Il s'est écoulé sept ans depuis la sortie du dernier album studio de Scorpions, "Return To Forever". Depuis 2015, de l'eau a coulé sous les ponts , à commencer par l'arrivée d'un nouveau batteur, Mikkey Dee, et son curriculum vitae magistral, des tournées intensives, et puis surtout, un épisode Covid toujours d'actualité. Cette parenthèse dans le temps aura permis au groupe allemand de prendre son temps pour composer un nouveau disque, ce qui n'était plus arrivé depuis bien des années. Même après 57 ans de carrière, Scorpions est toujours dans le coup et revient avec ce qu'il sait faire de meilleur. Mikkey Dee et Paweł Mąciwoda, respectivement batteur et bassiste de la formation, nous ont fait l'honneur de venir nous en parler.
Nous aimons commencer nos interviews sur Music Waves par la question suivante : quelle est la question que l’on vous a trop souvent posée et à laquelle vous en avez marre de répondre ?
Mikkey Dee : "Quand allez-vous vous arrêter ?" (Rires). C’est la question la plus stupide ! Mais je ne l’ai pas entendue aujourd’hui !
Et nous vous la poserons pas non plus... Votre dernier concert remonte au mois de mars 2020 à Singapour, juste avant le premier confinement. Mikkey, toi qui arpentes les scènes depuis près de 40 ans avec King Diamond, Dokken et Motörhead, comment as-tu vécu cette période de deux ans, qui, j’imagine, a dû changer ta vie ?
Mikkey : On a joué en Australie et en Asie en 2020, et on avait déjà comme projet d’enregistrer notre album en 2020. Le reste de l’année était prévu pour enregistrer l’album. Finalement, on a été plutôt chanceux car on a pu s’en tenir au plan initial. Ce qu’on n’avait pas prévu en revanche, c’est qu’on ne tournerait pas en 2021 ! Mais ça nous a aussi donné la possibilité de faire un super album, car nous n’étions pas sous pression en termes de délais. On a enregistré notre album de façon live. Aujourd’hui, on ne fait plus ça. C’est trop cher, ça prend trop de temps. Les groupes ne peuvent pas se le permettre. Ce coup-ci, on a travaillé dur pour y arriver.
Paweł, tu es dans le groupe depuis 2003. Cela fait presque 20 ans, ce qui fait de toi le bassiste à avoir joué le plus longtemps dans Scorpions. Pensais-tu que votre collaboration s’inscrirait autant dans le temps quand tu as rejoint le groupe ?
Paweł Mąciwoda : Au début, quand j’ai su que j’allais passer une audition pour rejoindre Scorpions, j’ai eu le sentiment que je serais pris. Comme si c’était mon destin. Ces vingt années sont passées en un clin d’œil. J’ai toujours dit au gars que je serais le dernier bassiste du groupe, et je suis toujours là ! Si Dieu veut bien me donner la santé, et la santé mentale, je serai bien le dernier bassiste de Scorpions. Lui, c’est le bébé ! (Rires) (en parlant de Mikkey, le batteur, ndlr).
C’est la première fois de ma carrière que l’on fait un album et que l’on a le temps de le sortir.
Justement Mikkey, en 2017, tu as enregistré trois titres qui ont été intégrés dans un best of. Mais cette fois-ci, c’est la première fois que tu enregistres un album complet depuis ton arrivée. Est-ce que cela te donne la sensation d’être un vrai membre du groupe à part entière ?
Mikkey : Oui. Par chance, on a pu beaucoup tourner avant de faire cet album. Cela prend du temps d’apprendre à se connaître. J’ai dû gagner leur confiance, et réciproquement. Ce n’est pas facile, surtout dans un groupe de plus de 50 ans. Il y a eu de nouvelles énergies, de nouvelles vibes, de nouvelles idées, de nouvelles façons de jouer ! Comment est-ce supposé marcher ? On a tourné pendant presque quatre ans avant de parler de faire un nouvel album. En sortant un album, je sens que je fais partie de l’aventure officiellement. Ce qui est encore plus important pour moi, c’est que c’est un album qui a été écrit et enregistré par nous. Quand tous les cinq, on s’est dit que c’était super, l’album était fini. C’est la première fois de ma carrière que l’on fait un album et que l’on a le temps de le sortir. Habituellement, on se dit toujours : "Est-ce qu’on pourrait prendre trois semaines de plus pour finir ?". Et on ne peut pas car on a atteint la deadine, il faut qu’on rende l’album, blablabla... Cette fois, on a pu prendre tout notre temps pour faire un album qu’on aime tous, et je suis sûr que les gens vont l’aimer.
Tu as fait partie de Motörhead jusqu’au bout, quand Lemmy est décédé. As-tu douté au moment de repartir avec cette autre légende du rock qu'est Scorpions ?
Mikkey : Je n’ai pas quitté Motörhead (Rires). Le groupe a eu une fin abrupte avec le décès de Lemmy. Quand Matthias m’a appelé, je me suis dit que ce serait un vrai challenge pour moi, et un bon coup de pied au cul (Sourire) !
Tu veux dire par là que tu étais dans ta zone de confort chez Motörhead ?
Mikkey : Absolument ! Après 25 ans, on connaissait tout et on se connaissait par cœur. Mais cela pouvait être un peu ennuyant parfois, et on avait un cadre de travail très strict. Parfois, Phil (Campbell, le guitariste, ndrl) et moi, on écrivait des morceaux. Lemmy arrivait et disait : "C’est une très bonne chanson, mais on devrait la donner à Rush ! Ce n’est pas du Motörhead". Il y avait des règles.
En arrivant dans Scorpions, ça a été un challenge, et j’ai dit aux gars : "Je vais vous motörheadiser un peu !". J’ai essayé d’apporter ma vision de la batterie. James Kottak (le batteur précédent, ndlr) était un très bon batteur, mais c’est un batteur différent de moi.
Le rock n’est jamais mort, ce sont les médias qui l’ont mis de côté.
En parlant de Motörhead, on a récemment rencontré Lucas Fox (premier batteur de Motörhead, ndlr) chez lui à Paris, et il nous a dit que tu étais le meilleur batteur que Motörhead ait eu...
Mikkey : Je suis touché de l’apprendre ! Je me souviens qu'il était venu à un de nos derniers concerts. Tous les membres venaient d’ailleurs, quand ils en avaient la possibilité ! La dernière fois que je l’ai vu c’était à un concert de Motörhead pour lequel il avait acheté sa place ! Tu lui passeras le bonjour !
Pour revenir à ce disque, votre amour du rock’n’roll se ressent dans le nom même de votre nouvel album, "Rock Believer". On dit souvent que le rock est mort ou en mauvais état. Est-ce que cet album a pour but de montrer que le rock est en vie et qu’il se porte bien ?
Mikkey : Oui, mais quand tu dis ça, je ne suis pas d’accord ! Le rock n’est jamais mort, ce sont les médias qui l’ont mis de côté. Il semblerait qu’on en reparle un peu plus aujourd’hui qu’il y a quelque temps. Le rock ne mourra jamais, et c’est pour ça qu’on sort un putain d’album enregistré en live par un groupe qui joue depuis 57 ans !
Paweł : Quand je vois les jeunes qui découvrent les vieux groupes comme Scorpions, Black Sabbath, Led Zeppelin, je vois qu’on est toujours dans l’air du temps. Les gens reviennent toujours aux fondamentaux et aux racines.
Tu parles de racines, mais en même temps, cet album est enregistré en live et il est frais. Comment avez-vous fait pour concilier les deux en 2022 ?
Mikkey : C’est une histoire d’harmonie. Le groupe est en harmonie. Quand c’est le cas, on s’inspire mutuellement. On met de nombreux ingrédients dans la soupe et ça a un super goût. Aussi, on n’a pas envie de refaire un album comme "Blackout" (l’album qui a propulsé le groupe à l’échelle internationale, ndlr). On voulait montrer ce qu’était le Scorpions de 2022. On n’est plus en 1982. Le groupe était complètement différent de maintenant à l’époque. On voulait faire une musique solide, groovy et pas trop compliquée. Les chansons sont fortes et couvrent un large panel de sons. Il y a de très bonnes chansons mid-tempo, des morceaux plus hard, de belles ballades…
Il me semble que c’est votre album le plus heavy depuis "Crazy World" (paru en 1990, ndlr). Qu’est-ce que tu en penses ? Et est-ce que vous n’avez pas eu peur de sortir un album comme ça, car certains écoutent Scorpions pour vos ballades.
Mikkey : Ceux-là peuvent rentrer chez eux et pleurer ! N’achetez pas l’album ! (Rires).
Paweł : Avec Mikkey, nous sommes la section rythmique de l’album. Nous sommes le sang et le cœur du groupe. Mikkey est un batteur très mélodique. Sa façon d’approcher les morceaux l’est tout autant. Quand on a commencé à jouer ensemble, c’est comme si on jouait déjà ensemble depuis des années. Je ne lui ai jamais dit : "Il faudrait que tu changes ceci ou cela".
Mikkey : C’est très important ce que dit Paweł car c’est de moi que tout part. C’est comme dans une équipe de hockey ou de football. Je dois être très solide, ils doivent me faire confiance. Je ne fais pas d’erreurs, je connais la dynamique des morceaux. Les autres musiciens doivent nous suivre avec Paweł et nous faire confiance. Cela prend plusieurs années pour l’établir. Ils doivent apprendre à jouer avec un batteur comme moi.
Paweł : Il faut se synchroniser. Deux batteurs peuvent jouer le même groove mais ils sonneront différemment.
Mikkey : La première fois qu’on a répété pour la première tournée qu’on a faite ensemble, je me rappelle que deux jours avant de prendre l’avion pour la Caroline, notre premier concert, je n’avais encore jamais fait de concert avec le groupe. Il fallait qu’on joue au clic car notre musique était synchronisée avec un écran où les paroles s’affichent. Tout le monde était en nage. Ils avaient l’impression qu’on jouait trop vite. C’était le bon tempo, mais c’est juste que ça pulsait ! (Rires).
Le hard rock est dans mon cœur !
Comment as-tu approché la batterie avec Scorpions ? Tu as dû t’ajuster après avoir joué pour Motörhead et King Diamond ?
Mikkey : Oui, et c’est aussi pour ça que ça a marché, car j’ai joué de beaucoup de styles de musique. Le hard rock est dans mon cœur, mais j’ai joué un peu de tout. Quand je ne suis pas avec Scorpions, je fais de nombreuses sessions en Suède. Je fais des concerts d’autres styles de musique. Oui, je dois m’ajuster, mais c’est bien car j’ai joué 25 ans de la même manière. Rejoindre Scorpions a été une grande inspiration.
Paweł : Peu de gens savent que Mikkey sait jouer du funk par exemple ! Personne ne le sait, mais il peut le faire !
Cet album semble rassembler le meilleur de Scorpions. Est-ce que vous vouliez rassembler le meilleur de toutes les ères de Scorpions ?
Mikkey : Je ne suis pas sûr de comprendre ta question. On ne le voit pas comme un best of. Quand tu fais un album, tu te demandes comment tu vas approcher ce nouvel album. Rudolf, Klaus et Matthias écrivent les morceaux et les paroles. Mais on se demande où on en est dans nos têtes pour savoir comment aborder l’album. On essaye d’amener de l’harmonie et de l’unité pour qu’on soit tous prêts au moment où on franchit les portes du studio.
Je dis ça car il y a votre son des 70’s, comme si vous faisiez un clin d’œil à votre passé.
Mikkey : Quand tu enregistres de la musique, comme je te le disais, Paweł et moi on est la base. J’aime jouer de la musique avec ma batterie, je ne fais pas de la batterie avec de la batterie.
La pochette, elle-même, peut évoquer à un mélange entre celle de "Lovedrive" et de "Blackout". Est-ce volontaire ou est-ce inconscient ?
Paweł : Beaucoup de gens essayent de faire des comparaisons, mais on ne peut pas revenir en arrière. Certaines choses peuvent te rappeler des choses qu’on a pu faire par le passé car ce sont nos racines et que l’on revient à nos racines qu’on le veuille ou non. Mais maintenant, on se focalise sur l’instant présent. On a Mikkey, un nouveau setup, un nouveau son, et on adore ça ! On ne pourrait jamais refaire les mêmes albums qu’avant. C’était un autre temps, des vibes différentes, des setsups différents, des instruments différents…
Mikkey : Et on avait 40 ans de moins ! (Rires).
Ce coup-ci, on a voulu se mettre en danger et écrire du rock’n’roll
Quelles sont vos attentes avec ce nouvel album ?
Mikkey : Faire un super album que Scorpions aura écrit. Si on arrive à faire comprendre notre démarche aux gens quand ils vont écouter l’album, c’est gagné. Imaginons que le label vienne nous dire : "On veut que vous sortiez le nouveau "Blackout" !". Sérieusement, c’était il y a 40 ans ! C’est comme demander à Motörhead de refaire "Ace Of Spades". C’est impossible, c’était un autre groupe. En revanche, ce que l’on peut vous donner, c’est le cœur et l’esprit de Scorpions, du vrai Scorpions. Et peut-être que vous ne nous avez jamais entendu comme ça depuis longtemps car plusieurs autres personnes ont été impliquées dans le processus de composition. Il y a eu de la pression, chaque album devait rester dans une sorte de zone de confort. Ce coup-ci, on a voulu se mettre en danger et écrire du rock’n’roll.
Nous avons commencé cette interview en vous demandant quelle était la question que l’on vous avait posée trop souvent. Au contraire, quelle serait celle que vous aimeriez que je vous pose ?
Mikkey : "Qu'avez-vous mangé au petit déjeuner ?" (Rires). Non, je ne sais pas… (Il réfléchit). Je ne sais pas, c’est une question difficile.
Je t’invite à y réfléchir, et la prochaine fois que l’on se reverra, on commencera par cette question comme ça on verra si tu auras bien fait tes devoirs !
Mikkey : J'y réflechirai, c'est promis !
Paweł : Ce n’est pas une question, mais je dirais… Répandons plus d’amour et de compassion et changeons le monde avec la musique. Arrêtons de nous tuer, essayons de nous comprendre !
C'est un très beau message de fin. Merci beaucoup !
Les deux : Merci à toi !
Merci à Noise pour sa contribution...