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TITRE:

JEAN-PASCAL BOFFO (05 JUILLET 2022)


TYPE:
INTERVIEWS
GENRE:

ROCK PROGRESSIF



Music Waves voyage en Lorraine pour rencontrer Jean-Pascal Boffo, musicien qui garde sa liberté comme un trésor.
CALGEPO - 27.07.2022 -
4 photo(s) - (0) commentaire(s)

Jean-Pascal Boffo est l'un des artistes progressifs les plus réguliers tout en ayant gardé au fil de sa longue carrière une grande indépendance qui lui a permis de construire une discographie en toute liberté. Porté aux nues par certains, décrié par d'autres, qu'importe les avis, il a bâti sa carrière en conservant son authenticité et sa ligne de conduite, faire des albums tous différents les uns des autres. Music Waves part à la rencontre du compositeur qui se voit plus comme un artisan que comme un musicien accompli.

Tu sors ton nouvel album après une période difficile pour tout le monde, comment as-tu appréhendé cette situation et comment a-t-elle impacté ton processus de création ?

Cet album a été en grande partie réalisé justement pendant cette période ! Comme pas mal d'artistes, ça m'a laissé plus de temps pour travailler sur un projet personnel alors qu'habituellement, je travaille beaucoup pour les autres derrière la console ou les écrans... ça m'a permis aussi de tester de nouvelles choses.... et de garder le moral !





Tu es un artiste indépendant et le premier à avoir signé chez Musea qui te soutient notamment dans la distribution de tes albums physiques, que représente pour toi cette indépendance vis-à-vis des labels ?


Cette indépendance permet de n'avoir aucune contrainte et aucun contrôle extérieur sur ce que je peux avoir envie
de proposer et d'enregistrer. C'est très important. Chaque album est différent du précédent et l'ensemble de la discographie peut sembler un peu « décousue » sur la longueur mais je ne m'en préoccupe pas du tout ! L'inconvénient de cette indépendance est qu'il faut s'occuper soi-même de tout, et forcément l'aspect « communication » qui n'est pas le fort des artistes n'est pas ou peu développé. Sans l'appui et le soutien indéfectible de Muséa depuis le début, je n'aurais sans doute même jamais songé à réaliser mes premiers albums !


Eu égard à ta carrière construite autour de la guitare et de tes recherches tournant autour de la guitare, te sens-tu
proche d’un Steve Hackett ou d’un Anthony Phillips et si oui que représentent ces artistes pour toi ?

Je dois dire que je n'ai jamais écouté Anthony Phillips ! J'avoue pour Steve Hackett que j'écoutais beaucoup avec
Genesis et sur ses premiers albums. Le premier « gros » concert que j'ai vu – j'avais 15 ans – était "The Lamb Lies Down on Broadway" quelques semaines avant le départ de Peter Gabriel. C'était en Allemagne et ce fût un choc ! ça m'a complètement rendu accro ! J'ai dévoré tous les disques de Genesis de cette période pendant des mois... puis j'ai exploré les autres, Yes et King Crimson essentiellement... La graine était semée...


La Lorraine est très bien fournie en musiciens talentueux et le fait de travailler avec eux en studio sur leurs divers projets crée forcément un lien et des amitiés


Tu es aussi un ingénieur du son reconnu, est-ce que cette activité a une porosité avec tes compositions, ta
manière de composer et en quoi ?

Évidemment, cette activité me permet d'une part d'avoir un studio à disposition pour mes propres projets, d'autre part, c'est un « vivier » de musiciens dans lequel j'ai rencontré tous ceux et celles qui ont participé à mes productions. La Lorraine est très bien fournie en musiciens talentueux et le fait de travailler avec eux en studio sur leurs divers projets crée forcément un lien et des amitiés qui amènent régulièrement des échanges quand il y a en plus des affinités musicales évidentes.


Tu conceptualises beaucoup tes projets jusque dans les couvertures qui sont toujours aussi travaillées. C’est
important pour toi cet aspect pour aller au plus profond de l’art ?

C'est essentiel ! J'y attache une importance toute particulière. Pour moi un album est un tout, une œuvre d'art
parfois ! Il ne s'agit pas seulement de la musique. J'ai connu l'époque « glorieuse » des 33 tours (on y revient depuis quelques temps) et j'aimais passer du temps à décortiquer les pochettes tout en écoutant les disques. J'ai même souvent acheté des albums juste parce que la pochette m'intriguait... (avec parfois quelques déceptions !) Avant Internet il était difficile d'écouter des artistes qui ne passaient pas en radio ! Et pas toujours possible de tester des vinyles chez les disquaires.





‘In Spiral' est l’un de tes albums où les claviers, les synthés, les programmations prennent le plus de place. Q
u’est ce qui explique une telle orientation à cette étape de ta discographie ?

Il y a eu en 2004 l'album « Infini » où j'étais seul à la guitare électrique et avec déjà beaucoup de programmations
et de sons électroniques. C'était les débuts des instruments virtuels et des possibilités que commençait à offrir la musique assistée par ordinateur (à la portée du grand public). Cette fois-ci, après une série d'albums acoustiques, j'avais envie de revenir à ce genre de sonorités, les ordinateurs et les machines ayant grandement évolué depuis. Et pendant cette période un peu compliquée, j'ai passé pas mal de temps à essayer de nouvelles pédales d'effet qui m'ont donné de nouvelles idées, notamment sur ces séquences qu'on pourrait croire issues de synthés mais qui en réalité proviennent de la guitare !


Comment as-tu travaillé la guitare pour l’imbriquer avec cette place relativement importante dans les sons
numériques ? Est-ce que cela a été pour toi une sorte de défi notamment pour le titre ‘Childhood Dream’ ?

Selon les titres, ça peut être une séquence, un rythme électro ou bien la guitare qui donne naissance à la composition. Pour « Childhood Dream » par exemple, c'est une boucle de guitare avec beaucoup d'effets qui tourne sur 2 accords qui a inspiré la mélodie et le développement. Toutes les parties électroniques rythmiques (y compris la batterie et la basse) et différents bruitages et autres effets ont été ajoutés par la suite pour créer ce climat un peu mélancolique. J'ai passé plus de temps, comme sur tous les titres de cet album, à essayer des textures - dans ce cas notamment les bruits de cour d'école, d'où le titre - et à travailler les sons qu'à développer les harmonies, qui là sont figées par la boucle. Il y a juste une petite impro de guitare au milieu que j'ai gardée telle quelle.


Je ne retiens pas forcément les noms des artistes, la faute aux nouvelles tendances où on écoute des « playlists » plutôt que des albums depuis quelques années.


Est-ce que pour ce travail tu as écouté beaucoup d’artiste issus de la scène électro ou trip hop comme
Portishead, Craig David… ? Comment ce projet s’est-il nourri d'artistes extérieurs pour devenir un album personnel à ton image ?

Alors là aussi, je vais dire que je n'ai pratiquement pas écouté Portishead et pas du tout Craig David ! J'écoute
cependant pas mal de musiques électroniques, jazz électro ou expérimentales. Je ne retiens pas forcément les noms des artistes, la faute aux nouvelles tendances où on écoute des « playlists » plutôt que des albums depuis quelques années. Je suis souvent plus attiré par les textures sonores et le travail sur le mixage dans ce genre de musique que par les thèmes ou harmonies. C'est plus ça qui m'inspire et me donne envie d'explorer avec les nouvelles technologies et les possibilités de traitement de la guitare à travers l'ordinateur et des pédales improbables que je teste depuis quelques temps.





Il y a toujours chez toi cette faculté à délivrer une mélodie avec peu de notes. Cette recherche mélodique reste
ton fil rouge pour ne pas se laisser emporter par la technique ?

Mes musiques ne sont pas compliquées techniquement parlant - sauf peut-être les compositions à la guitare
acoustique pure ! Les mélodies sont souvent simples effectivement, mais j'accorde beaucoup plus d'importance aux harmonies et aux sonorités pour créer quelque chose qui soit original et surprenant. L'imitation de styles ou l'idée de suivre des « codes » ne m'intéresse pas vraiment.


Une question qu’on se pose souvent, est-il facile de trouver l’équilibre entre technique et mélodie ?
Comment ne pas se laisser embarquer par la technique que tu possèdes certainement ?

Contrairement à ce que tu dis ou crois entendre, je ne suis pas un grand technicien ! Je n'ai d'ailleurs jamais suivi
de cours aussi bien d'instrument que de solfège... je suis incapable de déchiffrer une partition. Le travail sur l'interprétation et le son me paraissent bien plus importants et intéressants. C'est une autre forme de technique certes, qui s'acquiert avec le temps.


Sur le titre ‘Epicycle’ il y a une rythmique world music qui apporte un peu de soleil dans ce titre. Cette
ouverture à d’autres cultures fait partie de ce que tu souhaites partager dans ta musique ?

J'écoute énormément de musiques différentes et mon travail de technicien du son au quotidien m'a amené à
développer certaines facultés pour trouver cet équilibre dont tu parlais plus tôt. Je suis un grand admirateur de Peter Gabriel et j'avais découvert grâce à son label dans les années 80 la « world music » dans le sens authentique du terme... ça m'a sans doute parfois influencé ! Je suis très curieux et ouvert à toutes sortes de musiques à partir du moment où elle sont authentiques, sincères et bien interprétées...


‘Connection Breakdown’ est le titre le plus expérimental de l’album, un peu dark wave avec une ambiance qui
n’aurait pas fait tache dans un album de Steven Wilson. Ta démarche se rapproche de celle des artistes anglais dans cette façon de concevoir la musique et notamment de se renouveler. Ce renouvellement est pour toi un moyen de te challenger ?

C'est marrant parce que quand j'ai commencé à travailler sur cet album, j'ai fouillé dans mes archives et démos
des dernières années et ce titre remonte à 2008 ! J'en ai conservé quelques boucles électro de base et toute la partie de guitare qui était au départ une sorte de « jam ». William y a ajouté sa partie de batterie tout en découvrant le titre, puis Claire y a amené sa partie de basse. Je ne leur ai rien imposé... Ce sont leur apport à 100 % ! Ensuite j'ai ajouté pas mal d'effets et de textures à partir de pédales et autres traitements d'ordinateur. C'est vraiment un travail de laboratoire. Tout s'est construit par couches successives. Le plus gros challenge consistait ensuite à rendre l'ensemble cohérent et donner l'impression qu'il s'agit d'un groupe jouant ensemble !


Je ne fais jamais un album ou une composition en pensant à qui pourrait l'apprécier ou en me demandant si je risque de décevoir



A contrario comprends tu que ce renouvellement constitue un risque de perdre quelques fans en route qui ne
comprendraient pas où tu veux en venir ?

Alors je ne sais pas si j'en ai beaucoup !! Et puis s'il y en a, ils ont dû être déroutés plus d'une fois vu les
différentes directions explorées depuis le début. Je ne fais jamais un album ou une composition en pensant à qui pourrait l'apprécier ou en me demandant si je risque de décevoir. La musique s'impose d'elle-même à certains moments qui sont pour moi toujours des instants « magiques ». Rien n'est calculé ni prémédité. Tout part souvent d'improvisations, et généralement la nuit.





Tu te mets en scène dans le clip ‘Night Sky’ avec Delphine Ribère. Cette vidéo semble évoquer le manque de
communication dans une relation (peu importe laquelle) avec un titre où justement les chœurs sont importants (Chœur spécialisé du Conservatoire Gabriel Pierné Eurométropole de Metz). Qu’est-ce qui explique ce choix pour cette vidéo et le paradoxe de ce titre où des chants se font entendre alors qu’il évoque semble-t-il ce manque de communication ?

Ta vision de ce clip est intéressante mais surprenante ! Voici la version officielle, au risque de décevoir : les 3
vidéos extraites de cet album ont été réalisées et scénarisées entièrement par Alicia Hiblot, fidèle amie de longue date en qui j'ai une totale confiance. C'était au départ une sorte de défi - réaliser un clip tous les deux mois avant la sortie de l'album. Elle a découvert les titres en cours de mixage et imaginé les histoires que chacun peut interpréter à sa façon, et pourquoi pas celle que tu décris ? C'est elle qui a eu les idées des lieux de tournage. J'ai seulement suggéré l'apparition de la danse avec la participation de Delphine (pour le titre 'Fly Away') qui s'est finalement retrouvé impliquée dans les deux vidéos suivantes comme une sorte de « fil rouge »... A chaque fois j'ai découvert le montage une fois celui-ci quasiment achevé. Chaque clip a été réalisé en un temps record ! Si l'histoire est plus évidente sur le clip de 'Childhood Dream', sur les deux autres c'est surtout l'aspect esthétique qui a été privilégié. Il ne faut pas forcément essayer d'y chercher un sens mais plutôt se laisser porter par l'ambiance créée par la musique et les images. L'enregistrement du chœur d'adolescents s'est fait au moment où le clip était en cours de montage ! Ce n'était pas prévu initialement, mais l'opportunité s'est présentée et s'est faite en quelques heures...


Tu as collaboré avec de nombreux artistes, que tu as aidés aussi, que retiens-tu principalement de ces
collaborations ?

Chacune de ces collaborations est toujours une aventure humaine autant que musicale. Les deux ont autant
d'importance. Je ne fais pratiquement pas de concerts avec mes propres compositions contrairement à ces collaborations qui sont aussi pour moi l'occasion de me frotter à l'expérience scénique, et de me décoller un peu des murs du studio où je me sens certainement plus à l'aise et en « sécurité »... Je suis sans doute un peu trop perfectionniste au niveau du son pour lâcher un peu le contrôle en live, mais ça me semble plus aisé quand je le fais pour d'autres artistes en tant que participant intégré à une équipe ou projet commun.


Est-ce qu’au fond tu es plus un artiste jusqu’au bout des ongles et dans le sens noble qu’un musicien accompli ?
Perçois-tu une différence ?

Je dirais plus un « artisan » de la musique et du son. Accompli, je ne crois pas. J'apprends encore chaque jour et
j'ai toujours envie de chercher et découvrir de nouvelles choses dans les deux domaines.


On te laisse le dernier mot pour nos lecteurs.


Soyez curieux et ouverts ! Il y a tellement de belles choses à découvrir en musique en dehors des sentiers battus et
des médias « mainstream ». Comme le disait – à peu près - Steven Wilson récemment dans une interview, il y a sans doute trop de musiques à notre époque mais, en dehors des codes et formatages divers qui prennent le devant de la scène, il y a encore des artistes, sans doute moins connus, qui continuent à explorer et suivre leur instinct ou intuition sans tenir compte de ça et le font parce que c'est essentiel ou vital. Et Merci à « Music Waves » pour son ouverture !



Plus d'informations sur http://www.jeanpascalboffo.com
 
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