Killing Volts est la rencontre de quatre musiciens basés à Genève qui proposent un rock hybride plein de fuzz, de groove et de rythmiques. Music Waves part à la rencontre du groupe, qui nous parle de ce nouvel album au nom énigmatique "Symptomatic Delemma (Of A Post Capitalist Mind)".
Après un premier EP "Why Shoud I Say Yes” vous vous lancez dans la sortie d’un album "Symptomatic Dilemma (of a post capitalist mind)", comment la situation que l’on a vécue a-t-elle impactée cet album ?
Plus que la situation sanitaire actuelle, c’est plutôt notre situation de studio qui a eu un impact sur le temps de sortie de l’album. Nous avons eu deux grosses inondations dans notre studio, ce qui nous a obligé à arrêter les enregistrements car nous avons dû reconstruire l’infrastructure pour continuer les enregistrements ainsi que le mixage.
On le sait la culture a été mise sous éteignoir pendant longtemps pour la première fois de l’Histoire même, ce n’était pas facile pour les artistes et encore plus pour les groupes à la recherche d’une reconnaissance, est-ce que cette situation a remis en cause à un moment vos certitudes et qu’est-ce qui vous a permis de tenir ?
La Covid nous a permis d’avancer plus vite sur le mix car nous n’avions plus de concerts durant cette période. En fin 2019, nous venions de déménager dans de nouveaux locaux juste avant la crise pour reconstruire notre deuxième studio. Alors c’est sûr que ça nous a fait bizarre de ne plus avoir de concerts et de ne plus voir de concerts, mais ça nous a permis de prendre du recul et de revenir plus forts avec plus de d’enthousiasme et de gratitude de pouvoir faire ce que l’on aime.
Killing Volts est la rencontre de plusieurs musiciens qui ont eu ou ont toujours d’autres projets : Black Widow’s Project pour Al et Matt, This Misery Garden pour Jay. En quoi ces groupes ont nourri Killing Volts et qu’est-ce que ce projet apporte de plus par rapport à vos autres groupes ?
C’est surtout la rencontre entre moi et Black Widow’s Projet avec Al et Math qui crée le style de Killing Volts. Avec les chansons plus punk que j’écris et les chansons plus complexes composées ensemble avec les riffs d’Al. Ce qui est chouette avec ce groupe c’est qu’on compose beaucoup de chansons ensemble tous les trois. On se connaît depuis tellement longtemps que la composition est très fluide et facile, on se complète tous et on travaille toujours au service de la musique et pas de nos egos.
C’est un besoin pour un musicien de ne pas s’enfermer dans un seul projet et d’avoir d’autres pistes pour se challenger ?
Oui, je pense que c’est toujours bien d’ouvrir ces horizons en tant que musicien, et même de faire des styles complètement différents. Je crois qu’on aime tous dans le groupe les compositions qui ont plusieurs influences, ce qui rend les morceaux plus riches et surtout plus distincts entre eux.
Nous aimons prendre le temps, ce qui semble ne plus être dans l’air du temps.
Vous sortez un album à l’époque où ce format est de plus en plus remis en cause par l’industrie musicale, le streaming qui a changé la relation que les gens ont vis-à-vis de la musique, privilégiant les playlists, il y a moins de rapport affectueux ou d’attachement à l’égard des albums, mesurez-le-vous fait que vous soyez à contrecourant et comment appréhendez-vous cet aspect ?
Pour cet album nous avons sorti plusieurs singles sur deux ans qui se retrouvent dans l’album. Nous désirions valoriser notre musique, si les gens n’ont plus le temps d’écouter un album, alors nous sortons les chansons de manière plus régulière et sur une plus longue période. Nous aimons prendre le temps, ce qui semble ne plus être dans l’air du temps.
On admire le sens de la communauté dans le metal et le soutien qu’on retrouve dans cette scène.
L’album dans son ensemble est assez dépouillé, revenant à quelque chose d’organique, de viscéral, là où d’autres foncent vers l’utilisation de l’électronique ou même se tournent vers des musiques plus extrêmes, c’est aussi ça Killing Volts, rester dans l’essence du rock et cette authenticité ?
Nous aimons l’alternative rock, entre le rock et le metal. Nous ne pouvons pas changer qui nous sommes et ce que nous aimons. Nous apprécions les artistes authentiques qui ne cherchent pas à en faire trop ou à s’adapter, nous aimons les sons plus « sales » du rock et l’énergie du metal. Je crois que c’est bien notre problème de se retrouver dans ce fossé entre les musiques plus extrêmes et le rock plus doux comme le psychédélique, on a de la peine à trouver une scène qui nous correspond. En revanche, on admire le sens de la communauté dans le metal et le soutien qu’on retrouve dans cette scène.
Si les titres sont relativement courts, certains possèdent plusieurs ambiances comme ‘This Game’ dans lequel il y a un passage atmosphérique presque incongru, est-ce que cela traduit une volonté pour vous de surprendre l’auditeur ?
Aujourd’hui, il semble parfois que tout a été fait dans le rock et le metal. Nous pourrions alors mélanger les styles, comme le font par exemple Jinger, et pousser la technicité encore plus loin. Mais de notre côté, nous préférons essayer de surprendre l’auditeur et tenter, tant bien que mal, de ne pas se heurter aux clichés du rock.
D'autres sont un peu plus longs comme 'Another Man's War' et laissent le temps aux instruments de s'exprimer, c'est aussi une marque de fabrique de Killing Volts, de laisser le temps à la musique de pouvoir s'exprimer et de servir le concept ?
Nous aimons le rock car c’est un dialogue entre le chant et les instruments. Il faut savoir laisser la place aux instruments et aux riffs pour que le chant prenne son sens et que les paroles soient entendues.
Votre musique est hybride entre le fuzz, le grunge à la Hole, le rock façon Garbage, Killing Volts est il pour vous un laboratoire où vous ne vous vous fixer aucune barrière ?
Je ne sais pas si c’est un laboratoire, nous composons les morceaux comme il nous viennent avec l’inspiration du moment et sans sur-réfléchir.
J’essaie d’être au service de la musique jusqu’à ce que la ligne mélodique soit exactement comme je l’entends dans ma tête.
Tania livre une prestation incroyable avec une voix de caméléon entre énergie rageuse (‘Love Sailed’) mais aussi sa façon d’être mutine et charmeuse (‘Low’), comment a-elle appréhendé ces lignes de chant et comment entretient-elle sa voix ?
C’est mon métier, je suis professeure de chant et coach vocal, je suis une passionnée du chant. Je travaille en chantant plein de styles différents et difficiles, et même des morceaux avec de musique extrême. J’aime expérimenter, tester des effets vocaux et perfectionner ma technique. Je ne me repose jamais sur mes lauriers et me pousse constamment à arriver au son idéal pour la chanson tout en respectant mon style. Les lignes mélodiques que j’entends, même si des fois sont trop difficiles sur le moment, me poussent à améliorer ma technique vocale, j’essaie d’être au service de la musique jusqu’à ce que la ligne mélodique soit exactement comme je l’entends dans ma tête.
Les chansons semblent être très personnelles et dans ce cas il est difficile de ne pas se laisser submerger par les émotions dans la façon d’interpréter pour ne pas risquer de surjouer, est-ce que le travail de chanteur (chanteuse) peut être considéré comme celui de comédien pour transmettre la bonne émotion (notamment sur le réussi ‘Parasite’) ?
Certaines chansons que j’écris sont reliées à une situation personnelle du passé. C’est un exutoire. Cependant, elles n’ont plus ou peu d’emprise sur moi maintenant alors je les interprète à travers différents personnages comme si je racontais des histoires à des gens. J’aime à penser que les contes ou les métaphores ont une emprise sur la psyché des gens, comme quand je délivre mes chansons au public.
Le mix met particulièrement en avant également la basse. Il semblerait que les lignes de basse soient le point de départ et la ligne directrice de chaque chanson. Est-ce bien le cas ?
Non, pas du tout ! La basse est bien sûr un instrument indispensable mais dans notre cas les points de départ ont très souvent été les riffs de guitare. En revanche, Al utilise beaucoup d’octaver qui est un effet permettant de descendre le son de la guitare et je sais qu’il a parfois même doublé certains riffs avec un synthétiseur analogique Moog, qui se trouve beaucoup dans les basses sub.
Le titre de l’album laisse entrevoir une sorte d’album concept sur l’ouverture vers un monde post-capitaliste, on parlait du monde d’après (la pandémie), un monde meilleur soi-disant mais en réalité il s’avère pire, c’est le message que vous souhaitez faire passer ?
"Symptomatic Dilemma of a Post-Capitalist Mind" représente le sentiment que nous ressentons depuis plusieurs années, notamment concernant la consommation et la situation climatique actuelle. Nous avons tous envie de nous faire plaisir, en partant en voyage, en ayant notre confort, en s’achetant des choses mais finalement tout ça ne fait qu’empirer notre situation. Il ne faudrait plus rien faire pour ne plus polluer ! Mais est-ce réellement envisageable ? Et puis il y a la condamnation individuelle qui passe souvent avant la condamnation des gens de pouvoir ou des entreprises, qui elles, semblent vraiment avoir le pouvoir de changer les choses. Finalement c’est ce dilemme entre avoir une vie confortable impactant le moins possible notre environnement et le sacrifice que peu de monde ne semble être prêt à faire pour véritablement changer les choses.
Avec la chanson 'This Game', je pose par exemple la question sur le développement individuel et la place de l’homme dans l’entreprise moderne. Est-ce que l’on adhère à une vision capitaliste de croissance infinie où on pousse les gens à s’épuiser et à déverser leur âme dans un travail qui n’a pas de sens dans le but de « réussir » sa carrière ? Je préfère pour ma part voir le développement tranquille de l’artisan qui passe beaucoup de temps à travailler, avec comme moteur son amour des choses bien faites. On ne peut pas tous être des machines de productivité comme le dicte le credo des entreprises modernes.
Le dilemme avec l’art c’est qu’on peut faire rêver les gens mais on peut
aussi les endormir en les détournant de ce qu’il faut affronter.
Vous ne paraissez pas optimiste d’ailleurs avec des titres de chansons très sombres comme ‘Parasite’, ‘Another Man’s War’, ‘Not A Saint’… Pensez-vous qu’on a touché le fond et de qui ou de quoi pourrait venir la lueur d’espoir ? Des artistes ?
Le dilemme avec l’art c’est qu’on peut faire rêver les gens mais on peut aussi les endormir en les détournant de ce qu’il faut affronter. C’est pour ça que j’ai toujours préféré le rock, le hardcore ou le rap où l’on parle des choses qui ont de la profondeur. Des mouvements qui sont nés des personnes avec des problèmes sociétaux réels et qui cherchaient à créer une communauté pour s’en sortir ou pour changer les choses, comme le mouvement du hardcore ou du rap. Je crois beaucoup en des petits changements qui créent des grands changements. Finalement la pandémie nous fait voir que rien n’est stable et que tout peut s’effondrer du jour au lendemain.
Nous pouvons vivre confortablement dans une société comme la nôtre car il n’y a pas de guerre et la plupart des gens ne sont pas au niveau de survie. Par contre, dans une société riche comme la nôtre, on oublie le partage car on préfère partir en vacances, s’acheter une nouvelle voiture et surcharger sa carte de crédit et alors, oui, on n’a plus d’argent pour aider les plus démunis ou de temps à consacrer à des projets qui ont du sens. C’est vrai que je ne suis pas très positive quant au futur, je ne vois pas de solution et je reviens au titre de l’album. Je pense que nous n’avons pas encore touché le fond et que la nécessité et l’urgence pousseront les gens et les gouvernements à agir.
La musique était en quelque sorte un vase communiquant avec d’autre pans
de la Culture, ce qui semble s’être dilué à notre époque.
Pourtant il semble qu’il y ait moins d’engagement solidaire de grande ampleur comme on pouvait en voir dans les années 80-90 mais plus d’actions individuelles, notamment dans le monde de la musique où il semble y avoir moins d’engagement (du moins il en existe certainement mais il se voit moins médiatiquement), pour vous cet album est aussi une forme d’engagement ?
C’est une réalité d’aujourd’hui : la musique est devenue une simple commodité, on ne va plus acheter de la musique mais elle vient avec ton smartphone, au travers d’une app' ou d’une playlist. On te propose une bande-son pour prendre ta douche, aller faire ton jogging, etc., et cela change fondamentalement des années 80-90 où la musique était un acte culturel qui avait une valeur intrinsèque. Cela conditionne forcément un certain engagement de la part des artistes de cette époque qui avaient souvent, en plus d’être musiciens, un discours philosophique, social ou une vision bien particulière de la société. La musique était en quelque sorte un vase communiquant avec d’autre pans de la Culture, ce qui semble s’être dilué à notre époque.
Oui bien sûr, cet album est un reflet de notre mode de vie, de nos croyances et de nos questionnements. Nous avons été beaucoup influencés par certains aspects de la culture punk californienne des années 80-90, particulièrement au niveau du D.I.Y et d’un scepticisme face aux schémas de pensée établis.
La production est très soignée et donne à l’ensemble un son très garage tout en étant d’une belle amplitude, comment le mix a-t-il été réalisé ?
Ça fait plaisir ! Le mixage de l’album a été réalisé 100% par Al (guitariste) pour rester dans l’esprit "Do It Yourself" qui nous est cher mais qui nous permet aussi de garder les pieds sur terre au niveau du budget. Il n’est pas du tout ingénieur du son et a dû apprendre les ficelles du mixage sur le tas, ce qui a été un défi de taille ! Ce n’est pas une grosse production mais nous en sommes fiers car cet album nous représente totalement, il est sans compromis !
Qu’attendez-vous de cet album et quels sont vos projets à court terme (notamment en termes de concerts) ?
Alors là c’est très simple, nous nous réjouissons du vernissage et de pouvoir remonter sur scène de manière régulière !
Nous vous laissons le dernier mot pour nos lecteurs...
Je tiens à remercier tous les artistes qui travaillent avec nous notamment pour l’artwork réalisé par l’excellent Mateo El Nabo, qui est aussi musicien et un soutien précieux de la scène locale. Il y a aussi Blaise Villars qui est derrière l’esthétique de nos clips et qui nous soutient grâce à son engagement dans chacun de nos clips et notre ingé' son live Ben Dacruz qui nous a suivis dans tellement d’aventures ! Puis tous les gens qui nous soutiennent, que ça soit à travers les médias ou l’organisation de concerts mais aussi les gens qui viennent nous voir et qui nous soutiennent depuis tout ce temps. Nous faisons de la musique car nous aimons partager et créer avec des gens qu’on aime !
Merci !