Et de 14 pour The Pineapple Thief ! 14 albums studio en 21 ans de carrière. Une carrière qui semble avoir atteint des sommets depuis quelques années, depuis l'arrivée d'un certain Gavin Harrison derrière les fûts (King Crimson, ex-Porcupine Tree). Si le célèbre batteur est plutôt habitué à donner des interviews pour des magazines de batterie, il nous a fait le plaisir en cette rentrée scolaire d'être notre interlocuteur pour commenter l'actualité du Voleur d'Ananas ! Et alors que le musicien s'avère être relativement distant avec le public sur scène, celui-ci s'est montré sous un visage beaucoup plus amical lors de notre entretien !
Gavin, comment te sens-tu à l’occasion de la sortie du nouvel album en cette période de pandémie, ça doit être à la fois excitant mais frustrant de ne pas pouvoir faire vivre la musique en live ?
Gavin : Oui bien sûr ! C’est excitant car l’album est finalement sorti, mais c’est vraiment dommage qu’on ne puisse pas être en tournée. On avait toute une tournée de prévue, et c’est dommage de ne pas jouer en live à l’heure actuelle.
Mais c’est reporté à l’année prochaine c’est ça ?
Gavin : Oui !
J’ai entendu dire que tu n’étais pas très fan des longues tournées pour lesquelles tu dis, sauf erreur de ma part, qu’il te semble que ta technique baisse quand elle est enfermée dans les chansons, même si tu improvises parfois (propos recueillis dans une interview pour Modern Batterie, ndlr) ? Cette situation au final est peut-être moins frustrante car elle te permet ainsi de peaufiner ton entrainement et entretenir ta créativité, ta curiosité. C’est ce qui te tient au bout de 30 ans de carrière ?
Gavin : Oui, je pense ! J’ai beaucoup tourné. Partir en tournée, c’est excitant pendant 2 ou 3 semaines, et puis la maison commence à te manquer, et les 2 ou 3 dernières semaines sont compliquées ! (Rires). Oui, je suis intéressé par la création. Sur scène, l’intérêt réside dans la connexion avec le public, c’est ça qui est plaisant. Mais je préfère encore créer, trouver de nouvelles inspirations pour des chansons, des rythmes, des arrangements… C’est ça qui m’intéresse le plus.
Tu as collaboré avec beaucoup de groupes en tant que musicien de session, et tu as fait partie de Porcupine Tree et maintenant de The Pineapple Thief et de King Crimson. Est-ce que tu ressens une différence fondamentale entre ces deux rôles, au niveau du studio et des tournées ?
Gavin : J’ai arrêté d’être musicien de studio. Jouer de la musique pour gagner de l’argent, c’était assez ennuyant pour moi. J’avais envie de collaborer avec des gens, avoir un impact créatif, m’impliquer complètement dans la musique. Si tu es musicien de studio, on te dit : « joue ça, voilà l’argent ». Même si tu n’aimes pas le morceau et même si tu n’es pas inspiré, il faut que tu le fasses. Je ne suis plus vraiment intéressé par le fait de faire ça maintenant, et je ne suis plus obligé d’y avoir recours aujourd’hui. Les groupes dans lesquels j’ai été impliqués, Porcupine Tree, King Crimson et The Pineapple Thief mais aussi d’autres projets, sont plus satisfaisants personnellement, car je peux m’impliquer totalement avec eux.
Je comprends bien. Tu as aussi une forme de liberté et tu peux influencer les compositions.
Gavin : Oui ! C’est bien d’être impliqué dans l’écriture des morceaux. Je joue un peu de piano, de guitare, de basse et de marimba. Cela me permet aussi de prendre un peu de distance avec la batterie parfois.
[Bruce] est un partenaire d’écriture idéal
Et d’ailleurs, qu’est ce qui t’a convaincu de faire partie intégrante de The Pineapple Thief ? Est-ce cette liberté et la façon de travailler que tu as construite avec Bruce Soord ?
Gavin : Oui, je pense que la relation que j’ai pu construire avec Bruce, John et Steve, mais surtout avec Bruce. C’est un partenaire d’écriture idéal. C’est un rêve qui s’est réalisé. Il n’a pas d’égo. Je peux lui dire ce que je veux, et il me dit tout ce qu’il pense. Donc on a une relation qui est très honnête. On ne tourne pas autour du pot si on a quelque chose à se dire. C’est super, c’est un vrai plaisir.
Est-ce que tu considères que l’ego est un vrai souci en musique ?
Gavin : Je pense que c’est une force extrêmement destructrice. A bien des égards, cela peut te donner des pensées très négatives comme la rancœur ou la jalousie. Cela peut engendrer beaucoup de mauvaises choses. Bien sûr, tout le monde a un peu d’égo ! Je ne sais pas si l’on serait vraiment humains si l’on n’avait pas un minimum d’égo ! Mais il faut être capable de le contrôler quand il prend une ampleur trop importante. C’est très important de ne pas tomber là-dedans.
Je ne veux pas faire les mêmes choses encore et encore
Bruce a beaucoup de respect pour toi en tout cas. En rejoignant The Pineapple Thief, il semblerait que le groupe ait monté d’un niveau.
Gavin : Je l’espère en tout cas ! C’est tout l’intérêt d’une collaboration. Les autres peuvent te pousser à faire quelque chose que tu n’aurais pas fait de toi-même en temps normal. Ils t’amènent dans des endroits où tu n’aurais pas été seul. Je fais ça pour Bruce, et il le fait pour moi. Je ne veux pas faire les mêmes choses encore et encore. Si tu écris tout seul, au bout d’un moment, tu es pris dans une sorte de cercle vicieux.
Avant que tu intègres le groupe, The Pineapple Thief semblait être à une période charnière avec la sortie de "All The Wars" et "Magnolia" notamment. The Pineapple Thief a alors véritablement trouvé son style, sa réussite artistique et commerciale depuis ton arrivée. Bruce répond favorablement quand on lui demande si ta présence y est pour quelque chose. Tu en penses quoi ?
Gavin : Eh bien… Je pense que le son a évolué. Je ne sais pas si l’on va s’y tenir non plus. C’est quelque chose qui évolue. Certains me disent : « The Pineapple Thief sonne un peu comme Porcupine Tree ». Je leur réponds que oui, car je jouais dedans ! (Rires). Donc une partie du son de Porcupine Tree venait aussi de moi car j’y ai amené ma personnalité, personnalité que je mets dans The Pineapple Thief aussi.
Beaucoup de fans sont d’ailleurs nostalgiques de l’époque où Porcupine Tree existait encore, et considèrent que The Pineapple Thief sont le nouveau Porcupine Tree. En es-tu conscient, et en es-tu fier ? Car cela montre à quel point Porcupine Tree a été important pour certains.
Gavin : Porcupine Tree a occupé une grande partie de ma carrière, de 2002 à 2010. On n’a plus joué ensemble depuis dix ans maintenant. Je pense que certaines collaborations connaissent un « âge d’or ». Si l’on rejouait ensemble, est-ce que ce serait bien ? Est-ce que ce ne serait pas bien ? Dans tous les cas, je ne crois pas que l’on rejouera ensemble, sauf si on trouvait une nouvelle identité sonore pour Porcupine Tree. Cela n’aurait pas d’intérêt de se remettre ensemble pour jouer la même chose qu’en 2002 ou qu’en 2010. Je ne crois pas que The Pineapple Thief soit un nouveau Porcupine Tree pour autant. Je pense que le public est différent. Le public de Porcupine Tree était plus heavy, plus fan de prog et était composé à 99% d’hommes. Quand tu joues une musique compliquée, tu plais plutôt à un public d’hommes qui aime avoir énormément de détails, la technique… Et je n’ai pas de problème avec ça, c’est très bien. The Pineapple Thief plaît davantage aux femmes car l’accent est porté sur la chanson en elle-même et sur la mélodie. Porcupine Tree avait des chansons, mais c’étaient des chansons longues, élaborées, avec beaucoup de détails techniques. J’avais d’ailleurs peur que certaines personnes soient dans le public uniquement pour cet aspect technique. Je pense que je me suis émancipé de tout ça.
Je suis d’accord avec toi et je fais une différence entre ces deux groupes aussi. The Pineapple Thief est plus concis et se focalise sur la mélodie, alors que Porcupine Tree était peut-être moins structuré.
Gavin : Oui, c’est exactement ce que je pense.
Pour toi, est-ce que c’est plus simple d’écrire des morceaux concis comme cet album, ou des titres un peu plus complexes ou expérimentaux à la King Crimson ?
Gavin : C’est différent. Des fois, il faut faire des arrangements, des fois il faut composer. Bruce est très bon pour trouver de bonnes mélodies. Les musiques que j’écoute ne sont pas des chansons de rock progressif de 17 minutes avec des sections compliquées. Je n’écoute pas trop cette musique. J’aime les mélodies, les belles paroles, les morceaux bien arrangés, où chaque instrument trouve sa place. C’est ça que j’aime aujourd’hui. Peut-être que j’aurai évolué d’ici cinq ans, mais aujourd’hui, j’en suis là !
Mais tu n’apportes pas qu’un rythme aux morceaux, tu apportes aussi une forme de musicalité. N’est-ce pas difficile d’amener ça sur des morceaux de 4 minutes ? Est-ce que ce n’est pas plus facile de développer tout ça sur des morceaux plus longs ?
Gavin : Sans tenir compte du style de musique, j’essaye toujours de jouer quelque chose de musical et d’intéressant. Si tu joues quelque chose qui détourne l’attention de la mélodie, ça peut avoir un effet pervers. Il faut savoir trouver le bon dosage, savoir quoi jouer à quel moment. Je ne vais pas jouer un solo de batterie de A à Z sur chaque morceau. C’est sûr que ça pourrait impressionner les autres batteurs, mais moi ça ne me conviendrait pas.
Je suis moi-même toujours très critique du travail que je fais
Tu as une grande expérience qui fait qu’aujourd’hui tu maîtrises ce dosage. Et c’est ce qui fait ta renommée aujourd’hui, car tu as une vraie signature. J’imagine que tu es très fier, car dès que tu es investi dans un groupe, où reconnaît ta patte.
Gavin : Je ne prête pas vraiment attention à tout ça, à vrai dire. J’ai beaucoup travaillé sur ce nouvel album, "Versions Of The Truth". Je ne vais sûrement pas le réécouter avant un certain temps. Je l’ai écouté tous les jours pendant environ un an, quand on travaillait dessus. J’apprécie le fait que certains aiment cet album, mais je respecte ceux qui ne l’aiment pas aussi. Je suis moi-même toujours très critique du travail que je fais.
Chaque nouvel album est un nouveau challenge à relever pour toi ?
Gavin : Oui ! Je ne veux pas jouer les mêmes choses que je jouais il y a 10 ans. Je veux évoluer en tant que musicien. Je cherche toujours de nouvelles inspirations, de nouvelles choses à jouer. Ma relation avec Bruce m’inspire pour jouer des choses différentes.
J’ai toujours essayé de jouer quelque chose de riche en émotion et de musical
En tout cas tu as réalisé un gros travail depuis 3 albums avec The Pineapple Thief. Il y a une grande variété d’approches mais aussi beaucoup de sensibilité. Ce n’est pas que de la technique. On sent que tu as une approche personnelle.
Gavin : Quand j’étais musicien de session, je n’étais jamais vraiment le batteur « caméléon » qui pouvait changer le son de la batterie, changer sa manière de jouer. Je ne voulais pas être ce genre de batteur qui joue avec différents sons ou différentes émotions simplement parce qu’on me le demandait. Je voulais avoir mon propre son et ma propre personnalité. Même dans les sessions que je faisais il y a 20 ou 30 ans, j’essayais d’y mettre ma propre personnalité. J’ai toujours essayé de jouer quelque chose de riche en émotion et de musical. J’espère que certains l’ont compris et l’ont ressenti.
Pour revenir à votre nouvel album, comment t’est venue l’idée d’utiliser du marimba sur le titre ‘Stop Making Sense’ ?
Gavin : ‘Stop Making Sense’ est le dernier titre que l’on ait enregistré. Quand Bruce m’a envoyé ce morceau, il était très très vide, il n’y avait presque rien dedans, surtout sur les couplets. Et un jour, j’étais assis dans mon studio, je regardais mon marimba, et j’ai soudainement pensé que je pourrais rajouter du marimba sur ce passage pour créer une atmosphère de rue avec beaucoup de passage. J’ai enregistré 4 parties différentes que j’ai lancées toutes en même temps, comme s’il y avait un courant ou beaucoup de gens dans une rue. Je trouvais que ça passait bien. J’ai envoyé la version à Bruce en lui disant : « écoute, j’ai une vraie surprise pour toi, car je ne crois pas que tu avais prévu d’intégrer du marimba sur ce morceau » ! Ça lui a beaucoup. J’en avais déjà mis sur le morceau ‘Versions Of The Truth’, donc j’ai eu envie d’en rajouter aussi sur ‘Stop Making Sense’. Je ne sais pas si tu as pu écouter le disque bonus de l’album ?
Non, j’en suis désolé !
Gavin : Car sur ce disque bonus, j’ai fait un nouvel arrangement pour 8 des 10 morceaux. J’ai utilisé de la batterie électronique, des percussions électroniques et beaucoup de marimba. Cela donne une version très différente de ces morceaux. C’était un processus intéressant. Car il fallait que l’on enregistre un disque bonus pour les éditions spéciales. Bruce ne savait pas quoi faire exactement. Il avait pensé à faire des versions acoustiques. Alors je lui ai répondu qu’il avait déjà fait ça sur l’album précédent et je lui ai proposé de faire quelque chose de nouveau. Je lui ai dit que j’allais faire une version réarrangée et il a aimée, alors on est partis là-dessus. Le marimba joue donc un rôle très important sur le deuxième disque. Je ne suis pas un bon joueur de marimba, crois-moi, je suis même mauvais ! Alors je l’utilise comme une atmosphère dans les morceaux.
Les interprétations des chansons que tu fais en live sont plus dynamiques, cela s’entend notamment sur le live "Where We Stood". Est-ce que cela tient plus de l’instinctif sur le moment ou est-ce que tu prévois (avec Bruce ?) de muscler ton jeu avant de monter sur scène ? D’ailleurs je crois que tu aimes plaisanter avec tes improvisations…
Gavin : Oui. J’ai toujours aimé improviser. Certains musiciens aiment jouer exactement la même chose que sur le disque tous les soirs. Ça me va ! Que ce soit les solos, les moindres breaks de batterie, certains jouent toujours la même chose que sur l’album. Mais ce n’est pas ma philosophie. J’aime improviser et jouer des choses un peu différentes tous les soirs. Quand j’ai rejoint Porcupine Tree, ça les a beaucoup étonnés car le batteur précédent (Chris Maitland, ndlr), jouait exactement la même chose tous les soirs, note pour note. Comme je disais, ce n’est pas un problème pour autant. Pour moi c’est normal d’improviser car je viens du jazz grâce à mon père, et personne dans le jazz ne joue la même chose tous les soirs. Ça rend les concerts un peu uniques d’une certaine manière.
Je suis d’accord avec toi, car quand je vais à des concerts, j’ai envie d’entendre de nouveaux arrangements, des improvisations, des solos plus longs… Ce n’est pas intéressant d’entendre exactement la même chose que ce que tu peux entendre sur un CD.
Gavin : Oui car tu vis l’instant présent, et ce moment n’existe que sur scène, ce soir-là. Il y a une connexion particulière avec le public.
Au sein de King Crimson, tu collabores notamment avec Pat Mastelotto derrière les fûts. Comment t’es-tu adapté à ce style de pratique très peu habituel ?
Gavin : C’est difficile de jouer à 2 batteurs ou à 3 batteurs maintenant. C’est un nouveau challenge. Il y a 3 batteurs dans King Crimson depuis 2014. C’est un vrai challenge car il faut prendre en considération le son, le style et les capacités des autres batteurs. C’est facile pour moi de m’enregistrer trois fois. Mais quand quelqu’un te demande de jouer quelque chose qui ne t’est pas familier, c’est challengeant et c’est difficile. On a passé beaucoup de temps à écrire, à arranger et à répéter chaque partie. Quand tu joues à 3 batteurs tu ne peux pas improviser car chacun joue sa partie. Il y a quand même des moments où tu peux improviser dans un concert avec King Crimson, mais 95% du temps, tout est planifié, sinon, ça ne fonctionne pas.
J’imagine que c’est un incroyable travail à fournir en amont pour que ça fonctionne avec 3 batteurs. Le temps passe comme le disait Porcupine Tree (‘Time Flies’, ndlr), (rires). Alors on va en venir à cette question : The Pineapple Thief, c'est 14 albums studio et 21 ans de carrière, c'est immense. Quelle pourrait être la prochaine étape pour le groupe ?
Gavin : La prochaine étape c’est déjà de retrouver le chemin de la scène ! Mais qui sait ce qui va se passer ? Le monde est un endroit bien étrange aujourd’hui. Je ne sais pas quand on reprendra les concerts. On a une tournée prévue pour l’an prochain. Peut-être que d’ici là il y aura une solution à cette pandémie. Un vaccin, un traitement, ou peut-être que la pandémie se sera résorbée d’elle-même ou que le risque sera minimal. On continuera de sortir des albums tous les 2 ou 3 ans. Peut-être qu’on fera un autre concert filmé aussi, car ce groupe est intéressant sur scène, et je pense que c’est intéressant pour les gens de nous voir jouer. En tout cas, nous pouvons continuer d’écrire de nouveaux morceaux et continuer d’aller de l’avant ?
Et est-ce que cette période t’inspire d’ailleurs ou pas ?
Gavin : Oui ! Pour être honnête, j’ai un style de vie assez asocial ! (Rires). Quand je ne suis pas en tournée, je passe beaucoup de temps dans mon studio chez moi. Donc pour moi, cette situation n’a pas changé énormément par rapport à ma vie d’avant. De toute façon, avec les gars de The Pineapple Thief, on n’habite pas près les uns des autres. Donc notre relation se passe sur Internet essentiellement. On s’envoie des fichiers régulièrement. On ne répète pas les morceaux tous ensemble avant de répéter pour partir en tournée.
Gavin, merci beaucoup ! C’était très intéressant. Un dernier mot pour nos lecteurs peut-être ?
Gavin : J’espère qu’on sera de retour en France l’an prochain car le public français a été agréable avec nous. On a des dates prévues en France, et on espère que tout se passera bien et qu’on sera là !
Merci Gavin, prends soin de toi !
Gavin : Merci, à bientôt