Soen poursuit son rythme effréné et imperturbable d'un album tous les deux ans et continue son ascension sur la scène metal. "Imperial" est déjà leur cinquième album et s'inscrit dans la continuité de l'excellent "Lotus". Habitué à se prêter au jeu de l'interview, Joel Ekelöf, seul cette fois-ci, est revenu sur le nouvel opus du combo suédois au micro de Music Waves.
Nous aimons commencer nos interviews par la question que l’on t’a posée trop souvent et à laquelle tu es fatigué de répondre. Quelle est cette question ?
Joel Ekelöf : (Rires) Eh bien… Certains nous demandent pourquoi nous sortons cet album en janvier. En réalité je n’en sais rien. Ce n’est pas mon travail de m’en occuper. Je ne réfléchis pas aux dates et à ce genre de choses, c’est le travail du label. Ceci dit, la question ne me gêne pas du tout. Il n’y pas de problème. C’est juste que je n’en sais rien ! Nous, on fait un album et on espère que les gens l’apprécieront !
Et on a beaucoup aimé cet album !
Joel : Merci !
Avec le recul, comment avez-vous appréhendé l’accueil très positif de "Lotus" et de la tournée qui a suivi ?
Joel : Quand on a terminé l’enregistrement de "Lotus", pour la première fois, on a tous trouvé que le résultat était à la hauteur de nos attentes. On avait trouvé notre recette, ce qui était une bonne base au moment de se concentrer sur "Imperial".
L’année 2020 a été très particulière avec une tournée qui s’est sauf erreur arrêtée jusqu’à l’enregistrement de l’album qui va sortir le mois prochain. Est-ce que "Imperial" est un peu venu en réaction par rapport à ces évènements ?
Joel : Non pas vraiment, car la plupart des chansons étaient déjà écrites avant. Mais je suis sûr que ça a dû affecter l’album d’une certaine manière. Mais ce n’est pas plus mal, car il y a eu beaucoup d’albums traitant de la pandémie, donc ça n’aurait pas été nécessaire d’en sortir un de plus.
Le noir domine encore plus sur la pochette avec cette fois un serpent qui rappelle étrangement, (je suppose qu’on a dû vous le dire plein de fois depuis qu'elle a été dévoilée), le "Black Album" de Metallica. "Imperial" est-il votre black album à vous avec tout le succès qui l’accompagne ?
Joel : (Rires) Oui c’est vrai, la couleur noire est très présente et il y a un serpent, mais ce n’était pas ce à quoi nous pensions, à vrai dire. Quand on a vu le résultat, ça nous a rappelé quelque chose, mais d’une certaine manière, je ne crois pas que c’est un problème. Il n’y a pas d’autre similarité à part celle-ci. C’est une pochette minimaliste et élégante, c’est ce que l’on voulait atteindre comme résultat. On voulait quelque chose de majestueux.
Le serpent est un animal qui revient beaucoup dans votre imagerie. On l’a vu sur certains de vos logos, maintenant sur la pochette et dans le clip annoncé pour aujourd’hui. Que symbolise cet animal pour vous ?
Joel : Le serpent a toujours été un symbole de danger dans l’histoire de l’humanité. Mais c’est aussi le symbole de la santé, de la renaissance, de la résurrection. Cela a plusieurs significations, et cela allait bien avec les thèmes abordés dans l’album.
Ce nouvel album est-il synonyme de la renaissance de Soen ?
Joel : (Il réfléchit). Je ne sais pas ! Je n’irais pas jusque-là car je ne pense pas que Soen ait besoin d’une renaissance à ce stade. "Lotus" avait initié quelque chose et je pense que ces deux albums se suivent. On est toujours sur le même chemin de vie je dirais ! (Rires).
Tu as justement un serpent autour du cou sur le clip de ‘Monarch’. N’as-tu pas eu peur de l’avoir sur toi ?
Joel : Oui c’est un énorme serpent ! Apparemment il lui fait une semaine pour manger un homme adulte. Avec un peu de chance quelqu’un m’aurait sauvé à temps ! (Rires).
Le metal est le noyau de la musique que l’on joue.
Si "Lotus" avait marqué les esprits par son côté metal assumé, moins progressif, "Imperial" enfonce le clou avec un metal encore plus présent, plus dur et c’est peut-être la première fois que l’on ressent non plus une évolution mais une continuité entre le précédent album et ce nouveau. Avez-vous réussi à trouver votre son ?
Joel : Même avant "Lotus", on avait pris une certaine orientation. Le metal est le noyau de la musique que l’on joue. Si tu regardes d’autres groupes de metal progressif tirent plus vers la pop et le jazz que vers le metal. Il n’y a pas de problème avec ça ! Mais de notre côté, le côté metal s’est au contraire plutôt renforcé. C’est de là que l’on vient, c’est là que sont nos racines et on n’a pas envie de s’en émanciper. Mais c’est peut-être parce que l’establishment a ce côté un peu méprisant vis-à-vis du metal. C’est le cas en Suède. En tout cas, nous n’abandonnerons pas nos racines metal.
Tu parles d’élégance, et je pense que votre metal est très élégant.
Joel : Le metal peut l’être ! Il peut s’exprimer de nombreuses manières. On peut diffuser plusieurs messages dans ce genre. Tu peux évoquer des sujets pertinents, honnêtes et pertinents et toujours jouer du metal. Les métalleux sont des gens intelligents, on ne devrait pas croire l’inverse ! (Rires).
Oui, c’est un style qui reste entaché par certains préjugés.
Joel : En même temps, certains ont une attitude qui légitime tout ça. Et ils peuvent aller se faire foutre ! (Rires). Parlons vrai !
(Rires). ‘Illusion’ semble être le pendant direct du titre ‘Lotus’ sur le précédent, comme si ces titres avaient des bases communes ce qui accentue ce sentiment de continuité. Est-ce que ce titre est issu des chutes du précédent album ?
Joel : Non, toutes les chansons de cet album ont été écrites pendant le processus d’écriture d' "Imperial". Ce sont des nouvelles chansons. ‘Illusion’ reste une ballade typique de Soen. Mais effectivement tu peux la comparer à ‘Lotus’ ! Je n’aime pas quand les groupes sortent des albums trop différents, il faut qu’il y ait des similarités, tout en faisant en sorte que ce soit nouveau et frais !
A l’écoute de "Lotus", même s’il avait un côté puissant, il ressortait un petit côté optimiste et relativement lumineux. "Imperial" semble être plus sombre comme sur le morceau ‘Antagonist’. Peut-on le voir comme son frère en plus noir, et est-ce que tu comprends ce sentiment-là ?
Joel : Oui, j’imagine. Il est peut-être plus heavy, et il évoque peut-être des sujets plus graves. Mais il y a toujours plus ou moins le même message. On dit que l’on va dans la mauvaise direction, mais on ne dit pas aux gens de s’enterrer. On leur dit d’être en colère et d’agir pour que les choses changent. Ce message était déjà présent dans "Lotus" et on le retrouve aussi dans "Imperial", mais le son est peut-être un peu plus heavy et les thèmes abordés plus sombres. C’est possible ! (Rires).
Le son d’ailleurs donne plus d’importance à la rythmique avec la batterie mise en avant (beaucoup de double pédale) ainsi que la basse. On a l’impression qu’à chaque album vous évoluez et expérimentez beaucoup ce travail sonore analogique désormais ?
Joel : Eh bien je ne sais pas ! Tu trouves ? Peut-être... On a mis de côté tous les dogmes, si tu vois ce que je veux dire. On n’a pas de règles sur la manière dont les choses doivent sonner, sur les instruments que l’on doit utiliser, etc. Ce qui nous importe, c’est la manière dont cela va sonner et ce que cela va te faire ressentir. Est-ce que c’est bon, ou est-ce que ce n’est pas bon ? Que ce soit analogue ou pas, peu importe en fait. On reste un groupe live, donc toute la musique que l’on joue, il faut qu’on la sente pour la jouer sur scène après, et que l’expérience soit la même sur scène pour le public.
Cette année doit être frustrante pour vous vu que vous ne pouvez pas jouer de concerts ?
Joel : Oh oui ! C’est une année difficile.
Vous ne vous interdisez pas non plus des incursions vers d’autres styles notamment avec une présence plus importante des claviers et de l’aspect symphonique de vos compos, notamment dans le très beau titre ‘Fortune’. Qu’est-ce que cette facette vous apporte et est-ce une direction vers laquelle vous souhaiteriez vous orienter à l’avenir ?
Joel : En tout cas on n’a rien contre ça. Les arrangements de ce style sont très beaux et vont bien avec notre musique. Il y a aussi Lars (Åhlund, le claviériste, ndlr) dans le groupe. C’est un musicien très talentueux. Il fait beaucoup d’arrangements. On a de très bons musiciens, donc ces arrangements, on peut les reproduire sur scène. Je pense qu’il est très important que la musique reste ancrée dans le metal. Si l’on va davantage dans cette direction, il ne faudrait pas que cela interfère avec le côté metal. Mais c’est possible, c’est totalement possible je dirais ! Ça dépend juste de notre état d’esprit !
Il faut que l’on se parle entre nous, initier le dialogue, il ne faut
pas entretenir la haine, car c’est ça qui est à l’origine de la division.
Vous n’hésitez pas à aborder des thèmes très actuels, presque sociétaux, tels que les inégalités qui s’accentuent, l’exploitation qui fait que certaines personnes survivent qui prend tout son sens dans cette période pandémique. Je cite l’exemple de ‘Monarch’ avec ses sirènes annonçant peut-être un bombardement ou une explosion nucléaire. C’est cette vision que vous souhaitez partager dans cet album et faire de vous un groupe concerné par la société ?
Joel : (Il réfléchit). Tu veux peut-être dire que les gens sont polarisés, ils se divisent et s’éloignent les uns des autres. Oui, je suis d’accord, et c’est un sujet que l’on évoque. Je pense que c’est quelque chose de dangereux. Cela peut avoir des mauvaises conséquences. Il faut que l’on se parle entre nous, initier le dialogue, il ne faut pas entretenir la haine, car c’est ça qui est à l’origine de la division. Nous n’avons pas peur de délivrer ce genre de messages. Nous ne sommes pas un groupe activiste pour autant. On ne dit pas aux gens ce qu’il faut penser, et on n’amène jamais de solutions aux problèmes. On n’a pas de démarche politique. En revanche, on a des choses à dire et on veut faire entendre notre voix.
Cody fait un travail extraordinaire dans cet album. A-t-il eu plus de place dans le processus d’écriture ?
Joel : Il a pu s’impliquer dans cet album dès le début. Il a pu écrire de beaux solos. Mais normalement, Martin écrit les structures des morceaux, je pose des idées de chant. On démarre là. Je trouve que les solos qu’il propose évoluent. Ils sont fantastiques sur cet album ! Ce sont probablement les meilleurs solos que Soen ait jamais eus.
Oui je suis d’accord ! Et pour parler de toi, j’adore ta voix ! Elle est encore plus affirmée dans cet album dans l’expressivité par rapport aux propos que tu chantes. Comment travailles-tu cet aspect pour ne pas être submergé par tes propres émotions, car on sent que tu es quelqu’un de sensible ?
Joel : J’ai toujours été fasciné par la musique très émotionnelle et le chant qui contient de l’émotion. Donc ce n’est pas quelque chose de nouveau pour moi. Ma voix n’est pas le genre de voix à laquelle on s’attend dans ce style de musique. C’est un peu inhabituel, mais ça marche ! Je ne sais pas comment ça fonctionne, je suis juste content que cela fonctionne !
Oui, et ta voix est singulière dans ce groupe, elle est très importante. Tu as l’air bien dans ce groupe !
Joel : Oh oui, j’adore ! (Rires).
Une lumière viendra peut-être après l’obscurité. Il faut l’espérer !
Alors que 2021 se profile à l'horizon, il reste beaucoup d'incertitudes. Comment vous préparez-vous pour cette nouvelle année ? Etes-vous plutôt optimistes ou plutôt pessimistes ?
Joel : Je suis optimiste. C’est ma nature, je suis comme ça. On a une tournée prévue en Europe début avril. Il est possible qu’on doive la reporter mais il faut rester optimistes, il faut continuer à aller de l’avant. Ce sont des tournées que l’on prévoit très longtemps à l’avance, alors on va voir ! Peut-être que 2021 sera une année extraordinaire car 2020 était une très mauvaise année. Une lumière viendra peut-être après l’obscurité. Il faut l’espérer !
On l’espère ! Peut-être nourrir l’espoir d’un DVD et d’un CD live ?
Joel : On ne sait jamais ! C’est une question de temps, je pense. Mais il faut que les circonstances s’y prêtent. On est très soucieux du détail. Si on sort un DVD, il faut que la qualité soit bonne. Il y a beaucoup de paramètres sur lesquels il faudra travailler. Mais ce serait super !
Oui, bien sûr ! Et qu’est-ce que vous attendez de cet album ?
Joel : On espère que les gens l’aimeront autant que nous. Ce serait fantastique ! On attend vraiment de pouvoir le jouer sur scène. Je suis très excité à l’idée de le jouer en live.
On a commencé l’interview par la question que l’on vous a trop souvent posée. Quelle serait celle que tu aurais aimé que l’on te pose ?
Joel : C’est difficile, je ne sais pas !
Alors garde-la en tête pour la prochaine interview, et on commencera par cette question !
Joel : Excellent, faisons ça ! (Rires).
Joel, Merci beaucoup, on adore Soen et on espère vous voir à Paris l’année prochaine.
Joel : Oh merci ! Je suis heureux de l’entendre. On est très excités à l’idée de venir à Paris. Peut-être que la prochaine fois ce serait encore mieux ! Avec un peu de chance on jouera peut-être au Hellfest ! On l’espère !
Oui bien sûr, merci Joel à bientôt !
Joel : Merci au revoir !
Et merci à Calgepo pour avoir mené cette belle interview !