Music Waves est allé à la rencontre de Human Song, duo français dont la musique inclassable teintée d'une indéniable mélancolie a tout pour séduire. Découverte de deux artistes aussi entiers que sincères...
Nous avons l'habitude de commencer nos interviews par la question qu'on vous a trop posée, quelle est cette question ?
Aucune.
Jane Lake et Mathew (un seul T ?) Corner, ça sonne plus anglo-saxon que strasbourgeois. Ce sont vos véritables patronymes ou des noms de scène ? Dans cette seconde hypothèse, pourquoi avoir pris des noms de scène ?
Ce sont nos noms de scène. Ces noms sont une naissance artistique et scénique. Nous faisons en quelque sorte la part des choses entre notre quotidien et notre art.
A l'origine, Human Song était un trio. Pour quelles raisons votre chemin s'est-il séparé de celui de votre premier batteur, Rilenté ?
Rilenté avait un projet solo en tête depuis un moment, il avait très envie de s’y consacrer à temps complet. De plus il habitait Vesoul et pour les répètes et les cessions de création, cela devenait difficile de trouver des créneaux en commun, nos chemins musicaux se sont alors séparés là, tout simplement.
Nous nous soucions peu des modes
Vous avez formé Human Song fin 2011/début 2012. En octobre 2013 paraît votre premier EP, "The Birth of the Seven Crows". L'année suivante, vous sortez un 4 titres reprenant trois versions remixées de 'Through the Window' (qui figurait déjà sur l'EP de 2013) puis un single de 12 minutes ('This is not a Song for War'). Suivent trois années de jachère discographique avant que vous n'enchainiez coup sur coup la sortie d'un live ("Live au Centre de la Terre" en décembre 2017) et de votre premier album, "Blue Spaces" en avril 2018. C'est une cadence qui semble un peu anarchique. Est-elle le fruit du hasard ou le reflet d'une personnalité inflexible qui ne se soucie pas des modes ?
Nous nous soucions peu des modes. Nous avons cette chance d’être indépendants et d’être à notre propre rythme alors nous en profitons pour ne pas bâcler notre art. En ce qui concerne ces 3 années de "jachère" discographique, elles ont été très riches d’un point de vue créatif : nous avons composé des bandes-son pour un court-métrage (Pagliacci de Michel Cordina), pour 8 pièces de théâtre et nous avons été en parallèle comédiens dans certaines d’entre elles. Nous avons par ailleurs changé plusieurs fois de batteur. Nous sommes donc passés par plusieurs sessions d'enregistrement car nous voulions garder les versions les plus récentes de certains morceaux avec les batteurs définitifs. S'ajoute à cela le décès de notre co-producteur et ami, Hervé De Caro. Nous devions finaliser "Blue Spaces" et le "Live au Centre de la Terre" ensemble. Nous avons repris les projets avec Samuel Kapoor (son élève), cette passation a forcément pris un peu de temps pour harmoniser le travail d'Hervé avec celui de Samuel.
Avant de nous pencher sur "Blue Spaces", parlons d'abord de votre live. D'où vous est venue cette idée folle d'enregistrer un EP au fond du gouffre de Poudrey à 70 mètres sous terre ?
Nous avions envie d’un live un peu fou, d’un challenge aussi bien technique, artistique, musical et humain. C’était une idée que nous avions en tête depuis un certain temps. Nous avions eu il y a quelques années une discussion avec Geoffroy, le propriétaire du Gouffre de Poudrey qui nous parlait de son envie de projets inédits au sein du site. Il avait contacté les Daft Punk à l’époque, Colombia avait refusé sa proposition. Nous nous sommes dit alors "pourquoi pas"... Et on a fini par organiser cette aventure !
Je suppose que les contraintes logistiques ont dû être terribles. Descendre et remonter le matériel (à dos d'homme ?), jouer dans des conditions certes exceptionnelles mais un peu angoissantes (claustrophobes s'abstenir !). La vidéo ne restitue qu'un infime fragment d'une expédition qui a dû être dantesque. Comment avez-vous vécu cela ?
Les contraintes logistiques ont en effet été terribles ! Nous avons transporté une tonne de matériel à dos d’homme, il n’y a pas de monte-charge au Gouffre. Nous devions à chaque fois descendre et remonter 500 marches. Il faut aussi noter que dans le Gouffre la température est de 7 degrés, nous étions donc en manteaux, gants et bonnets en bas et dès qu’on remontait il faisait 25 degrés dehors. Il fallait constamment jongler entre les changements de température. Ça a été éprouvant, mais ça en valait vraiment la peine ! Malgré les difficultés qu’engageait ce projet, nous l’avons très bien vécu et nous étions très heureux d’avoir réussi ce pari ! On avait aussi une équipe vraiment géniale, tout le monde était impliqué, sérieux, concentré. On s’est aussi bien marré. En tout il nous aura fallu 3 jours pour ce tournage hors transport (montage/démontage compris). Le temps d’instal' était plus conséquent que celui du tournage, mais nous étions préparés. Nous savions qu’il y aurait 3 prises par morceau et c’est tout. Sur place, nous étions une quinzaine mais une trentaine de personnes ont travaillé sur ce projet avec nous.
Une telle expédition doit coûter cher. Comment l'avez-vous financée ?
Une telle expédition coûte cher. Nous sommes nos propres producteurs, nous l’avons alors financée en partie grâce aux fonds propres de notre structure et label Let Them Walk, grâce aux partenariats que nous avons développé avec Digistore pour la vidéo et Espace Concept pour le son et également grâce à des mécènes.
C’est passionnant d’entrer en résonance avec ce que nous offre la nature
En dehors de l'exploit technique et du plaisir de jouer dans un lieu grandiose, qu'espériez-vous retirer de cette aventure et qu'en avez-vous retiré réellement ?
Nous étions avant tout curieux de jouer dans un lieu naturel. Le Gouffre est très impressionnant et lorsque l’on est dedans, nous nous sentons si petits face à cette nature qui existe depuis des milliers d’années ! C’est passionnant d’entrer en résonance avec ce que nous offre la nature. Nous avons choisi les morceaux en fonction du lieu, "West", "Blue Spaces" et "Faces on the Ground" se prêtaient vraiment bien à cette ambiance caverneuse. Nous étions impatients de redécouvrir nos morceaux en les jouant là-bas. Bien sûr, nous avons tiré beaucoup de choses positives de cette expérience, d’un point de vue musical et humain. Le résultat est assez sensoriel, la vidéo transcrit bien l’ambiance qu’il pouvait y avoir en bas, un temps suspendu, sans repère, éternel.
Venons-en à votre premier album qui vient de sortir en avril, "Blue Spaces". Vous composez tous les deux vos musiques. Comment ça se passe ? Vous co-écrivez tous les titres ou certains titres sont de Jane et d'autres de Mathew ?
Au début, tous les titres étaient composés par Jane et arrangés par Mathew. Puis avec la composition pour les pièces de théâtre, nous avons composé la musique à deux. Parfois ensemble, parfois séparément. Les textes pour le moment sont toujours écrits par Jane.
Votre album contient quelques titres punchy, comme le très guerrier 'The Amazon', voire expérimentaux comme l'instrumental 'Hunter's Procession' ou le très étrange 'This is not a Song for War'. Mais globalement, la tonalité générale de "Blue Spaces" est douce et vos compositions sont très mélancoliques. Notre chroniqueur a même qualifié 'Les Etoiles' de requiem. Où puisez-vous votre inspiration ? D'où vous vient ce spleen qui certes donne de très belles mélodies, mais d'une infinie tristesse ?
Pour cet album, l’inspiration nous est venue principalement en lisant les pièces de théâtre pour lesquelles nous avons travaillé. Nous nous sommes imprégnés d’ambiances assez sombres voire macabres comme le conte de "Barbe Bleue" ou encore la pièce "Coronado" de Denis Leanne. Les musiques sont venues spontanément ensuite. Nous dirions plutôt que l’album est mélancolique, il peut évoquer une certaine souffrance, un spleen mais aussi certains réveils guerriers comme dans "The Amazon" ou "This is not a Song for War". "Les Étoiles" est bien un chant aux morts, c’est cool que votre chroniqueur l’ait relevé ! A l’origine il s’appelait d’ailleurs "Requiem". Ce morceau a été joué dans la pièce de Gilles Kammerer "La triste histoire de l’enfant arbre qui regardait les étoiles". Une pièce dédiée aux femmes qui entouraient Mozart. Ce chant a été composé pour la mort de Mozart et au-delà de la pièce, c’est un hommage que nous rendons au compositeur qu’il était et au patrimoine musical qu’il a laissé et qui nous inspire.
Nous aimons proposer des choses qui nous plaisent par respect pour notre art et notre public
'This is not a Song for War' date de 2014 et plusieurs titres de "Blue Spaces" proviennent de musique que vous avez composées entre 2013 et 2016 pour diverses pièces de théâtre. C'est un rythme de composition relativement lent. Comment expliquez-vous cette faible productivité ? Vous aimez prendre le temps de bien faire les choses ? Ou vous ne faites pas partie de ces gens qui sont capables, comme Elton John, d'écrire une chanson en cinq minutes ?
C’est amusant de parler de "faible productivité" dans le domaine artistique, cela questionne beaucoup de choses sur la rentabilité de l’art et sur le système dans lequel nous vivons aujourd’hui... Notre rythme de production n’est ni lent, ni rapide, c’est notre propre rythme. Nous aimons proposer des choses qui nous plaisent par respect pour notre art et notre public. Nous composons d'ailleurs assez vite, nous aimons l’instantané, l’empreinte d’un instant et la spontanéité dans nos périodes de création. La mise en place ensuite peut prendre un peu plus de temps tout comme différents événements peuvent retarder une sortie d’album. Et comme nous l'avons dit précédemment, nous avons changé plusieurs fois de batteur entre-temps et notre co-producteur Hervé De Caro est décédé en septembre dernier. Ces événements ont alors rallongé le processus.
Plus globalement, entre musiques pour pièce de théâtre, spectacle live comme celui du gouffre de Poudrey, tournées et enregistrement de disque, cette dernière activité vous paraît-elle marginale comparée aux autres ou avez-vous l'intention de sortir de nouveaux albums avec plus de régularité ?
Nous avons l’intention de sortir notre prochain album plus rapidement que celui-ci. Il est actuellement en création, mais c’est encore trop tôt pour en parler. Tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'il ne sera pas issu de compositions pour le théâtre.
Lors d'une interview donnée au début de votre carrière, vous disiez que votre musique n'était influencée par aucun artiste en particulier et effectivement, votre style assez atypique rend difficile toute catégorisation. Néanmoins, vos compositions reflètent forcément en partie votre patrimoine musical. Quels sont les principaux artistes que vous écoutez ? 'Exit the Spaces' me fait penser que la musique classique ne vous est pas étrangère…
Nous écoutons Patti Smith, Iggy Pop, Nirvana, NIN, Led Zeppelin, Pink Floyd, Jack White, Aerosmith, Janis Joplin, Amy Winehouse, Marc Lanegan... et bien d’autres ! Nous aimons aussi beaucoup Mozart, Beethoven, Prokofiev, Tchaïkovski pour ne citer qu’eux.
Même si vous ne ressemblez pas à grand-monde, vous vous rapprochez par moments d'artistes comme Artesia ou Les Secrets de Morphée. Etes-vous d'accord avec ce rapprochement ?
Oui, il y a un peu de ça pour Artésia et Les Secrets de Morphée, on ne connaissait pas du tout, c’est cool d’avoir découvert !
La façon de chanter de Jane (sa fragilité sur 'West', les proclamations belliqueuses de 'The Amazon') évoque aussi parfois une artiste moins confidentielle, Mylène Farmer. Compliment ou injure ?
C’est un compliment !
On avait avant tout envie de jouer ensemble
D'où vous est venue l'idée d'une formation aussi atypique ? Une chanteuse qui vocalise, un bassiste qui se substitue au traditionnel guitariste et une batterie pour simple complément : c'est une volonté délibérée pour sortir des carcans ou un simple concours de circonstances ?
On avait avant tout envie de jouer ensemble. Les choses se sont faites naturellement, Jane a composé "Suddenly" fin 2011 et Mat a eu l’idée d’une basse. Ça a tout de suite collé et on a cherché un batteur. C’est seulement plus tard, quand les gens nous en ont parlé qu’on s’est vraiment rendu compte que la formule était atypique. Pour nous, c’est la nôtre, on ne pense pas à ça, on joue la musique qu’on aime, qui nous fait vibrer avec les instrus qu’on s’est choisi.
La panoplie restreinte de vos instruments, piano/basse/batterie, ne risque-t-elle pas à la longue de brider votre inspiration et de vous obliger à vous limiter à ce que vous pouvez jouer avec ces seuls instruments ? N'avez-vous pas envie d'élargir votre groupe en renouvelant l'expérience de "Live au Centre de la Terre" et en faisant appel à un multi-instrumentiste comme Thibault Vançon par exemple ? Saxophones, flûtes et clarinettes s'accordent bien à vos mélodies et vous permettraient de vous ouvrir de nouveaux horizons.
Pour le moment, on ne se sent pas du tout limité par nos instruments. On les aime, on les découvre sans cesse, on est curieux de plein de choses, et bien sûr si on souhaite intégrer d’autres instruments, on le fera sans hésiter, du moment que c’est cohérent et que ça nous plaît ! Nous sommes très satisfaits du "Live au Centre de la Terre" et nous intégrerons très certainement d’autres instruments à l’avenir mais plutôt en mode "guest".
L'enregistrement de "Live au Centre de la Terre" semblait être le premier maillon d'une série de concerts donnés dans des lieux insolites. Avez-vous déjà projeté une autre "scène" naturelle où vous produire ? Et de donner un successeur à "Blue Spaces", qu'à Music Waves nous attendrons avec impatience ?
Le "Live au Centre de la Terre" est le premier d’une série de lives. Le deuxième est actuellement en préparation, nous jouerons des morceaux issus de "Blue Spaces". Et comme nous l'avons dit précédemment, cet album aura bien un successeur !
Nous avons commencé par la question qu'on vous a trop posée. Quelle est celle que vous auriez aimé que je vous pose ?
Pourquoi avoir mis deux chansons cachées sur l'album ? Une à la fin de la piste 11 et l'autre en pregap ?
Un dernier mot pour les lecteurs de Music Waves...
On a hâte de vous retrouver sur la route !