Après plusieurs années de pause, le retour du quatuor américain en 2015 avec l'album "Immortalized" a rassuré de nombreux fans qui trépignaient d'impatience à l'idée de revoir leur groupe favori sur scène un jour. Trois ans plus tard, en sortant son nouvel album, "Evolution", Disturbed confirme bien son retour sur la scène metal en changeant quelque peu de visage. Entretien avec David Draiman (chanteur) et Dan Donegan (guitariste) sur l'évolution de la formation américaine.
Nous aimons commencer nos interviews par la question suivante : quelle est la question que l’on vous a posée trop souvent et à laquelle vous en avez marre de répondre ?
David Draiman (chanteur du groupe, ndlr) : Eh bien… Laquelle choisir ? (Rires).
Il y en a beaucoup ?
David : Je n’en ai pas marre de répondre aux questions, je réponds tant qu’on me pose des questions. Mais il y a effectivement des questions que l’on nous pose souvent.
On va parler de « Immortalized » si vous voulez bien (avant-dernier album paru en 2015, ndlr). Vous avez sorti cet album après 4 ans de silence. Quand on voit le nombre de ventes, ça a l’air d’être un véritable succès ! Vous attendiez-vous à ça ?
David : On espérait que cela se passe comme ça !
On a une grande confiance en notre fanbase. […] Nos fans sont notre arme la plus importante

Vous avez été surpris par la réponse de vos fans ?
David : On a une grande confiance en notre fanbase. On aura toujours confiance en eux. Ils ont toujours été super avec nous. Ils font tout pour nous. L’ironie est que durant ce hiatus où l’on n’a rien fait, il y a eu beaucoup de bouche-à-oreille et entre nos fans et futurs fans, et on a explosé sur les réseaux sociaux. On est passé d’environ 6 millions de j’aime sur Facebook à 11 millions sur une période de 4 ou 5 ans. Nos fans sont notre arme la plus importante. Ils font notre promo, ils sont notre source de succès, donc on n’a jamais douté d’eux.
Dan Donegan (guitare) : Il y a probablement des gens, des collègues, des amis dans l’industrie de la musique qui ont considéré que c’était risqué pour nous de faire une pause alors que l’on était à l’apogée de notre carrière. A ce moment-là, on était déjà en tête d’affiche de concerts, de festivals… Partir pendant quatre ans était effectivement risqué mais on avait la plus grande confiance en nos fans car depuis le début ils sont très loyaux envers nous.
La meilleure pression est celle que l’on s’impose à nous-mêmes
Aviez-vous de la pression au moment de sortir ce nouvel album ?
David : La meilleure pression est celle que l'on s'impose à nous-mêmes. On essaye toujours de mettre la barre plus haut d’un album à l’autre. Quand tu essayes de faire ça pour chaque album, le prochain album devient de plus en plus dur à réaliser ! (Rires). Mais on aime les challenges.
Dan : Le plus gros challenge est d’apporter des idées et de trouver l’inspiration, sans trop se soucier de ce que le label, la radio, ou les fans attendent de nous. Ma seule préoccupation est de savoir si je vais pouvoir apporter quelque chose d’inspiré aux gars. On fait de notre mieux pour s’améliorer en tant qu’artistes et pour se challenger.
L’alchimie entre nous est meilleure que jamais

Cette pause vous a-t-elle aidés à écrire un bon album créatif ?
David : Cela nous a permis de prendre une bonne inspiration. Cela nous a donné l’opportunité d’explorer d’autres horizons artistiques. On a eu plus de temps pour faire les choses. L’alchimie entre nous est meilleure que jamais. Faire une pause peut faire du bien parfois !
Quel a été l’apport de John Moyer (le bassiste du groupe, ndlr) au niveau de l’écriture de l’album ?
David : Il a enregistré avec nous mais il n’a été dans le studio que pour deux jours. Donc il n’a pas participé à l’écriture de l’album, avec tout le respect que je lui dois, nous l’adorons. John est un gars talentueux.
Votre nouvel album s’appelle « Evolution ». Avant même d’écouter cet album, quand on voit que votre mascotte, The Guy, n’apparaît pas sur la pochette, on sent qu’on ouvre le chapitre de Disturbed 2.0. (Sur pratiquement tous les albums de Disturbed, et dans un certain nombre de leurs clips, une mascotte nommée « The Guy » qu’ils ont créée apparaît, ce qui n’est pas le cas sur ce nouvel album, ndlr). C’était l’idée que vous aviez, d’ouvrir un nouveau chapitre ?
David : Je pense que la musique en elle-même montre un certain renouveau, et on voulait que cela se voie aussi au niveau de la pochette. Mais si tu ouvres le livret de l’album, tu verras que The Guy est toujours dedans. On voulait qu’en un seul regard, on sent que ce n’est pas comme avant. Et je pense que c’est l’une des pochettes que je préfère.
Dan : Cela fait 22 ans que le groupe existe, donc il est normal que le son, que le groupe, que nos relations et l’alchimie entre nous évoluent. On est devenus plus matures.
C’est un terme que l’on entend souvent. Beaucoup de groupes disent que chacun de leur nouvel album est l’album de la maturité en quelque sorte !
David : C’est cliché, mais ce n’est pas nous qui le disons, ce sont les gens qui nous le disent. C’est l’impression qu’ils ont en écoutant cet album. C’est difficile de juger son propre niveau de maturité, donc on se base sur les retours que l’on a. Donc si les gens ont tort… (Rires). Ce n’est que leur opinion ! Quand on parle de maturité, de développement, d’évolution, etc… On n’essaye pas vraiment de se concentrer sur cet aspect.

Concernant cette mascotte, vous n’aviez pas peur de déstabiliser vos fans qui la voyaient sur les derniers albums ?
David : La mascotte n’apparaissait pas sur les deux premiers albums. Depuis, c’est toujours le même artiste qui a dessiné The Guy. Mais comme je te l’ai déjà dit, une fois que les gens achèteront l’album, ils verront que The Guy est encore dans le livret ! Donc ce n’est pas une rupture totale avec le passé non plus. Donc en gros, ne t’inquiète pas ! (Rires).
Le premier single, ‘Are You Ready ?’, est aussi le premier titre de l’album. Était-ce un moyen d’avertir vos fans que vous avez évolué, et que vous voulez qu’ils vous suivent sur ce nouveau chemin ?
David : Je n’irais pas aussi loin ! (Rires).
C’est la raison pour laquelle je suis là !
David : La signification n’est pas aussi marquée. Ce serait intéressant que cela veuille dire exactement ça, mais ce n’est pas le cas. C’est une très bonne chanson, elle est heavy, c’était évident qu’elle ouvrirait l’album et qu’elle serait le premier single. On a travaillé sur de multiples styles musicaux sur cet album, et on a demandé à nos fans ce qu’ils voulaient entendre comme premier single. On aurait pu mettre une chanson heavy, ou une ballade, ou une chanson acoustique. Ils ont largement voté en faveur d’une chanson heavy. C’est donc la direction que l’on a prise.
Comme tu l’as dit, ce morceau est très accrocheur et c’est certainement le plus puissant de l’album. Avec des parties programmées, des gros riffs bien lourds, et ta voix très puissante David. Choisir cette chanson en tant que premier single permettait aussi de vous illustrer dans un registre que vos fans connaissent bien.
David : On leur a donné ce qu’ils voulaient ! (Rires).

L’album est très accrocheur avec des chansons comme ‘In Another Time’, ‘Stronger On Your Own’ ou encore ‘Saviour Of Nothing’. On retrouve la marque de fabrique de Disturbed avec ta voix, mais avec un côté mélodique rappelant un peu Alter Bridge ou Nickelback quand ils font des chansons heavy. Tu es d’accord ?
David : C’est une comparaison intéressante ! Je prends ça comme un compliment !
C’en est un ! Car votre musique est plus mélodique que jamais, et en même temps, vous conservez votre marque de fabrique. Le mix est très naturel sur cet album. Quand on l’écoute, c’est évident que Disturbed devait sonner comme ça. Vous semblez suivre une évolution naturelle. Vous êtes d’accord avec ça ?
David : Absolument. On ne savait pas comment appeler l’album. Habituellement, le nom de l’album est aussi donné à l’un des titres de l’album. C’est la première fois que ce n’est pas le cas. On a eu du mal à trouver un titre, car aucun titre ne semblait englober la totalité des morceaux de l’album. Quand Danny a évoqué l’idée du nom « Evolution », au moment où il a mentionné ce nom, j’ai dit : « J’adore, c’est parfait ! ».
Quand on écoute cet album, cela nous rappelle Metallica quand ils ont atteint un sommet avec le « Black Album ». Qu’en pensez-vous ?
Dan : Ça, c’est une question qu’on nous pose tout le temps !
David : Oui, tout le temps ! (Rires). A chaque interview on nous demande : « Pensez-vous que cet album pourrait être votre « Black Album » ? ».
Car c’est effectivement l’album de la maturité. Donc vous pouvez être fiers qu’on vous pose cette question, cela signifie que vous avez réussi et que vous êtes plus populaires !
David : S’il l’on ressent collectivement et personnellement que l’on a mis la barre plus haut, si une chanson nous donne des frissons, tout ce que l’on peut espérer c’est que cela procure la même sensation pour tout le monde. Selon moi, c’est le meilleur travail collectif que l’on ait réalisé à ce jour. On a des chansons qui ont un potentiel énorme, plus que toutes les autres que l’on a sorties jusqu’à présent.
Je préfère prendre des risques que de jouer toujours la même chose

D’un autre côté, une telle évolution est risquée, car en tant que fan, on n’est pas forcément prêt à suivre cette évolution. Vous avez hésité à emprunter ce chemin au moment du processus d’écriture ?
Dan : Une bonne chanson est une bonne chanson. Il ne faut pas que l’on se préoccupe trop de ce que les gens en penseront. Quand on a écrit notre premier album, on ne pensait à rien. On ne s’attendait pas à ce que nos chansons puissent passer à la radio ou à ce qu’on ait un succès commercial. On a écrit cet album pour nous. On a gardé cette mentalité. On s’inspire les uns les autres, et on essaye de repousser nos limites. C’est difficile de dire quel groupe est Disturbed. On ne rejoue pas sans cesse les mêmes chansons. Je préfère prendre des risques que de jouer toujours la même chose. Certains groupes font ça très bien, mais dans notre cas, on préfère se challenger et essayer différentes choses.
Il y a des chansons très calmes sur cet album, il y en a trois sur les dix titres. Pourquoi y en a-t-il autant ? Vous avez un message spécifique à faire passer dans cet album ?
David : On voulait que l’album soit équilibré en termes de dynamique entre les deux styles. Quand on a commencé à écrire cet album, on a commencé avec les chansons acoustiques, car c’est quelque chose que l’on voulait faire depuis très longtemps. Donc c’est juste une approche différente.
Il y a aussi des parties symphoniques sur le titre ‘Watch You Burn’ et sur un titre bonus. Cela donne un côté brut et émotionnel. Pensez-vous que vous creuserez ça à l’avenir ?
David : J’aimerais beaucoup.
Vous avez dédié cet album à Chester Bennington (ancien chanteur de Linkin Park, ndlr) et à Vinnie Paul (ancien batteur de Pantera et de Damageplan, ndlr) qui nous ont quittés. Y a-t-il des chansons en particuliers qui leur sont dédiées ?
David : L’album est dédié à tous ceux qui ont perdu un être cher. Ce ne sont pas juste des amis ou des collègues que l’on a perdus. En tant qu’individus, nous avons perdu un certain nombre de personnes autour de nous au cours de ces dernières années. Il n’y a pas une dédicace particulière. Une partie très importante de l’album parle de mort et de perte.
C’est une véritable bénédiction de vivre cette vie, mais ce n’est pas toujours facile

J’imagine que vous êtes affectés par le décès de ces musiciens et que cela vous rend nostalgiques d’une certaine époque. Certains musiciens comme Chester Bennington ou Chris Cornell (ancien chanteur et guitariste rythmique de Soundgarden, Temple Of The Dog et Audioslave qui s’est suicidé en 2017, ndlr) avaient l’air forts mais étaient apparemment dévastés à l’intérieur. Est-ce que tu ressens des choses comme ça toi aussi parfois ?
David : Heureusement, non, mais je comprends que cela arrive. Mes démons sont forts, et les combats, mais ils ne m’enverront pas là où Chris, Chester et certains s’en sont allés, Dieu merci. Mais je comprends que l’on puisse partir en vrille. C’est une véritable bénédiction de vivre cette vie, mais ce n’est pas toujours facile, en particulier pour le frontman, c’est très, très difficile. Tu es exposé à une énorme pression et au jugement. C’est dur. Il peut y avoir de l’isolation et de la solitude quand tu es en tournée également. C’est très facile pour certains de tomber en dépression ou de devenir addicts à quelque chose. Malheureusement, certaines personnes qui font ce que l’on fait gèrent la difficulté de la situation en devenant addicts à certaines substances. Par chance, je ne me suis jamais autorisé à m’approcher de cette zone d’ombre. J’aime beaucoup de ce que nous faisons, et bifurquer là-dedans n’est même pas une option dans ma tête.
Dan : On a beaucoup de chance et c’est une bénédiction d’avoir une carrière aussi longue. Ce matin, on est à Paris, j’ai été prendre mon petit déjeuner tout seul à table. Dans cette situation, certains comme moi vont se dire : « C’est super ! Je suis à Paris en pleine semaine au lieu d’être chez moi à ramasser de la merde de cheval à la pelle ! ». D’autres pourraient ne voir que la chaise vide à côté d’eux et ressentir cette solitude alors que Paris est l’une des plus belles villes du monde ! Cela dépend de la manière avec laquelle cela affecte les gens. D’une perspective à l’autre, on peut avoir une vision différente des choses.
J’aime ta vision des choses ! On retrouve aussi un côté rock américain sur le titre ‘Watch You Burn’ avec un aspect folk. Est-ce que Bruce Springsteen, Bob Dylan ou encore Neil Young font partie de vos héros musicaux ?
David : Eh bien… Si je devais en choisir un, ce serait Neil. On a une inspiration qui vient du classic rock. Bruce, pas vraiment. On n’a pas d’inspiration venant Bruce Springsteen. Quant à Dylan, c’est l’une des poètes les plus prolifiques de notre époque, comment ne peut-on pas l’apprécier ? Mais il n’est pas vraiment une inspiration pour nous non plus.
Sur l’album, il y a une chanson bonus avec Myles Kennedy. Pensez-vous que vous pourriez faire d’autres reprises d’une chanson de rock/folk américaine ?
David : Qui sait ? Pourquoi pas ! C’est un challenge créatif, et on aime ça. Il n’y a pas de reprise sur cet album. C’était fait exprès, car sur le précédent, nous avions repris ‘The Sound Of Silence’ (de Simon & Garfunkel, ndlr) et cela avait été un gros succès. On n’a pas envie que ce soient nos reprises qui attirent le plus l’attention. Mais cela ne veut pas dire que l’on ne fera plus de reprises pour autant !

Qu’attendez-vous de ce nouvel album ?
David : C’est difficile de parler d’attente. Ça ne fait pas vraiment partie de notre façon de voir les choses. On préfère parler d’espoir. On espère que cet album va nous faire franchir un nouveau cap, et qu’il va toucher encore plus de personnes qu’avant.
Vous avez fait une tournée avec Avenged Sevenfold, vous avez fait des gros concerts. Quelle serait l’étape suivante ?
David : Eh bien, remplir des stades de football dans le monde entier ! Il y a toujours une étape suivante. On a toute l’envie nécessaire pour y parvenir.
Dan : Parfois, quand on joue dans des gros festivals, on se sent limités au niveau des chansons que l’on peut jouer.
Robb Flynn de Machine Head nous a dit qu’il ne voulait plus faire de festivals pour la même raison.
Dan : On aime les festivals car on se retrouve face à un public qui ne nous connaît pas. Mais on est limités à jouer un set d’une heure, et on est un groupe qui a 20 ans d’expérience, donc il y a de nombreuses chansons que l’on a envie de jouer.
Nous avons commencé cette interview en vous demandant quelle était la question que l’on vous avait trop souvent posée. Au contraire, quelle serait celle que vous aimeriez que je vous pose ?
David : Je n’ai rien qui me vienne en tête. J’ai l’impression qu’on en a encore dans le ventre. Après avoir écrit plus d’une centaine de morceaux, on peut se demander où l’on trouve les ressources pour continuer à écrire de nouvelles chansons. Et pourtant, on trouve toujours de l’inspiration, on a encore ce feu en nous.
Merci beaucoup !
David : Merci !
Merci à Noise pour sa contribution...