A 72 ans, Archie Lee Hooker vit un rêve éveillé. A l'occasion de la sortie de son nouvel album "Living In A Memory", le natif du Mississippi est revenu sur son parcours hors du commun, un parcours plein de sagesse qu'il nous a conté de sa belle voix grave.
Nous aimons commencer nos interviews chez Music Waves par cette question traditionnelle : quelle est la question que l’on t’a posée trop souvent et à laquelle tu en as marre de répondre ?
Archie Lee Hooker : Ce serait probablement : "Etait-ce difficile pour toi d’être le neveu de John Lee ?" Paradoxalement, c’était facile et difficile à la fois. Je ne suis pas un descendant direct de John Lee mais on avait une chose en commun : on est tous les deux nés dans la plantation, dans le Mississippi, à 10 km d’écart. John Lee ne m’a pas appris le blues, mais il m’a appris des choses sur la vie.
John Lee était mon oncle, mais c’était aussi l’un de mes meilleurs amis
Est-ce que c’est pour ça qu’il t’a fallu autant de temps avant de te lancer ? Parce que porter le même nom que ton oncle était un certain poids à porter sur tes épaules ?
Mon premier enregistrement remonte à 1996, et puis j’ai fait un album acoustique en 1998. Il m’a fallu un certain temps pour me guérir car John Lee était mon oncle, mais c’était aussi l’un de mes meilleurs amis. On sortait ensemble, on allait dans les clubs ensemble ! On parlait tous les jours ensemble.
Tu es né dans la ville de Lambert, dans le Mississippi, près du carrefour où la légende raconte que le guitariste Robert Johnson aurait vendu son âme au diable (en échange, il aurait demandé à devenir un guitariste virtuose, ndlr). Tu ne pouvais jouer que du blues en naissant là-bas ?
C’est une région où on jouait beaucoup de blues, oui. Quand j’étais enfant, je faisais du gospel car les racines de ma famille étaient religieuses. Je n’avais même pas songé à chanter du blues !
Quel a été le tournant qui a fait que tu as joué du blues ?
Le 24 décembre 1999. J’ai été à Memphis dans le Tennessee avec John.
Ce n’est pas paradoxal ? Car au début de ta vie tu étais un chanteur de gospel, tu étais donc proche de Dieu. Tu vivais avec John Lee, et il ne t’a pas appris à jouer du blues mais il t’a appris la vie. C’est rigolo que tu n’aies découvert le blues via John Lee que beaucoup plus tard. Quelque part, c’est une sorte de Dieu lui aussi ? (Rires).
Peut-être pas Dieu mais un prophète, quelqu’un qui avait un savoir à partager. Mon parcours a été intéressant. Ma mère m’a initié à la musique religieuse quand j’avais 11 ans. Nous allions à l’église, je chantais dans la chorale. J’ai fait de mon mieux ! Quand j’ai eu 16 ans, on a déménagé à Memphis. Il y avait une église dans notre rue et j’ai aimé y aller. Je m’y sentais bien. Ma vie a changé à ce moment-là, je prenais les choses plus au sérieux, et c’est là que j’ai appris le blues.
Quand je compose de la musique, je cherche à aider les gens

Sur ton morceau ‘I Miss You Mama’, tu parles de ta mère justement. Il y a des racines blues acoustiques sur ce morceau. Vu là où tu es né, tu ne pouvais jouer que du blues. Est-ce que tu penses qu’on ne peut pas échapper à son destin ?
On ne peut pas, non. Quand je compose de la musique, je cherche à aider les gens, à les rendre heureux. Quand je monte sur scène, je n’ai qu’une chose en tête : que les gens rentrent chez eux en étant heureux.
Et comment vis-tu justement cette période où les artistes ne peuvent pas monter sur scène pour partager leur musique avec leur public ?
Eh bien… (Il réfléchit). C’est compliqué. J’ai envie de toucher la main des gens. J’ai joué mon dernier concert en Tunisie. Il y avait 16 000 personnes debout. Je veux ne faire qu’un avec eux, c’est ma mission.
Ton album "Living In A Memory" est un album éclectique. Il y a beaucoup de soul dedans aussi. Toi qui as grandi avec le gospel, est-ce que tu as été influencé plus par Albert King que par John Lee ?
Albert King… (Il réfléchit). Je l’aime beaucoup. C’est en quelque sorte la route de ma vie. J’ai dû aller au plus profond de moi pour exprimer ce que j’avais à dire. Il y a des choses dans ta vie que tu ne veux pas faire ressurgir, mais vu le thème de l’album, il fallait que je sois transparent avec les gens.
Donc ce n’est pas que de la fiction, cela retrace aussi ta propre histoire ?
Oui, ce ne sont que des histoires réelles à propos de la vie que j’ai vécue.
Je veux pouvoir toucher la jeune génération
Et c’est pour ça que cet album est fort, car cela vient de l’expérience. Le saxophone est très présent sur cet album ! Est-ce que tu te sens plus proche du "Chicago Blues" ou du "Delta Blues", ou alors est-ce que cette distinction n’a pas de sens pour toi ?
Ce qui m’intéresse c’est le mélange des musiques. On voulait jouer une musique traditionnelle mais avec un feeling moderne. Je veux pouvoir toucher la jeune génération.
Tu peux plaire à un public jeune, mais pour les fans plus "hardcore", est-ce que tu n’as pas peur que cela les touche moins ?
Non, on gagne du public. Regarde Ray Charles, il faisait du blues avec des cuivres ! On a tenté notre chance !
‘My Baby’ est un titre très groovy. Est-ce que tu te vois faire un album de ce style à l’avenir ou dans un style plus boogy ? Ou autre ? Ou Archie Lee Hooker ne peut pas être étiqueté ?
Les étiquettes ne m’intéressent pas. J’écoute de tous les genres de musique : gospel, country, r'n'b…
En jouant une musique moins éclectique, est-ce que tu penses que cela t’ouvrirait à un public plus large ?
Eh bien… J’aime le blues qui te touche. Je me nourris de cette énergie-là. Parfois, j’aime aller au fond de la musique, notamment dans la musique acoustique, qui m’aide à me connecter au public. J’aime voir leurs yeux, j’aime ressentir la musique. C’est avec ton cœur qu’il faut jouer de la musique.
Sur le morceau ‘Getaway’, tu rends hommage à la France avec quelques mots chantés en français par une chanteuse invitée sur l’album. Tu vis d’ailleurs en France depuis dix ans maintenant. Qu’est-ce que tu aimes en France et que tu n’as pas trouvé aux Etats-Unis ?
C’est grâce à un homme ! John Lee ! En 2001, 3 semaines avant qu’il décède, il m’a dit : "Si tu veux faire du blues, il faut que tu vives en Europe".
Pourquoi l’Europe en particulier ?
Il y a une belle scène en Europe.
Et pourquoi pas en Afrique, là où le blues puise ses racines ?
Dans les années 60, John Lee n’était pas gros aux Etats-Unis, il était gros en Europe ! Il a fait des hits en Europe. Il n’a pas gagné de Grammy aux Etats-Unis.

Est-ce que tu penses que tu as appris grâce à ses expériences ? Est-ce que tu penses qu’il serait fier de toi ?
Oui ! Il me disait : "Je ne pourrai pas toujours être à tes côtés, mais je te donnerai assez pour que tu vives sans moi". Je pense qu’il dirait que je n’ai pas pris ce qu’il disait pour acquis et que j’ai montré de l’intérêt pour ce qu’il me disait. J’ai pris très sérieusement tout ce qu’il m’a dit. En Amérique, après le blues, il y a eu le r'n'b, la soul, le disco, le hip-hop, et puis le rap qui ont tous relégué le blues au second rang de plus en plus.
C’est pour ça que John Lee te disait d’aller eu Europe, pour avoir plus d’opportunités et de chance de devenir connu !
Pour être plus connu, oui. Il m’a dit un jour : "Ecoute-moi attentivement : va en Europe, et quand tu seras établi là-bas, reviens aux Etats-Unis !".
Et est-ce que ce moment est venu ? Est-ce que tu songes à revenir aux Etats-Unis ?
Non. J’y vais pour rendre visite à mes enfants.
Quand penses-tu que ce pourrait être le moment de rentrer aux Etats-Unis ?
Je tente ma chance avec le label DixieFrog. Je connais beaucoup d’artistes qui ont travaillé avec ce label. Je pense que cette aventure est une opportunité. On a signé avec eux car ils avaient des connaissances et des compétences dans ce milieu pour nous aider. Ils méritent qu’on leur fasse confiance.
Nous avons commencé cette interview en te demandant quelle était la question que l’on t’avait posée trop souvent. Maintenant, quelle serait celle que tu aimerais que je te pose ?
"Est-ce que tu es heureux ?"
Alors, est-ce que tu es heureux ?
Je le suis ! Je suis très heureux, très reconnaissant.
Tu ne peux pas dire que tu sais jouer du blues si tu n’as pas vécu le blues
Est-ce que tu considères que malgré la situation sanitaire, tu vies une période de ta vie qui est heureuse ?
Oui ! Je suis plus heureux maintenant qu’il y a 15 ans. La sortie de l’album était prévue pour l’an dernier, mais avec la pandémie, il a fallu reporter la sortie pour que tout se passe bien. Tu ne peux pas dire que tu sais jouer du blues si tu n’as pas vécu le blues. Le blues, il faut le vivre pour l’exprimer. C’est un sentiment, comme l’amour. Sur le morceau ‘I Miss You Mama’, j’ai pris des cours pour la jouer correctement. Il m’a fallu 5 ou 6 mois pour l’avoir bien. Et tu sais comment j’ai su que je l’avais ? Les oiseaux dans les arbres se sont mis à chanter, chez moi !
J’adore cette histoire ! En tout cas avec le recul, tu as parcouru beaucoup de chemin. T’attendais-tu à en arriver là un jour ?
Ça m’a pris du temps pour y arriver, mais avec son le soutien, la connaissance et l’amour de John Lee, j’ai beaucoup appris et j’ai touché un plus grand public.
Merci beaucoup !
Merci (en Français)
Merci à Newf pour sa contribution...