Après 20 ans passés au sein de Armens, Gwenn revient pour un EP en solo dans un style diamétralement opposé (ou presque) de ce qu'il proposait dans son ancienne formation. Rencontre.
Tu as longtemps fait partie du groupe Armens (pendant 20 ans) et aujourd’hui tu te lances en solo. Pourquoi ne pas avoir tenter l’aventure plus tôt ? Pourquoi pas en parallèle du groupe ?
J’ai monté une formation « sub culture », en parallèle d’Armens, mais c’était un trio rock pas assez abouti. Et, un projet solo me paraissait irréalisable, je pensais ne pas avoir les épaules pour ça. Le groupe est une formule réconfortante et rassurante au début.
T’es-tu un instant senti frustré ou emprisonné dans le groupe qui nécessite parfois de faire des concessions dans ses idées (la majorité l’emportant souvent) ?
La frustration et les concessions font partie du quotidien d’un groupe, cependant c’est tellement équilibré par les richesses que ça apporte qu’on n’y pense pas systématiquement. Ce n’est qu’avec le recul et le bilan de ces années que je suis arrivé à prendre conscience que je souhaitais mener à bien certains combats, qui n’étaient pas possible effectivement à 6.
Alors qu’on t’attendait à prendre le sillage du groupe, tu nous prends un peu à contre-courant avec un album plutôt dans une veine électro et fusionnelle, plutôt Gorillaz ou trip hop que Soldat Louis. Comment expliques-tu ce grand écart ?
(Lol) En réalité, j’ai trouvé mes racines musicales dans le rock et la pop plus que dans le traditionnel. Je veux dire par là que, même étant breton et fier de l’être, on habite très près des Grands-bretons eux-mêmes. Et l’électro est un style à part entière que j’aime explorer.

Cet EP, tu l’as enregistré un peu comme Damon Albarn l’avait fait, sur Ipad. Qu’est-ce que cette manière de faire apporte de plus par rapport à une manière plus classique ?
De la flexibilité !! On respecte son rythme et son instinct, on pose rapidement les bases d’un titre et on voit très vite si ça peut fonctionner ou pas. Je ne me vois plus sans cette petite chose pour y déposer mes idées. Mais, j’ai besoin aussi du studio traditionnel.
C’est, des fois, quand tu te sens acculer que tu réagis, avec force et vigueur.
Dans une interview tu aurais dit « ne pas être un grand auteur ». En faisant le parallèle au fait de te lancer en solo à prêt de 46 ans, tu sembles ne pas avoir très confiance en toi. N’est-ce pas paradoxal pour un artiste ? Le doute est-il une force ?
Oui, forcément ! Le doute est une force. C’est, des fois, quand tu te sens acculer que tu réagis, avec force et vigueur. Se présenter sur une scène n’est pas toujours naturel, surtout en tant que chanteur, mais justement grâce à cet Ep je me fais de plus en plus confiance.
Tu abordes dans tes paroles des thèmes forts comme l’asservissement (‘A Question Of Time'), de mensonges dans les médias… Il y a toujours en toi une part protestataire ou contestataire qui trouve un écho encore plus fort aujourd’hui dans cette actualité et que tu as envie d’exprimer ?
Oui, évidemment. Encore plus maintenant. Je sens monter cette révolte en moi, c’est comme ça depuis tout petit. Par exemple, lorsque je vois des manifestations pour le personnel soignant et en parallèle des événements contre la police, je ne peux m’empêcher de penser à cette maxime « diviser pour mieux régner », alors à qui profite le crime ?

Et pourtant, on entend moins les artistes contestataires dans les médias qui poussent à devenir de plus en plus lisse à l’image de la société. Je me souviens avant des Balavoine, Coluche, Ferré que l’on voyait souvent dans les années 80 voire 90 dire des quatre vérités… d’autres artistes dans cette veine existent mais semblent être inaudibles. Ressens-tu l’évolution de l’industrie musicale (visible) lisse comme une fatalité ?
Lorsqu’on pense à tout ce que ces gars-là pouvaient dire à ce moment-là, j’ai l’impression que ce monde a perdu son relief effectivement et que le débat n’est plus possible car on ne veut plus choquer sous peine de passer pour un extrémiste ou un conspirationniste. On veut nous faire croire que les hommes et les femmes sont des enfants qu’il faut prendre par la main.
Tu as conscience que la manière dont on écoute de la musique aujourd’hui a évolué, la plupart des gens la consomme, sans tenir compte des paroles et s’attache à la mélodie souvent facile. Qu’est ce qui explique ce qu’on pourrait appeler une régression culturelle ?
Je ne vois pas le lissage du paysage musical comme une fatalité mais au contraire, j’y trouve une fine couche de vernis qui ne demande qu’à être brisée pour faire apparaître de belles choses ou d’autres vérités. C’est l’essence de l’art.
Il y a des phases plus fades comme si les âmes étaient anesthésiées et qui un jour se réveillent au son d’idées nouvelles
Même si l’album est d’obédience électro, tu laisses une part importante à certains instruments organiques comme dans le titre ‘Dance With Word’ et son magnifique solo. C’était quelque chose pour toi de rechercher dans ton projet cet apport organique plus chaud et humain ?
Je pense que dans le monde , dans l’histoire et par conséquent la musique, on fonctionne avec des cycles (qu’il serait bon de briser, d’ailleurs). Il y a des phases plus fades comme si les âmes étaient anesthésiées et qui un jour se réveillent au son d’idées nouvelles (ou pas) qui passionnent.
D’ailleurs ce titre est presque progressif avec sa durée de plus de cinq minutes comprenant une première partie plutôt rock qui se termine par ce solo, dont on parlait plus haut, qui aurait pu continuer jusqu’au bout et cette cassure à 3’30 vers quelque chose de plus atmosphérique. Pourquoi une telle cassure et le progressif est il quelque chose qui te parle et vers quoi tendre ?
Comme je disais plus haut, je fonctionne à l’instinct, et du coup les interventions ou les passages musicaux viennent de mes humeurs et ce solo de guitare dans 'Dance With Words' m’est venu en réaction à l’émotion que les accords avaient créée. Pour la suite (l’album), et la scène, je souhaite réellement avoir un apport plus humain. C’est vital.

Il y a une certain caractère lancinant dans ces titres qui auraient pu être peut-être plus rageurs, à la Muse par exemple ('Second Law'), pour verser pourquoi pas vers du Dubstep (avec parcimonie). Pourquoi cette contenance, avais-tu peur de te lâcher ou alors d’aller contre ta nature peut-être plus réservée ?
Je ne me dicte pas de direction au départ, c’est l’ambiance ou l’idée du texte qui dirige. Justement 'Dance With Words' au début devait s’appeler 'Blabla Land', un genre de comédie politique ... lol. La cassure était évidente car le texte reprend les mots des vendeurs de rêves, et la grille d’accords un peu jazz de la fin et le synthé planant représentent quelque chose de languissant, comme si on attendait encore ce qui ne viendra jamais, des paroles de campagne.
Oui, c’est assez vrai pour ces titres, j’ai contenu des fois l’envie de faire plus rock, plus puissant, plus fort, mais ça ne servait pas le morceau ni l’ambiance. Et, j’en garde un peu pour plus tard, lol.
On sent que derrière toi tu as toute une équipe soudée, le fait d’avoir des gens de confiance derrière toi est quelque chose qui te rassure ?
Je souhaitais tout faire tout seul, mais il y a des domaines où je connais mes limites et avoir des avis extérieurs éclairés sont plus importants qu’un ego surdimensionné. Et j’aime l’idée du collectif, du brainstorming et puis plus on est de fous...
Je perçois quelques touches asiatiques dans ‘Red Light’ (d’ailleurs la pochette me fait penser à une sorte de calligraphie un peu japonisante). Pourquoi ne pas avoir été plus loin dans cette fusion et notamment, tu me vois venir, en intégrant des touches électro celtique pour créer un style à inventer ou réinventer ?
Dans 'Red Lights', c’est une pipa qui joue effectivement, ça donne un style japonais indéniable, mais au-delà du style c’est le son qui m’a plu car il me rappelle la mandoline que j’utilisais avec Armens. Ce qui n’exclue pas la possibilité d’intégrer des sons celtes un jour.
La pochette est très lumineuse avec ce blanc et bleu desquels on perçoit un paysage et une sorte de signature que l’on devine être la tienne et quelques lettres, qui a eu cette idée et quel est son message ?
L'artwork de la pochette a été réalisé par une artiste calligraphe de talent, Mélanie Griffon. On a travaillé sur les idées que j’avais et sur la symbolique de mon prénom, Gwenn voulant dire blanc en breton et en gallois. Le prénom apparaît comme porté par une vibration oscillatoire créée à partir des titres de l'Ep.
Retournons au local, la souveraineté, l’empowerment et faisons confiance aux acteurs locaux, c’est ça notre grande force.
On sort d’une longue période de confinement, très dure pour les artistes et ceux qui travaillent avec (salle, bar, festival). Comment as-tu traversé cette période, t’a-t-elle inspirée et comment entrevois-tu la suite pour toi ?
Le confinement ? Je me demande juste ce qui se cache derrière tout ça. Un monde sans culture c’est un monde sans fondement. Je pense avant tout à l’ensemble des arts et qu’est ce que le monde veut en faire; je pense à tout ceux qui sont dans le doute et je ne peux que leur apporter mon soutien. Je continue de composer et d’écrire, les musiciens qui m’accompagnent sont motivés et nous serons prêts assez tôt, mais comme on dit, rien ne sert de courir il faut partir à point. Je rêve que l’Etat donne autant et sans contrepartie aux salles et festivals comme il peut le faire à certaines grandes entreprises. Pour ce qui est des idées de notre président au sujet de se réinventer, je pense qu’il devrait commencer par lui-même, on cherche à cloisonner ou à limiter les lieux musicaux, je peux comprendre que ce n’est pas facile de jongler avec plusieurs dossiers délicats, mais réduire la culture c’est réduire la voix des peuples ! Les régions sont capables de trouver des solutions et la Bretagne le prouve avec une initiative d’aide à la production mutualisée. Retournons au local, la souveraineté, l’empowerment et faisons confiance aux acteurs locaux, c’est ça notre grande force.
Qu’attends-tu de cet EP, une émancipation par rapport à Armens, une reconnaissance ?
Je ne cherche pas à m’émanciper, ni la reconnaissance, je cherche à participer à mon niveau à une transition et à une progression, pas à la régression dont tu me parlais plus haut.
Pour finir cet entretien, quel message aimerais-tu adresser aux lecteurs de Music Waves?
Prenez soin de vous et soyez heureux coûte que coûte !