Même si "Ascendency" avait enthousiasmé la rédaction, Kadinja a voulu casser les codes et souhaite se détacher de l'étiquette djent trop restrictive... Il sera question de cette évolution vers une musique moins stéréotypée, une évolution qui n'est qu'une première étape et les deux guitaristes de Kadinja vont nous donner des indices sur la seconde mutation sonore du groupe...
Quelle est la question qu’on t’a trop souvent posée ?
Pierre Danel : Comment se prononce le nom du groupe ?
Et on ne vous la posera parce qu’on le sait...
Quentin Godet : Mais au final, on a décidé qu’il n’y avait plus de prononciation…
Pierre : Au début, vu que c’est un nom d’un mémorial serbe, il y a une prononciation particulière serbe que tu connaissais mais finalement, on s’est dit qu’on était français dont on prononce à la française.
Comme beaucoup d’autres médias, Music Waves avait été impressionné par votre premier album “Ascendency”, comment avez-vous vécu cet accueil et ce très bon retour sur votre première production ?
Pierre : Super bien ! Sachant que c’était un album qu’on avait préparé pendant un moment c’est-à-dire que certaines chansons étaient composées en 2013… On s’est un peu séparé de vieilles compos finalement dans cet album.
Ce nouvel album est bien plus le reflet de ce qu’est Kadinja !
Un premier album qui a mis du temps à accoucher, est-ce que cela n’a pas contribué à une pression supplémentaire au moment de sortir "Super 90" ?
Quentin : Justement c’était beaucoup plus simple de composer "Super 90". Les compos du premier album avaient mis du temps à être composées et peaufinées. Mais cela nous a permis de nous rendre compte qu’au moment où "Ascendency" est sorti, la moitié des chansons du nouvel album était déjà prête. On avait une grosse idée de la direction que nous voulions prendre et nous étions contents de constater qu’elle n’allait pas du tout être la même que "Ascendency".
Pierre : Le but était de faire quelque chose de radicalement différent. Ce nouvel album est bien plus le reflet de ce qu’est Kadinja !
Et comme entre le premier et deuxième album, avez-vous déjà certaines compos de prêtes pour le futur album ?
Pierre : On en a déjà trois qu’il faut peaufiner.
Nous sommes désormais fixés sur ce que nous voulons représenter et ce que nous aimons.
Et comme nous l’avons constaté et vous nous le confirmez "Super 90" est différent de son aîné. Dans quelle direction s’orientent ces trois titres ?
Quentin : Je pense qu’ils sont dans le prolongement de "Super 90". Nos goûts ont évolué entre "Ascendency" et "Super 90", je pense que nous sommes désormais fixés sur ce que nous voulons représenter et ce que nous aimons.
On ne veut plus être apparenté comme un groupe complètement djent !
Et que voulez-vous représenter justement ?
Pierre : C’est assez vaste. On ne veut plus être apparenté comme un groupe complétement djent !
On essaie plus d’être un groupe de metal aujourd’hui et donc de nous
détacher un peu des codes qui étaient présents dans "Ascendency" qui est
purement un album de djent
Vous n’êtes pas les premiers à me dire ça. Comment expliquez-vous cette envie d’émancipation ? Alors qu’il était très tendance il y a quelques années, on a le sentiment que djent est désormais synonyme de gros mot ?
Pierre : Non, rien de ça ! On essaie plus d’être un groupe de metal aujourd’hui et donc de nous détacher un peu des codes qui étaient présents dans "Ascendency" qui est purement un album de djent dans le son, le mix, les compos, les tonnes de grattes… Aujourd’hui, nous gardons l’identité de ce que nous aimons : les jeux en
ghost notes, les parties polyrythmées…
Mais bizarrement et paradoxalement l’album commence avec un titre purement djent (‘Empire’), était-ce pour rassurer votre public ?
Pierre : Inconsciemment, il y a peut-être de ça. C’est la première chanson que j’ai écrite. Et dès l’instant que ce morceau a été composé, on s’est dit qu’il ouvrirait l’album. Pour le coup, on n’a même pas essayé de viser un style : on a laissé fuser les idées, peu importe à quoi ça ressemble du moment que c’est quelque chose qui nous plait.
Quentin : Mais il y aura toujours des codes djent.
Pierre : Bien évidemment, on a commencé avec ça et on adore ça !
Malgré tout, on avait constaté que "Ascendency" avait une forte personnalité, en étiez-vous conscients à l’époque ? Est-ce que cela vous a mis une pression d’être un des espoirs du djent en France ?
Pierre : La pression, non ! Excitation, oui ! En France, nous faisons partie du peu de groupes qui émergent de ce style… dont le précurseur est Fellsilent…
Même si j’évoquerais pour ma part Textures qui a créé le style sans le savoir…
Quentin : C’est vrai mais il y a aussi Meshuggah…
Pierre : … qui ont ouvert les portes du style !
Est-ce qu’il y a des choses que vous avez regrettées sur cet album et voulu améliorer sur le suivant ?
Pierre : Enormément de choses ! Je ne dirais pas que je n’aime pas le son de "Ascendency" -le son est super- mais il reflète moins ce que nous sommes : si on avait pu faire quelque chose de plus naturel, on l’aurait fait dès "Ascendency".
Mais est-ce que djent est synonyme de naturel ?
Pierre : C’est compliqué mais nous sommes arrivés à le faire un peu plus sur cet album : il n’y a que de vraies batteries, un master qui avait fait en analogique…
Je dirais donc que le son de "Ascendency" était une erreur à ne pas reproduire et faire des morceaux un peu plus lisibles. Je ne dis pas que le nouveau ne l’est pas, mais "Ascendency" était très chargé.
Quentin : Nous sommes assez contents parce que nous avons réussi à faire un album aussi complexe que « Ascendency » techniquement et d’un point de vue instrumental, ce qui pouvait plaire aux amateurs de djent. En revanche, à l’écoute, il est beaucoup plus simple.
Et comment êtes-vous arrivés à cet équilibre entre mélodie et technicité ?
Pierre : C’est la maturité tout simplement…
Réponse cliché numéro 1…
Pierre : (Rires) Non ! Je pense vraiment que l’âge joue et "Ascendency" est un album qui a été composé quand je devais avoir 22 ou 23 ans, j’en ai désormais 29 et je n’ai pas du tout la même façon de voir, d’écouter les choses… La façon de composer de "Ascendency" était beaucoup de méli-mélo de riffs alors que "Super 90" est plus composé en patterns, des riffs qui se font des clins d’œil. Par exemple, il y a le titre ‘Véronique’ qui est quasiment tout du long le même pattern…
A ce propos, après Dominique, Véronique… comment expliquez-vous cette passion des rimes en "-nique" ?
Pierre : (Rires) Pour le coup, c’est le
running gag !
Cela signifie qu’on va y avoir droit sur le troisième album ?
Quentin : Peut-être…
Pierre : C’est vrai que ça peut devenir une règle.
Quentin : Véronique vient d’une réunion qu’on a tenue il y a un peu plus d’un an avec notre nouveau bassiste qui désormais manage le groupe. Nous étions tellement contents qu’on avait fêté ça dans un quartier parisien, on avait pas mal picolé ce soir-là et on passe devant une plaque de médecin Véronique Biiip… qui nous fait rire sur le moment. Et la composition de ‘Véronique’ est venue juste après, et des jours après cette plaque nous faisait encore marrer si bien qu’au moment de la pré-prod nous avons appelé ce titre ‘Véronique’ et c’est resté !
Et pour le suivant ? Peut-être placerons-nous un ‘Patrick’. J’aime bien et ça représente des moments de notre tournée avec Monuments : il y avait deux Patrick sur cette tournée ce qui est assez rare pour des gens de notre âge sachant qu’un était anglais et l’autre finlandais…
Cet album est plus un clin d’œil, un hommage à toute cette génération de groupes qui ont bercé notre enfance et adolescence.
On l’a évoqué, votre actualité c’est "Super 90", pouvez-vous expliquer le titre, un hommage aux Gilets Jaunes et la hausse du tarif du Super 90 justement ?
Pierre : Tu nous demandes si il y a un clin d’œil Gilets Jaunes (Rires) ? Ecoute, on aurait vraiment anticipé cette histoire de Gilets Jaunes, on a peut-être créé le mouvement (Rires) !
Plus sérieusement, dans l’absolu, pourquoi "Super 90" ? Déjà, nous sommes tous de gros nostalgiques des années 1990 et pour le coup, ce qui nous a tous mis dans le rock, dans le metal… ce sont les groupes des années 1990 comme Korn, Limp Bizkit, Alice in Chains, Pearl Jam…
En fait, cet album est plus un clin d’œil, un hommage à toute cette génération de groupes qui ont bercé notre enfance et adolescence.
Quentin : Mais aussi des clins d’œil directement dans la musique, les lignes de voix, le son…
On l’entend clairement sur ‘The Modern Rage’ qui sonne clairement Korn…
Pierre : … Jonathan Davis, c’était clairement la volonté !
Et quel effet ça vous fait de revenir à l’école à l’aube de vos 30 ans ? ou alors vous avez beaucoup redoublé ?
Pierre : (Rires) Finalement, j’étais un élève bien agité…
… d’où le coup de poing que tu prends…
Quentin : (Rires)
Pierre : (Rires) C’est vrai que je me retrouve bien dans le clip…
On aperçoit également dans cette vidéo JB l’organisateur Heart Sound Festival dont Music Waves est partenaire. Est-ce un autre clin d’œil à ce festival et votre participation à l’édition 2019 comme en 2017 ?
Quentin : Si JB nous le propose et si nous sommes disponibles, nous y retournerons avec grand plaisir ! Mais il est possible que nous ne soyons pas disponibles : beaucoup de dates, de tournées sont en pourparlers…
Pour en revenir à cet album, on l’a dit, on a l’impression que vous avez franchi un cap, que votre musique se démarque du djent, pour comme développer un nouveau style le “post djent” ?
Quentin : Ah oui !
Pierre : Nous n’aurons jamais la prétention de dire quoi que ce soit de ce genre. Nous ne révolutionnons rien du tout !
Nous avons voulu casser les règles !
Mais quel groupe peut le dire de nos jours ? Ce sont juste des évolutions marquantes que proposent certains groupes désormais…
Quentin : Tant mieux si on arrive à faire quelque chose qui sonne différemment en tous cas, c’est que nous voulions !
Pierre : Disons que nous avons voulu casser les règles c’est-à-dire que là où le djent est une musique très synthétique en général avec des sons relativement numériques, avec beaucoup de programmations de batteries… Nous sommes arrivés à un stade où beaucoup de groupes sont génériques au niveau du son -je ne dis pas qu’ils n’ont pas leur patte- mais je trouve qu’on a un standing si bien qu’on passe d’un groupe à l’autre sans de réelles différences fondamentales. En voulant casser les règles, on a voulu contrecarrer cette tendance.
Il y a une vraie variété de compositions, il y a une vraie unité, comment expliquez-vous ce genre de paradoxe ?
Quentin : Je ne sais pas si on peut l’expliquer… Si c’est le cas, nous sommes très contents. Mais comme on l’a dit, c’est un album qui a été composé relativement vite et donc forcément plus avec une unité. Nous avons essayé de faire en sorte que chaque chanson soit très différente des autres tout en gardant une certaine unité. Nous avons eu des critiques sur "Ascendency" et l’EP qui écrivaient que les titres se ressemblaient un peu entre elles…
… mais n’est-ce pas un des reproches récurrents aux styles djent justement voire Meshuggah que nous avons cité tout à l’heure ?
Quentin : Disons que ça ne se renouvelle plus vraiment…
Pierre : Mais tant mieux car je n’ai pas envie que Meshuggah fasse autre chose.
Quentin : Il y a deux choses qu’on attend d’un groupe : on souhaite qu’il se renouvelle dans un premier temps puis ensuite, avec la
fanbase constituée, il faut garder une ligne directrice…
Tu es en train de me dire que Meshuggah est le AC/DC du metal extrême.
Quentin : Mais c’est exactement ça !
Pierre : C’est une excellente image car c’est effectivement ça !
Nous sommes encore dans la phase de recherche.
Mais n’est-ce pas contradictoire avec la voie que vous prenez aujourd’hui ?
Quentin : Oui mais aujourd’hui, nous sortons que notre deuxième album… On parle de Meshuggah qui en a fait dix. Nous sommes encore dans la phase de recherche.
Pierre : Je ne sais pas encore mais je pense qu’il n’y aura pas de fossé entre "Super 90" et le prochain…
Je préfère qu’on nous reconnaisse sur la composition, sur le jeu que sur un son en soi.
Vous êtes sur le chemin de trouver votre voie ?
Quentin : Exactement !
Pierre : En tous cas, la marque de fabrique sera toujours la même et nous essaierons de faire des distinctions sur la prod qui sera radicalement différente : on changera le son des guitares encore une fois, on changera tout… En fait, je préfère qu’on nous reconnaisse sur la composition, sur le jeu que sur un son en soi.
Aujourd’hui beaucoup de groupes se concentrent à reproduire le même son d’année en année et d’album en album. Par exemple, Periphery en toute honnêteté, je trouvais qu’au début le son évoluait mais depuis trois albums avec "Alpha", "Omega" et "Periphery III" sont juste une simple évolution du même son et du même producteur. Je suis certain que "Periphery IV" sonnera exactement pareil… Mais attention, j’adore Periphery malgré tout !
Mais fort de ce constat, je me dis que je serais content d’essayer à chaque fois de produire différemment l’album…
D’ailleurs qui a produit "Super 90" ?
Pierre : "Super 90" a été produit par Chris Edrich (NdStruck : ingénieur live de Leprous, the Ocean, Shining, Klone, Kadinja en autres et ex-X-Vision) et moi-même…
Et le prochain ?
Pierre : Je me mettrai toujours à la prod vu que c’est mon boulot à côté. Après, ça s’est très bien passé avec Chris donc pourquoi ne pas ne repartir avec lui en lui précisant que nous souhaitons un son différent… Mais peut-être que je le ferai seul aussi ? Je ne sais pas encore…
Quentin : Chris est un gars avec qui nous bossons depuis longtemps sur le live dans un premier temps. C’est quelqu’un qui travaille avec énormément de groupes et qui a l’avantage de ne pas faire le même boulot à chaque fois. C’est-à-dire que là où certains producteurs vont mixer chaque groupe de la même façon, Chris s’adapte toujours à ce que veut et fait le groupe. Chris a une grosse influence dans les décisions du groupe. On sait que si nous travaillons sur le prochain album avec lui, il saura faire quelque chose de différent : il s’investit énormément et on sait qu’il voudra faire encore mieux…
Pierre : On peut dire que c’est le sixième membre du groupe !
On a également l’impression qu’il y a une unité et une complémentarité dans les guitares. Avez- vous avez ressenti cette fusion lors de l’enregistrement ?
Pierre : C’est particulier ! En effet, la moitié de l’album est composé de pré-productions. On a dû enregistrer l’album en urgence. A la base, nous voulions le sortir beaucoup plus tôt mais entre-temps, on a eu le contrat avec Arising Empire…
Cela a retardé la sortie parce qu’ils avaient un cahier des charges ?
Pierre : Non, non pas du tout ! Quand on a su qu’on signait avec eux, on a juste retardé l’album. Du coup, comme nous nous étions speedés pour enregistrer l’album, on a gardé quasiment les ¾ des grattes qui avaient été enregistrées en pré-prod…
Quentin : … des grattes qui avaient été enregistrées lors de la composition…
Pierre : Ce qui est très étrange, c’est que les grattes sont toutes différentes. On n’a jamais utilisé les mêmes guitares d’un morceau à l’autre… Ce n’est pas toujours le même son de guitare qui est mis en avant d’un morceau à l’autre… C’est marrant car on ressent une unité mais c’est peut-être la prod qui a lissé le truc… Mais on en parlé avec Chris mais tous les mix sont différents aussi…
On a évoqué cette signature chez Arising Empire. Est-ce que vous avez déjà vu la différence ?
Pierre : Clairement !
Quentin : C’est clair et net !
Pierre : Ça a été un gap !
Et avez-vous une pression supplémentaire avec une telle signature qui vous ouvre de plus grandes portes ?
Quentin : Nous sommes confiants mais ça nous met une pression. Mais depuis que Steve (NdStruck : Steve Tréguier, basse) a intégré le groupe, on a vu une vraie différence. Il nous a aidés à monter le truc… On voit une très grosse évolution de ce point de vue, on en est content, bien sûr on a la pression parce qu’on n’a plus le droit de déconner mais ça reste une pression positive de voir notre projet ainsi décoller : on se dit que tous ces efforts servent à quelque chose !
L’album se termine sur une sorte déclaration d’amour, est-ce destiné à votre public ?
Pierre : (Rires) Le dernier morceau est un morceau que nous avons fait tous les deux avec Quentin. Je crois que quasiment tout est dit dans ce titre avec tout notre amour : c’est une sorte de coming-out (Rires) !
L’amour et l’ambiance acoustique vous va très bien (‘Episteme’) reprise de…
Pierre : … tout à fait, du single de l’album précédent…
… pourquoi ne pas avoir exploré plus cette facette de votre personnalité ?
Quentin : Qu’est-ce qui te dit que ça ne va pas l’être ?
Pierre : Oui parce que ça va être le cas ! Tu es en train de mettre le doigt dessus…
Quentin : On est en train de mettre en place tout un show acoustique…
Pierre : Et ça fera partie intégrante du prochain album. Beaucoup de choses vont évoluer au sein de Kadinja. Je pense qu’on ne va pas se contenter de faire juste des albums et de les reproduire exactement sur scène : il faut que les lives évoluent, on va essayer de trouver des améliorations sur les morceaux, changer des trucs… Les compos sont modulables et ne restent dans le même format.
Quentin : Si le gars qui vient nous voir jouer voit la même chose que ce qu’il entend sur l’album, c’est peut-être bien mais je mets à sa place et je vais voir autre chose…
On a commencé par la question qu’on vous a trop souvent posée, au contraire, quelle est celle que vous souhaiteriez que je vous pose ?
(Silence)
Généralement, c’est la question où mes interlocuteurs bloquent si bien que je leur propose d’y réfléchir et de commencer la prochaine interview par cette question et sa réponse…
Pierre : On y réfléchira (Rires) !
Rendez-vous dans deux alors ?
Pierre : Peut-être moins, on ne sait pas encore... (Sourire)
Merci
Pierre : Merci à toi !
Quentin : C’était un grand plaisir !
Merci à Thibautk pour sa contribution...