Les artistes belges ont toujours eu en France une belle cote, surtout pour leur sens des mots. Lilee ne fait pas exception avec son album "Rengaine-S" qui propose de jolies ritournelles avec une touche de modernisme.
Nous sortons petit à petit d’une situation que nous n’avions jamais vécu, une pandémie qui par définition a touché presque tout le monde et particulièrement les artistes et intermittents du spectacle, comment as-tu vécu cette période ?
Pour être honnête je me suis sentie privilégiée, je l’ai saisie pour sortir justement de ma zone de confort et en ai tiré profit comme par exemple laisser un peu ma guitare de côté pour poser enfin mes mains sur un piano, me remettre en question, revoir mon organisation, et surtout trouver un recul que je ne parvenais peut-être pas à avoir suffisamment avant tout ça… et particulièrement me rapprocher plus encore de mes enfants et profiter de moments « exclusifs ». Même si à aucun moment la réelle situation qui touche le culturel (ainsi que les autres secteurs professionnels) ne m’a laissée indifférente, c’est un « combat » qui de toute façon existait déjà avant la pandémie, peut-être celle-ci nous a-t-elle confirmée plus encore combien le milieu artistique manque cruellement de considération et peut être très fragile, c’est bien dommage.
La culture a pâti de cette situation avec la fermeture des salles de spectacles, et les gouvernements (du moins en France) ont invité les artistes à réinventer. Comment envisages-tu cette évolution ? Les réseaux sociaux sont-ils un moyen parmi tant d’autres ?
Dans un premier temps j’ai aussi proposé deux petits concerts en live sur les réseaux sociaux mais j’ai très vite compris que je n’y trouvais aucun plaisir et n’avais pas non plus le sentiment de vraiment offrir quelque chose de vrai ou de qualité aux auditeurs. Jouer face à mon téléphone n’a rien d’un concert live ni de très jouissif. Et puis j’ai très vite vu tout le monde se ruer sur ces directs ci et là, pour tout et n’importe quoi, je m’y suis vite perdue, j’ai préféré rester un peu en retrait et travailler en solitaire chez moi avec plutôt la hâte de proposer quelque chose de plus réfléchi mais surtout de plus sincère quand l’occasion s’en présentera enfin. On doit déjà réinventer tout le temps...
La sortie physique de « Rengaine-S » a été repoussée de quelques semaines, en revanche tu as maintenu la sortie digitale pour quelle(s) raison(s) ?
Tout simplement parce que celle-ci était déjà envoyée et programmée sur ces plateformes et puis finalement ça nous semblait concorder, le digital en confinement, là où tout le monde se connecte sur les réseaux sociaux et le physique pour les retrouvailles en live.
On peut voir les choses de différentes manières si on observe plus profondément.
La pochette de ton album est très jolie avec ces dessins (de Michael Relave) sur une photo de toi (en deux dont une qui s’estompe), est-ce un rappel voulu à l’enfance et à l’imagination plus parlante qu’une simple photo ?
On peut le voir ainsi car j’ai en effet ce côté « femme-enfant », mais aussi parce que j’aime aller chercher et jouer avec les sens, montrer qu’une interprétation peut aussi laisser place à d’autres… qu’on peut voir les choses de différentes manières si on observe plus profondément. Qu’il ne faut pas toujours se fier à ce qui paraît évident, aux premières apparences.
Qu’est-ce que explique cette typographie spécifique de Rengaine-S avec ce ‘S’ majuscule, séparé et rouge ?
Le single s’appelle RENGAINE, l’Album en réunit lui 12, c’était une façon de les intituler tous les deux.
Cet album a été enregistré par Dominique Blanc-Francard, comment en es-tu arrivée à collaborer avec ce célèbre ingénieur du son et que retires-tu de cette rencontre ?
C’est mon ami et ingénieur du son Maxime Pauwels (qui a aussi mixé cet album) qui un jour - lorsque nous étions encore en recherche du studio pour l’Album - m’a parlé de DBF en le mentionnant comme référence pour ce que j’écrivais et composais musicalement, je l’ai alors contacté en toute simplicité directement sur un réseau social. Et ça a été pour moi une merveilleuse surprise qu’il me réponde positivement. Cette rencontre pour moi a été plus qu’enrichissante. Dominique a fait appel à Laurent Vernerey pour faire la basse et contrebasse et Raphael Chassin pour la batterie. Travailler avec eux a été une expérience formidable humainement et professionnellement, avec eux j’ai pu réaliser « Rengaine-S » en toute sincérité, sans artifice, avec un vrai intérêt artistique et dans une simplicité comme je l’aime.
Cet album propose une grande variété de mélodies : folk, jazzy, rock. On pense parfois à l’univers de Jeff Buckley, Tom Mc Rae… Ces influences ont-elles nourri cet album ?
C’est possible car c’est en effet le style musical que j’écoute principalement, des artistes qui me touchent comme Peter Doherty, Janis Joplin, Richie Lee Jones et bien d’autres, curieusement j’écoute moins de chansons françaises. Et j’avoue que lorsque je compose et écris, je le fais dans une premier temps en « yaourt anglais » et c’est seulement quand ma chanson est approximativement terminée que je commence à la réécrire en français…
Ton écriture est très fine, parfois directe, parfois abstraite, très personnelle, notamment le titre ‘Dad’ dans laquelle tu sembles parler de ton père, l’écriture pour toi est-elle une catharsis pour exprimer des frustrations ? La chanson est-elle une thérapie ?
J’éprouve en effet un vrai apaisement au travers de mes chansons, c’est un canal d’expression pour moi plus aisé, voire plus serein émotionnellement que la parole directe, même si j’ai la discussion facile. J’aime écrire depuis toujours, jouer avec les mots et encore une fois, leur double sens…
Dans cet esprit, être compositeur-interprète est obligatoirement synonyme de se dévoiler un peu ? Comment mettre une frontière entre la part privée et la part publique que tu laisses entendre dans tes chansons ?
C’est là où je trouve le plaisir de jouer avec les mots, en y cachant des significations qui pourraient paraître différentes selon l'interprétation de chacun, du premier au second degré avec parfois du cynisme. Ma façon à moi en effet d’exprimer ce que je ressens forcément avec mes expériences, en chatouillant parfois.
A première vue, l’album peut sembler léger et pourtant tu abordes des thèmes sombres comme l’absence, le temps qui passe, la nostalgie, l’oubli (‘Même si’), la séparation… Lilee est-elle une femme à multiples facettes : souriante en vitrine et plus sombre à l’intérieur ?
Lors d’un ITV télévisé belge, on évoquait ma carrière artistique et l’un des chroniqueurs a pointé du doigt que j’avais gardé mon nom (Rachel) en tant que comédienne - qui donc joue des rôles - et Lilee en tant que chanteuse qui elle au contraire se met à « nu » et c’est au fond très vrai. Et oui, je suis de personnalité très positive donc même lorsque je ne me sens pas très bien, j’aurai tendance à garder le sourire devant les autres comme mes chansons qui ont un aspect léger alors que parfois derrière se « cachent » des côtés sombres et parfois tristes qui font références à certaines de mes nostalgies qui je le sais peuvent toucher d’autres.
Je peux aussi dans certaines chansons vouloir atteindre de la même façon les femmes.
Dans ‘Hey Man’ tu sembles t’adresser aux hommes en général, selon notre prisme d’écoute, il me semble qu’il s’agit d’un album féminin, fragile et fort à la fois, nuancé tout en étant à la frontière du féminisme. Au moment de l’enregistrement, as-tu pris conscience de la possibilité d’avoir des différentes strates de ressenti selon l’auditeur ?
Oui, et je reconnais peut-être même le viser volontairement mais sans une volonté féministe, parce que je peux aussi dans certaines chansons vouloir atteindre de la même façon les femmes.
La chanson réaliste était souvent l’apanage des chanteurs, depuis quelques temps maintenant, les femmes n’hésitent plus à parler de leurs expériences dans leurs chansons, d’exprimer leur ressenti (‘Elle ne veut plus’) et le partager, ressens-tu une libération de la parole depuis quelques années ?
Oui, pourtant je pense qu’elle n’a pas encore la même place que la parole des hommes, elle reste peut-être encore plus mise en doute…
Tu utilises ta voix comme un caméléon : elle peut être sensuelle, directe, charmeuse, mutine. Est-ce que, puisque la voix est un instrument, tu la travailles beaucoup ou fonctionnes-tu surtout à l’instinct ?
Surtout à l’instinct même si je fais malgré tout attention à la technique aussi.

Il y a beaucoup de contrebasse sauf erreur dans cet album, qu’est-ce que cet instrument apporte en termes de relief ?
Non en réalité il n’y a de la contrebasse que sur 3 titres, mais la basse de Laurent est assez ronde et j’aime le volume qu’il apporte que ce soit avec l’un ou l’autre instrument.
La scène belge a toujours eu un fort dynamisme dans la chanson francophone : on parle de Brel, Maurane, dernièrement Angèle, Stromae pour les chanteurs solos, Ks Choice, dEUS… pour les groupes. Elle semble être plus impertinente, plus aventureuse que la chanson française, usant d’humour et de bons mots, comment la situes-tu et quel est ton rapport avec cette scène ?
Difficile à dire, je trouve que certains artistes français offrent aussi dans leur musique cette impertinence qui nous caractérise ; j’y trouve tout autant de belles écritures et d’humour. Mais c’est la visibilité qui n’est peut-être pas la même, il semble que définitivement nous ayons besoin d’être d’abord reconnus en France avant que la Belgique porte un certain intérêt à ses propres artistes… que notre « notoriété » n’aura de crédit que si elle est reconnue dans le pays voisin.
Le clip ‘Rengaines’ est très réussi, très imagé avec ces animaux qui se succèdent dans des scènes de vies qui se répètent. Une sorte de fable de la Fontaine moderne. Qui a eu cette idée et quel message as-tu voulu faire passer ?
C’est moi, la chanson parle de « rengaine » qui fait avant tout référence à ces éternels phrasés que l’on balance partout et tout le temps. Car finalement nous utilisons tous ces mêmes arguments que ce soit lorsque nous tentons de nous excuser, d’argumenter, pour caresser dans le sens du poil, par ego ou par dépit, etc. Mais cette chanson fait aussi référence à nos émotions « universelles » qui nous reviennent à répétition et il serait peut-être bon d’en faire le tri et de s’écouter soi-même pour quitter une certaine hypocrisie et retrouver une sincérité. Je trouve que nous perdons un temps bête à chercher des « coupables » plutôt que des solutions… Les masques sont à la fois justement ceux derrière lesquels nous nous cachons dans cet aspect, mais ils font aussi référence à nos comportements animaux.
La période pourrait être très frustrante car tu n’as pas pu défendre l’album sur scène, faire des live. Nous commençons à retrouver une certaine liberté, comment abordes-tu cette phase ?
Très bien, je me fais discrète pendant le confinement mais en réalité je prépare ma sortie (et aussi celle de l’album physique) avec beaucoup de hâte, de nouvelles compositions et voire déjà l’envie d’un nouvel album mais surtout une vraie gourmandise de nouvelles scènes.
Qu’attends-tu de ce nouvel album ?
Cet album est pour moi comme si je me dévoilais plus intimement et plus ouvertement à la fois… J’y découvre moi-même une « Lilee » sensible qui ne demande pourtant qu’à s’ouvrir plus et à percer encore plus sa bulle. D’où l’envie de déjà écrire pour un prochain opus avec plus de caractère.
Un dernier mot pour les lecteurs de Music Waves ?
Prenez soin de vous, et des autres… Bisous doux.