Music Waves a rencontré Jay Ryan pour la sortie de l'album "Up The Mississippi" de Jay And The Cooks. Ce fut l'occasion de parler de blues, de musique cajun et de cuisine. De l'histoire du Mississippi en somme.
Quelle est la question qu'on t'a trop souvent posée ?
Pourquoi es-tu venu en France… Mais je comprends pourquoi les gens demandent ça. Ce n’est pas naturel de quitter son pays.
Tu as eu une vie riche et bien remplie : bassiste, blues man et tour manager en Amérique, cuisinier et fondateur de label en France. Quelle période de ta vie t’a rendu le plus heureux ?
Ça n’a pas toujours été facile, mais j’ai tout aimé, vraiment. Mon premier jour dans la cuisine Aux Hoches avec Michel Ernest m’a fait rester en France. Sur la route dans l’Estafette pour les concerts de blues avec Philippe Gosselin et Veine Blue notre premier groupe, le concert au South by Southwest à Austin Texas où nous avons présenté la musique traditionnelle française aux Américains. Que de bons souvenirs.
Tu connais très bien la France et les Etats-Unis. Aujourd’hui ton cœur se trouve de quel côté de l’Atlantique ?
Comme tout immigrant, mes sentiments sont partagés entre les deux pays. Je suis les événements politiques en Amérique de très près (avec beaucoup d’angoisse actuellement), je m’intéresse aussi à la vie française et la politique ici aussi. Disons que ma vie quotidienne est ici en France, et mes racines américaines sont toujours là, comme vous l'entendez sur l’album. La cuisine française et la musique américaine sont aussi importantes pour moi, toutes les deux !
Que t’inspire l’Amérique d’aujourd’hui ?
La peur d’un côté à cause de Trump et les Républicains qui ne sont plus raisonnables du tout, et l’espoir de l’autre, car il y a une remontée des peuples, lancée surtout par les femmes désireuses de reprendre le pouvoir démocratique. C’est compliqué… Des fois je suis complètement pessimiste et des fois on peut espérer un retournement de la situation. Je fais un peu de politique d’ailleurs, je travaille comme bénévole pour « Democratics Abroad ». Je fais du telephoning pour essayer de m’assurer que les Américains, expatriés en France, votent en Novembre. C’est la première fois que je fais ça, pour dire…
Comment est né le projet de faire un album autour du Mississippi ?
D’abord, j’ai fait un concert / lecture littéraire à Florence, en Italie, pour mon ami écrivain Marco Vichi. C’était son idée de mélanger la musique avec des lectures de son nouveau livre ; avec Marco Dimaggio et Matteo, son bassiste, ça a très bien marché ; le projet est inspiré de cette expérience. Alors j’ai proposé le spectacle à Juste une Trace, et nous travaillons dessus depuis 1 an. Il y aura les titres de l’album "Up the Mississippi" (dans lequel Marco Vichi a co-écrit un titre, 'Blood, Sweat & Sorrow', avec les interventions littéraires sur scène des écrivains de la rivière comme Mark Twain ou Richard Bissell. Les images seront de Edith Gaudy, prises directement sur place dans le Mississippi et en Louisiane.
En écoutant l’album, nous remontons le fleuve avec toi, de la Louisiane au Minnesota. Quelle est la partie du fleuve que tu préfères ?
Vous savez, c’est long le Mississippi, énorme. Je l’ai vu pour la première fois à St Louis, puis j’ai rejoint la Nouvelle Orléans en stop au début des 70’s. Ensuite je suis allé jusqu’au-dessus de Memphis… Ce n’est pas joli, c’est menaçant et gigantesque. C’est colossal, comme la musique qui vient de là-bas.
"Up The Mississippi" mélange toutes les influences musicales attachées au fleuve : le blues bien sûr mais aussi le rock, la country, la musique cajun. Quels sont les musiciens qui t’ont le plus influencé pour la composition de l’album ?
Muddy Waters, The Fabulous Thunderbirds, Cliffton Chenier, Bob Dylan, Earl King, Jack White, Chuck Berry et tant d’autres de cette partie du monde. Quelque part, les rives du Mississippi sont le lieu de naissance d’une bonne partie de l’art que l’Amérique a apporté au monde en littérature et en musique.
Quels sont pour toi les messages les plus importants que t’ont transmis ces musiciens à travers leur musique ?
Bonne question, d’abord. Ils ont changé ma vie, tout simplement. Comme je l'ai dit quelque part, j’ai habité dans l’état d’Indiana, à 100 km de Chicago, quand j’avais 18 ans, et je ne savais même pas qu’il y avait les plus grands bluesmen qui jouaient juste à côté ! Quand j’ai entendu mon premier vrai disque de Muddy Waters, le monde n’a plus jamais eu le même sens. Après, j’ai découvert la musique country et bluegrass, et j’ai vu que tout ça, c’est un mélange de cultures qui me plaît et m’informe sur notre humanité. Quelqu’un m’a dit une fois que le blues et la country sont la poésie des pauvres. Je le crois quelque part.
La musique cajun tient une grande place dans l’album avec des titres comme ‘Blood Sweat And Sorrow’ et ‘Au Bord de l’Eau’ que tu chantes en français. T’es-tu intéressé à cette musique pour les besoins de l’album ou as-tu un rapport plus profond avec elle ?
J’ai toujours adoré la musique cajun depuis que j’ai vu Clifton Chenier au Antone’s Blues Club à Austin, Texas, dans les années 70. On ne comprenait rien, mais c’était du bonheur pur. En plus, je vis en France et souvent je pense en français, donc j’écris les chansons en français, surtout dans l'avant dernier album "I’m Hungry". C’est normal ! Avec Cinq Planètes nous avons édité un très grand album de Cajun appelé "Les Haricots ne sont pas salés". Vraiment de la vraie musique cajun traditionnelle. A l’époque j’ai lu l’histoire du « grand dérangement » : quand les Acadiens furent expulsés de l’Acadie, au Canada. Une histoire passionnante.
Ta reprise de ‘Rollin and Tumblin’ de Muddy Waters à la sauce cajun est très réussie. Comment d’après toi cette musique a-t-elle influencée le blues ?
Vous voulez dire la musique de Muddy Waters? Alors, Muddy Waters est le père en quelques sorte du blues de Chicago électrifié. Il a modernisé le blues à lui seul. L’histoire est complexe mais c’est lui et Little Walter à l’harmonica qui ont porté le blues du Delta du Mississippi (leur pays) dans le nord pendant la grande migration entre les années 1920 et 1950. Le titre 'Rollin and Tumblin' est d’ailleurs un bon exemple. Dans le texte il parle de sa vie dans le Delta. Il a enregistré la chanson à Chicago avec les guitares électriques. Sans Muddy Waters et les autres Bluesmen de Chicago, les Rolling Stones et Led Zep n’aurait jamais existé. Ils avaient bon goût quand même!. Notre version est faite, par contre, avec des instrument acoustiques comme dans le sud entre les guerres... Le blues à toujours influencé la country et le bluegrass aussi.
Le titre ‘No Home To Speak Of’ est un hommage à John Lee Hooker dans lequel tu as incorporé un violon en guise de clin d’œil à tes origines irlandaises. Que te reste-t-il aujourd’hui de tes origines d’immigrant irlandais ?
Mes grands-parents ont immigré d’Irlande au début du dernier siècle. J’ai peu connu mon grand-père, donc le lien familial n’est pas très important. Cependant, dans ma vie de producteur, j’ai découvert la musique celtique, qui est très riche, avec de super musiciens, et eux ont influencé la country music à Nashville et dans le sud des États-Unis. 'No Home to Speak of' est un titre qui concerne les immigrés aux States et leur poussée vers l’ouest qui ne s’est jamais arrêtée à mon avis.
Outre ta passion pour la musique, tu as aussi celle de la cuisine. D’ailleurs ton album précédent s’intitulait "I’m Hungry". De quoi as-tu faim aujourd’hui ?
J’ai toujours faim tout court, comme ma mère l'a toujours dit ! Je cuisine tous les jours… Je vais en Italie bientôt et je vais apprendre quelques recettes italiennes. Sinon, j’ai envie de tourner avec Jay and the Cooks l’année prochaine. Et j’ai faim d’en finir avec DJ Trump et ses collègues. J’ai envie que nous nous occupions de la planète un peu mieux … les trucs classiques en somme. Mais quand tu as faim, tu n’es pas satisfait avant d'être rassasié. La vie est comme une recette, les premiers essais sont rarement réussis, il faut tester les recettes plusieurs fois pour qu’elles soient bonnes ! Bon, je ne suis pas un philosophe quand même. Comme l’écrivain Jim Harrison l'a dit «Sometimes the only answer to death is lunch ».
Qu’attends-tu de la sortie de cet album ?
Des concerts !
On a commencé l'interview par la question qu'on t'a trop posée, quelle est celle que tu aurais aimé qu'on te pose ?
Comment avez-vous enregistré l’album ? Au studio 180, avec Arnaud Bascunana, sur in équipement analogique… Je ne suis pas très « vintage », mais le résultat est très convaincant ! Merci Arnaud !
Un dernier mot pour nos lecteurs ...
Je veux absolument remercier Paul Bessone et l’équipe de Juste une Trace. Sans leur soutien, cet album et le spectacle n’existeraient pas. Je veux aussi dire que les musiciens Stéphane Missri, Marten Ingles, Paul Susen et Jean-Serge Karsky ont été fantastiques. Une vraie bonne ambiance en studio avec de bonnes idées partout. Nous espérons vous voir sur la route bientôt !