Retour sur le début de carrière de Ovtrenoir pour faire le point sur la vision globale et seulement pas musicale de son géniteur et ses aspirations pour le futur et l'évolution possible du groupe...
Quelle est la question qu’on t’a trop souvent posée et à laquelle tu aurais marre de répondre ?
William Lacalmontie : Hum, la question de savoir comment se prononce le nom du groupe (Sourire) ! La plupart des gens trouvent le nom génial en prononçant Ovtrenoir… J’y ai répondu pas mal de fois…
Ça ne paraît pas clair alors qu’il y a pas mal de groupes qui adopte le "v" à la place du "u", c’est une question de typo.
Donc oui, Ovtrenoir ne veut rien dire, c’est bien Outrenoir…
Si Ovtrenoir publie cet automne son premier album, le groupe existe néanmoins depuis 2013 avec un EP sorti en 2016. Comment expliques-tu un tel délai ?
On a pris énormément le temps et c’est un peu la ligne de conduite qu’on adopte depuis le début. C’est un
line-up qui a mis du temps à se construire. C’est un groupe qui est parti au départ sur des envies de post-rock acoustique instrumental. Et ça a muté un peu : les membres sont venus se greffer au fur et à mesure pour amplifier l’effet mur de guitares.
Les envies ont évolué : à force de rajouter un peu de gain, on s’est dit que c’était pas mal d’aller dans cette direction, et puis finalement pourquoi pas essayer un peu de chant et on voit que ça colle sur les riffs…
On a toujours pris le temps et on a essayé de faire les choses correctement et que ce soit cohérent avec nos envies à l’instant T. Les compos ont donc mis du temps à prendre la tournure définitive.
On a vraiment gardé notre base acoustique.
Tu l’as dit, le projet était d'abord acoustique et a muté au gré des envies et des venues dans le groupe mais pourquoi l'avoir abandonné sachant que vous risquiez de peut-être perdre votre singularité ?
Il est hyper intéressant et en fait, ce qui fait la particularité d’Ovtrenoir du début jusqu’à aujourd’hui, c’est que je compose tout en acoustique et on pose l’électrique une fois que ça sonne bien en acoustique. On a vraiment gardé notre base acoustique. Dans mon esprit, quand ça sonne bien en acoustique, on peut se permettre de monter le gain et d’aller vers quelque chose de plus metal.
Beaucoup de groupes font l’inverse à savoir composer en électrique et réinterprèter leurs morceaux pour des tournées acoustiques, c’est également prévu dans votre cas ?
C’est prévu en tous cas. On ne l’a pas encore fait…
… sachant que cette démarche est d’autant plus de rigueur au regard de la situation…
Au regard du Covid, le format acoustique serait assez logique pour nous et on est train de travailler dessus depuis cet été. Il y a un studio de création graphique, un studio de production qui nous a contactés pour qu’on soit l’émission pilote d’une nouvelle plateforme de live immersif qui va proposer de la vidéo-projection et de la création lumière dans des bâtiments un peu atypiques. Du coup, pour cet évènement qui sera diffusé en direct, on a rebossé nos morceaux en acoustique : c’était quelque part un peu revenir à la base de la composition, c’était hyper intéressant !
Tu dis revenir à la base de la composition mais reviens-tu exactement aux versions initiales acoustiques ?
C’est une version initiale qui est retravaillée dans les harmonies et les arrangements.
Et c’est prévu pour quand ?
On n’a pas encore la date fixe mais ce sera la première quinzaine d’octobre. Donc ça va arriver vite mais la plateforme est en train d’être construite.
Nous n’essayons pas de coller à une scène où les visuels deviennent un peu redondants
Le groupe comprend plusieurs artistes visuels, Dehn Sora et donc toi. Tu en as un peu parlé mais penses-tu que ce background esthétique vous permet de cultiver une approche différente du post-metal auquel vous êtes affiliés en donnant par exemple à votre musique une dimension plus visuelle sinon cinématographique que de coutume ?
Peut-être dans les ambiances, peut-être dans l’approche qu’on a d’ajouter des drones et d’avoir des cassures à certains moments dans les morceaux qui sont un peu plus cinématographiques dirons-nous, mais nous n’essayons pas de coller à une scène où les visuels deviennent un peu redondants dans le côté rituel capuche / noir et blanc -que j’adore par ailleurs- mais c’est vrai qu’on n’essaie pas de coller à ça. C’est la raison pour laquelle sur scène, on a commencé à évoluer depuis un an avec des visuels plus géométriques, d’avoir des projections de formes et de lignes brisées qui vont bientôt réagir à la voix. Du coup, ce sera un peu différent de ce qui se fait avec des projections d’images dark noir et blanc…

Vous bâtissez un univers extrêmement sombre et massif, vous bossez avec l'indispensable Francis Caste. Ne craignez-vous pas pourtant de participer à une certaine "standardisation" du genre avec le même son, les mêmes ambiances... ?
C’est vrai qu’énormément d’albums ont été faits chez Francis, des albums que j’adore en plus… On arrive avec des envies de matériels, des références et on bosse ensuite ça avec lui et il est hyper réactif, il comprend là où on veut aller. Même si ça reste très metal, il a une palette qui va de Arkhon Infaustus à Kickback. Je ne trouve pas qu’il y a une standardisation chez Francis.
Nous ne sommes pas vraiment là pour révolutionner un style où énormément
de choses ont été faites. C’est plus un besoin d’écrire ces morceaux
pour qu’ils existent physiquement.
Ovtrenoir est affilié à la scène post-metal mais que penses-tu apporter à ce style très codifié ?
Nous ne sommes pas vraiment là pour révolutionner un style où énormément de choses ont été faites. C’est plus un besoin d’écrire ces morceaux pour qu’ils existent physiquement.
Ovtrenoir essaie d’évoluer vers un style qui est massif tout en étant mélodique. C’est hyper important. C’est un chemin qui a été pris depuis l’EP, qui a été un peu plus affirmé sur le single avec des parties un peu plus mélo et avec cet album, c’est un pas de plus dans cette direction d’essayer d’avoir ces moments de lourdeur, de noirceur dans les thèmes mais aussi des moments de lumière, de grâce… c’est ce qui pourrait nous différencier. Nous n’essayons pas de coller au fait d’être massif sur tous les morceaux.
Ovtrenoir essaie d’évoluer vers un style qui est massif tout en étant mélodique.
On pense pas mal à Neurosis ou A Storm Of Light en vous écoutant, notamment pour ton chant. Ces comparaisons t’agacent-t-elles ou…
… au contraire, ça fait extrêmement plaisir ! Neurosis est un pilier dans ma culture musicale : c’est indéniable ! Il y aurait peut-être aussi Cult of Luna : c’est évident d’avoir ces références quand on fait du post-metal.
Et je suis content que tu aies vu A Storm of Light parce que c’est un groupe qui a vraiment lancé mon envie de me mettre au chant. Je suivais le travail de Josh Graham avec Neurosis à l’époque. Je l’ai suivi dans Red Sparowes ensuite. C’est vraiment sa voix et le fait qu’il se mette à chanter et qu’il se mette en avant autant dans ce groupe que dans A Battle of Mice également…
Donc peut-être plus influencé par Josh Graham que Neurosis en particulier ?
Peut-être encore plus que Neurosis, oui…
Ce chant un peu éraillé qui n’est pas du chant metal type hurlé qui va être dans le
delay, dans l’écho, dans le lointain et qui va prendre de l’ampleur dans la musique sans être vraiment mis en avant mais plutôt se noyer dans les nappes et gonfler la production, ça a vraiment été une influence.
Ça me paraissait être l’évidence quand on a pris ce virage électrique :
aller vers quelque chose de sombre qui soit lumineux à quelques moments,
et Ovtrenoir était juste parfait comme nom !
Au niveau des influences, le nom du groupe est emprunté à Pierre Soulages. De quelle manière ses travaux t’inspirent-ils ?
Ça a été un de mes chocs esthétiques mémorables de se retrouver dans une expo que j’avais vu en 2009-2010 qui était une rétrospective. Et je suis resté complétement scotché dessus même si je connaissais un peu son travail que j’avais vu uniquement son internet. ©a a été un vrai choc esthétique : le blocage total ! Et je me rappelle y être retourné en nocturne et avoir ce sentiment d’être écrasé par quelque chose de plus grand que moi, que j’arrivais à comprendre : abandonner la couleur dans sa carrière pour aller vers du noir total mais qui réfléchit lui-même de la lumière et de la couleur. ©a me paraissait être l’évidence quand on a pris ce virage électrique : aller vers quelque chose de sombre qui soit lumineux à quelques moments, et Ovtrenoir était juste parfait comme nom !
C’était hyper important d’aller plus loin, c’est un premier album et il
fallait garder un pied sur la base et en même temps faire un pas vers
quelque chose de plus large.
Ovtrenoir a depuis gravé un EP en 2016, peut-on concevoir cet EP -"Eroded"- comme une ébauche de "Fields Of Fire" qui en reprend le substrat tout en l'enrichissant autres d'éléments ?
C’est exactement ça ! C’était vraiment reprendre les éléments constitutifs de l’EP et du single et les enrichir au niveau de la composition, au niveau des accords qui sont différents maintenant aussi : un peu plus dissonants et mélodiques. C’était vraiment une volonté !
Et d’ailleurs, jouer dans Throane à côté m’a aussi aidé dans la composition à aller chercher des accords un peu plus riches pour avoir le côté massif mais aller plus loin. C’était hyper important d’aller plus loin, c’est un premier album et il fallait garder un pied sur la base et en même temps faire un pas vers quelque chose de plus large.
Dans la continuité de ta réponse, avec sa quarantaine de minutes, l'album paraît extrêmement compact. Etait-ce important pour toi de conserver ce côté massif et dense comme une chape de plomb qui s'abat ?
Ouais ! C’est vraiment ça : garder la lourdeur et en même temps, avoir quelques moments de respiration notamment ‘Kept Afloat’ qui est le titre instrumental et drone qui vient faire une coupure et une respiration mais qui en même temps reste une chape de plomb finalement, ce n’est pas vraiment une respiration. Ça permet quand même de relancer la deuxième partie de l’album. Il y a quand même eu une construction, une réflexion sur l’ordre des titres et de donner de l’élan, des ralentissements… d’avoir une énergie qui ne serait pas la même sur chaque titre.
Pour Ovtrenoir, je ne voulais pas d’une construction qui ressemble à
celle de l’EP -dont je suis encore content aujourd’hui- mais qui était
massif d’un bout à l’autre.
En dépit de sa noirceur, cet album suinte une forme d'espoir, laissant échapper de pâles rais de lumière. D'où l'emprunt à Pierre Soulages... Qu'en penses-tu ?
Je suis super content que tu aies vu tout ça dans l’album. C’était vraiment la volonté à la création du groupe et à chaque fois qu’on a essayé de sortir quelque chose -l’EP, le single et maintenant cet album. Nous voulons construire quelque chose de lourd et terrassant et en même temps avoir des moments d’espoir et de lumière qui je pense sont les bienvenus : je ne me voyais pas faire un album de 42 minutes qui soit entièrement lourd. En termes de composition, si on fait un morceau avec de la double-pédale tout le temps, ça reste un morceau avec de la double-pédale tout le temps. Si à un moment, il y a une cassure où le tempo est divisé par deux, quand on va revenir sur la double-pédale : ça devient intéressant !
Par ailleurs, j’écoute beaucoup de groupes extrêmes : je comprends complétement qu’on veuille mettre de la double-pédale. Il y a des groupes comme Bell Witch que j’adore qui fait un album "Mirror Reaper" composé d’un seul titre d’une heure et demie : c’est une chape de plomb du début à la fin !
Pour Ovtrenoir, je ne voulais pas d’une construction qui ressemble à celle de l’EP -dont je suis encore content aujourd’hui- mais qui était massif d’un bout à l’autre.
Vos textes sont-ils ancrés dans la réalité ou possèdent-ils une dimension plus philosophique ?
C’est un mélange des deux. Ça se base beaucoup sur mon ressenti sur des angoisses qui me sont personnelles, des sentiments noirs que je peux avoir au quotidien, des sentiments d’échec, d’abandon, de rejet, de solitude… que j’essaie de tourner de façon poétique, ou en tous cas un peu intéressante, qui pourrait parler à d’autres gens. C’est rare qu’on s’arrête aux paroles quand on écoute du metal parce que souvent, on ne les comprend pas trop…
C’est un regret ?
Ce n’est pas un regret parce que j’essaie de ne pas négliger cet aspect dans Ovtrenoir.
Et pour faciliter cette compréhension as-tu envisagé d’écrire tes textes en français ?
Je n’ai jamais essayé de chanter en français. Naturellement, je n’écris pas les textes pour les traduire en anglais par la suite. Je suis loin d’être totalement bilingue mais je ne suis pas à l’aise avec le français.
On a évoqué l'aspect visuel en début d’interview qui revêt bien entendu une grande importance pour vous aussi bien pour les albums que pour la scène. Quels sentiments souhaites-tu déclencher chez celui qui vous voit sur scène et qui vous écoute ?
Se dire qu’il y a une dimension artistique ou en tous cas, un début de réflexion derrière ça : ce n’est pas du metal bas du front qui veut juste faire du bruit. Comme pour les pochettes, on essaie d’avoir des collaborations avec des artistes que j’ai vraiment adorés, que ce soit pour "Eroded" ou cet album. C’est essayer d’avoir une dimension artistique qu’il ne faut pas négliger. L’aspect visuel - l’image - est hyper important dans notre société actuelle et ce n’est pas une volonté marketing de se dire que si on insuffle un peu d’artistique, ça va mieux marcher : on a des goûts un peu pointus avec Dehn Sora et des envies de faire les choses bien et avoir un objet aussi sympa à regarder qu’à écouter.
Tu as parlé de Dehn Sora, on sait que vous êtes tous très occupés par ailleurs, dans ces conditions, quelle importance accordez-vous à Ovtrenoir ?
On est très occupés en ce moment, c’est sûr ! Dehn Sora est arrivé dans le groupe en 2015 quand nous étions en configuration power trio qui était sympa pour l’énergie, mais il manquait une dimension, une atmosphère et je cherchais une guitare qui vienne renforcer la mienne et qui amène autre chose, qui pousse le concept un peu plus loin et Dehn Sora, c’est juste l’homme de la situation. Je collabore avec lui sur pas mal de projets - Treha Sektori notamment - où c’est plus sur l’aspect visuel du coup, on joue ensemble dans Throane… c’est vraiment une famille qui est extrêmement importante, qui m’apporte beaucoup et avec laquelle je suis très fier de faire un nouveau pas à chaque fois, que ce soit pour monter sur scène ou sortir un nouveau CD.
Quelles sont tes attentes, tes ambitions pour ce premier album qui sort dans des circonstances assez particulières ?
Oui, il sort dans des circonstances très particulières, nous n’étions pas sûrs de pouvoir le sortir cette année : on l’a enregistré en décembre 2019 qui était déjà une période pas évidente avec les grèves de décembre/ janvier. Et une fois qu’on a eu le master, la Covid arrive. L’album est prêt sauf qu’on ne peut pas le faire presser. Le vinyle a été très compliqué aussi. Trouver des dates pour la rentrée pareil…
L’attente est que cet album trouve un public et qu’il soit suffisamment relayé pour qu’il puisse toucher le plus grand nombre.
Je suis donc très content de pouvoir sortir cet album dans ces conditions, que le label nous ait suivis, qu’on ait de super relations avec l’agence Singularités qui va essayer de pousser la sortie et de faire en sorte que ce ne soit pas un coup d’épée dans l’eau.
On a commencé cette interview par la question qu'on t’a trop souvent posée au contraire, quelle est celle que tu aimerais que je te pose ou à laquelle tu rêverais de répondre ?
Je ne m’attendais pas à celle-là (Sourire) !
Je vois [le futur] finalement assez mouvant dans le sens où on aimerait pouvoir
se laisser la liberté d’évoluer et de faire les choses comme on les
sent au moment où les sent.
Mais à quoi t’attendais-tu justement ?
On a couvert pas mal de sujets… Je pense que j’aimerais répondre à une question concernant le futur du groupe et je le vois finalement assez mouvant dans le sens où on aimerait pouvoir se laisser la liberté d’évoluer et de faire les choses comme on les sent au moment où les sent.
En gros, qu’Ovtrenoir soit un groupe sans barrière.
J’aimerais qu’il n’en ait pas…
Tu aimerais ? Ça signifie que tu pourrais t’en mettre inconsciemment ?
Inconsciemment oui, peut-être parce que j’adore le style post-metal. Ça fait un bien fou de jouer avec des murs de guitares sur scène et en studio mais c’est vrai que le côté acoustique serait une piste intéressante et développer des pistes qu’on a peut-être touché du doigt et qu’on pourrait approfondir.
Tu dis que la piste acoustique serait intéressante. N’est-ce pas paradoxal de dire ça quand on sait que l’acoustique est l’origine du groupe ?
Ce sont les origines mais c’est vrai qu’on en a dévié…
N’est-ce pas un regret ?
Non, non, ce n’est pas un regret.
On peut envisager le futur d’Ovtrenoir qui ferait des aller-retours entre format acoustique et metal au gré des sorties ?
Voilà, c’est peut-être ça qui serait plus intéressant et d’arriver à ce que les deux se nourrissent mutuellement. Mais surtout que le groupe n’ait pas barrière et qu’on se laisse la possibilité d’aller où nous voulons au gré de nos envies : peut-être que le prochain album aura plus d’aspects black metal… on verra !
Tout est possible !
Tout est possible, exactement !
Merci
Un grand merci : c’était super !
Merci à Childeric Thor pour sa contribution...