette chanson, je dois dire que je trouve la version originale pas terrible, très datée... Mais en fait si tu lis ben les paroles, c’est une sorte de blues, d’ailleurs ça commence par « You leave in the morning… », l’idée c’était comme à notre habitude de prendre l’original à contre-pied et montrer qu’il y a autre chose dans cette chanson que ce qu’on peut voir de prime abord, le blues donc, ou la mélancolie, enfin peu importe comment on appelle ça.
´Ride On´ d´ACDC est assez cocasse par rapport à l´original mais on sent que le morceau s´éternise en particulier avec l´harmonica. Comment faites-vous pour doser en général vos apports instrumentaux et vos envies de prendre le large par rapport à l´original?
On s’est laissés porter par le morceau, une fois qu’on a trouvé l’ambiance générale les choses vont d’elles-mêmes.
Ce qui fait votre charme, c´est d´être capable d’avoir surtout votre propre répertoire. Etait-ce pour ne pas devenir le clown, le groupe qui fait des reprises bizarres d´originaux et vous installer dans une routine ?
Le truc c’est qu’à notre premier concert avec Kiki en duo, on avait jamais répété, je jure que c’est vrai. On a donc joué que des reprises et une vieille compo de
Spooky Jam (mon ancien groupe) « Biscarrosse » ce soir-là. Donc on a forcément adapté les morceaux qu’on reprenait à la sauce minimaliste. Comme ça nous plaisait bien on a fait moitié compo, moitié reprises sur les deux premiers albums, pour celui-ci, on avait plus de trucs à dire, d’une manière générale on va de plus en plus vers la compo.
Généralement, vos morceaux suivent une recette, un début minimaliste feutré (généralement bluesy) avec une tension palpable puis une explosion de joie ? Est-ce que c´est votre signature ?
Haha ! Je sais pas, c’est toi qui le dit ! Mais oui on peut dire ça, sauf que je dirais pas forcément « explosion de joie » mais explosion tout court.
La voix est assez chaleureuse et même sur certains titres l´accent français n´est pas un désagrément et fait couleur locale. Comment le chanteur se met-il les textes en bouche ?
Ben, justement, je sais que quoiqu’il arrive je ne passerai jamais pour un américain, Thomas l’ingé son fait un peu l’
oberstumpffürher pour que je prononce correctement, je fais de mon mieux mais sans me prendre la tête, l’important est de faire passer une émotion (si possible) pas de donner un cours de rosbif. J’adore d’ailleurs écouter les rosbifs quand ils chantent en français, c’est très sensuel…j’espère que ça fera pareil pour eux !
Les textes sont d´ailleurs assez sombres. ´The Kitchen Floor´ par exemple. D´où vous est venue l´inspiration pour cette chanson ?
C’est une chanson qui raconte l’histoire de deux amis qui sont morts l’année dernière et ont laissé derrière eux un gout d’inachevé, et donc ça aborde les thèmes de la solitude, l’éloignement, la Loi de Murphy, la nécessité de profiter de la vie tant qu’il est encore temps.
L´apport lumineux des instruments vous permet de ne jamais être plombant. Comment se crée cette alchimie ?
Waow, et ben on va avoir les chevilles qui enflent ! Je pense que malgré les thèmes qui sont parfois tristes, on a tous les six une grande joie de vivre et de faire de la musique, je pense que c’est communicatif et que ça transparait quoiqu’il arrive, même si on essayait de le dissimuler, on n'y arriverait pas.
Pourquoi avoir pensé à une voix féminine sur ´Dirigeable´ ? Le résultat est réussi car l´auditeur frissonne en entendant les deux voix se rejoindre après le crescendo.
C’était l’envie de faire un truc avec Stéphanie de « Sister Simone & The Holy Balls » qui a une voix plutôt soul, on voulait l’emmener sur d’autres terrains, le « Small Town Boy » donc et puis cette compo un peu
Led Zeppelinesque.
En quelle langue est chantée ´Hitzek´ ?
C’est de l’euskarra (basque), c’est Jurgi, le chanteur de Willis Drummond qui a écrit ce texte magnifique et chanté avec Niko Etxart qui joue avec Kiki depuis très longtemps.
´Les Fils de Poutine´ est très drôle. Les paroles font la part aux clichés russes (savants pour la plupart, jamais faciles) et vous vous êtes approprié un air du folklore russe. Est-ce que vous allez rééditer cela ?
On a vu un groupe russe dans un bar à Bayonne, j’ai toujours adoré cette musique, le lendemain j’avais la mélodie du morceau en tête et on a bricolé tout ça très vite, ça n’est pas un truc existant mais plutôt « à la manière de ». C’est à la fois, absurde, drôle et nostalgique, c’est ce que j’aime dans les livres d’Andréi Kourkov, même si il est ukrainien ses romans se passent souvent en Russie, ce mélange avec un peu de fantastique en prime, tous ces paradoxes qui représentent pour moi « l’âme russe ».
Pareil pour le hip-hop rap sur ´Roue Libre´. Est-ce que justement vous n´auriez pas du vous essayer à plus d´expérimentations dans ce sens plutôt qu´à un album assez confiné dans le blues ?
Pareil ! Jon Smoke est le neveu de Kiki et joue dans un collectif très bon qui s’appelle « Party Sèche », on voulait faire un morceau avec lui, ça a été très vite, on lui a proposé un instru, il a balancé son texte en freestyle comme une fusée, on s’est regardé et on s’est dit « waow… », peu importe si ça nous ressemble ou pas, ça déboite, il fallait que ce soit sur le disque.
Ce titre "Gagarine", issu de la chanson ´Les Fils de Poutine´, cela aurait pu être un concept-album. Mais l´avez-vous choisi parce qu´instinctivement vous nous invitez à un voyage en apesanteur? Finalement The Very Small Village, n´est-ce pas un ticket pour partout, une invitation au voyage en pays d´ailleurs ?
« Gagarine » c’est aussi parce que ça claque et parce que son parcours est assez hallucinant de montagne russes, c’est le cas de le dire.
Pourquoi avoir ajouté à un album assez long la BO de "Fishing In The Moonlight"? Vous n´avez pas peur que ce soit un peu trop copieux ?
Ma mère voulait l’entendre et le film n’est pas encore dispo sur le net, alors on l’a mis en bonus du CD.
Vous avez enregistré cet album au secret et au Pays Basque : si le Pays Basque est le fief de l´un d´entre vous, pourquoi à huis clos ?
Haha ! Ben justement c’est secret ! On est en majorité de Bayonne dans ce groupe, pour trois d’entre nous.
Qu´évoquent pour vous les mots rock progressif ? Est-ce que vous seriez tentés plus tard par ce genre d´aventures ?
Ça n’évoque rien, on peut comprendre à l’écoute de l’album ou sur scène qu’on ne veut être dans aucune case, ce qui de nos jours, commercialement est un challenge. L’idée c’est de rendre à la musique sa vocation première, le plaisir, autant pour celui qui la joue que celui qui l’écoute, peu importe le style ou le cœur de cible marketing.
Qu’attendez-vous de cet album ?
Et ben comme tout le monde : l’amour, la santé, la célébrité, l’argent, la paix dans le monde… Enfin surtout les trois derniers parce que pour le reste ça va bien.
On a commencé par la question que l’on vous a trop souvent posée, au contraire, quelle est celle que vous souhaiteriez que je te pose ?
Je t’offre un truc à boire ?
Pour finir, un dernier mot pour les lecteurs de Music Waves ?
Tout simplement merci de vous intéresser à la musique, c’est peut-être le dernier rempart contre la connerie et l’absurdité de ce monde (on dirait du "Arnold et Willy").