Rencontre avec Julien, capitaine du vaisseau Ixion qui, avec "L'adieu aux étoiles", poursuit son voyage dans la galaxie d'un doom céleste qui n'appartient qu'à lui.
Il y 3 ans sortait « Return ». Avec le recul êtes-vous toujours satisfaits du son et de l’accueil de ce dernier ?
Bonjour ! C’est un album que nous sommes très heureux d’avoir fait, une sorte d’exploration, et qui a en général été très bien accueilli, même s’il semble qu’il ait un peu divisé nos fans du fait de son aspect plus lumineux et moins doom. Du point de vue du son j’en suis globalement satisfait, avec quelques frustrations aussi : on fait forcément des compromis quand on combine différentes instrumentations et genres comme ça, et là certains d’entre eux à posteriori m’ont fait un peu tiquer. Du coup c’était l’un des enjeux pour "L’Adieu aux Etoiles", d’autant plus que l’idée était de ‘sublimer’ notre identité : respecter et laisser s’exprimer chaque facette, le doom metal, l’ambient-électronique, le tout avec ce qu’il faut de puissance, et un son qui respire ! Personnellement cela fait 10 mois que j’ai découvert les masters, et à ce stade je continue d’être pleinement satisfait de l’album – je retrouve ce que j’avais en tête lors de la composition, et c’est appréciable !
3 ans plus tard donc, vous voici de retour "L’Adieu aux Étoiles". A l'époque de "Return", vous aviez déclaré ne pas encore savoir à quoi ressemblerait son successeur. Quand et comment l'idée de "L’Adieu aux Étoiles" a-t-elle pris forme ?
Après "Return" j’ai ressenti le besoin de renouer avec une certaine noirceur, le funeral… Mes compositions ont donc démarré sur cette base. Mais chassez le naturel il revient au galop : j’ai complété et arrangé avec les mélodies, les synthés, et c’est à ce moment que j’ai réalisé ou ressenti que ce que j’étais en train de mettre en forme était comme la définition même de la musique d’Ixion. A partir de là ça a été une évidence : faire un album recentré sur notre identité, condensé, qui viendrait mettre en lumière ce qu’est la musique d’Ixion, fondamentalement. Cela a aussi posé le cadre d’une exigence vis-à-vis de la production, de l’&, des photos. L’histoire racontée sur l’album s’est elle développée un peu en décalé mais quand même de manière imbriquée, et puise dans mes inspirations de science-fiction.
D'une certaine manière, l'album renoue par son ton mélancolique avec "To the Void", tout en poursuivant les expérimentations de "Return", comme les ambiances froides et électroniques héritées des années 70.... Etes-vous d'accord ?
Oui, tout à fait ! Il y a une sorte d’héritage de To the Void dans "L’Adieu aux Etoiles", sur cette base funeral doom / doom atmo mélodique, et en même temps nous avons conservé certains développements de "Return", côté synthés éthérés et 70’s, mais aussi le travail sur les voix claires de Yannick. C’était l’idée de faire ressortir l’essence de notre musique : condenser ce qui nous définit à travers nos différents albums sur celui-ci. Le tout avec cette ambition sur la production.
Avec sa progression, "L’Adieu aux Étoiles" semble raconter une histoire. Si tel est le cas, que pouvez-vous nous en dire ?
Il s’agit bien d’une histoire. On retrouve l’équipage du vaisseau présenté dans "Enfant de la Nuit", parti à la recherche de mystérieux créateurs. Ils atteignent au début de l’album un gigantesque artefact (représenté sur la pochette), construit par ces êtres supérieurs. Progressivement ils comprennent sa fonction en découvrant par ailleurs que notre univers est parasité par d’autres entités et condamné – l’artefact est un portail permettant de fuir vers un autre univers. Mais ils vont aussi comprendre que cette structure est l’œuvre de leurs propres descendants, revenus avec elle dans le passé et dans notre univers, pour leur offrir un futur. Ce faisant cette descendance créé les conditions de sa propre existence. On retrouve le concept de boucle temporelle, cher à la SF. La toute fin de l’album représente le passage à travers l’artefact, laissant notre univers vide de toute vie telle que nous la connaissons.
Est-ce que, comme "Return", son titre possède une double signification ?
Non, pas cette fois ci. Il fait simplement référence à l’histoire narrée sur l’album : l’humanité condamnée à quitter notre univers. Le choix a été une évidence là aussi, une fois ce titre en français et poétique venu à l’esprit.
Même si cela reste toujours un caractère propre à votre identité, le chant est impressionnant par sa variété. Comment l'avez -vous abordé ?
Vis-à-vis de cette diversité de chants nous avons gardé la même approche : faire en sorte que la voix appuie la musique, dans un sens ou dans un autre. Rendre un passage ambient encore plus éthéré par une voix claire aérienne, un passage doom encore plus menaçant par des growls adéquats, un passage ambient-électronique encore plus science-fictionnesque par un vocoder, un passage épique plus puissant par une voix rock… cela permet d’appuyer les ambiances et les émotions. Comme tout l’enregistrement s’est fait dans mon studio cette fois ci, c’est donc Yannick qui est venu pour enregistrer les voix claires.
Musique et arrangements sont également extrêmement travaillés. Quels matériels avez-vous utilisés pour concrétiser ce voyage à travers les étoiles ?
Je pense qu’au-delà des instruments ou matériels utilisés, le côté travaillé vient du temps passé à peaufiner, et de ce point de vue le fonctionnement en home-studio permet toute liberté ! Pour répondre à ta question j’utilise des instruments physiques (guitares électriques, acoustique folk, synthés) et software, sachant que dans ce domaine c’est de la composition note par note - je n’utilise pas du tout de boucles ou phrases préenregistrées comme pas mal de logiciels commencent à proposer pour mâcher le travail. Y compris les séquences de synthé qui sont réalisées comme cela et non en activant un arpégiateur. Cela permet de faire du sur mesure par rapport à ce que j’ai en tête, même si c’est beaucoup de temps. Et la plupart des instruments virtuels que j’utilise sont en fait à base d’échantillons sonores de ‘vrais’ instruments. Le mixage s’est aussi fait en home studio. Par contre je tenais à confier la dernière étape à un studio de mastering dont j’apprécie le travail et dont je connaissais l’implication dans le monde du doom atmo, du dark metal : les Fascination Street Studios (Amorphis, Swallow the Sun, Katatonia…).
Julien avait tout composé sur "Return". Est-ce encore le cas ?
Oui, nous avons reconduit la même organisation : la composition et les instruments me reviennent, et nous partageons les voix.
Ixion pourrait-il continuer à exister si l'un de vous deux (Yannick et Julien) s'en allait ?
Le projet étant basé sur mes compositions cela serait surprenant qu’il se poursuive si j’arrêtais... même si on voit parfois des groupes se relancer sans leur compositeur d’origine ! Si Yannick s’en allait cela viendrait bouleverser cet équilibre vocal que nous avons créé et qui fait partie de notre identité (avec ses voix claires éthérées, ou rock, qui complémentent les growls ou certaines expérimentations) – donc ce serait un sacré coup dur.
Par certains côtés et bien que vos univers soient totalement éloignés, je vous trouve parfois proche d’Angellore dans la façon de tricoter un doom atmosphérique d'une belle richesse vocale... Etes-vous d’accord ?
Oui, il y a clairement des points communs entre nous, et la diversité vocale ou la base doom atmo en font partie. Ce qui nous différencie, je pense, c’est une approche plus romantique et gothique du côté d’Angellore, quand nous lorgnons plutôt vers le funeral et cette intégration de l’ambient-électronique 70’s - 80’s.
Votre musique est arrimée au doom pourtant loin de la lourdeur généralement de mise, elle donne une impression de sérénité qui tranche par rapport au canon du genre. Qu'en pensez-vous ?
Il semble effectivement y avoir une sorte de paradoxe dans notre musique, comme une ‘douce noirceur’ ou une ‘douce froideur’, un peu comme on parle d’une douce mélancolie. Une perception d’immensité glacée mais parfois réconfortante… Je dirais que cela vient du côté contemplatif, lui-même lié à la lenteur du doom et au poids de la facette atmosphérique dans notre travail. Finalement c’est un peu comme la sérénité face à des images d’espace ou d’abysse, alors même qu’elles ont un côté sombre et une ampleur inhumaine.
Julien, as-tu déjà songé à écrire des livres de SF ?
Je ne pense pas avoir le talent d’écriture pour ça, ni le temps d’ailleurs !
Rassurez-nous, cet adieu ne signifie pas la fin du projet ? A moins que vous ressentiez l'envie d'explorer d'autres univers...
Non non, pas d’inquiétude, nous comptons bien continuer ! Y compris à arpenter les étoiles ! Ce qui ne veut pas dire que nous nous y cantonnons. Il y aura aussi d’autres explorations…
Vous vous concentrez sur Ixion mais avez-vous d'autres projets musicaux ?
Nous avons deux parcours bien différents pour le coup, entre Yannick et moi. Il a de son côté fondé différents groupes et projets, rock, metal, pop, beaucoup joué sur scène aussi. L’un de ces projets, Quarantine (et ça n’a rien à voir avec le contexte actuel…) , correspond bien à ce qui nous relie, autour d’une musique fragile et mélancolique. Ses dernières années il affine son projet personnel Ian. A mon niveau je concentre mon énergie sur Ixion, qui est un peu mon deuxième enfant !
Ixion est-il condamné à n'être qu'un projet studio ? D'après vous, cela ne vous prive pas d'un contact privilégié avec votre public ?
Si l’envie du live est réelle, je reste dubitatif sur sa mise en application, sachant que je tiens à une scénographie en accord avec la musique. A partir de là, une musique spatiale pose quelques problématiques, en comparaison à une musique intimiste, et alors que l’on parle quand même d’un public plutôt restreint. Sans parler des difficultés logistiques à répéter, ou trouver les musiciens (en partant du principe de jouer live une bonne partie des claviers, en plus des voix et de la base metal). Vis-à-vis du contact avec le public, oui et non : je lis parfois que la meilleure façon d’apprécier notre musique est de s’isoler au calme, ce qui montre qu’une partie de notre public adhère à une écoute pure. Et en même temps il semble évident qu’une déclinaison scénique permettrait de renforcer l’expérience et toucher de nouvelles personnes.
Vous êtes fidèles à Finisterian Dead End. Que vous apporte ce label ?
Déjà, humainement, nous sommes sur une relation à la fois amicale, efficace, à l’écoute – c’est agréable comme partenariat. Et puis il y a d’un côté la distribution Season of Mist et Code 7, des relations promo, etc. , et de l’autre une possibilité de faire du ‘sur mesure’ – par exemple nous avons co-sorti l’album entre le label et notre structure 28978 Productions, notamment pour gérer en direct le digital.
Un dernier mot pour les lecteurs de Music Waves ?
Tout simplement un grand merci pour votre intérêt et votre écoute ! Et merci à Music Waves pour cette interview !