3 ans après notre précédente rencontre, nous avions de nouveau rendez-vous avec Tomi Joutsen et Esa Holopainen pour évoquer la période de la vie la plus productive du "collectif" Amorphis 2.0...
Nous nous sommes rencontrés en 2015 pour la promotion de "Under The Red Cloud", quel bilan tirez-vous de cette ère ? Ce disque vous a vu amorcer un changement après une série d’albums dans une même veine artistique, vers un son qui revenait en partie à vos sources tout en gardant ce côté mélodique, il était une bonne synthèse de ce que vous êtes ?
Tomi Joutsen : À chaque fois que tu commences à travailler sur un nouvel album, c’est bien évidemment six mecs qui composent de la musique et ce qui en ressort, c’est ce qui se passe entre ces six mecs, l’alchimie qui se crée… Donc chaque album est une image de ce que sommes à un moment donné, aujourd’hui, nous avons un nouveau bassiste et nous avons dû jouer plus de 200 concerts après la sortie de "Under the Red Cloud" (Rires)… le moment était venu de faire quelque chose de nouveau. Je pense que nous avons une longue histoire derrière nous et si tu écoutes cet album, tu trouveras tous les éléments de l’histoire d’Amorphis avec des passages dans le style death metal, des moments très progressifs, très sensibles aussi… Oui, cet album est une photographie parfaite de ce que nous sommes en tant que groupe en cette année 2018.
Lors de notre précédente interview, vous nous aviez avoué avoir besoin du retour de vos fans pour savoir que penser de votre album. L’avis des fans est si important que cela ? En effet, la plupart des groupes prétendent s’en moquer et faire leur truc. Doit-on penser qu’Amorphis est l’un des rares groupes honnêtes qui dit la vérité ?
Tomi : (Rires) Je ne sais pas ! Bien sûr quand tu commences un nouvel album, tu essaies de tout oublier pour te concentrer uniquement sur la musique. Mais bien sûr, si le public a aimé les titres de "Under the Red Cloud"», tu sais qu’ils aimeront également ce nouvel album. Mais c’est stupide d’essayer de faire un album qui sonnera comme le précédent : pas tant que ce soit impossible, c’est surtout ennuyant et au final, personne ne s’intéressera à ce nouvel album. Donc nous essayons d’avoir des idées fraîches : nous partons d’une page blanche où toutes les propositions sont étudiées…
Vous nous parliez de nouveau chapitre ouvert avec "Circle", vous confirmez cette idée ? On dirait que vous travaillez par série d’albums, un peu comme Rush le faisait avec des évolutions et une ligne directrice que vous tenez ?
Tomi : Je dirais que « Circle » a lancé quelque chose de nouveau parce que c’était la première fois que nous avions un vrai producteur, Peter Tägtgren. Il a joué un rôle très important dans cet album mais je dirais que le groupe lui-même était le deuxième producteur de cet album (Rires). Et quand nous avons commencé à travailler avec Jens Bogren, c’était le vrai producteur qui voulait donner son avis sur tout ce qui composait l’album et c’est la raison pour laquelle nous voulions travailler avec lui !
Esa Holopainen : C’est vraiment quelqu’un qui contrôle tout. Après tu peux ne pas être d’accord avec lui mais ça n’a pas d’importance parce que ça ne mène à rien (Rires) ! Mais c’est vrai que tu peux voir différentes ères dans la carrière d’Amorphis : nous avons commencé puis il y a eu l’ère quand Pasi (NdStruck : Pasi Koskinen) a rejoint le groupe et avec lequel nous avons fait quelques albums et enfin, depuis Tomi nous a rejoint depuis je ne sais plus 10 ans au moins (Rires)…
Tomi : 13 ans exactement !
Avec "Circle", "Under the Red Cloud" et ce nouvel album " Queen of
Time", [...] nous nous situons
probablement dans l’ère la plus productive du groupe
C’était hier…
Esa : (Rires) Et il y a aussi différentes époques en fonction des albums : "Eclipse", "Silent Waters", "Skyforger" représentaient une ère dans la carrière d’Amorphis et définitivement avec "Circle", "Under the Red Cloud" et ce nouvel album " Queen of Time", je ne sais pas exactement dans quelle ère nous nous situons mais probablement la plus productive du groupe (Sourire)…
C’est génial de savoir qu’on a une marque de fabrique que tous les groupes rêvent d’avoir !
On le sentiment que vous vouliez créer un Amorphis 2.0, que l’on reconnait immédiatement mais en se disant t"iens c’est surprenant sur tel ou tel passage" ?
Tomi : C’est super d’entendre ça parce que quand tu es dans un groupe, tu ne penses pas comme ça mais c’est génial de savoir qu’on a une marque de fabrique que tous les groupes rêvent d’avoir !
C’est donc que vous en avez conscience ?
Tomi : Bien sûr que nous en avons conscience et c’est un grand honneur d’avoir un son avec une marque de fabrique… C’est clair que quand tu as une longue histoire comme Amorphis, ça aide énormément !
Esa : Comme Tomi l’a dit, c’est exactement ce que recherchent tous les groupes mais ce n’est pas vraiment toi qui décide, ce sont les fans et le public qui écoutent ta musique qui le diront. Mais c’est évident qu’il y a des éléments typiques d’Amorphis : les mélodies, les guitares heavy, le mélange du chant clair et du growl…
[Jens Bogren] nous a dit que par rapport au précédent album, il voulait le retour de couilles dans Amorphis
Justement le growl, il est très présent sur ce disque, est ce que le retour de Olli-Pekka Laine pratiquement 20 ans après son départ a influé sur ce choix très fort ?
Tomi : Pour être honnête, non ! Réponse rapide (Rires) ! Jens Bogren voulait plus de growls sur cet album. Sur le ton de la plaisanterie, il nous a dit que par rapport au précédent album, il voulait le retour de couilles dans Amorphis (Rires) ! C’était sur le ton de la plaisanterie mais il y avait une part de vérité !
Intégrer des growls rend la musique un peu plus heavy, plus agressive… et en tant que chanteur, c’est super de pouvoir s’exprimer de différentes façons. Utiliser les growls s’apparente à de la distorsion dans les guitares ce qui colle parfaitement à la musique heavy.
Autre chose importante pour cet album, Niclas qui était resté 17 ans dans Amorphis a quitté le groupe. Son départ brise une continuité de line-up de plus de 10 ans, comment avez-vous géré cela ? C’était un mal nécessaire pour avancer comme vous en aviez envie ?
Tomi : C’est vraiment une situation très délicate quand quelqu’un souhaite quitter le groupe. Mais c’est la vie : c’est le genre de chose qui arrive mais par chance, cela s’est toujours fait sans heurt… Niclas a voulu quitter le groupe mais nous sommes toujours amis. Il continue sa carrière musicale avec un nouveau groupe. Donc aujourd’hui, on peut dire que tout est rentré dans l’ordre. Mais c’est vrai que quand il nous a annoncé qu’il allait quitter le groupe, nous savions que nous allions faire un nouvel album.
Il y a une vraie alchimie entre nous et ce groupe est vraiment fort !
Mais dans votre situation, quand le line-up a été stable pendant des années, n’a-t-on pas le sentiment que quelque chose s’est cassé ?
Esa : Clairement non parce que nous nous connaissons assez bien les uns, les autres : il y a une vraie alchimie entre nous et ce groupe est vraiment fort ! Mais c’est vrai que quand on s’entend plus à l’intérieur du groupe, tu peux avoir peur mais ce n’est pas le cas. Dans notre cas, c’était le choix personnel de Niclas qui n’avait strictement rien à voir avec le fait de tourner, le fait d’être membre d’Amorphis, c’était des choses extérieures qui ont mené son choix.
Mais c’est clair que quand nous nous sommes lancés à la recherche d’un nouveau bassiste, c’était un peu dur parce qu’au-delà d’un bon bassiste, nous avions besoin de trouver une bonne personne qui est la chose la plus importante car il faut tourner avec lui, s’entendre avec lui… dans ces conditions, jouer de la basse est un peu secondaire (Rires) ! Ce n’est vraiment pas simple de trouver un nouveau membre car peu ont les couilles de tourner autant… Dans ces conditions, Olli était le choix le plus évident que nous avions tous à l’esprit mais il fallait juste espérer qu’il souhaite rester dans le groupe.
On a parlé du retour du growl, pour autant, vous n’êtes pas redevenu un groupe de death pur et dur, le chant clair est encore largement présent, ce mélange a-t-il été évident à mettre en place, vous n’avez pas eu de craintes à ce sujet, que cela puisse créer des frustrations ou des dissensions sur ce choix entre vous ?
Tomi : Cela dépend du titre. Nous avons quelques titres basiques d’Amorphis sur cet album dans lesquels il y a plein de chant clair. Nous avons besoin de ce type de morceaux qui sont faits pour les radios. Nous avons également différents types de fans : certains n’aiment que les chansons avec du chant clair et d’autres n’aiment que le death metal
old-school… Nous ne pouvons pas tous les contenter, nous faisons notre musique…
En tant que chanteur, c’est super de pouvoir chanter en chant clair et comme je te l’ai dit tout à l’heure, Jens Bogren souhaitait plus de growls dans cet album : nous avons donc ajouté des growls en studio au moment de l’enregistrement final. J’avais enregistré des pré-productions vocales -avec Jonas Olsson, qui est un producteur finlandais- sur huit jours pendant lesquels nous avions jeté des idées basiques. Mais Jens avait une vision claire de ce qu’il voulait et il voulait ajouter quelque chose pour que les titres soient plus massifs, meilleurs… Je lui ai fait confiance et ai suivi ses recommandations (Sourire) !
Au-delà du growl il y a aussi et surtout ces orchestrations, dès le premier titre ‘The Bee’, on vous reconnait comme on le disait avec un riff typiquement Amorphis. Mais avec le growl et les orchestrations on nage d’entrée dans autre chose, vous êtes conscients de l’effet de surprise que cette entrée va provoquer ?
Tomi : Cette chanson est comme une gifle dans la figure des fans (Rires) ! Comme tu l’as dit, cette chanson est un titre typiquement Amorphis d’une certaine façon mais il y a plein de nouveaux éléments comme ces plans de guitares vraiment modernes et donne le sentiment d’un nouveau rythme de metal… C’est une chanson vraiment énorme mais c’est loin d’être la plus facile de l’album…
Il y a dans ce titre un côté Yin et Yang, entre le growl accompagné des orchestrations et la voix claire très pure qui contrebalance cette violence ? C’était votre idée de créer cette dualité ? C’est comme un dialogue entre le bien et le mal, c’est très ésotérique non ?
Tomi : Je ne dirais pas ça mais c’est clair que c’est une bonne chose d’avoir une dynamique dans un titre et pas seulement un morceau de
blast beat ce qui serait ennuyant et ce n’est clairement pas la voie que nous privilégions : nous essayons de créer différentes couches, des émotions différentes… et quand comme nous, tu as six membres dans un groupe, il y a plein de choses possibles à faire…
Au fur et à mesure on avance dans autre chose, les orchestrations se font encore plus de place sur ‘Message In The Amber’. Ce titre est vraiment un symbole de cette idée d’Amorphis 2.0. Pourquoi avez-vous eu recours aux orchestrations, votre idée était d’amener de la majesté, de la force épique en complètement du growl ?
Esa : Non ! Avant d’enregistrer, nous avons toute la musique et les chants étaient prêts à être enregistrés, Jens nous a donné ses idées orchestrales, il voulait ajouter une vraie chorale, de vrais instruments… C’était quelque chose que Jens avait en tête mais dont nous n’avions pas parlé avant…
Il semblerait que vous ne soyez pas six membres mais sept finalement…
Tomi : … et même huit, il ne faut pas oublier Pekka (NdStruck : Pekka Kainulainen) qui écrit les textes (Rires) !
Esa : C’est vrai mais il a tellement d’idées et nous lui faisons totalement confiance. Et à l’écoute du mixage final, nous étions tous surpris du résultat : les chœurs sonnaient extrêmement bien !
Sur ‘Heart of The Giant’ le break avec chœurs nous a même évoqué Therion, que pensez-vous de ce rapprochement, il y a la même force épique et grandiloquente à l’écoute ?
Esa : Je suis choqué (Rires) ! Non, j’aime les vieux Therion quand Christofer (NStruck : Christofer Johnsson) a lancé le groupe mais l’opéra metal, le metal théâtral n’est définitivement pas notre tasse de thé, ce n’est clairement pas le style de musique que nous jouons. Mais c’est évident que quand tu utilises de vrais chœurs, des arrangements orchestraux… cela donne un son massif assez similaire. Mais nous essayons de faire en sorte que cela reste en retrait de notre musique comme des effets qui servent l’univers de nos claviers et nos chants clairs plutôt que l’inverse et que ces éléments dominent notre musique…
Jens Bogren a amené plein d’idées et il a pris les lignes qu’il voulait
utiliser pour cet album et pour ça, nous devons encore le remercier !
Ce qui frappe le plus en parallèle c’est ce sens mélodique, on pense à ‘The Golden Elk’ par exemple où la force mélodique saute aux oreilles avec un chant clair très pur de la part de Tomi Joutsen, la force de sa voix ressort plus que jamais dans ce contexte de changement ?
Tomi : Je ne sais pas, c’est ton avis mec (Rires), je suis assez sourd à ce genre de choses… Bien évidemment, à chaque fois, j’essaie de donner le meilleur de moi-même et j’espère que j’apprends de nouvelles choses à chaque fois ce qui fait que je suis meilleur qu’il y a quelques années. J’essaie juste de me concentrer en faisant confiance à ce qui va sortir de ma bouche. Comme on l’a dit, Jens Bogren a amené plein d’idées et il a pris les lignes qu’il voulait utiliser pour cet album et pour ça, nous devons encore le remercier (Sourire) !
Nous utilisons plein de styles dans notre musique mais nous ne sommes pas un groupe expérimental ou fusion pour autant.
Tout le long de l’album on évolue dans un univers riche et très fort en émotions, outre les orchestrations et le growl on trouve des chœurs, du chant féminin, des passages jazzy, on pense au titre 'Daughter Of Hate', vous faites vraiment fort, vous n’avez pas peur de rendre vos auditeurs un peu dingues ?
Tomi : (Rires) Il y a des idées basiques dans chaque chanson qui au final ne sont pas si compliquées. Bien sûr, il y a plein d’éléments progressifs mais je pense que ce soit si compliqué -on ne parle pas de jazz ou de progressif très pointu- au contraire, en utilisant des éléments différents, cela rend la musique plus intéressante. Nous utilisons plein de styles dans notre musique mais nous ne sommes pas un groupe expérimental ou fusion pour autant.
Sur ‘The Golden Eik’ on entend un break que je qualifierais d’oriental, c’est une autre piste que l’on entendait déjà sur « Under the Red Cloud », aller plus loin dans ce sens serait possible ?
Esa : Même si nous avons déjà effectivement intégré des éléments orientaux par le passé, cette fois-ci, c’est du fait de ce musicien turc qui jouait son solo de sur sa guitare qui a un son turc vraiment authentique. Mais non, nous n’irons pas au-delà de ça (Sourire) mais intégré de la sorte, c’est vraiment cool !
Pekka Kainulainen est un membre quasi à part entière d’Amorphis depuis 2007, il écrit tous vos textes et ce n’est pas banal. Comment expliquez cette externalisation des textes de votre part ? C’est lui qu’on entend dans votre langue natale pour un speech, le mettre dans la lumière de cette façon c’est une volonté de votre part de souligner l’importance de son rôle à vos côtés ? Peut-on parler de mentor pour évoquer ce qu’il représente pour vous ?
Tomi : D’une certaine façon, oui ! Ca a toujours été génial de travailler avec lui : c’est quelqu’un de très créatif, qui peint et dessine en plus d’écrire des textes pour nous. C’est vraiment cool de travailler avec lui parce que tu sais par avance qu’il va apporter quelque chose d’intéressant et beau en donnant un point de vue poétique à notre musique. Notre musique épique colle parfaitement aux textes de Pekka qui sont très spéciaux : c’est quelque chose qui nous tient particulièrement à cœur car ils sont très finlandais ! Je ne sais pas combien d’albums nous ferons avec Pekka mais j’espère vraiment qu’il écrira les textes des prochains…
Le disque se nomme "Queen Of Time" et est représenté lui aussi par une pochette assez ésotérique avec cette reine des abeilles au centre d’un crâne avec des formes kaléidoscopiques autour, c’est le même artiste, Valnoir, qui l’a créée comme pour "Under the Red Cloud", on sent qu’il a saisi complètement où vous désiriez aller, il y a une vraie alchimie entre vous ce qui fait penser qu’avec lui, Pekka, Jens… on peut parler de famille ?
Esa : (Rires) C’est vrai que nous formons une super équipe et nous voulions à nouveau travailler avec les mêmes personnes sur "Queen of Time" que ceux de "Under the Red Cloud". Comme Jens à la production, nous voulions travailler avec Valnoir pour le visuel qui colle parfaitement aux thèmes de l’album. Sa façon de travailler nous fascine et comme je le disais, son art colle parfaitement à nos thèmes.
Quelle est l’idée globale du disque, y a-t-il un concept on ressent plus d’une fois un côté ésotérique, une sensibilité à fleur de peau, une force qui s’exprime au travers de la musique et des paroles, quelle est l’idée globale ? L’idée de Reine des abeilles est finalement le Dieu qui dirige nos vies ?
Tomi : C’est cela même parce que si les abeilles disparaissent, nous mourrons tous… c’est donc une belle métaphore de notre triste réalité écologique !
Il y a un fort rapport à la nature, l’homme et l’adéquation entre les deux, comme un drame qui se joue et se découvre en musique, notamment sur 'Wrong Direction' et 'We Accused' avec leur facette folk mise en avant…
Esa : … oui car la mythologie finlandaise a une place très importante dans notre musique !
On dirait qu’il est important pour vous de donner un sens à vos chansons, que cela ne soit pas que de la musique et que l’on ressente autre chose à l’écoute, que l’on voyage et que l’on apprenne ?
Tomi : C’est difficile de répondre à cette question mais je vois ces chansons comme de petits films d’une certaine façon. Il y a une grande histoire derrière ces chansons et cette musique qui rendent cette histoire encore plus grande et de faire de cet album une sublime pièce d’art.
Merci
Tomi & Esa : Merci
Merci à Noise pour sa contribution...