Après 9 albums, Lacuna Coil est en plein forme. Mieux encore, Cristina Scabbia et Andrea Ferro, chanteuse et chanteur de la formation italienne, pensent même que Lacuna Coil vient de sortir son meilleur album avec "Black Anima". Les musiciens reviennent avec nous sur la sortie de leur album précédent, l'équilibre vie privée/vie professionnelle, ou encore leur peur de ne pas réussir à se renouveler.
Nous avions rencontré Cristina (Scabbia, la chanteuse, ndlr), il y a 3 ans, pour la sortie de "Delirium" et l'interview se clôturait comme coutume chez Music Wave en te demandant Cristina quelle était la question que tu aurais aimé que je te pose. A l'époque, tu m'avais répondu que tu aimais les questions sur le sens de la vie et sur l'amour, sans pour autant avoir de question précise en tête. Pour toi aujourd'hui, quel est-il, le sens de la vie ?
Cristina : Eh bien, je ne me suis jamais posé cette question à moi-même à vrai dire. Je laisse le présent faire son travail, je vis l'instant présent sans trop me préoccuper du futur et de ce qu'il pourrait être. Je veux m'inscrire dans le présent.
J'ai l'impression que "Delirium" a été une thérapie pour toi et pour le groupe. Si c'est le cas, est-ce que cette thérapie vous a aidés en tant que groupe ?
Andrea : Je pense qu'au-delà de la thérapie, ça nous a aussi permis de prendre du recul sur ce qui s'est passé dans nos vies, entre le moment où on a écrit "Delirium" et aujourd'hui. En général, on aime s'inspirer des évènements qui se produisent dans notre vie pour écrire nos paroles car c'est naturel et spontané pour nous. On aime écrire des paroles auxquelles les gens peuvent s'identifier, plutôt que d'écrire juste pour soi. Cela nous permet d'avoir du recul sur les évènements. Par le passé, on a eu beaucoup de personnes qui sont décédées autour de nous : parents, amis… Cela fait partie de la vie, mais quand cela t'arrive pour la première fois, cela peut être un processus très douloureux à vivre. Cela te fait aussi réaliser des choses sur la vie. On a pensé que ce serait important d'utiliser ces savoirs qu'on a appris et d'en parler dans notre nouvel album. On est partis de cette base-là.
On n'a jamais songé à arrêter le groupe

Lacuna Coil a presque 25 ans. Avec le recul, y a-t-il des moments où vous avez eu envie de tout arrêter ? Vous êtes-vous déjà demandé si cela valait le coup de continuer la vie de musiciens ? Car beaucoup de musiciens arrêtent un jour pour avoir une vraie vie avec leur famille.
Cristina : Nous n'avons jamais songé à arrêter le groupe car nous avons trouvé notre équilibre entre notre vie privée et les tournées. Je pense que quand les gens décident d'arrêter leur carrière, c'est qu'ils n'ont pas trouvé cet équilibre. Je me rappelle qu'il y a quelques années, on tournait beaucoup, on faisait beaucoup de concerts, et à la fin de la tournée, on était devenus fous. On n'en pouvait plus d'être loin de chez nous ! On ne voulait plus se voir pendant au moins un mois ! Quand tu vis dans un tourbus, tu as besoin de faire une pause. C'est comme ça qu'on a décidé de jouer un peu moins souvent. Bien sûr, les concerts sont importants pour nous, mais en même temps, on a envie de pouvoir disposer d'un temps suffisant pour avoir une vraie vie privée, pour pouvoir repartir en tournée les batteries rechargées.
Mais tourner moins signifie aussi moins de rentrées d'argent…
Cristina : On n'est pas millionnaires bien sûr, c'est un compromis que l'on décide de faire. Le but c'est de continuer à faire ce que l'on aime tout en prenant du temps pour soi. Certains musiciens ont aussi un métier à côté de la musique. Nous, on a le luxe de ne pouvoir faire que ça, mais ça demande aussi beaucoup de travail.
On aime la musique, et la musique sera toujours le noyau dur de notre activité, mais si tu veux en vivre, il faut s'assurer que la musique te permette de gagner de l'argent
Et j'imagine que vous êtes fiers de ce dont vous êtes devenus, car cela veut dire que vous avez atteint un certain niveau. Tous les groupes ne peuvent pas en dire autant.
Andrea : Il y a quand même des revenus moindres pour le groupe, à cause du streaming et des évolutions du monde de la musique. On travaille pour structurer notre groupe à plusieurs niveaux. On essaye de se diversifier. On a monté une entreprise pour garantir les droits d'auteur aux musiciens. On a déjà fait signer plusieurs groupes. Le groupe est le cœur du business, mais on veut développer notre business dans sa totalité. On a la chance d'avoir des fans loyaux qui achètent nos produits. Ça nous permet de vivre, et on veut mettre toutes les connaissances accumulées durant ces années au profit de l'industrie musicale. Il n'y a plus que l'écriture des albums. Ça, c'est la partie sympa. Il y a l'enregistrement, les tournées, on s'amuse, on voit nos copains. Mais quand on est chez nous, on travaille aussi. Il faut arrêter les dépenses inutiles, économiser de l'argent… Il faut être malin ! Le problème de beaucoup de groupes est qu'ils sont simplement musiciens. Ils ne comprennent pas qu'il y a autre chose que la musique dans la vie. On aime la musique, et la musique sera toujours le noyau dur de notre activité, mais si tu veux en vivre, il faut s'assurer que la musique te permette de gagner de l'argent, sinon, tu galères. Ce n'est pas simple ! On galère aussi, mais on fait en sorte de ne pas avoir à tourner toute l'année.
Avec "Delirium", vous avez fermé un chapitre de la vie de Lacuna Coil. "Delirium" était plus sombre, plus violent et plus mélancolique. Cet album semble être central dans votre discographie.
Cristina : Je ne pense pas vraiment que l'on ait ouvert un nouveau chapitre depuis "Delirium". Je pense qu'il s'agit carrément d'un nouveau livre, dans tous les sens du terme ! On considère aussi "Black Anima" (leur nouvel album, ndlr) comme une sorte de livre dans lequel on met beaucoup de choses. C'était bien de fermer ce chapitre avec un DVD et de repartir à zéro. Mais au final, ce sont toujours les mêmes personnes qui écrivent la musique. Dans le fond, les choses restent les mêmes, mais on a eu un nouveau départ, et j'en suis très heureuse car je ressens la même passion que celle que nous avions à nos débuts, avec un savoir différent et des chansons différentes.

Votre nouvel album s'appelle "Black Anima". Ce nom renvoie à un concept développé par Carl Jung (psychiatre suisse, ndlr). Est-ce que ce cela a été une inspiration pour vous, ou est-ce cela parle simplement de l'esprit noir d'un homme ?
Cristina : Ce n'est pas un concept dans le sens où les chansons ne sont pas vraiment connectées les unes entre elles. On a choisi ce titre car on voulait donner un nom qui aille à l'essentiel, quelque chose de simple qui marque l'esprit. On a pensé à "Black Anima" à cause du côté sombre de l'album. "Anima", c'est l'âme en Italien, car on met toute notre âme dans notre musique. D'une certaine manière, c'est un album spirituel.
Andrea : Il est presque ésotérique. Pas dans le sens diabolique, mais plutôt dans un sens magique. Il y a quelque chose de particulier qui s'en dégage. C'est ce qu'on recherchait. On a composé les idées principales de l'album à travers différents éléments, dont le fait qu'il y ait eu des décès autour de nous. Je lisais aussi un livre qui s'appelle "The Physics Of Angels", écrit par un prêtre et un scientifique, (Matthew Fox et Rupert Sheldrake, ndlr), et ils parlent d'anges, d'esprits, de fantômes d'après la religion et d'après la science. C'était intéressant, et des idées me sont venues en lisant ce livre. On a tout mis sur table et on a pensé que beaucoup de gens pourraient s'identifier à tout ça.
L'artwork montre une sorte de dragon qui avale un humain. Quelle est la signification derrière cette pochette ? Y a-t-il une volonté de choquer vos fans pour montrer que l'album est plus sombre qu'à l'accoutumée ?
Cristina : Non (Rires). En réalité, c'est notre bassiste Marco (Coti Zelati, ndlr). Il s'est inspiré de l'emblème de notre ville, Milan. Sa représentation initiale était un serpent avec un enfant dans la gueule. Il a pris quelques libertés par rapport à ça et a dessiné ce dragon avec un ange dans la gueule, avec trois serpents qui se mordent la queue les uns les autres et qui représentent Andrea, Marco et moi-même. On voit aussi le logo de Lacuna Coil en arrière-plan.
En tout cas vous avez l'air d'être très fiers de cette pochette !
Cristina : Oui ! On l'aime beaucoup. Elle annonce de suite la couleur. D'une certaine manière, elle s'inscrit dans le passé, mais en même temps, elle est très moderne. Micah Ulrich est l'artiste qui a repris la pochette pour lui donner cette touche moderne.
Et votre album justement semble être une synthèse de ce que vous avez fait jusqu'aujourd'hui. Il y a un côté gothique et un côté death, mais avec un côté modernisé, et notamment un aspect industriel qui pourrait rappeler Fear Factory par exemple. Était-ce une volonté consciente de votre part, de faire en sorte que cet album soit une synthèse de votre son ?
Cristina : Non, ce n'était pas volontaire, mais les morceaux que l'on a choisis en tant que singles sont des morceaux qui selon nous représentaient vraiment Lacuna Coil en 2019. Il y a de tout : de la mélodie et un aspect agressif, un peu de vieux, un peu de nouveau… C'était le meilleur moyen d'annoncer notre retour.
Les vibes présentes sur les premiers morceaux sont toujours en nous. C'est de là qu'on vient, c'est notre marque de fabrique

'Veneficium' est un titre qui rappelle vraiment vos débuts. Aviez-vous envie que cet album soit un retour aux sources avec une touche moderne ? De créer une sorte de Lacuna Coil 2.0 ?
Andrea : Inconsciemment, peut-être oui, mais c'est quelque chose qui nous est venu spontanément. Les vibes présentes sur les premiers morceaux sont toujours en nous. C'est de là qu'on vient, c'est notre marque de fabrique. Ça n'aurait pas de sens pour nous de faire un album complètement déconnecté de ce qu'on a pu faire par le passé. On est passé du statut de petit groupe italien qui jouait les morceaux de ses groupes préférés au statut de groupe unique. Depuis "Comalies", (leur troisième album paru en 2002, ndlr), je crois qu'on a développé une vraie marque de fabrique. Quoi que l'on enregistre, les gens vont reconnaître qu'ils écoutent Lacuna Coil, que notre musique soit plus heavy ou plus soft. Que l'on joue une chanson d'AC/DC ou de Sex Pistols, cela va sonner comme du Lacuna Coil.
C'est le but de tous les groupes ! Commencer avec une musique et affirmer sa personnalité.
Cristina : Et c'est toujours Marco, Andrea et moi qui écrivons les chansons. Le noyau est toujours là. Mais si l'on grandit en tant qu'individus, notre cœur et notre âme sont toujours les mêmes.
Andrea : Ça n'aurait pas de sens pour nous de suivre les musiques à la mode. Bien sûr, on aime la musique moderne, on écoute des nouveaux groupes, des anciens groupes… Fear Factory comme tu le disais, on a grandi avec eux, Sepultura, Pantera, c'était la musique des années 90 quand on a créé le groupe, Paradise Lost, Type O Negative… Il est naturel pour nous d'incorporer ces influences dans notre style sans pour autant suivre une mode.
On ne cherche pas à avoir l'une des nos chansons à la radio, on ne cherche pas à faire des chansons commerciales. On joue ce que l'on veut jouer

Comment expliquez-vous votre évolution vers une musique plus sombre ?
Andrea : Avec "Delirium", on a commencé à remettre du growl dans nos chansons. Ça n'aurait pas de sens pour nous de chercher à épurer une partie qui se doit d'être heavy. Si ça doit être heavy, alors que ça soit heavy ! Ça n'a pas fait peur aux gens d'entendre du growl et de la double pédale en 2016 ! C'est quelque chose de très commun aujourd'hui, voire populaire. On fait ce qui nous semble être bien pour notre musique. On ne cherche pas à avoir l'une des nos chansons à la radio, on ne cherche pas à faire des chansons commerciales. On joue ce que l'on veut jouer. "Delirium" a été un vrai succès ! On a vendu plus d'albums "Delirium" qu'avec le précédent. Aujourd'hui, c'est un miracle ! (Rires). En général, les ventes reculent d'album en album car le streaming prend le relais. Pourtant, "Delirium" s'est beaucoup plus vendu que les albums précédents ! Je pense que les gens reconnaissent la qualité quand elle est là. Il y a des chansons dans notre nouvel album qui sont assez traditionnelles pour Lacuna Coil comme 'Save Me' ou 'Apocalypse', mais pourquoi ne pas en avoir ?
Pour entretenir la notion du bien et du mal, Cristina, tu chantes d'une manière pop à de nombreux moments, et le résultat est très pur ! Sur 'Reckless', ta voix me rappelle celle de Tori Amos. Idem pour la chanson 'The End Is All I Can See'. La pop semble être une évolution naturelle pour vous.
Cristina : Je n'ai jamais très bien compris le monde de la pop. De mon côté, je chante d'une manière très différente d'une chanson à l'autre. C'est comme si j'avais une personnalité différente sur chaque chanson. Je joue avec les personnages. Sur 'Veneficium' il y a du chant lyrique en latin par exemple. Ma voix ressemble presque à celle d'un homme. Mais effectivement, j'aime aussi beaucoup le chant clean et c'est quelque chose que j'ai expérimenté dans les albums passés également.
Est-ce que tu aimerais faire un album solo pour continuer de faire des expérimentations vocales ?
Cristina : Non. Ça ne m'intéresse pas pour le moment. Je pense qu'un album solo, ça n'a du sens que si tu veux faire quelque chose de très différent de ton groupe. Or, j'adore notre musique et je me sens très libre de faire ce que je veux. Si je faisais un album solo, ce serait du Lacuna Coil, et ça n'aurait donc pas de sens. Selon moi, les gens font des albums solo parce qu'ils s'apprêtent à jouer une musique qui n'est pas autorisée par le groupe dans lequel ils jouent. Je n'ai pas de raison de faire un album solo à l'heure actuelle. Je suis parfaitement concentrée sur Lacuna Coil.
Ta voix est puissante, elle s'illustre dans un registre gothique comme on l'a dit sur des morceaux comme 'Apocalypse' et 'Veneficium'. Elle a aussi une certaine tristesse et une forme de mélancolie en elle. Et il y a le morceau 'Under The Surface' qui est un vrai hit ! Il est très dynamique, presque dansant même ! Sera-t-il le prochain single de l'album ?
Cristina : Non ! (Rires). On n'aime pas trop parler de singles. Ça a été très dur pour nous de savoir quelles chansons sortir en premier, car toutes les chansons sont différentes. Il n'y en a pas une qui sorte vraiment du lot. On a choisi 'Layers Of Time' en premier qui est un morceau assez typique de Lacuna Coil, puis 'Reckless', car elles sont complètement différentes.
Andrea : Mais on s'est posé la question pour 'Under The Surface' !
Cristina : Au final, je pense que l'auditeur choisit ce que lui a vraiment envie d'écouter, quelles sont ses chansons préférées. C'est toujours comme ça. Je me rappelle que quand on avait choisi le morceau 'Heaven's A Lie' comme single, il avait eu un énorme succès alors qu'on ne s'y attendait pas du tout.
Andrea : Aujourd'hui, si le premier single que tu sors n'est pas très convaincant, les gens risquent de te zapper et d'aller écouter quelqu'un d'autre. Tout va très vite aujourd'hui ! On ne donne pas forcément du temps aux artistes pour les écouter vraiment. Le single permet d'attirer l'attention de personnes qui en temps normal ne t'auraient pas forcément écouté. Ou alors, ça va parler à des gens qui ont écouté le groupe à l'époque mais qui ne l'ont plus suivi depuis un moment. C'est fait pour attirer l'attention.
J'ai beaucoup aimé le son de cet album. Il est à la fois moderne et rétro paradoxalement. Est-ce que cet album ne serait pas une synthèse parfaite de ce que vous avez joué dans votre carrière ?
Cristina : De notre carrière, je ne sais pas ! En tout cas, il représente parfaitement le groupe tel qu'il est aujourd'hui. Bien sûr, pour nous, c'est l'album parfait, c'est le meilleur que l'on ait sorti à ce jour. Peut-être aussi parce qu'il est tout nouveau !
Andrea : Parfois, la difficulté pour nous est d'arriver à écrire un morceau qui ne soit pas trop typé Lacuna Coil. Des fois, on fait des bonnes chansons, mais ça sonne comme ce qu'on a toujours fait.
On ne veut pas répéter la même formule encore et toujours

Justement, vous n'avez pas peur de ne pas réussir à vous renouveler suffisamment ?
Andrea : On n'a pas peur mais on ne veut pas répéter la même formule encore et toujours.
Et comment faites-vous pour ne pas trop vous répéter ?
Andrea : On essaye ! On essaye et on suit ce que la musique nous dit. Marco écrit la majorité de la musique, et c'est lui qui donne les grandes directions. Il est très critique de ce qu'il fait lui-même.
Pour finir, même si vous tournez moins, quand comptez-vous venir jouer en France ?
Cristina : En décembre.
Andrea : Je crois que c'est le 1er décembre !
Cristina : Ce sera à l’Élysée Montmartre. Je crois qu'il y a même deux dates !
On se voit en décembre alors ! Merci beaucoup !
Les deux : Merci !
Merci à Noise pour sa contribution...