Nous avons rencontré Pat O’May pour la sortie de "One Night In Breizh Land", double album live qui célèbre ses 23 ans de carrière. Toujours aussi sympathique, le barde hard rocker celte est revenu pour nous sur la genèse de cet ambitieux projet et nous a parlé en toute décontraction de ses émotions d’artistes, de Gary Moore et de Line Renaud !

"One Night In Breizh Land" célèbre 23 ans de carrière avec 2 h de musique et 23 (chiffre symbolique) titres live extraits des 4 h de ton concert à Trégueux en octobre 2017. Pourquoi sortir un nouveau live huit ans après le précédent ''In Live With Trust'' ?
''In Live With Trust'' était un live de nouveaux morceaux. L’idée était de faire un album studio enregistré en live. C’est complètement différent.
Comment as-tu choisi les morceaux qui figurent sur ce double live ? Comment as-tu écarté les autres? Feras-tu un tome II avec les 2 h restantes ?
Le tome II, honnêtement je ne pense pas. Par contre la sélection des morceaux a été un casse-tête chinois. Il fallait qu’il y ait des morceaux de chacun de mes albums, ce qui est le cas. Ensuite il fallait faire des coupes franches parce que 4 h de concert, ce n’aurait plus été un live mais une saga (rires).
Deux heures de musique pour un double live, est-ce que l'ambition était de reproduire sur l'album la folie et l’énergie de tes concerts? Penses-tu y être arrivé?
C’est toujours assez délicat de parler de soi, même si c’est le but du jeu des interviews. Mais oui, l’idée était de retrouver sur l’album live ce qu’il s’est passé lors du concert. Maintenant que l’album est sorti, j’ai des retours des gens qui étaient présents au concert et qui me disent retrouver sur le disque les moments qu’ils ont vécus en direct. Donc je pense qu’on ne s’est pas trop planté.
"Tout le monde a dit oui tout de suite."
Pour ce live, tu as utilisé une pléiade d'illustres invités. Comment t'es-tu arrangé pour les avoir? As-tu fait une liste?
J’ai appelé un peu tout le monde, tous mes potes. Tous les gens qui sont sur le live sont des gens avec qui j’ai collaboré soit en studio, ce qui est le cas de Ron Thal, soit en live, soit les deux. Certains étaient libres et d’autres pas. Mais ce qui est génial, c’est que quand j’ai lancé ces bouteilles à la mer, tout le monde a dit oui tout de suite.
On remarque quand même deux grands absents : Alan Stivell et Martin Barre. Pourquoi n'étaient-ils pas là?
Martin était en tournée aux Etats Unis donc l’affaire était pliée. Et Alan était en concert le même jour. C’était aussi le cas de Dan Ar Braz et de Nono qui jouait avec Trust.
Donc il nous faut un volume II !
Ce ne sera pas un volume II mais on a commencé une tournée pour cet album et à chaque concert, on invite un copain du coin. Par exemple à Belfort, il y avait de nouveau Patrick Rondat et Diabolo mais aussi Christian et Tristan Décamps (Ndlr : du groupe Ange). A Concarneau, Gilles Servat est venu. On joue à Nantes dans quelques jours et Rudy Roberts sera présent (Ndlr : guitariste nantais). Et à chaque fois, nous travaillons un morceau des artistes invités comme ça a été le cas avec "One Night In Breizh Land".
Te sens-tu comme un patriarche à la tête d’une famille qui porterait ton nom ?
Oh non, surtout pas ! Je ne suis pas encore assez vieux ! (rires) Ce sont juste de belles rencontres qui ont été enrichissantes pour moi donc c’était super important.

"Plus c’est long plus c’est bon."
Comme tu l’as dit, tu laisses une belle place à tes invités sur ce live en interprétant avec eux des titres de leur propre discographie comme 'Who To Pray For Anymore' avec Ron Thal ou 'Mindscape' avec Patrick Rondat. Est-ce toi qui as choisi ces titres ?
Non pas du tout, je leur ai demandé quels titres ils voulaient jouer. Ron m’avait proposé ce titre-là en me disant « il est long, est-ce que ça t’embête ? » (rires). Ben non, bien sûr que non ! Au contraire, plus c’est long plus c’est bon. L’idée était vraiment de partager de bons moments.
Ça se ressent vraiment sur l’album.
Merci ! On a essayé de faire quelque chose de chaleureux. Pendant le concert, il y avait une vraie émotion, une entente entre les musiciens, un air de famille sans les emmerdes, sans le tonton violeur ou mamie front national. Et il y avait une vraie connexion avec le public et les bénévoles. Il y a quand même eu une soixantaine de bénévoles pour cette soirée.
Comment se prépare-t-on pour l’enregistrement d’un tel événement sachant qu’il n’y a qu’une seule prise ? Comme un comédien de théâtre?
Oui, c’est ça. On s’est préparé très longtemps à l’avance. En ce qui me concerne, j’ai préparé l’événement un an avant. Et le groupe a dû répéter des morceaux qu’il n’avait jamais joués. En plus j’ai voulu les réarranger pour les moderniser. Donc on a eu pas mal de boulot. Juste avant, on a fait une résidence de cinq jours dans la salle pour caler les enregistrements en double pour tout sécuriser. Et puis chaque invité est venu pour répéter pendant cette résidence. Tout le monde avait vraiment envie de partager ce moment, c’était vraiment magique.
Ta voix est de plus en plus chaleureuse et magnétique, comment travailles-tu ta voix avant les concerts?
Je ne la travaille pas. J’ai la chance d’être né avec cette voix et je ne la chauffe même pas.
L’enregistrement est très brut comme doit l’être un live, ou plutôt comme devrait l’être un live. As-tu eu recours malgré tout à quelques overdubs en studio ou est-ce l’enregistrement naturel, sans silicone ?
Oui, c’est sans silicone. Mais on avait tellement travaillé ! En fait, il y a certains concerts où tout fonctionne.
Mais tu as dû quand même avoir la pression ?
Même une double pression puisque le concert était aussi retransmis sur France 3 Breizh avec 200 000 auditeurs. Mais en fait la pression était évacuée depuis le début de la semaine. On était déjà dans l’ambiance du concert avant son enregistrement. C’était plus de l’excitation que de la pression. On a même laissé des plages d’improvisation dans les chorus. Par exemple la fin du morceau ‘Ty Moon’ n’est pas du tout celle qu’on avait prévue : l’un d’entre nous s’est planté sur la grille d’accords et au lieu d’essayer de rattraper, on s’est laisser aller à improviser. On a lâché prise sur les événements, ce qui nous a permis de tenter des choses sur scène.
Ce live mêle les principaux morceaux de tes albums studio. Ainsi pour le néophyte est-ce un bon moyen de découvrir ta discographie ?
Oui, je pense, parce qu’il retrace toutes les périodes, y compris le morceau des Osmonds au début.
"C’est à cause de Line Renaud si je joue du hard rock !"
Justement, le premier album commence avec une reprise quasi metal de ‘Crazy Horses’ des Osmonds. Est-ce que ce n'était pas risqué de commencer par une reprise très lourde d'un morceau connu ou au contraire était-ce une façon de montrer que tu voulais entrer directement dans le vif du sujet ?
C’est le morceau qui m’a sorti de Claude François quand j’étais gamin. Un jour à la télé, Line Renaud a fait venir les Osmonds et ils ont joué ce titre-là. La claque que je me suis pris ! Ce titre m’a envoyé dans le monde du rock.
Donc merci Line Renaud. Si tu joues du hard rock, c’est grâce à Line Renaud ?
C’est à cause de Line Renaud (rires) si je joue du hard rock, merci Line !
On aime entendre tes échanges avec le public mais comment es-tu en live est-ce que tu parles plus, tu présentes tes morceaux?
Je parle beaucoup plus en live. Surtout pour cette soirée en particulier parce que j’avais envie d’expliquer aux gens par exemple pourquoi Diabolo était là. Certaines personnes du public m’ont connu avec mes deux premiers albums et sont venues au concert alors qu’ils n’étaient pas venus me voir depuis très longtemps. Alors que d’autres m’ont connu avec mon dernier album "Behind The Pics". Donc j’avais vraiment envie d’expliquer pourquoi les invités étaient là. Du coup quand j’ai mis le disque en forme, il a fallu monter tout ça mais je ne pouvais pas laisser tout le blabla. En plus les invités eux-mêmes parlaient pendant le concert et ils disaient des choses tellement gentilles que j’en étais gêné et il n’était pas question de laisser ça sur l’album. J’ai de l’ego, mais pas à ce point-là.
Breizh America est un folk breton proche d'un Alan Stivell en plus musclé. Que représente la langue bretonne pour toi qui est un barde breton né hors de Bretagne?
Ce que j’aime en Bretagne, c’est justement cette identité celte qui transpire de partout dès que tu arrives. Que les gens parlent le breton ou pas d’ailleurs, ce n’est pas le propos. Il y a en Bretagne une ambiance culturelle celte très importante et je trouve ça génial d’avoir cette identité-là. Toutes les régions n’ont pas une identité aussi forte, c’est une chance.

"Mon ADN c’est le hard rock et ma culture est la culture celtique."
Tu es plutôt normand ou plutôt breton?
Mon ADN c’est le hard rock et ma culture est la culture celtique.
Le deuxième album débute par des arpèges de guitare dans le silence de la foule puis la voix de Pat Mc Manus reconnaissable entre mille qui entonne ‘Belfast Boy’. Etait-ce voulu de commencer ainsi, d'abord la signature de Pat O'May qui ouvre un grand classique irlandais?
‘Belfast Boy’ a été composé par Pat Mc Manus pour rendre hommage à Gary Moore. Je ne te cache pas que lors de cette soirée, il y avait un parfum de Gary Moore. Ce morceau de Pat est rempli de citations de titres de Gary. Quand j’ai demandé à Pat Mc Manus quel morceau il voulait jouer, j’espérais qu’il me réponde ‘Belfast Boy’. Les relations ont été très fortes entre Pat Mc Manus, moi, fan de Gary Moore, et Jonathan Noyce, son dernier bassiste.
Gary Moore a été une grande influence pour toi et ce live lui rend plusieurs fois hommage, notamment avec ‘Belfast Boy’ comme tu viens de le dire mais surtout avec un inédit de Gary lui-même, jamais sorti à ce jour, ‘Oh Wild One’. Comment as-tu obtenu le droit de jouer et d’enregistrer ce titre ?
C’est juste magnifique. J’ai connu ce morceau grâce à Jonathan Noyce. On était en tournée avec Martin Barre à Munich et à la fin de l’after, Jonathan m’a dit : « viens dans ma chambre, il faut que je te fasse écouter quelque chose ». Et il m’a fait écouter 4 titres qui devaient figurer sur le nouvel album de Gary Moore, dont ce morceau ‘Oh Wild One’. On a fini en larmes dans les bras l’un de l’autre. C’était très émouvant. Lorsque j’ai invité Jonathan pour "One Night In Breizh Land", je lui ai dit que ce serait génial de pouvoir jouer ce titre. Il a demandé à la famille de Gary Moore, qui a accepté.
L'intimité ne te fait pas peur comme tu le montres avec 'That's Beautiful', très lancinante. Est-ce que c'était une façon de montrer que derrière les décibels, il y a un cœur qui bat?
(rires) J’espère que le cœur bat même avec les décibels. 'That's Beautiful' est un morceau assez fin. C’est aussi l’héritage de Gary Moore, et aussi de David Gilmour. Je voulais vraiment que David Hopkins soit là pour jouer ce morceau avec moi. On avait tellement pris de plaisir sur scène à jouer ce titre là pendant la tournée "Oméga" (Ndlr : cinquième album de Pat O’May, paru en 2007).
Sur 'Breakout' et 'Mindscape', on peut entendre un duel de guitares entre toi et Patrick Rondat. Mais qui en sort victorieux? Y avait-il un peu de compétition taquine entre vous deux?
Je sais pourquoi tu poses cette question-là et tu connais la réponse : bien sûr que non. C’est ça qui est génial avec tous les musiciens invités. Ils sont tous plus que des musiciens, ils sont des artistes. Ils veulent juste faire de la musique.
Tu as écrit la préface du livre sur Jethro Tull de notre chroniqueur Adrian Stork. Comment s'est déroulée cette expérience, c’était une première pour toi ?
C’est carrément une première. J’étais très surpris et très honoré qu’on me demande ça. Pour l’écrire, j’ai réfléchi à tout ce que m’a apporté Martin Barre et en écrivant la préface, c’est un peu comme si je rembobinais le fil de ces années passées avec lui.
Est-ce que cela te donne envie d'écrire tes mémoires parce que tu as forcément beaucoup de bons souvenirs, des rencontres à partager?
Non, pas d’écrire mes mémoires, mais oui j’ai plein de souvenirs comme tous les gens qui sont sur la route depuis longtemps, ni plus ni moins. J’en parlais avec Pat Mc Manus et je lui disais que si je fais cette musique, c’est grâce au morceau de Gary Moore ‘Over The Hills And Far Away’ sur son album "Wild Frontier". Et Pat Mc Manus m’a répondu : « si tu savais ! Avec Mama’s Boy, on a fait toutes les premières parties de la tournée "Wild Frontier" et c’était magnifique. » Tous les musiciens des souvenirs très forts.

A la fin de l’album, cerise sur le gâteau, tu as décidé d'interpréter avec tous les invités un classique du folk irlandais que tu avais déjà repris 'Whisky In The Jar'. Il y a un côté très jouissif, on sent que tout le monde donne ses dernières forces, avec un solo démentiel. Un Au revoir réussi avec la scène. Pour toi, ce morceau n'était pas juste une blague du genre ''on reprend un classique, on chante tous et on rentre.''?
Non, ce morceau est devenu un terrain de jeu. Par exemple à Belfort, Christian Décamps a chanté dessus.
Justement cet album a été le début d’une tournée baptisée Anniversary Tour. Tu as notamment joué à Belfort au mois de Novembre avec Ange. Je suppose que ça a dû être un événement pour toi qui es amateur de rock progressif ?
Carrément ! Je connais Christian depuis plus de 30 ans. J’ai habité Belfort pendant quelques années, on s’est connu là-bas. On a collaboré ensemble sue Anne de Bretagne (Ndlr : opéra-rock d’Alan Simon, créé en 2009). J’ai fait des premières parties de Ange il y a longtemps. Je refais une date avec eux à Tremblay en France début février. Pour le concert à Belfort, l’idée était aussi de faire un de leurs morceaux et on a joué ‘Vu d’Un Chien’. Quand j’étais gamin, je me suis coupé deux tendons de la main et le chirurgien m’avait dit que la guitare, c’était fini pour moi. Je lui ai fait un gros fuck et j’ai bossé l’album "Vu d’Un Chien" de Ange. C’est l’album qui m’a motivé pour refaire travailler mes doigts. Pour moi c’était un grand moment de jouer ce morceau-là.
Lors de notre toute première interview en 2013, tu conseillais à nos lecteurs d’écouter Franck Zappa. Aujourd’hui, quelle musique écoutes-tu ? Quel est ton dernier coup de cœur que tu souhaiterais partager avec le lecteur?
J’écoute beaucoup Devin Townsend, j’adore. Sur scène, il est énorme. J’écoute aussi le dernier album d’A Perfect Circle, "Eat The Elephant", qui est génial.
"Le prochain album studio est prévu pour le printemps 2020."
Après ce live, est-ce que tu ne risques pas d'être saturé à l'idée de retrouver la scène?
Pas du tout, ce n’est qu’un début.
Tu n’as pas de projet d’album studio ?
Si bien sûr. Le prochain album studio est prévu pour le printemps 2020. Mais avant j’ai plein de projets de tournée, notamment avec d’autres guitaristes. Je pense que je ne serai jamais rassasié de jouer live. J’ai la chance d’avoir un groupe absolument unique et formidable avec moi avec qui on peut créer de la musique. Il se passe toujours des choses différentes. La musique se construit sur scène, c’est la première fois que je vis ça à ce point.
Merci beaucoup !
C’est moi qui vous remercie !