Il y a des moments qu’il ne faut absolument pas louper dans une vie. Ceux où le temps parait suspendu, où on lâche prise, emporté par le spectacle qui se déroule sous vos yeux. Cette date du 28 septembre 2019 fait partie de ces évènements musicaux inoubliables. L'engouement pour cette soirée n’est pas sans intérêt pour plusieurs raisons.
D’abord pour le lieu mythique, « le Gibus », qui a construit sa notoriété en accueillant la génération naissante punk et rock fin des années 70 – début 80 parmi lesquels : The Police, Asphalt Jungle, Téléphone et bien d’autres. Ce lieu a une histoire, indéniablement. thib
Ensuite, pour l’évènement organisé par l’association Rock’N Prog (et son président Arnaud Nouard) réunissant une affiche bicéphale avec The Morganatics et Galaad, qui va fouler le sol de Paris après 23 ans d’absence (hors tourisme peut-être). Un choix qui s’avère à la fois audacieux et intelligent car les deux groupes proposent des styles à la personnalité forte, différentes mais pas si opposées que cela, permettant de bénéficier d’une soirée variée.
C’est donc fébrile et impatient que Music Waves s’est rendu sur place pour vous livrer quelques impressions sur ce concert qui restera dans les annales. L’attente avant l’ouverture fut des plus agréables. Arrivé dans les premiers, si ce n’est le premier, ces minutes de patience furent ainsi le cadre d’un échange très sympathique avec un des amis du groupe qui, voyant le T-shirt « Frat3r » fièrement porté, fera le premier pas. La discussion fraternelle, comme de vieux potes, tourne bien entendu autour de Galaad avec quelques anecdotes dont il n’est pas avare sur le groupe, évoquant leur proximité, l'amour qu’ils ont pour leur village, leur canton, eux qui en sont la fierté. Entre temps, le groupe, qui a fini ses réglages, vient se joindre volontiers aux personnes qui commencent à grossir gentiment la file d’attente au fil des minutes pour discuter avec plaisir, témoignant d’une belle accessibilité et d’un intérêt réel pour son public. Il en va de même pour les quelques membres de The Morganatics, notamment le bassiste nous indiquant qu’il souffre un peu beaucoup de son épaule.
Mais l’heure n’est plus aux tergiversations introductives, cher lecteur, nous vous invitons à plonger dans cette soirée.
THE MORGANATICS :
Les locaux de la soirée ont la lourde tâche d’ouvrir le bal. Il s’agit notamment pour eux de défendre le dernier album en date "The Love Riot Squad vs The F-World" sorti cette année après une campagne de financement participatif réussie. Il faut dire que le groupe jouit d'une réputation qui n'est pas du tout usurpée forte d'une discographie de qualité ("
Never Be Part Of Your World" et "
We Come From The Stars") et de prestations scéniques qui valent le coup. Leur leitmotiv : un rock alternatif de base sur lequel se greffent des touches de progressif, de metal, une pointe d'electro le tout sans se prendre véritablement au sérieux tout en faisant les choses sérieusement.
La soirée est aussi spéciale puisque c'est l'anniversaire de Chris - compagne de Seb - et quoi de mieux qu'un concert pour fêter ça et en famille (leur petite fille Cleodalis au premier rang). Ce qui frappe d'emblée c'est la cohésion entre les membres du groupe, on sent réellement une bande de potes n'hésitant pas à se charrier surtout Lauris dont la légende (qui ne semble pas en être une) est de finir à poil sur scène.... Ce qui finira par arriver (enfin tout sauf le bas) et un constat s'impose, il n'a rien à envier à Demis Roussos (niveau pilosité)...
Les musiciens envoient du lourd, forts d'une section rythmique exemplaire qui soutient deux guitaristes. L'un des intérêts du groupe est d'avoir deux voix qui s'entremêlent (masculine et féminine) pour donner du corps aux morceaux. Mais hélas, le son n'est pas à la hauteur des espérances sur ce point car Chris sera presque inaudible tout au long de la prestation ('Scarlett') et quel dommage ! Car elle n'est pas là pour faire de la figuration, bien au contraire. Le parti pris est de mettre en avant la puissance des compositions qui aurait pu se suffire à elles-mêmes sans pour autant monter les manettes à fond. Mais cela ne vient pas gâcher cette première partie de concert tant les titres sont emballants.
La
set list fait donc la part belle à leur dernier bébé en date avec pas moins de 6 extraits qui défoncent tout sur leur passage. Et ça matche, chaque membre se donne à fond, emportant l'adhésion des fans de Galaad déjà présents. Ils savent tout faire avec une décontraction déconcertante. Et plus le set avance plus les titres prennent du relief jusqu'au sublime 'As Blackbirds Say' dédié à un proche disparu avec Thomas qui les rejoint pour accentuer la rythmique avec une seconde basse. Ce titre oscille entre violence et douceur comme pour marquer les étapes du deuil sur un texte poignant interprété avec maestria. Les titres du dernier album prennent vie sur scène et se révèlent diablement efficaces et saisissants. Les soli de Lauris font tous mouche, jouant à la fois sur une technique sans faille et une sensibilité prégnante.
Nous aurons droit à un moment tendre entre Chris et Seb offrant à sa compagne (et à leur enfant) une petite surprise en interprétant un extrait de 'Never Ending Story', BOF du film du même nom, ramenant bon nombre d'entre nous à leur enfance et adolescence. Au final, malgré le son qui n'a pas fait honneur au groupe, ce dernier aura tout donné pour finir par remporter un très beau succès grâce à des compositions audacieuses, des paroles intéressantes et une interprétation sans faille et d'une grande gentillesse sur et en dehors de la scène.
Setlist :
Intro + Hard Drive
Hannah
The Bitter Strife
Close Your Eyes
Scarlett
Shark Or Tank
Seb's Little Strange Thing
As Blackbirds Say
Gloria
Table 9
OMDB (Il Faudra Me Passer Sur le Corps)
GALAAD :
La tension monte d’un cran supplémentaire pendant que le groupe installe son matériel. Pour la petite histoire, il faut dire que cette venue n’a pas été simple pour nos amis jurassiens. En effet, Laurent Petermann s’est fracturé le péroné le mois dernier. Le batteur encore en convalescence marche avec des béquilles a pu finalement assurer le set grâce à un kit modifié pour pouvoir jouer malgré ce handicap provisoire. Outre cette difficulté, une autre mauvaise nouvelle est venue dans l’après-midi touchant le clavier maître de Gianni qui a été endommagé dans le voyage. Du coup le groupe a joué les Mac Gyver pour trouver une rustine qui au final s’avèrera suffisamment solide pour tenir le temps de la prestation (avec un Gianni pas totalement rassuré non plus mais cela ne s’est pas vu). Mais rien ni personne ne pouvait gâcher les retrouvailles de Galaad avec son public pas seulement parisien (certains sont venus de Besançon en bus !).
Le public relativement nombreux (une centaine de personnes), rassemble en majorité en fans conquis d’avance, les T-shirt à l’effigie de « Frat3r », le tant attendu dernier album qui succède à celui considéré comme un chef-d’œuvre "Vae Victis". La pression monte pendant les secondes qui nous séparent du début du set ouvert par les notes introductives de ‘La Machine’ qui ouvre les hostilités. Les nappes de claviers nous enveloppent et c’est à ce moment que PYT monte sur scène, inquiétant en portant une veste estampillé « Moloch Inc(orporation) » symbolisant le monstre capitaliste qui broie les gens. On sait l’homme fan de Fish, Cristian Descamps voire Peter Gabriel, et ce soir nous avons devant nous un mélange des trois en un seul
frontman. Il possède en lui une façon si singulière d’interpréter les chansons de manière théâtrale, dans la grande tradition du progressif vecteur d’histoires, avec un charisme dingue lui conférant une belle présence sur scène. Surtout, ces premières secondes sont rassurantes sur ses capacités vocales puissantes et justes malgré la forte émotion qui doit l’envahir.
L’ambiance se tend avec les deux titres suivants issus de l’album qui est considéré comme le meilleur de Galaad : «
Vae Victis » avec ‘Seul’ au refrain repris en cœur par le public qui connait par cœur les textes. PYT est tout autant habité, encourage l’assistance à chanter plus fort encore notamment la cassure : « Le cap…. De bonne espérance » ! Jusqu’à la dernière ligne. Le groupe est au diapason de la performance qui ne faiblit pas avec ‘Le Feu et l’Eau’ de toute beauté et plus serein : Sébastien éclabousse la scène de son talent avec ses interventions solistes de grande classe, s’incarnant comme l’enfant caché de Rothery, Hackett, Gilmour et autres guitaristes qui préfèrent les émotions à la technique pure, Gérard martyrise sa basse ronronnante soutenue par la frappe précise de Laurent, qui malgré les circonstances rappelées ci-dessus tient plus que bon. Le tout est enrobé par les ambiances synthétiques très justes de Gianni aux claviers qui apportent énormément de relief à la musique de Galaad, puissante et émotionnelle. Il faut dire que l’ambiance sonore par rapport à la première partie est plus équilibrée, permettant d’entendre tous les instruments et les paroles (Bravo l’ingé son !).
Les titres s'enchainent sans aucun répit pour le public qui en prend plein les oreilles et les yeux lorsque retentissent les premières notes de claviers de 'Stone'. Ce morceau de bravoure nous plonge dans le meilleur de Genesis avec des nappes atmosphériques synthétiques qui rappellent le grand Tony Banks, soutenues par rythmique efficace en fond. Le chant est encore plus expressif jusqu'à l'explosion finale libératoire clamée par PYT, à en filer les frissons jubilatoires.
Autre point culminant de la prestation de ce soir est l’interprétation sensible et surprise de ‘Sablière’ tiré du premier album de Galaad «
Premier Février ». PYT explique en préambule la genèse de ce morceau de bravoure aux atours néo prog vintage et aux saveurs surannées des premiers Marillion (‘Garden Party’, ‘Grendel’). Ce morceau a été écrit en hommage à la première jeune bassiste du groupe trop tôt emportée par la maladie en février 1990, Maria-Lourdès Denis. A cette époque, certainement désarmé et décontenancé par cette disparition tout aussi cruelle que brutale, Galaad ne pouvait cautériser la plaie béante qu’avec chanson exutoire dont l’interprétation de ce soir, en fermant les yeux, nous laissait entrevoir la présence fantomatique de la jeune fille sur cette scène du Gibus. Nul doute que de là-haut elle a dû être fière de les voir dans cette salle parisienne. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas exprimant sa joie d’entendre ce morceau à la construction abrupte qui démontre la sincérité du groupe, où rien ne semblait calculé pour laisser parler les émotions qui envahissent au présent le groupe manifestement très ému.
Le temps passe tellement vite que le set original prévu est amputé de quelques titres (‘Kim’, ‘Moloch’, ‘Une Rose Noire) qui ne seront pas interprétés, hélas. Qu’importe, l’ambiance ne retombe pas d’une seconde avec un autre des titres phares de "Vae Victis", ‘La Loi de Brenn’ dont la puissance guerrière est décuplée en live et au texte tellement d’actualité et moderne. Au final, à entendre ces titres, on constate que cet album n’a pas vieilli d’un iota, lui qui était tellement en avance sur son temps avec cette rencontre improbable entre le meilleur de Marillion et Face No More. Alors si sur scène la fougue n’est plus la même que dans la fin des années 90, certains regrettant peut être la spontanéité d’antan, l’énergie demeure elle intacte avec une maîtrise plus grande encore et une interprétation plus carrée qui va bien au groupe (ils n’ont plus l’âge de sauter de partout) et au public qui lui aussi a pris de l’âge et s’est assagi.
La fin du concert voit le dernier album en date mis en lumière, permettant de vérifier que ses morceaux en live n’ont rien à envier au précédent. Bien entendu ils sont moins fougueux, plus construits mais ils procèdent d’une autre émotion, le groupe réaffirmant ainsi d’où il vient en rendant par leur biais une sorte d’hommage aux groupes qui l’ont influencé. ‘Merci [puR]’ est dédié bien entendu aux fans du groupe puis s’enchaine ‘Encore !’ et ‘Frater’ qui démontrent la foi de Galaad en l’homme et en l’Humanité laissant entrevoir la lumière dans un monde de plus en plus obscur dont le cri symbolisé aussi par la guitare tranchante de Sébastien qui malgré la chaleur émerveille toujours de son toucher de cordes exceptionnel et sa sensibilité digne des plus grands. En guise de "rappel" (le groupe restant sur scène pour éviter à Laurent de se déplacer), nous aurons droit à un 'Epistolier' de derrière les fagots, chacun jetant ses dernières forces dans la bataille et nous de même en se disant ça y est, c'est presque fini...
Les saluts finaux montrent un groupe soudé que la musique a su réunir, manifestement touché par l'accueil de ce soir, par l'ambiance et les applaudissements qui durent malgré le couvre-feu. Le moment de se quitter est difficile mais il faut y aller. Dehors, les échanges se prolongent, évoquant comment le groupe s'est reconstruit, la logique de ce retour, les difficultés à trouver des dates de concerts... Alors messieurs (ou mesdames) les tourneurs, laissez vous tenter par Galaad, laissez vous tenter par The Morganatics, ce sont deux valeurs sûres de la scène francophone, qui ne demandent que vos appels.
Setlist :
La Machine
Seul
Le Feu et l'Eau
Stone
Sablière
La Loi de Brenn
Merci [puR]
Encore !
Frater
Justice
L'épistolier
Merci à Patrick Cerf pour les photos.