Music Waves a poussé la porte d'un donjon gothique où se terre un être étrange mi-metal mi-indus. Chemical Sweet Kids nous propose un voyage au plus profond de nos cauchemars mais non content de nous bousculer un peu nous offre une bonne trajectoire vers la surface. Nous avons pu converser avec le sympathique Julien sur son dernier album.
Bonjour. Sauf erreur, c’est notre première interview pour Music Waves. Nous avons l’habitude de commencer par la question traditionnelle : quelle est la question qu’on vous a trop souvent posée?
Quand on me demande de quoi parle l'album ou les paroles, je rechigne un peu à répondre. Car il suffit parfois d'aller voir dans le livret. C'est toujours compliqué d'expliquer les paroles d'un morceau, ça raconte une histoire, chaque chanson constitue un extrait de cette histoire. Donc je peux donner une vision d'ensemble mais pour les détails, il vaut mieux prendre le livret et lire les paroles. A l'ère du tout digital, on continue à faire des CDs et pour moi c'est mieux d'avoir en main l'objet avec les paroles et la pochette.
Aïe aïe aïe, j'avais plein de questions de ce type.
(rires) Tu peux les poser. J'ai toujours du mal à définir tout ça et mettre des mots dessus, alors que c'est moi qui les ai écrits !
Ou alors tu préfères laisser libre cours à l'interprétation.
Non, parce que ce sont des paroles toujours très personnelles. Je mets toujours des mots sur des sentiments et des situations vécues. C'est toujours difficile d'expliquer des paroles nées de sentiments. Comme les paroles sont souvent romancées, certains peuvent s'y retrouver et avoir leur propre interprétation. Même si c'est personnel, j'espère que les gens arrivent à se les approprier.
Bizarrement en cherchant votre lieu d’origine, je suis tombé sur des pages en allemand, rassurez-nous : vous n’avez pas changé de nationalité et on n'a pas rendu la Lorraine aux Allemands?
C'est vrai qu'on passe beaucoup de temps en Allemagne pour les concerts. Ces deux dernières années, on a joué principalement en Allemagne, en République Tchèque et en Autriche. On n'a dû jouer qu'une seule date en France dans un bar tenu par des potes où on est toujours bien accueillis. On devait revenir au mois d'avril à Paris, Lyon et Metz mais au mois d'avril, on était tous à la maison.
C'était avec un groupe qui ouvrait pour Rammstein si je ne m'abuse, avec un chanteur qui est tombé malade?
Ça, c'était Project Pitchwork et c'est Rammstein qui ouvrait pour eux en 1995. On devait jouer avec eux au mois de février. Malheureusement le chanteur a été opéré, donc le concert a été dans un premier temps reporté de février à mai. Puis de mai à l'année prochaine. C'était la première partie de la tournée qui commencera en octobre-novembre si tout se passe bien. Parce que j'ai l'impression qu'on est un peu maudits sur cette tournée...
Comment expliques-tu l'intérêt de ces Allemands pour votre musique?
L'Allemagne c'est le berceau de la musique gothique. Ce que j'ai vu, c'est que le public allemand est curieux et friand de musique. Les fans suivent le groupe à travers le pays. On avait une tournée en Allemagne l'année dernière avec dix dates et les gens étaient là tous les jours. On pouvait avoir 500 kilomètres entre deux dates mais ils répondaient toujours présents. Ce qui m'a surpris, c'est que s'ils viennent voir une tête d'affiche, tout le public est déjà là pour la première partie. A Hambourg, on était arrivé sur scène à 8 heures en pensant que ce serait calme, mais il y avait déjà 1000 personnes, ce qui fait plaisir.
L'Allemagne c'est le berceau de la musique gothique.
A l'inverse, les Français seraient plus frileux?
Je n'ai plus vraiment de point de comparaison car nous n'avons pas joué en France depuis trois ans. Ce ne sont pas les mêmes scènes. Je ne jette pas la pierre parce que souvent pour les premières parties, on est au bar avec les potes. Mais les choses ne sont pas figées, j'attends juste de voir l'année prochaine quand on reviendra jouer en France.
Tu as beaucoup tourné aux côtés de Porn, est-ce que tu penses qu'à l'époque où vous avez tourné ensemble, vos musiques respectives se seraient mutuellement influencées?
En fait, on a pas vraiment tourné avec
Porn. On avait deux dates prévues qui ont été malheureusement annulées. On avait fait une date sur Paris. Mais on se côtoie, on se parle par messagerie interposée. J'avais d'ailleurs croisé Philippe Deschemin lors d'un festival en Allemagne l'année dernière. Je ne pense pas que nos musiques se soient influencées, on a chacun notre style. Je ne pense pas qu'on se soit influencé l'un l'autre.
Ou alors pas de manière consciente. Bien sûr ce serait absurde de comparer lorsque le dénominateur commun est juste la musique.
Je trouve qu'il a une voix un peu plus posée, plus chantée, plus planante avec une musique violente et agressive. Nous on a un côté plus agressif avec notre côté electro, ça crée un mix electro-guitare. Porn, ils ont vraiment une batterie et une guitare sur scène, donc c'est plus rock et plus planant. ça me fait très fortement penser au rock des années 90.
Sauf erreur en 9 ans, vous avez sorti 5 albums, comment réussissez-vous à garder ucen rythme assez soutenu?
On a le droit à un album tous les deux ans, ce n'est pas paraître soutenu. Je compose tous les morceaux en studio et une fois que je les ai terminés, je les envoie à notre guitariste qui ajoute sa touche personnelle. La musique est une passion, donc dès que j'ai l'occasion de composer des morceaux je le fais. Faire une dizaine de morceaux en deux ans, je ne trouve pas ça insurmontable.
La musique est une passion, donc dès que j'ai l'occasion de composer des morceaux je le fais.
Bravo, tu as anticipé la question suivante. J'allais te poser ensuite cette question : en studio, êtes-vous un groupe démocratique ou est-ce l'autorité dictatoriale de Julien sur les autres?
Ni l'un ni l'autre ! Lorsque j'ai crée le groupe en 2008, j'en étais l'unique membre. J'étais DJ et je composais de la musique de mon côté. Pour un live, j'avais mis en avant mes morceaux plutôt qu'un DJ set. J'ai commencé seul avec quelques synthés, un micro et des ordinateurs. Depuis le début, c'était un projet personnel. A partir du moment où des musiciens sont arrivés, on a toujours travaillé comme ça. Même si j'avais tendu une perche à notre ancien guitariste, Nico qui est arrivé en 2015 et qui est parti fin 2019. Je lui ai dit : "On peut travailler dans l'autre sens, tu m'envoies des riffs de guitare et je peux composer autour.'' J'essaye de faire la même chose avec notre nouveau guitariste Yann, qui habite à Berlin. Yann devait faire son premier concert en Suisse le 14 mars mais comme le confinement a été prononcé le 17 mars, le concert a été repoussé en fin d'année.
Il y a eu un autre changement de line-up, Kora Li quitte le groupe au profit de Compte Nefaria. Comment avez-vous vécu ce changement ?
Kora Li, c'est ma femme. Elle a commencé un concert avec moi en 2010. Elle a arrêté en 2018 remplacé par Gauthier. Gauthier travaillait déjà avec nous. On projetait des vidéos sur scènes et il travaillait dessus. Il a aussi fait les lyrics video.
Donc Compte Nefaria c'est lui?
C'est bien la même personne?
Est-ce facile d’intégrer Chemical?
Oui, on était déjà amis, on travaillait déjà ensemble, on se faisait des soirées à la maison. C'est un très bon soutien au groupe. Yann aussi nous aide sur le site Internet. Je n'ai pas beaucoup d'exigences. Un journaliste me demandait : ''Quand tu recherches un guitariste, tu cherches un style pointu ou un genre particulier?'' Pas du tout en fait, moi c'est avant tout les relations humaines qui comptent. Je préfère avoir un guitariste un peu moins bon et avec qui je m'entends bien plutôt qu'un très bon guitariste mais imbuvable avec qui on ne peut pas passer plus d'une heure. Parce qu'en tournée, il faut vivre ensemble et ce n'est pas toujours facile.
Surtout que ce guitariste pas très bon mais adorable peut progresser.
J'imagine que la personne qui intègre un groupe doit être sûre d'elle-même pour jouer. J'avais discuté avec un guitariste qui avait été pressenti. Il m'avait dit qu'il ne se sentait pas assez bon pour jouer avec nous. Il n'y a pas de problème, ça se voit sur scène si la personne ne le sent pas!
La pochette -version revisitée en dessin de ''Addicted to Addiction'' - mélange
un esprit poétique ("Mon cœur mis à nu" de Charles Baudelaire) et
horrifique symbolisant la dualité humaine. Alors que dans les trois
premiers, on y voyait la domination du temps (avec la figure du cercle
qui se complète), ceux-ci semblent tourner autour du cœur? Est-ce que les trois premiers seraient une trilogie et
les deux derniers albums accusent un lien de sympathie qui ne serait pas
qu’iconographique?
Je me suis fait la réflexion hier. J'étais sur ma page Spotify et j'ai vu les deux pochettes l'une en-dessous de l'autre. La position est la même mais ce n'était pas voulu.
Je n'ai jamais pensé à ça comme une trilogie. Pour le premier album ''Tears Of Pain'', on avait beaucoup tourné autour du thème de la douleur, de la souffrance interne. Le deuxième album était plutôt lié aux rêves que l'on pouvait avoir et que l'on ne pouvait accomplir. ''Speed Of Time'', c'était l'angoisse liée à la perte du temps. C'est très contemporain. Aujourd'hui, on a tous nos smartphones, nos emails, on est toujours connecté. Finalement, on n'a pas de temps pour nous, on ne vit jamais le moment présent. Dans le quatrième ''Addicted To Addiction'' traitait d'addictions et dépendances. C'était un jeu de mots, on est addict à l'addiction, c'est le serpent qui se mord la queue. Avec cet album, ce serait plutôt un retour à ''Tears Of Pain'', le sujet revient sur les angoisses et les peurs. Pour répondre à ta question, je n'ai pas vu ça comme une trilogie mais comme un ensemble avec un fil conducteur, un aspect sombre et inquiétant. C'était peut-être inconscient mais je n'avais pas une vision d'ensemble, j'avançais progressivement.
On revient sur la pochette : parle-nous de la conceptrice/concepteur Wendy Sabercore, on a l’impression que
depuis le premier album en 2011, il y a vraiment une ligne directrice
entre toutes celles-ci? Je pensais même que Wendy était l'auteur de toutes les pochettes.
D'abord Wendy est bien un homme, même moi au début, je ne savais pas trop. Chaque pochette a été faite par un designer différent. En général, je fais un brouillon et je l'envoie au graphiste qui peut le retravailler. Pour ''Speed Of Time'', j'avais flashé sur la photo. J'ai donc acheté la photo au photographe puis j'ai ajouté une horloge. J'ai envoyé le tout à un graphiste qui l'a mis au propre. Pour ''Addicted To Addiction'', j'avais contacté un graphiste qui fait les designs de nos tee-shirts et qui a fini le design de la pochette. Lorsqu'on a fait la séance photo, moi et Kora Li on s'est dit que ces photos collaient mieux à la pochette. Alors on a changé nos plans à la dernière minute. Pour la dernière pochette, j'ai rencontré Wendy sur les réseaux sociaux - Wendy habite en Indonésie. En regardant son travail, j'ai vraiment été impressionné. On dirait des affiches de films d'horreur. Tu disais tout à l'heure que ça te faisait penser à la pochette d' ''Addicted To Addiction'' en dessin. Comme j'étais impressionné, je lui ai posé la question : est-ce que ce sont des photos, des dessins? Il m'a dit qu'il prenait des photos avec de vrais modèles et qu'ensuite, il retravaillait les photos. ça fait très dessin mais en fin c'est un montage photo.
D'après ce que j'ai compris, tu donnes des indications au concepteur mais tu lui laisses carte blanche enfin plutôt noire?
Oui, c'est son boulot, donc j'imagine qu'il peut partir dans d'autres directions et avoir des idées que je n'aurais pas eues. Le tout c'est qu'il y ait un échange pour pouvoir modifier ce que je n'aurais pas approuvé ou accentuer les directions qu'il aurait voulu prendre. C'est toujours bien d'avoir un avis extérieur. Si on reste cantonné dans ses idées, on peut louper plein de choses. Que ce soit en musique et en dessin. Quand on collabore avec d'autres, on apprend toujours. Je sais qu'il y a des gens plus fermés qui veulent tout diriger de A à Z. Soit ils sont bons partout ce qui me paraît difficile mais peut-être pas impossible, mais moi je préfère écouter ce que les autres ont à dire même si l'idée est rejetée ensuite.
C'est tout à ton honneur.
Merci
On va commencer à parler de l'album. J'espère que ça va aller puisqu'au départ tu m'avais dit que tu avais horreur d'en parler.
(rires) Non, ça va aller !
On va voir... Tu peux m'arrêter et me dire : "Je ne répondrai pas à cette question". L’album débute par 'Shall We Begin', avec sa mélodie glaçante de boîte à
musique et ses voix tourmentées. On retrouve une inquiétante étrangeté
unheimlich chère à Freud et peut-être aussi un esprit ludique, 'Shall We
Begin', est-ce que vous accepteriez de passer la porte de votre monde
confortable pour basculer dans la peur? C’était voulu de commencer avec
quelque chose d’assez subtil ? Ça rappelle un peu - dans un autre domaine - le "Welcome To My Nightmare" d'Alice Cooper, un épigramme.
C'est ça. C'est une introduction J'ai visité une exposition sur Halloween. Il y avait une installation avec une tête de clown inquiétante et une boîte à musique en fond sonore. J'ai toujours été attiré par les musiques et les films un peu sombres. Cette boîte à musique ça symbolise un peu l'enfance. Ce n'est pas un
sample. J'ai utilisé un logiciel qui simule le son de boîte à musique. J'ai joué une mélodie sur laquelle j'ai ajouté des
samples de films. C'est un vrai patchwork. Quand je regarde une série ou un film, j'entends parfois une phrase qui peut être
samplé et je la note. Une introduction, c'est toujours délicat. Je me demande toujours si je dois en ajouter une. Ça annonce la couleur mais j'imagine que les gens l'écoutent la première fois et la zappent ensuite.
Justement, ça se tient. On ne sait pas trop vers où on va et il y a quelqu'un qui nous dit : "On commence ou pas, qu'est-ce qu'on fait?" Et en plus ça inclut un jeu avec l'auditeur. Même si l'auditeur ne veut pas commencer, il écoutera.
Ça se prête bien en intro pour les concerts, donc on la réutilisera. Mais oui, la réponse est connue.
Même si vous posez la question à l’auditeur, vous ne vous embarrassez
pas de sa réponse et démarrer avec 'Lost Paradise' et ses riffs tranchants
de guitare de Marcus Engel. Comment s’est effectué la collaboration
avec ce guitariste?
Marcus est guitariste dans un groupe qui s'appelle Rabia Sorda avec qui on a beaucoup joué en Allemagne en 2017 et 2018. On s'entend bien avec eux. Lors d'un festival à Berlin, j'ai proposé à Marcus de faire un featuring sur un nouveau morceau. Il a été tout de suite partant. Lorsque je lui ai envoyé le morceau à choisir, son choix s'est fait sur 'Lost Paradise'. ça s'est fait naturellement, au fil de la discussion.
(à ce niveau de la conversation, l'intervieweur est victime d'une morsure de son félin mais sans se démonter, il poursuit) On admire ta palette vocale, capable de passer d’une voix
séductrice mais visqueuse à la rage sur les refrains. Est-ce que cette
schizophrénie vocale est une marque de fabrique?
Quand j'écoute un groupe, j'aime avoir de la diversité, voyager et avoir des montagnes russes. J'imagine toujours un refrain rageur que les gens pourraient chanter avec nous dans le cadre de concert. Pour les couplets, je les préfère chantés avec une voix plus inquiétante, chuchotée pour que cela donne une dimension émotionnelle d'un morceau. Si on ne fait que crier tout au long d'un album, ça peut être un style - je l'ai peut-être même déjà fait (rires) - mais tout au long d'un album, ce serait trop lourd à écouter. J'aime cette dualité dans la voix et ça permet de s'amuser parce qu'avoir une voix toujours monocorde, c'est un peu moins mon délire.
Il y a une séduction horrifique. Malgré la peur, on a envie de te suivre, voir ce que ce gars-là a à nous proposer.
J'ai entendu une phrase : ''Il y a une part de beauté dans l'agressivité''.
J'ai entendu une phrase : ''Il y a une part de beauté dans l'agressivité''.
En plus c'est fortifiant, ce n'est pas plombant. Cela dégage une adrénaline.
C'est ce que j'essaie de faire. J'aime bien voyager dans un album et j'essaie de recréer ça. C'est comme un défi, car au fil des albums, on essaie de s'améliorer. Varier le chant, proposer quelque chose de nouveau, surprendre et ne pas stagner.
Le titre 'Lost Paradise' évoque Milton mais également la chute de
l’ange, c’est une façon de baliser la piste en nous donnant une idée
d’une origine impossible à retrouver, une nostalgie d'un temps détruit?
C'est un peu ça. Dans un film, j'ai entendu une citation de Shakespeare, ''L'enfer est vide, tous les démons sont ici.'' (ndlr : ''La Tempête'') la première phrase du morceau. C'est un monde perdu, la recherche d'un Paradis qu'on peut difficilement trouver. C'est un peu ce qu'on vit tous depuis deux mois, sans le vouloir c'est prophétique (rires). Si j'ai un don de prophétie, je devrais alors écrire des morceaux plus joyeux.
L’intensité de l’album est assez soutenue, les titres s’enchaînent
parfaitement comme un livre sonore. Les premiers morceaux se ressemblent
mais en fait dans chacun d’eux une nouvelle porte s’ouvre, comme si
petit à petit vous nous transportiez là où vous voulez
et vous laissez la peur nous envelopper, ce qui semblait familier
devient inquiétant, comme si on suivait une progression dramatique.
Tu parles de livre sonore. J'aime bien voyager quand j'écoute un album. Alors en composant des morceaux et en les assemblant ensemble, j'essaie de faire voyager l'auditeur. Certains groupes ont des morceaux qui fonctionnent individuellement mais quand on les écoute les uns après les autres, on est trop fatigué parce que soit c'était trop percutant et agressif tout au long, soit trop lent et long. J'essaie de varier les morceaux. On démarre avec des morceaux soutenus 'Lost Paradise', 'Never Again', 'Plain Business', après on a des morceaux lents et lourds comme 'Forgiven', 'Under The Spell' entre les deux, des morceaux très dansants comme 'Dance With The Shadow', un interlude qui reprend la boîte à musique avec des paroles. J'essaie de rythmer l'album pour que l'auditeur ne s'ennuie pas. C'est ce qui donne cette impression d'intégrer petit à petit notre univers.
Vos influences sont assez riches, bien sûr dans le domaine indus on
retrouve Marilyn Manson ou encore Nine Inch Nails accouplés à une touche
gothique, un esprit hérité de Killing Joke voire EBM (Front 242). Comment fait-on pour mélanger ses identités mais garder toujours
sa touche personnelle?
Killing Joke et
Front 242 je ne les connais pas donc ça doit être inconscient. Cela me surprend toujours quand on me dit que cela ressemble à des groupes que je n'écoute pas. J'ai beaucoup écouté de styles de musique, j'ai commencé par le metal avant d'aller vers une techno hardcore un peu sombre. J'aime beaucoup
Marilyn Manson,
Rob Zombie. En écoutant beaucoup de musique, tu t'imprègnes de tout ça. Quand je me mets devant mon ordinateur pour composer, je suis dans une bulle et je me dégage de tout ça mais inconsciemment, ça doit ressortir un moment à un autre.
En ce qui concerne Killing Joke, ce groupe a influencé tout le monde mais personne ne le sait!
J'ai dû écouter un ou deux morceaux. Mais ils ont dû m'influencer par groupe interposée.
Je ne sais plus de quel morceau il s'agit mais sur cet album, il y a une chanson dansante avec une cadence soutenue qui m'a fait penser à 'Harlequin'.
Non, je ne connais pas ce morceau. J'essaie d'avoir deux trois morceaux un peu rythmés qui puissent convenir aux DJ. Surtout en Allemagne où il y a une grosse scène gothique avec des DJ et des clubs. Et puis c'est réjouissant de voir les gens danser devant nous quand on les joue.
La question qui va fâcher. Quelle est l’idée directrice de 'Playing With Knives'?
Non, ça ne va pas fâcher (rires) ! C'est la symbolique du mal-être et du suicide, le couteau. Une personne qui voit tout en noir et qui se force à aller mieux. Dans le refrain on a : ''On se sent comme une coquille vide''. C'est la symbolique du passage à l'acte.
Dans le clip, on voit une jeune fille qui enterre sa poupée et qui brûle la maison de poupée. J'ai vu ça comme un infanticide de soi. Comme si l'adulte avait perdu contact avec l'enfance.
Tous les grands psychologues diront que tous les problèmes viennent de l'enfance. Cette personne a résolu son problème en se déconnectant de son enfance.
Dans les clips, c'est difficile. J'ai du mal à mettre la musique en images donc je donne des idées directrices au réalisateur qui a sa façon de voir les choses et a des restrictions à gérer - lieu, budget, temps, figurants. C'est comme quand on veut se faire un tatouage, au final ça ne ressemble pas à ce qu'on voulait au départ.
On est plus le maître du clip, toutes les interprétations sont possibles.
Oui. J'avais mes idées qui étaient irréalisables et lui les siennes plus réalisables. Les réalisateurs pensent en 360 alors que moi non (rires). C'est comme une pochette, c'est une discussion et on peut trouver un compromis.
Justement c'est un beau clip. Mais est-ce que tu penses que cette fille a résolu son problème ou a-t-elle simplement construit un mur autour d'elle pour s'emmurer ?
Les psychologues veulent nous faire replonger dans l'enfance. En s'emmurant, on ne résout pas un problème. Quand on se dispute avec quelqu'un et qu'on part, le problème n'est pas résolu et reste sous-jacent.
Dans le clip, on ne sait pas si c'est toi qui exerces une influence sur cette personne, si tu es un démon extérieur ou intérieur.
Je suis un peu le symbole du mal qui l'habite. C'est dur de raconter une histoire complexe en quatre minutes. Comme je l'ai dit au réalisateur, je devais être le démon qui l'influençait au passage à l'acte. D'ailleurs à la fin, quand elle est dans cette espèce d'hôpital psychiatrique, je suis au-dessus d'elle. On avait tourné ce clip dans un bunker. Le réalisateur connaissait un particulier qui avait acheté un bunker pour le reconvertir en paint ball. C'était immense. On s'est amusé à faire ce clip.
Il y a une dimension dansante dans votre musique, un peu comme
Shâârghot. Les rythmiques répétitives et martelantes de 'Lights Out',
'Dance With The Shadows' ou 'Push Your Limits' invitent à la piste de dance
d’une discothèque souterraine. On peut imaginer que si l'enfer était pavé de discothèques, on pourrait danser sur du Chemical Sweet Kids.
Tout à fait, parce que la musique est sombre et inquiétante. Je veux faire des morceaux dansants car cette musique s'adresse à un public qui veut danser. J'aime bien aussi composer des morceaux lents et inquiétants comme 'Forgiven'. Dans ces deux styles de morceaux, je m'y retrouve. Et cela permet de laisser du temps à l'auditeur pour respirer.
Tu as anticipé la question suivante! La courte 'Sick Of All', une nouvelle mélodie tétanisante chantée par
ta voix suave, sert-elle de transition pour sortir la tête de l’auditeur
hors du baquet de sang où vous lui la mainteniez?
C'est ça. Le laisser respirer et aussi le surprendre. La première fois tu ne t'attends pas à ça. ''Qu'est-ce que c'est? Il nous remet l'intro?'' C'est le tout dernier morceau que j'ai enregistré, comme le travail sur la pochette traînait un peu. J'avais les paroles écrites depuis longtemps. Par hasard, je me suis mis à les chanter sur la mélodie de la boîte à musique. Comme il y avait déjà pas mal de morceaux sur l'album, je me suis demandé si c'était pertinent d'en ajouter un autre. Cela m'a pris peu de temps puisque j'avais déjà musique et paroles. J'ai trouvé que c'était intéressant de le placer au milieu de l'album. Sur tous les albums, il y a un morceau qui sort du lot et qui permet de souffler.
Justement, comme si la pause était bénéfique 'Forgiven' relance le
mécanisme. Le ton est plus martial et même ta voix plus autoritaire
comme si tu clouais au pilori ton propre auditeur mais aussi toi-même (tu dis "I lost my innocence"). De manière générale, est-ce qu’il y a un jeu
invisible avec l’auditeur? J'ai l'impression qu'on est plus énervé ensuite avec 'Under The Spell'.
Je prends plaisir à composer des morceaux très lents et lourds avec un chant lancinant. J'imagine les gens se balancer de droite à gauche et j'aime bien le côté angoissant qui met mal à l'aise autant au niveau des paroles que du son. Sur 'Addicted To Addiction', j'avais un morceau dans cette ambiance 'Some Kind Of Madness'. 'Under The Spell' c'est mon morceau préféré, il est lent, dansant et guerrier avec les cris qu'on entend au début.
J'ai trouvé que sur certains morceaux, la musique était en phase avec le titre. On a l’impression d’être pris dans un brasier sur 'The Fire Within', le climat est assez étouffant. Sur 'Up And Downs', les claviers sonnent comme un glas.
J'aime beaucoup l'intro de 'The Fire Within', c'est apocalyptique, j'imagine le sol exploser et les météorites tomber.
'To The Grave', vers la tombe, on suit un mouvement qui paradoxalement
ressemble non pas à une chute mais une ascension. Est-ce que cela
voudrait dire qu’on suivrait de nouvelles aventures sous les terres du
ciel et qu’un nouvel album serait bientôt à l’ordre du jour?
C'était pour moi la fin de l'album, je n'ai pas pensé que cela ouvrait une autre piste. La musique est une passion donc il y aura une autre aventure. Vu que je suis confiné dans mon studio depuis deux mois, j'en profite pour prendre un peu d'avance. Du coup, peut-être qu'il y aura une livraison plus tôt que prévue.
Donc, vous pourriez vous retrouver en tournée pour promouvoir deux albums?
(rires) Non, il ne faut pas gaver les gens avec trop d'albums. Trop d'information tue l'information. J'ai aussi fait des collaborations et un morceau va bientôt sortir. Je pensais à un single en fin d'année. Mais il n'y aura pas d'autre album en 2020.
Comment tu vis l’enregistrement de ton chant, est-ce que tu deviens
un autre ou au contraire tu te libères de certains de tes démons bien
sûr en les exagérant?
C'est une expression des paroles que j'aime écrire. On devient un autre en écrivant mais quand on chante la technique nous rappelle à la réalité. Quand on chante, on se rend compte que ça ne correspond pas du tout à ce qu'on avait en tête. Il faut repenser la ligne de chant ou s'acharner à réaliser notre idée initiale. J'enregistre moi-même car je dois appuyer sur les boutons. C'est bien de s'échapper, j'ai le casque sur les oreilles et j'aime fermer les yeux et m'imaginer sur scène en train de transmettre une émotion.
On devient un autre en écrivant mais quand on chante la technique nous rappelle à la réalité.
Voilà, il y a bien un auditeur invisible!
On a le cerveau divisé en deux, l'aspect technique et l'aspect émotionnel.
Avec sa durée de 50 minutes, n’aviez-vous pas peur d’être trop
copieux quand la durée moyenne des albums tourne plutôt autour de 40
minutes?
J'ai l'habitude de faire des albums de douze morceaux. Alors je m'étais dit, faisons-en 10 pour une fois pour sortir l'album plus rapidement. Mais du coup sur cet album il y a 14 morceaux originaux et deux remix... Toutefois sur ces 14 morceaux, on a une intro et un interlude, on a donc douze morceaux à proprement parler, donc ça reste dans la norme. Mais c'est vrai que sur des albums de 15 titres où chaque chanson évolue sur une durée de trois à quatre minutes, ça devient difficile à digérer. En-dessous de dix ou onze, je trouve ça trop court.
Un bon album peut aussi contenir trois morceaux de chacun 20 minutes. Music Waves est ouvert à toutes les musiques, bien qu’à l’origine
spécialisé dans les musiques progressives, que pensez-vous de ce genre
et est-ce qu’un jour vous vous y aventureriez comme vous avez muté de
l’électro au metal?
Oui, c'est
Pink Floyd qui faisait ce genre de morceaux. A l'époque, on galérait pour rembobiner la bande et trouver le moment qu'on voulait écouter mais aujourd'hui avec Spotify c'est à portée de clics. Je ne connais pas bien le rock progressif. Mais ça me rappelle des souvenirs. Quand j'étais à la fac, j'habitais dans une chambre de 9 m2 dans une cité universitaire. Mes voisins étaient branchés rock progressif. J'ai bouffé du
Magma et mes voisins parlaient en kobaïen. Ces mecs sont assez barrés. Le rock progressif ça doit attirer les vrais musiciens et les guitaristes. Pour quelqu'un extérieur à la technique musicale, ça doit être dur. Si je devais faire du metal ou du rock progressif, ça s'éloignerait trop. Un groupe doit évoluer mais avec un tel virage, il faudrait plutôt faire un autre projet. Mais je suis ouvert à plein de choses.
Ou alors sur un seul morceau en mélangeant plusieurs atmosphères. Tu pars sur quelque chose de posé, puis tu part sur quelque chose de plus tourmenté avant de retrouver l'apaisement.
Je l'avais fait sur ''Addicted To Addiction'' sur 'Just Trying To Exist'. Sur un morceau c'est intéressant comme interlude.
Donc c'est ton morceau prog.
C'est un peu fou le rock progressif, je n'arrive pas trop à savoir ce que c'est. Il y a des débats, est-ce que tel groupe est progressif ? Comment le cataloguer ? Je me suis jamais penché là-dessus. Si tu penses que c'est lié au prog, je te fais confiance.
Rock progressif, c'est une étiquette amovible. Pour moi, c'est voyager.
Je vois, sortir des schémas, couplets/refrains, laisser libre cours aux idées du compositeur. Mais
Magma, ça m'a vraiment traumatisé! (rires)
Pour développer cet univers gothique metal-indus cauchemardesque,
est-ce que tu t’inspires d’autres media comme le cinéma, la
littérature, la peinture voire les jeux vidéo?
Inconsciemment, beaucoup de cinéma. A une époque, je regardais des films sombres. Un peu moins maintenant, sinon je serais dépressif H24 (rires). J'ai été marqué par des films comme ''The Crow' ou ''Saw'' et ''Cube''. ça m'a lancé dans cette direction. Musicalement, j'ai toujours été attiré par les musiques sombres. Je n'écoute pas beaucoup de hip-hop mais Cypress Hill m'a marqué, c'est sombre. J'ai beaucoup lu. J'aime beaucoup Cédric Sire. Les jeux vidéos pas tellement, je crois n'avoir possédé qu'un jeu vidéo : Tony Hawks Pro Skater (rires) à l'époque où je faisais du skate.
Tu proposes souvent des remixes de tes chansons, est-ce que c’est
par volonté de toujours faire évoluer ton œuvre ou cette fois-ci pour travailler
avec Chris d’Agonoize ou Nachtmach?
Je trouve intéressant de prendre un morceau metal et de le transposer dans un autre style et voir comment la personne pourrait l'imaginer. J'ai rencontré en 2015 le chanteur d'Agonoize. On a beaucoup parlé d'une collaboration mais comme il est très occupé, on a profité de son temps libre pour la concrétiser. Je connais Nachtmach personnellement, il m'avait demandé de faire une reprise pour un album spécial covers. On s'est revu au mois de juillet et on a reparlé de la cover. Il m'a dit qu'il m'en devait une et faire un remix. J'ai décalé la sortie de l'album pour l'inclure. Je trouve intéressant d'avoir une vision electro d'un morceau metal indus.
Finalement à vouloir partager tes cauchemars les plus vénéneux, n’es-tu pas Julien, une âme généreuse?
Je donne de la matière aux autres pour partager tout ça avec moi.
En somme tu es posé. Il existe un cliché que les gens qui font de la musique tourmentée, malaisante sont des gens qui sont également tourmentés ou suicidaires.
On dit que les plus grands comiques sont les plus grands angoissés. On peut avoir un sourire et être angoissé, tout dépend de la façon de gérer. Je suis quelqu'un de très angoissé et anxieux et je le rejette dans les morceaux. Mais je ne vais pas le montrer à tout le monde. Si mes morceaux parlent d'angoisse et de suicide, cela ne veut pas dire que je vais prendre un couteau et me tailler les veines toutes les cinq minutes. Il y a un juste milieu. A la fin du film ''Saw'', je me suis dit que les mecs devaient être malades pour inventer une fin comme ça. Mais je pense que ces gens sont sains d'esprit. J'essaie aussi d'être sain d'esprit.
On arrive à la fin de l'interview, avec trois questions traditionnelles. Quel est ton meilleur souvenir de scène?
Ce sont des questions difficiles pour y répondre. Etre sur scène, c'est toujours un plaisir, de partager avec le public. On faisait la première partie d'un groupe phare de la scène electro gothique à Hambourg. On était la première partie, on arrive sur scène à 20 heures en se disant qu'il n'y aurait personne. Des loges, on a vu 1000 personnes : ça fait plaisir!
Et a contrario ton pire? Le même?
(rires) Non ça s'est très bien passé. On apprend toujours sur scène. On avait joué à un festival, on jouait à 11 heures. On avait les grandes roues et les boîtes de nuit. A neuf heures pendant nos balances, on voyait les mecs défoncés sortir des boîtes de nuit. Dans un autre festival, on jouait en plein soleil à 13 heures avec 35 degrés... Le maquillage coulait et les gens partaient se mettre à l'abri. Sinon lors d'une tournée au Mexique, sur la scène on avait les prises électriques qui pendaient à nu. On s'est dit : ''Est-ce qu'on va finir électrocutés?'' D'ailleurs le son a sauté pour le groupe qui passait après nous.
Nous aimons bien finir nos interviews à Music Waves par la question à laquelle tu aurais aimé répondre?
Honnêtement, je pense qu'on a bien fait le tour du sujet. Je ne vois pas. Une fois on m'a demandé qu'est-ce que j'aimerais faire de plus en tant qu'artiste pour le groupe. De faire une belle tournée. On a eu la chance de jouer avec beaucoup de groupes qu'on apprécie beaucoup comme Combichrist. J'ai eu la chance de voir mon idole Rob Zombie trois fois en concert. Si on pouvait faire une date en première partie de Rob Zombie ça serait génial.
Justement comme lui qui a su diversifier ses activités, notamment en réalisant des films, est-ce que tu envisagerais avec l'univers musical assez riche de passer à une autre discipline?
Ecrire un livre, c'est difficile. Je pense qu'il faut franchir le pas. Cela me fait un peu peur. Un album c'est un processus lent qui se compose indépendamment des uns des autres. Philippe de Porn a écrit un livre que j'ai beaucoup aimé. Je dessine très mal mais on peut faire des peintures abstraites! Mais la musique prend beaucoup de temps. J'aime beaucoup les tatouages et si je dessinais bien, ça me plairait bien d'en faire. Mais je n'ai pas envie de ruiner les bras des personnes innocentes (rires).
C'est tout à ton honneur! Je pense que l'écriture pourrait être une bonne thérapie puisque tu as déjà écrit les textes.
Mes textes partent toujours d'expériences personnelles que je romance. Créer des personnages c'est un travail de recherche. Je vois toujours des auteurs comme Maxime Chatham ou Cédric Sire remercier des gens à la fin du livre pour leur travail de recherche. Il ne faut pas raconter n'importe quoi pour les polars donc ils se renseignent auprès des policiers pour avoir une cohérence d'ensemble. Mais pourquoi pas essayer si on reconfine encore une fois (rires)?
Tu peux déjà commencer ton "Guerre Et Paix" !
Pourquoi pas faire un bouquin en rapport avec l'album et le mettre dans le packaging.
Ce serait une bonne idée!
Merci pour ça.
Ce sera le mot de la fin. Merci à toi.
Merci à toi. J'ai trouvé que les questions étaient intéressantes et travaillées.