A la veille du concert de son passage au Zenith de Paris, nous avons eu le plaisir d'à nouveau pouvoir échanger avec Sharon Den Adel pour non seulement évoquer le nouveau Within Temptation "Resist", mais également son projet personnel My Indigo sur lequel nous voulions nous pencher puisque cette parenthèse (qui en appellera d'autres) a été un vrai souffle revitalisant pour la belle Hollandaise ! Même si le temps nous était compté, Sharon s'est véritablement mise à nu sur ces moments charnières de sa carrière et de sa vie...
2018 est une année riche pour toi qui as sorti ton premier album solo avec le projet My Indigo et un nouvel album avec Within Temptation. C’est assez surprenant de la part de quelqu’un qui disait avoir besoin de faire une pause…
Sharon Den Adel : (Sourire)
Pour la première fois de ma vie, j’ai perdu cette passion d’écrire de la musique et particulièrement pour Within Temptation...
Finalement, pourrait-on dire que tu avais plus besoin d’une pause avec Within Temptation que d’une pause "normale" qui signifie de rien faire du tout dans la vie de chacun de nous ?
C’est vrai ! En fait, je n’ai rien fait pendant plusieurs mois. Parce que je suis entrée en studio pour écrire pour Within Temptation, mais je n’ai pas pu. C’était frustrant, car d’habitude, j’écris toujours, tout le temps, l’inspiration est presque permanente. Mais pour la première fois de ma vie, j’ai perdu cette passion d’écrire de la musique et particulièrement pour Within Temptation.
... quand enfin je me suis ouverte à moi-même pour écrire ce qui me plaisait, My Indigo s'est imposé
Avec My Indigo tu as ouvert un nouveau chapitre dans ta vie, dont tu semblais avoir besoin plus en tant que femme qu’en tant qu’artiste. Du coup My Indigo est un album beaucoup plus intime et déroutant pour les fans. Est-ce que My Indigo a été un travail cathartique, qui t’a aidé à te sentir mieux ?
Oui, tout à fait. C'était quelque chose dont j'avais besoin. J'avais besoin de faire de la musique et je suis entrée en studio avec cette intention, mais rien qui correspondait à Within Temptation n'est venu. Je ne voulais pas me forcer à le faire car cela ne me rendait pas heureuse. J'étais dans une toute autre humeur. Et quand enfin je me suis ouverte à moi-même pour écrire ce qui me plaisait, My Indigo s'est imposé. Je ne pouvais écrire que pour ce projet même si à ce moment-là il n'y avait pas de projet, juste des chansons.
J'avais alors deux options : les jeter sans que personne ne les écoute, ou je pouvais les mettre sur un disque pour que les gens l'écoutent et peut-être l'apprécient.
Dans tous les cas je devais sortir de ma zone de confort d'écriture car je n'avais jamais fait ce genre de musique auparavant. Je ne savais pas dans quoi je m'engageais, ni si les gens allaient adhérer à quelque chose de totalement différent. Je devais donc découvrir quel genre ces chansons j'allais aborder, quels musiciens pouvaient convenir, comment j'allais appeler le projet, tout cela je n'en avait aucune idée.
C'était pour moi un drôle de mélange musical.
Tout ceci est parti du moment où mon père est tombé malade. Il y a eu beaucoup d'émotions différentes. Il ne voulait pas d'un hôpital trop loin de la maison pour rester proche de ma mère alors que j'aurais préféré qu'il aille dans un établissement plus spécialisé. Nous avons eu quelques confits à ce sujet, ce qui m'a renvoyé vers mon enfance durant laquelle j'avais eu des relations conflictuelles également avec lui, bien qu'il fut mon héros, avec sa stature de très grand homme, son esprit brillant, et sa grande honnêteté avec tous ceux qui l'entouraient. Pourtant, nous n'avions pas beaucoup de connexions et je voulais en établir plus car je savais qu'il pouvait nous quitter.
Tout ceci a fait 'My Indigo' qui parle beaucoup de comment j'ai grandi dans les années 80, ce mélange d'influence de cette époque et de la nôtre, de cette relation compliquée, et de choses très personnelles.
J'avais besoin de prendre du temps pour tout ça, ce qui se passait dans ma vie avec mon père, le fait que je ne puisse plus écrire pour Within Temptation.
Alors, j'ai juste dit, Ok, Within Temptation, je mets ça de côté, je vais faire ce projet maintenant. J'ai besoin de regarder ce que j'ai fait dans ma vie, me ré-évaluer, où j'en suis. Comme mon père avant moi, je passe beaucoup de temps loin de ma famille...
Tu ne voulais pas reproduire ce modèle et en faire souffrir tes enfants ?
Oui, mais pas seulement, car il a aussi été très présent avec ma mère auprès de mes enfants quand j'étais absente, prenant soin des enfants avec Robert (Ndlr. Westerholt, le guitariste du groupe et son compagnon dans la vie) bien sûr . Le pire, c’est que j’ai pesté contre ses absences toute ma vie d’ado et là je reproduisais les mêmes erreurs. C’est pour ça que j’ai eu besoin de trouver un meilleur équilibre entre le groupe et ma vie personnelle, de remettre les choses importantes en perspective.
Du coup, cet album (ndlr. My Indigo) a influencé Within Temptation comme jamais ?
Oui tout à fait.
Certains titres de “Resist” comme ‘Endless War’ ou ‘In Vain’ auraient pu être écrits pour My Indigo avec une autre orchestration ?
Non, je ne pense pas, mais tu as raison ils ont certains points communs comme la façon dont je les chante, les rythmes et cette influence plus urbaine. Jusqu’ici, il n’y avait jamais de telles influences dans Within Temptation et celle-ci vient bien de My Indigo. Mais ces titres sonnent vraiment Within Temptation avec des riffs très heavy.
“C’est qui déjà cette Sharon Den Adel ? …”
Pourquoi ne pas avoir nommé ce projet très personnel par ton nom ?
Parce que c’est un projet. Si je l’avais appelé Sharon Den Adel, les gens auraient dit “C’est qui déjà, cette Sharon Den Adel ? …”. Le nom My Indigo donne immédiatement de ton d’une atmosphère.
Penses-tu avoir réussi à toucher un nouveau public avec cet album ?
Peut-être les gens qui aiment bien Within Temptation mais qui le trouvent trop heavy. Mais nous avons également d’autres fans d’horizons différents avec une grande ouverture d’esprit car nous avons évolué sans produire tout à fait la même musique à chaque fois et pourtant ils nous écoutent toujours, ce qui est un beau compliment pour nous. Certains l’aimeront, d’autres moins, mais on ne peut pas faire de la musique pour tout le monde. Je fais surtout la musique qui me rend heureuse sur le moment en fonction de mon humeur, de mon état d’esprit.
Les thèmes abordés dans “Resist” comme le combat, la résistance à l’adversité, viennent-ils de cette période difficile de ta vie, comme un hommage à ton père ?
Non, je les vois plus comme un appel à ouvrir les yeux sur les temps que nous vivons. Mon père venait d’un milieu très modeste, son père est décédé très jeune et il a toujours voulu promouvoir la justice pour tous et l’égalité des chances. Sans être un concept album, “Resist” est surtout un signal d’alarme envers le soi-disant progrès qui contrôle nos vies en nous faisant croire que tous ont les mêmes cartes en main comme internet et les réseaux sociaux. Tout le monde peut être surveillé à tout moment. Dans nos pays cela permet une grande ouverture mais dans d’autres régions tout ceci peut être utilisé par les multinationales et les gouvernements contre les gens et devenir très dangereux. Tout comme d’être sur internet parfois, particulièrement pour les enfants qui n’ont pas idée de ce qu’ils peuvent risquer. Par exemple, nous avons une nouvelle loi au Pays-Bas qui permet aux autorités en cas d’infraction même mineure sur n’importe quel sujet de vous surveiller pour le reste de votre vie. Et nous n’avons rien fait pour empêcher cela. C’est de tout ça dont parle l’album. Par le passé nous avons également été inspirés par ces problèmes, les dictatures, les injustices mais en les traitant par le côté Conte de Fées. Aujourd’hui c’est beaucoup plus direct. Le meilleur moyen d’obtenir que les dirigeants nous écoutent, c’est de protester.
C’est tout à fait d’actualité, surtout ici en France …
Oui, je le sais, et vous protestez tout le temps (Rires), c’est ce qu’il faut faire pour faire changer les choses.
Le plus souvent, mon espace est limité par l’orchestration ... nous avons trouvé de nouveaux rythmes ... qui m’ont permis d’expérimenter des types de chant totalement différents d’un titre à l’autre
Sur l’intro de ‘Mercy Mirror’, on peut t’entendre chanter avec une voix calme, dans les graves, ce qui est plutôt inhabituel avec Within Temptation. Est-ce que My Indigo t’a ouvert certains choix artistiques que tu n’aurais pas fait sans cette parenthèse ?
Certainement. Le plus souvent, mon espace est limité par l’orchestration et l’on n’entend pas toujours ce que je chante parce que la musique est très présente. Pour “Resist” nous avons cherché à minimiser certaines parties musicales pour trouver un meilleur équilibre. Les influences urbaines dont je parlais tout à l’heure nous ont également permis de trouver de nouveaux rythmes, plus groovy sur certaines chansons, qui m’ont permis d’expérimenter plus de choses avec des types de chant totalement différents d’un titre à l’autre.
Ces atmosphères plus urbaines sont-elles LA surprise dont tu parlais il y a quelques mois au sujet de ce nouvel album ?
Oui. Cet aspect pop avec une production différente et des rythmes nouveaux, nous n’avions jamais utilisé ça avant. Tout ceci mélangé aux riffs et aux rythmes que nous avons l’habitude d’écrire est devenu le Within Temptation de 2018. Si nous avions commencé notre carrière aujourd’hui, c’est ainsi que nous aurions sonné.
... je ne fais jamais d’émissions de télé malgré les nombreuses sollicitations, particulièrement au Pays-Bas, je n’aime pas passer à la télévision
Il y a à nouveau de super invités sur “Resist”, comme Anders Fridén (In Flames), Jacob Shaddix (Papa Roach) dont on comprend les connexions avec Within Temptation, mais également Jasper Steverlinck. Pourquoi l’avoir choisi ? Y a t-il un lien avec sa brillante reprise de ‘Ice Queen’ sur un plateau de TV néerlandaise ?
Non, j’adore cette version, mais non. J’ai toujours adoré ce qu’il a fait avec son groupe (ndlr.: Arid). Il n’en fait plus partie aujourd’hui et est dans de nombreux projets. Tu sais, je ne fais jamais d’émissions de télé malgré les nombreuses sollicitations, particulièrement au Pays-Bas, je n’aime pas passer à la télévision, ni les grands shows comme “Un incroyable talent” que je n’apprécie pas du tout …
Pourtant dans certains pays, comme en Pologne avec Nergal, chanteur de Behemoth qui fait partie du jury, des artistes de la scène metal y participent.
Certainement, mais je trouve que c’est une vue biaisée du métier d’artiste et de la scène musicale. Je sais le genre de contrats qui sont proposés à ces jeunes talents, sur des bases commerciales n’ayant rien à voir avec la création artistique et je ne ne peux pas cautionner cela. Peut-être cela a t-il un peu évolué au fil des années mais au début en tous cas. Je ne peux pas cautionner ça.
Mais dans cette émission belge, où chacun reprend un titre d’un des six autres invités, il y a une certaine intimité qu’il m’ont garantie et qui est primordiale pour moi. Et quand il m'ont dit que Jesper serait là, j'ai dit "Vraiment ?"; il y avait également K's Choice, et j'ai commencé à me poser la question et finalement, pourquoi pas ! Donc lors de la semaine de préparation pour reprendre des chanson des autres artistes, j'ai eu cette forte connexion avec Jesper. Nous avons parlé de beaucoup de choses, et trouvé beaucoup de d'affinités musicales comme Kate Bush par exemple. Nous nous sommes dit qu'il fallait vraiment tenter de faire quelque chose ensemble et ce nouvel album en a été l'occasion.
Donc les prochains guests seront K's Choice ?
Ah pourquoi pas, j'adorerais !
Quelle est la place de Resist dans l'histoire de Within Temptation ?
D'après moi, c'est le premier pas pas vers une nouvelle évolution du groupe.
Dans une précédente interview, tu évoquais la possibilité d'une suite à "The Unforgiving" sorti en 2011. Est-ce toujours dans les cartons, ou avons plus de chance d'avoir prochainement une suite à My Indigo ?
Je vais certainement continuer à écrire pour My Indigo, même si ce que j'écris ne sort jamais, car c'est un projet tellement personnel. C'est pour cela que je l'appelle "projet" et pas un une sortie isolée. Pour mon développement personnel c'était une chose extraordinaire d'avoir cette couche supplémentaire de disponible. C'est la partie la plus douce de moi qui en est sorti, à propos des choses que je pense avoir mal fait dans ma vie et dont j'ai beaucoup appris.
Quand tu restes proche de toi et des tes sentiments, ce qui en sort est souvent plus puissant
Cette thérapie sur ta vie d'artiste semble t'avoir revitalisée et c'est cet aspect qui nous fait penser que cela ne pouvait pas être un épisode isolé de ta carrière.
Certes cela m'a revitalisée en apportant un nouveau souffle et un nouveau feu créatif. Car ce sont mes amis, mes lectures, les films que j'ai vu qui m'influençaient dans l'écriture. Aujourd'hui c'est ma propre expérience de vie, mon histoire que My Indigo reflète, comme "Mother Earth" était également un album très personnel. Mais quand tu restes proche de toi et des tes sentiments, ce qui en sort est souvent plus puissant. Je ne pense pas en avoir fini avec ça.
Quant à une suite à "The Unforgiving", rien n'est en projet. Nous avons adoré faire cet album et le projet de bande dessinée qui l'a accompagné, ainsi que toute l'influence des années 80 qui l'a inspiré, même au niveau musical avec Metallica ou Iron Maiden dont nous nous sommes imprégnés toute notre jeunesse, mais c'était énormément de travail...
Le temps nous est compté, merci beaucoup pour le temps que tu as accordé...
De rien (en français dans le texte) ! Ce fut un vrai plaisir de vous revoir...