Profitant de vacances bien méritées, votre serviteur a franchi les Alpes et les 900 kms le séparant de chez lui pour rejoindre Milan, théatre du festival Rock In Idro dont les têtes d’affiches n’étaient rien d’autre ce soir-là que Limp Bizkit et Faith No More.
A l'origine programmé pour se dérouler au sein du parc Idroscalo en périphérie Est de Milan, c'est finalement de l'autre côté de la ville et en indoor sous le chapiteau de Palasharp (sorte de Zénith de Paris) que se déroulera ce qui sera déjà un des évènements scéniques de l'année pour bon nombre d'italiens, à savoir la re-formation, éphémère ou pas, de Faith No More.
En ce 14 juin, deuxième jour du festival et arrivé pour 15 heures (heure annoncée pour le début des hostilités), la première vision est pour moi celle de grappes de metalleux souvent torse nu, tout tatouage dehors et déjà la bière à la main (à cette heure-là les 35°C sont déjà dépassées) devant les quelques stands ou posés sur les tables installées aux alentours. Ayant acheté ma propre boisson à base de houblon, je peux m’aventurer sereinement vers la gueule grande ouverte de la bête, sorte d'antre où un bruit ahurissant en sort déjà. Je découvre alors un groupe de métal chantant en italien est dont le nom a posteriori semble être Your Hero selon l'ordre de passage indiqué sur le T-Shirt de mon voisin de devant.
Déjà un double constat : malgré un théâtre à moitié plein - dont la moyenne d'âge doit se situer en 25 et 30 ans - et censé être climatisé selon les dires du site, la chaleur est étouffante, l'air irrespirable, le moindre mouvement suscite une sudation diluvienne. Quasiment tous les groupes présents s'en plaindront d'ailleurs avec humour. Mais surtout c'est le mixage catastrophique de la grosse caisse de la batterie, couvrant tous les autres instruments qui est vraiment problématique. Et comme les formations suivantes officient majoritairement dans du métalcore ou deathcore, abusant ainsi allégrement de la double pédale, c'est plus un déferlement d’une belle cacophonie auquel on a droit jusqu'à Lacuna Coil.
C'est bien dommage car des groupes tels que All That Remains méritent quand même le détour, ne serait-ce que leur présence sur scène à l'image de leur frontman Philip Labonte ou du guitariste Oli Herbert au physique pour le moins impressionnant avec sa carcasse de bûcheron. Les premiers pogos, circle pit et murs de la mort apparaissent (mais comment font-ils pour bouger comme ça dans cette fournaise ?!!) mais impossible de percevoir la moindre mélodie cachée derrière les palpitations prépotentes de la batterie, et tous les soli sont même parfaitement inaudibles.
Puis c'est au tour d'un Parkway Drive, groupe de métalcore australien, plébiscité par de nombreux fans à la surprise de son chanteur visiblement touché par cet accueil, d'assurer le spectacle. Etonnant par son énergie et sa jeunesse apparente, le groupe sait s'attacher la sympathie du public. Trois quarts d'heure (durée moyenne pour les premiers groupes) encore une fois de brouhaha, gachés par cette batterie occupant tout l'espace sonore, pendant lesquelles la fosse met tout de même du cœur à manifester son contentement devant un Winston McCall sautillant de façon incessante et qui mettra du coup quelques secondes entre chaque titre à récupérer son souffle.
Le registre change quelque peu avec l'entrée des Anglais de Gallows, officiant dans un punk hardcore plutôt efficace mais relativement conventionnel. Derrière le physique de garçon gentil et chétif malgré ses nombreux tatouages du chanteur Frank Carter, s'affiche très vite un personnage arrogant, provoquant souvent la foule pour mieux attiser sa vigueur, n'hésitant pas à se placer au milieu de celle-ci, de demander un circle pit afin donc que les gens tournent en courant autour de lui le temps d'une chanson. Effet visuel pour les personnes placées comme moi en tribune assuré ! Un joli doigt d'honneur en guise d'au revoir, une guitare brisée et un fût de batterie jeté négligemment à travers la scène, et quasiment toute la fosse comme à chaque fois sort pendant les vingt minutes habituelles, pendant lesquelles les roadies sont au travail, pour aller s'agglutiner dehors pour prendre l'air ou au stand de bière pour prendre vous savez quoi.
Place une nouvelle fois à la jeunesse lorsque, de nouveau, la lumière s'éteint pour accueillir les deathcoreux britannique de Bring Me The Horizon. Une affiche géante représentant une jeune fille portant ses tripes dans les mains (pochette de leur dernier album en date) s'élève et apparaît une bande d'ado eux aussi peinturlurés de la tête aux pieds prêts à mettre à leur tour le feu au Palasharp. Et ce sera chose faite. BMTH assure le spectacle, bougeant dans tous les sens et créant au final un beau bordel avec ce son toujours pas au diapason.
Il doit être entre 19h et 20h, je ne sais plus, je n'ai pas de montre et la chaleur annihile toute perception temporelle. La soif est toujours présente mais elle commence à être accompagnée de la sensation de faim. Je choisi stratégiquement le début de la prestation des locaux de Lacuna Coil écoutant toutefois deux titres avant de me diriger vers les stands de piadine, panini et autres pizzas situés à l'extérieur. Pour la petite histoire, dans certains endroits en Italie et en l'occurrence dans ce festival, il faut faire une première fois la queue afin de faire son choix, payer et se voir remettre un ticket vous permettant de faire une seconde fois la queue dans une autre file où enfin il vous sera possible d'accéder à votre précieux breuvage ou semblant de repas. Le temps de présence sur scène des milanais m'est donc nécessaire pour refaire le plein. Parenthèse sans doute inintéressante refermée avec mes excuses pour ne pas avoir à parler des fameux transalpins..
Si jusqu'ici des centaines de places étaient encore inoccupées, le Palasharp affiche désormais complet. Et pour cause, derrière un rideau cachant la scène mais qui étant donné ma place m'est encore visible, une affiche caricaturant cinq personnages prend place annonçant l'imminente venue des très attendus Limp Bizkit absents depuis longtemps dans sa composition la plus connue. La foule n'en peut plus d'attendre, et lorsque l'obscurité inonde subitement la salle, c'est devant un public survolté que se fera l'entrée des floridiens. Fred Durst habillé comme à son habitude par de très larges vêtements (dont un T-shirt Faith No More), de sa casquette à l'envers et d'une énorme paire de lunette lui donnant l'air d'une mouche s'accorde étrangement avec un Wes Borland très futuriste avec ses étranges peintures corporelles et son masque qu'il finira par enlever sans soute du fait de la température infernale. Après un court mix de DJ Lethal , Limp Bizkit démarre le show avec le frétillant "My Generation" issu de "Chocolate Starfish…" et déjà le public bien rodé entame un jump processionnaire endiablé. C'est parti pour un retour aux sources qui sera, que l'on soit fan ou pas de la formation, d'une très grande qualité. Les problèmes de son se sont envolés permettant d'apprécier le jeu de guitare de Borland imposant quand on voit à quel point il se donne physiquement, sautant, tournant dans tout les sens. Le jeu scénique de Durst est quant à lui plus en retenu. Il s'accroupit souvent, monte sur les énormes enceintes placées aux extrémités ou sur les barrières bravant la foule mais lésine sur des mouvements brusques. Ils placent aussi quelques mots indispensables (Durst : "C'est Faith No More que vous attendez ? – La Foule : "Ouaiiiiisss" – Durst : "Oh la ferme !") En guise de rappel, Milan aura droit d'abord à "Behind Blue Eyes" pas du goût de tout le monde visiblement et finalement "Take A Look Around" (fameux titre issu de la BO de MI:2) qui de toute sa puissance finira de monopoliser l'énergie du public. Un très bon set donc de Limp Bizkit, à la hauteur de leur renom.
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Et nous y sommes, le dernier groupe vient de quitter la scène, une dizaine de personne s'affaire à installer les derniers instruments ainsi qu'une série de voiles rouges partant du sol jusqu'au plafond comme les piliers d'un temple construit pour célébrer le culte de cinq dieux. Environ 40 minutes sont nécessaires afin que tout ce petit monde arrive au bout de son labeur. De l'endroit où je me trouve, je vois alors se cacher discrètement derrière l'un des voiles Roddy Bottum, puis Billy Gould. Les visages semblent sérieux comme si la tâche à assurer avait une importance particulière. Cela fait depuis dix ans que cette re-formation était attendue alors effectivement cette soirée a valeur considérable pour les dix mille spectateurs présents. La musique d'ambiance cesse brutalement, le dôme est plongé pour une des dernières fois dans l'obscurité, la foule crie son impatience, et s'installe enfin quatre personnages : Billy Gould, Roddy Bottum, John Hudson la boule à zéro, tout trois en costume noir et Mike Bordin aux dreads grisonnantes en short et débardeur. Et c'est avec un vieux morceau de Peaches & Herb, "Reunited", étrange mais de circonstance, qu'arrive la dernière pièce manquante du quintet. Un Mike Patton vêtu d'un costume gris électrique, déambule jusqu'au devant de la scène, aidé par une canne, symbole évident d'auto-dérision, pour entamer la partie de chant d'un morceau aux antipodes de leur répertoire habituel. A la fin de la chanson, comme souvent au cours du set, Patton parle avec le public en italien, langue qu'il maîtrise parfaitement (il fut marié à une artiste italienne durant quelques années, ceci explique sans doute cela) Mon niveau en italien s'arrêtant aux formules de politesse les plus basiques, je n'ai pu profiter de ses mots d'esprit qui par contre ont su très bien amuser l'auditoire.
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Les choses sérieuses commenceront vraiment avec le tactic nerveux de la batterie introduisant « The Real Thing » et au fur et à mesure que la liste des titres s'allonge, la qualité de la prestation vocale de Patton devient éclatante et la force de son interprétation est tout aussi incroyable. Il saute, headbangue, tourne curieusement en rond comme pour réfléchir à son prochain méfait, il a beau faire tous les gestes qu'il veut, pas un couac dans la voix ne se fait entendre. A ses côtés, Hudson à la guitare reste impassible, assurant scéniquement le strict minimum d’un bout à l’autre. Bottum derrière son clavier effectue ses éternels étranges mouvements – c’est là qu’on s’aperçoit qu’il difficile de faire de grands mouvements naturels pour un claviériste - et s’occupe des back vocaux - c’est là qu’on s’aperçoit qu’il difficile de chanteur aux côtés de Sir Patton. Plus en retrait Gould dandine de la tête avec force, concentré sur sa basse, au même titre que le marteleur Bordin qui agresse littéralement ses fûts avec la vigueur qu’on lui connaît et ce malgré ses quarante-cinq ans passés maintenant.
Une chose est sûre, vingt ans après la sortie de l’album « The Real Thing », qui passait de moins en moins bien le poids des années, du fait d’un son désuet, réentendre des morceaux comme « From Out Of Nowhere » qui suit avec une production moderne, plus musclée et sans le chant originel nasillard de Patton, c’est vraiment du bonheur. Le titre prend tout de suite une autre dimension. On est déjà au sommet de l’exaltation dans la fosse lorsque des jappements plaintifs sortent des enceintes, et c’est le très attendu « Caffeine » (du moins pour moi) qui démarre en trombe. Patton est pris de spasmes et crachent ses poumons sur ce brulôt bien agressif, au potentiel déjà énorme en studio et qui explose en live notamment grâce à l’interprétation grandiloquente de Patton.
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La setlist imposante de 19 titres (quoique la Brixton Academy de Londres avait eu droit quatre jours auparavant à un programme de 22 morceaux pour un bon tiers différent de ce soir) n’apporte pas de surprise de taille (je ne m’attendais pas à "King For A Day" et "Stripshearch" ceci dit) Sur le choix des morceaux, l’étonnement est plutôt léger. Quant à l’interprétation de certains… "Evidence" originellement ô combien chaloupé a su trouver une nouvelle vie grâce à des paroles entièrement chantées en italien, qui siéent parfaitement à l’ambiance chaude et sensuelle du titre, et ce pour le plus grand plaisir des milanais qui mêlent visages amusés et mines béates. Une salve d’applaudissements en guise de remerciements et c’est un vieux de la vieille "Chinese Arithmetic" qui prend le relais, suivi du galopant "Surprise ! Your’re Dead" La salle est très bien représentée par la gente féminine et c’est peut-être en pensant à elle que le groupe reprend ensuite l’un de ses plus grands succès avec "Easy" alors qu’enfin « Album Of The Year » sort de l’ombre avec "Ashes To Ashes".
Etrangement entre les titres, le public se manifeste avec retenue alors que pendant, la foule remue comme la houle, chantant en chœur avec le père Patton et jetant parfois des objets qui finissent heureusement leur chute avant le début de la scène. Patton continue ses discussions en italien entre chaque opus et poursuit sa gestuelle de fou furieux notamment sur "Be Agressive" où il fouette l’air à grands coups de canne qui passeront parfois à quelques centimètres de ses acolytes. Le show finit sur le logiquement très attendu par les milanais "Epic" qui fait l’unanimité. La foule semble connaître chaque mot sur le bout des doigts
Faith No More disparaît dans la pénombre, acclamé, plébiscité pour un retour sur scène qui semble très probable puisque la lumière ne s’est toujours pas rallumée. Après un court délai, les cinq visages réapparaissent et s’amorce la musique vite reconnaissable de Vangelis : "Chariots de Feu" interprétée succinctement par les San-Franciscains avant que le trip hop de "Stripsearch" entame sa nébulosité. Après un dernier "We Care A lot" Faith No More s’efface rapidement et de façon définitive laissant ses fans encore irrassasiés alors qu’une heure et demi se sont pourtant déjà écoulées. Les lumière se rallume, les gens attendent encore un peu, espérant un second rappel qui n’arrivera jamais, deux roadies commençant leur ménage sur le ring vidé de ses champions.
Il est 00h30. Les yeux pleins d’émotion, la tête emplie de rêve, encore ébahi par le spectacle que nous a offert la dizaine de groupe en général et Faith No More en particulier, le bloc de dix mille personnes uni jusque là se disloque à l’extérieur. La fraîcheur relative de l’air fait du bien, et pour les quelques touristes comme moi venus des quatre coins du monde commence l’étape finale de Milan Express constitant à trouver un taxi alors que les métros et bus sont déjà rentrés au dépôt. Cela permet de discuter une dernière fois pour ma part avec des Grecques et des Bulgares qui ont fait spécialement le voyage pour admirer Faith No More. Arrivé à l’hôtel, la nuit de repos, après une journée harassante, mais fantastique et forcément inoubliable, n’en fût que plus douce.
Setlist Limp Bizkit :
1. Space Odyssey (intro)
2. My Generation
3. Livin' It Up
4. Show Me What You Got
5. Break Stuff
6. Nookie
7. Rearranged
8. Eat You Alive
9. Rollin'
10. My Way
11. Faith
Rappel
12. Behind Blue Eyes
13. Take A Look Around
Setlist Faith No More :
1. Reunited (Peaches & Herb Cover)
2. The Real Thing
3. From Out of Nowhere
4. Land of Sunshine
5. Caffeine
6. Evidence (Italien)
7. Chinese Arithmetic (Poker Face)
8. Surprise You’re Dead
9. Easy
10. Ashes to Ashes
11. Midlife Crisis
12. Introduce Yourself
13. Gentle Art of Making Enemies
14. I Started a Joke
15. King for a Day…
16. Be Aggressive
17. Epic
Rappel
18. Chariots of Fire/ Stripsearch
19. We Care a Lot
Photos transmises avec l'aimable autorisation d'Ilax. Plus de moments du festival disponibles
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