La dernière fois que l'on s'est rencontrés, tu m'as envoyé promener lorsque je t'ai posé une de nos questions traditionnelles, en me promettant de faire des devoirs pour une prochaine fois. Eh bien, nous y sommes : Quelle est la question que personne ne t'a posée et à laquelle tu aimerais répondre ?
(Rires) (Hésitante) ... Peut-être : "Est-ce que tu veux déjeuner avec moi ?" (Rires)
Alors, on y va ...
Quels changements dans ta vie professionnelle as-tu apportés pour pouvoir profiter de ta vie de mère et d'artiste ?
En fait il y a un grand changement. Quand ma fille est née, elle était une enfant en tournée. Je ne pouvais pas faire autrement que de l'amener avec moi en tournée pendant plusieurs années. Pendant ces quatre ans, je me suis habituée à l'avoir auprès de moi tout le temps. Et elle a pris l'habitude de m'avoir auprès d'elle. Maintenant qu'elle est à l'école, nous ne pouvons plus vivre ainsi et ça fait deux ans qu'il y a comme un vide dans ma vie. Mais elle va bien, elle est parfaite. Elle va à l'école ...
Mais toi, comment le vis-tu ?
...
Je ne vais pas bien. Cette vie me manque mais elle vit une vie d'enfant normale, elle adore son école, ses amis.
La vie passe vite, particulièrement avec les enfants.
Avant je n'étais pas prête à m'exposer autant, à mettre dans un album tout ce qui fait ma vie.
Qu'as-tu changé dans ta vie pour t'adapter ?
J'ai écrit beaucoup à propos de ça, à propos de mes sentiments, sur ma vie. Et "In The Raw" est un album très personnel pour moi. Il a tout à voir avec ma famille, ma vie, mon amour, ma carrière, tout ce que je suis et où j'en suis dans la vie. Avant je n'étais pas prête à m'exposer autant, à mettre dans un album tout ce qui fait ma vie.
Souvent, les titres les plus personnels sont les plus forts, les plus intenses ?
Oui, tout à fait. Je pense que c'est exactement cet album qui devait voir le jour.
Quel a été le tournant, car la dernière fois tu nous disais que d'être mère ne t'avait pas vraiment influencée dans l'écriture ?
En fait c'est le cas, car j'écris seule et je me rends compte aujourd'hui que cela a un énorme impact car j'écris en fonction de mes sentiments, de mon état d'esprit, de ce que je vis, l'impact est très fort.
Qu'as-tu changé dans ta vie professionnelle, les tournées etc. ?
Je ne veux plus partir dans des tournées aussi longues qu'avant désormais. Je fais en sorte que ça ne dure pas plus de deux semaines et demi maximum car j'ai besoin de retourner auprès de ma famille. Du coup j'enchaine rarement plus de 10 concerts sans y retourner car je n'aime plus être séparée d'eux trop longtemps. Bien sûr, il y a toute cette technologie qui peut te faire croire que tu restes en contact avec les gens mais ce n'est pas comme être avec eux et vivre ensemble. Mais je souffrirais certainement plus si je savais ma fille dans une plus mauvaise situation, mais tout va très bien, elle est heureuse et le monde est à nous. C'est une incroyable petite fille, créative, et quand je la vois à la maison je me sis "hum, j'ai au moins fait une chose d'incroyable dans ma vie"
Malgré tout, il te manque quelque chose ?
Elle comprend les choses, elle me dit qu'elle ne veut pas que je parte mais elle comprend que je doive partir.
Elle pourrait influencer ton avenir en tant qu'artiste si elle te demandait de rester près d'elle ?
Cela me rendrait très triste de devoir arrêter. Je suis une mère, mais je suis une artiste. Cet amour pour ma fille et ma famille m'alimente chaque jour. Mais ne plus être artiste me rendrait vraiment mal. Je ne serais certainement pas la mère heureuse que ma famille mérite.
As-tu déjà parlé de tout ça avec Sharon (ndlr. Den Adel) qui vit quelque chose de similaire avec son mari qui ne fait plus les tournées avec Within Temptation pour rester avec leurs enfants ?
Oui, nous en avons déjà parlé et ce sont des situations compliquées.
Dans ton cas, je suppose que tu dois en effet te sentir frustrée de ne pas pouvoir faire ce qui serait le mieux pour elle.
Dans un sens oui, mais c'était tout de même une excellente entrée dans le monde de pouvoir l'amener partout avec moi au début. Cette vie lui a donné beaucoup de connaissances grâce à ça. Elle est aujourd'hui tellement ouverte d'esprit grâce à cela. Rencontrer des gens de différentes nationalités, de différentes cultures a fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui et je suis heureuse d'avoir pu lui offrir ça.
Physiquement et mentalement, je me sentais épuisée
Avec "The Shadow self", ton précédent album, tu avais surpris ton public avec des contributions originales dans tes chansons, du piano, des growls, des ambiances étranges. Es-tu toujours aussi satisfaite de ces choix risqués ?
J'ai commencé ce voyage introspectif en moi avec "The Shadow Self". Toutefois, je n'avais pas creusé suffisamment profond en moi. Parce qu'à la fin de l'année dernière, je me suis senti très fatiguée par toutes les tournées, j'étais si occupée... J'écrivais déjà les chansons pour "In The Raw" pendant à la fin de la tournée et ça m'allait bien. Mais cela commençait à être un peu trop, physiquement et mentalement, je me sentais épuisée. Juste après Noël, j'ai écrit tous les textes en janvier car j'étais incapable d'écrire pendant les tournées.
Comment arrives-tu à écrire une partie de l'album en automne et le reste trois mois plus tard ?
Le problème c'est que j'ai un planning de dingue. Tout est planifié sur deux ans, généralement, un mois ici, un mois là, ça n'arrête jamais !
Tu n'as pas peur du burn out ?
Si, bien sûr. J'ai même le sentiment d'en être même passé tout près. Devoir écrire les textes en janvier était une forme de pression que j'ai ressentie, et je n'ai pas du tout apprécié ça.
On imagine que dans ta position, tu devrais pouvoir parfois lever le pied et prendre un peu de temps pour faire les choses à ton rythme...
J'aimerais que ce soit ainsi !
Mais c'est toi qui fais ces choix ?
Oui, tout à fait. Mais d'un autre côté j'ai besoin d'avoir des
deadlines sinon j'ai tendance à trop lever le pied. Toutefois, cette fatigue m'a fait prendre conscience de certaines choses que je n'avais pas réalisées jusqu'ici. C’est un mal pour un bien, en fait.
Nous avons senti une atmosphère plus sombre dans ce nouvel album. Penses-tu que tout ce que nous venons d'évoquer en est la raison ?
Oui, et en quelque sorte, ce disque m'a nettoyée.
Cette catharsis est paradoxale, car ce qui te met la pression et t'épuise te libère, finalement.
Pendant que j'écrivais, je ne suis jamais revenue sur mes textes. Tout a coulé d'une traite et m'est apparu évident dès que c'était écrit. Pareil pour la production ou l'enregistrement. La batterie a été terminée en seulement deux prises sur tous les titres... c'est un excellent batteur, non ? (Rires). Tout était évident. Mais je dois dire qu'une fois l'écriture terminée je me suis sentie comme : "Plus jamais je n'écrirai de chanson ..." tellement ça m'a vidé. Depuis je n'ai pas approché mon piano pour composer la moindre chose. Mais ce temps reviendra, j'en suis certaine. Simplement car tu as besoin d'une certaine dose de douleur pour pouvoir créer.
C'est paradoxal car c'est sûrement ton album le plus personnel mais également le plus sombre, non ?
J'ai beaucoup écrit sur le temps, le temps qu'il nous reste, ne pas gâcher notre temps, etc., et ce principe ma frappe en pleine face, d'une façon très personnelle. Si ma santé se détériore, que me reste-t-il ? Je pourrais tout perdre. Je veux me sentir bien dans ma vie personnelle, dans ma vie d'artiste. Pour cela je dois rester en contrôle et rester libre dans le même temps. Ce processus d'apprentissage est primordial pour avancer.
"In The Raw" sortira en août, comme c'est un album très personnel, n'as-tu pas peur que le public se l'approprie moins que les autres ?
Je n'ai plus aucun problème avec ça, aucune pression. Maintenant il est dans les mains du public. Je le leur laisse. Bien sûr j'espère qu'il plaira et que les gens trouveront mon travail inspirant. C'est là tout le bonheur d'être artiste et de s'ouvrir aux gens. Il y a toujours cette folie de l'artiste qui s'expose à la critique et qui en a peur.
Tu t'y es habituée ?
Non, c'est toujours intéressant pour moi d'entendre l'avis des gens sur mon travail, mes albums, mes chansons.
L'album a une structure particulière avec trois titres très metal en ouverture puis quatre autres beaucoup plus soft et intimistes. Est-ce important pour toi et cela illustre-t-il que tout ce qui brille n'est pas or ?
Oui, c'est un voyage. Comment j'ai écrit les titres et l'ordre dans lequel ils sont présentés participe de ce voyage. C'est un tout, comme l'illustre la grotte de la pochette, La grotte Saint-Michel c'est la même histoire, tout est très connecté à l'histoire elle-même. Jusqu'au riff d'intro très percutant qui doit choquer et t'installer dans l'histoire. Quant au cœur de l'album, il n'a rien de rock ou metal mais il a tout à voir avec moi, mon amour de la musique et qui je suis.
Cet aspect de ta musique est très cinématographique, serais-tu intéressée un jour d'écrire pour le cinéma ?
En fait il y a déjà eu plusieurs opportunités de ce type mais qui n'ont pas abouti à cause de la production des films en question. Une compagnie indépendante m'a approchée dans ce but. Je crois que ça me plairait beaucoup, de déployer mes ailes vers un autre horizon musical un jour, faire quelque chose avec des chœurs, qui me déconnecterait de la façon dont j'ai appris la musique et qui a fait ce que je suis aujourd'hui.
'Railroads' contient des éléments très japonisants. Est-ce une volonté de t'ouvrir à des sonorités orientales ou plus fusionnelles ?
C'est intéressant. Tu es le premier à me poser ce genre de question. Et je comprends tout à fait ce que tu veux dire. Ce titre en particulier est un voyage avec ses paroles très chaotiques. C'est presque un mystère pour moi, cette chanson, car j'avais commencé à l'écrire pour mon second album et je ne l'avais jamais finie. C'est une très belle mélodie ...
Mais tu n'avais pas écrit de paroles encore ?
Non, je n'avais pas de paroles. Et là, je me suis sentie prête pour la mettre en chanson et finir le travail. Parfois, tu as ces portions de morceaux dans ton esprit et ils mettent plusieurs années à se concrétiser avant de réellement voir le jour.
Quand j'enregistre ... il y a ce moment où la voix est exactement ce que je cherchais
'You and I" est un titre plus raffiné où les instruments sont là pour mettre en valeur ta voix cristalline. As-tu conscience que cette voix unique te différencie de tous les autres artistes ?
Wow ! Merci ! Tu sais, quand j'enregistre dans mon propre studio, c’est généralement en trois ou quatre prises maximum. En tant que compositeur et interprète, en tant que raconteuse d'histoires, je dois mettre la couleur et l'émotion pour arriver à transmettre les émotions que je veux dans mes chansons. Il y a ce moment où la voix est exactement ce que je cherchais à exprimer. Les versions précédentes ou les suivantes sur scène ne sont jamais les mêmes. Pour cette chanson, sur scène, je suis seule au piano afin de restituer exactement cette émotion au public. C'est en effet une chanson particulière et très intime et il me tient à cœur de partager cette connexion avec mon public sur scène.
Comment trouves-tu cet équilibre entre puissance et émotion ?
C'est très facile pour moi, presque naturel.
Je peux donner toute l'émotion ou la force quand je veux.

Depuis tes débuts ?
Non, maintenant ça l'est. Quand j'étais jeune, j'avais peur de ne plus pouvoir utiliser cette voix comme je voulais ou la perdre temporairement. Je n'ai plus cette inquiétude et je peux donner toute l'émotion ou la force quand je veux. J'ai perdu cette peur de ne pas être parfaite.
Est-ce parce que tu sais que tu n'as plus rien à prouver avec cette grande carrière ?
Non, ce n'est pas ça. La musique doit parler. Je me dis : "Voilà ce que j'ai, c'est ça ! A prendre ou à laisser !" (Rires)
Tu as invité des chanteurs renommés comme Cristina Scabbia (Lacuna Coil), Tommy Karevik (Kamelot) et BjornStrid (Soilwork) Qu'est-ce qui a motivé ces choix ?
Ce sont de grands chanteurs et chanteuse. Et en plus, ce sont de très belles personnes. Dieu merci, j’ai la grande chance d'avoir de nombreux amis dans ce métier ! (Rires)
Parce que ce sont des amis ?
Non, sauf Cristina qui est mon amie depuis des années et nous avons toujours évoqué qu'un jour ce serait bien de faire quelque chose ensemble. Après l'enregistrement de ma voix sur la chanson (Ndlr. "Goodbye Stranger") je me suis dit qu'elle serait parfaite pour elle aussi. Je l'ai contactée en lui expliquant ce que je cherchais, que c'était une chanson très brute avec juste guitare, basse et batterie. Par bonheur elle a très bien compris et elle a accepté. Quant aux garçons, je les suis depuis des années, en tant que fans. Ils ont de très belles et distinctives voix. L'histoire de "Dead Promises" est si sombre et directe que j'ai trouvé que sa voix expressive (Ndlr : BjornStrid) irait très bien dessus avec ses growls, que je suis incapable de faire.
Pourquoi n'apparait-il pas dans la version vidéo qui est sortie en juin ?
J'ai eu de nombreuses discussions avec le label à ce sujet. Quand ils ont entendu ma voix sur ce titre ils ont adoré et m'ont convaincue de sortir le clip avec seulement ma voix. Celle de Bjorn n'est que sur la version de l'album.
As-tu peur de la solitude et as-tu besoin d'un peu d'espace dans ce business où tu es très exposée, pour garder la tête froide ?
C'est le concept de solitude que je n'aime pas. Trop de gens souffrent d'être seuls. C'est aussi pourquoi j'ai déjà fait un album de Noël (Ndlr : "From Spirits and Ghosts" en 2017) pour les personnes seules, particulièrement à cette période. Personne ne devrait être seul. Certains choisissent de vivre dans la solitude, ce n'est pas mon cas. Je suis une Lionne, j'aime être avec les gens, ils m'inspirent. Alors oui, je me suis sentie seule, mais cet album est né des étincelles et de la force que je peux avoir pour revenir dans la lumière. C'est l'Or après lequel je cours.
Comment va la Lionne aujourd'hui ? Mieux qu'avant d'avoir fait ce disque ?
Je me sens pleine d'énergie, je sens cette énergie revenue. Je me sens les pieds sur terre à nouveau. En fait, je me sens beaucoup plus sereine que je pensais pouvoir l'être.
Et ça se sent. Merci beaucoup.
Merci à vous.