Music Waves avait donné rendez-vous à Saint-Michel avec Aurélien Goude, la veille du concert parisien d'Esthesis avec Berlin Heart, afin de faire un premier bilan sur le groupe et d'échanger sur le nouvel album "Watching Worlds Collide".
Si tu y as échappé pour la première interview, tu n'échapperas pas, ce jour, à notre question coutumière. Quelle est la question qu'on te pose trop souvent et à laquelle tu es fatigué de répondre ?
Beaucoup de médias me demandent pourquoi le groupe s'appelle Esthesis (Ndlr : le nom du groupe est lié à l'esthesie : c'est l'aptitude à percevoir les sensations pour provoquer une émotion), et je dois avouer que ça commence à être un peu répétitif d'avoir toujours ce genre de questions. Mais je réponds volontiers pour l'expliquer notamment pour les nouveaux médias. C'est toujours cette question qui arrive en premier. Et ensuite on me demande souvent si la consonance « is » fait référence à Genesis. Alors que ce n’est pas du tout le cas.
"The Awakening" a connu un très beau succès que ce soit critique que public. Esthesis a été élu meilleur groupe indépendant en 2020 par le magazine Prog, a lutté pour le titre de l’album de l’année sur Music Waves. Avec le recul, est-ce que ce succès t’a surpris et mis un peu plus de pression pour ce second album ?
C'est vrai que cela m'a surpris ! Je savais a priori que j'avais à l'époque un album qui se défendrait bien, qui était supérieur en termes de qualité, de production, de composition par rapport à l'EP. Mais l'octroi de ce prix m'a surpris. J'avais demandé via les réseaux sociaux aux gens de voter si ils le voulaient et comme parfois ils le font. Le mail du rédac' chef de Prog m'a énormément surpris dès que j'en ai pris connaissance. Je n'en suis pas revenu. Je sais que c'était pendant le Covid, mais c'est là que j'ai réalisé pour Esthesis, l'importance du bouche à oreille, des réseaux sociaux et de la communication autour de groupe que je fais. Passée cette surprise, cela nous a ouvert des portes pour des médias étrangers. Pour les médias français, cette exposition nous a apporté des opportunités pour trouver des salles.
Au niveau de la pression, cela en a apporté mais en réalité pas tant que ça. La pression, je me la mets tout seul dans le sens où j'essaye de mettre la barre un peu plus haut chaque fois. La pression s'est un peu plus ressentie sur l'écriture des paroles pour essayer d'être à la hauteur au niveau de l'anglais car le précédent album s'est très bien vendu en Angleterre ou aux Etats-Unis où on a commencé à travailler avec des distributeurs. Donc, un peu de pression mais pas autant qu'on pouvait l'imaginer.
Sauf que contrairement au premier album où vous n'étiez pas attendus, au regard de ce succès, cette fois vous l'êtes ...
Oui, effectivement. Je voulais revenir de manière assez sobre finalement, à la manière d'Esthesis. J'aurais pu annoncer un nouvel album avec plein de
teasers, d'extraits musicaux, vidéos mais je me suis dit que ce serait intéressant de revenir avec des dessins pour les lier au concept de l'album. Du coup, de ce point de vue, cela m'a mis moins de pression. Si les gens ont besoin de se mettre dans l'ambiance, moi aussi j'en avais besoin pour jauger un peu cette attente.
Quelque part, c'est à contre-courant de ce que font aujourd'hui la plupart des groupes en dévoilant presque la moitié d'un album avant sa sortie... Même avec l'aspect physique qui importe au groupe, un peu comme dans les années 60-70-80 où on quand on achetait un album c'était la surprise complète...
C'est quelque chose qui me tient à cœur. Je suis attaché à l'objet physique mais pas que, car je découvre des musiques via Spotify notamment. C'est important néanmoins pour ma
fan base qui apprécie ce support physique. Steven Wilson a un peu redorer le blason du physique, l'a entretenu parfois à l'extrême je te l'accorde et je n'ai pas envie d'aller jusque là, mais pour moi il y a un juste milieu. "The Awakening" a été sorti en deux éditions (numérotée et standard) à différents moments, pour ce nouvel album, j'ai voulu que les gens aient le choix dès le début. D'ailleurs, les ventes sont bien réparties entre les deux éditions proposées. C'est important d'avoir deux niveaux de lecture par rapport à l'objet. Pour l'édition numérotée, il y a une double page centrale de photos en concert.
A propos de cette reconnaissance, tu demeures indépendant tout en créant ton propre label Misty Tones. Quel est le but de ce label ? Développer Esthesis uniquement, signer d'autres groupes ou plus loin, concevoir des courts-métrages ?
Cette création est assez récente et le fruit d'une réflexion de longue date. Pour moi, avant tout ce label c'est une manière de rester indépendant créativement et artistiquement. J'ai été influencé par des artistes comme Kate Bush, Nine Nich Nails... tous ces artistes avaient cette volonté d'indépendance. Ce label est aussi important pour structurer le groupe, d'un point de vue juridique, pour développer mes propres productions mais pas que... J'ai déjà l'envie de sortir un autre projet mais pour l'instant, je laisse cela secret. Il n'y aura pas que du Esthesis sous ce label normalement.
A contrario en cas de signature chez un gros label, tu crains de perdre cette indépendance ?
Ça dépend. Signer chez un label oui, mais ça ne pourrait être qu'un gros label comme par exemple Kscope. Cependant, je ne veux pas brûler les étapes, on en est au début. Je suis quelqu'un qui apprend beaucoup, qui sais faire les choses de moi-même, mais pour autant, pour cet album, je n'ai jamais autant délégué. Donc un gros label, pourquoi pas mais cela dépendra des conditions. Je suis multi-casquette : la communication avec mon équipe, le graphisme, l'objet en lui-même, la composition donc des choses qu'on arrivent à faire nous-mêmes... Les offres de labels aujourd'hui sont ce qu'elles sont, elles n'apportent pas de plus-values et surtout d'un point de vue financier où souvent ils prennent 90 voire 95% du résultat des ventes.
Mais un label pourrait te soulager du temps que tu passes sur ces à côté "administratifs" qui te prennent environ 60 à 70% de ton temps pour 30% de création ?
Ça été le cas sur cet album-là même si je l'ai composé plus vite que le précédent. Cela dit si le projet est amené à grandir, je vais continuer à déléguer les choses ou agrandir mon équipe.
C'est un album plus frontal, direct avec donc le côté jazz qui s'est ajouté.
Au cours de notre précédente interview, tu indiquais avoir bien avancé sur ton second album, voire sur ton troisième déjà. Est ce que les évènements qu'on a connus en 2021 et début 2022 ont changé les idées, la direction de ce "Watching Worlds Collide" ?
Ou,i mais pas le contexte extérieur. C'est venu de moi-même dans le sens où en composant, je me suis aperçu que la direction que je voulais prendre à l'origine avait besoin d'être affinée. En fait à l'origine, je voulais un album qui soit plus pop-rock. Ce côté-là a été conservé mais avec une touche plus jazzy qui n'était pas prévue à la base. Le premier morceau écrit a été 'Amber' et le second 'Place Your Bets'. C'est là que cette coloration est venue. Il fallait des cuivres et j'en ai mis, j'ai composé ces parties et ça a été un déclencheur énorme. J'avais gardé des compos du précédent album en me disant qu'elles serviraient pour le prochain et je n'en ai retenu aucune. Je suis parti de zéro. Tous les morceaux du nouvel album ont été conçus en une journée grand maximum. Les arrangements ont évolué bien sûr mais l'écriture a été un travail plus instinctif que pour "The Awakeing" où parfois les compositions ont mis plusieurs années à être écrites. C'est un album plus frontal, direct avec donc le côté jazz qui s'est ajouté.
Oui mais aussi en conservant cet aspect cinématographique, avec des guitares, une basse plus présentes, tu touches parfois à la soul... Cet album parait plus équilibré entre vous. Maintenant que le groupe se connaît mieux, est-ce que cette confiance que vous avez développée ensemble a permis une plus grande ouverture aux idées des autres membres du groupe incluant aussi cette direction ?
Si je dois évoquer la direction en elle-même c'est à dire celles des arrangements, c'est moi qui ai insufflé l'aspect jazzy, plus frontal. Depuis le début j'avais une vision claire de ce que je voulais mis à part cet ajustement plus jazz qui est venu après avoir composé les deux premiers morceaux. Je suis toujours à l'origine de la direction musicale. Par contre, en termes d'arrangement,s j'ai laissé plus de place volontairement aux musiciens, car cela cadre avec cet album que je voulais plus groovy, plus technique par rapport aux précédents albums. Par exemple là où je pouvais composer tous les solos de guitare, c'est Baptiste qui a été derrière ces solos.
On ne comprendra Esthesis que quand les trois albums seront sortis.
Il y a énormément de basse sur cet album, Marc fait un travail excellent aussi à l'image de tous les autres membres. Est-ce à dire qu'avec cette liberté "Watching Worlds Collide" est l'album qui vous ressemble le plus ?
Actuellement oui, c'est la musique qui me ressemble en 2022. C'est un album beaucoup plus moderne, moins vintage, plus dans l'air du temps dans le bon sens du terme je l'espère. "The Awakening" est un album que j'apprécie toujours autant, qui est très complémentaire notamment sur scène mais qui était plus vintage par rapport à ce que j'écoute au quotidien. Je n'écoute pas tellement de rock progressif mais plus de rock alternatif. Ce n'est pas pour rien que j'ai apprécié le projet de Vincent Blanot,
Berlin Heart, puisqu'il fait une musique moderne et cette direction me plait, j'aime collaborer avec lui. L'album précédent était donc plus vintage et plus calme aussi et en jouant ces morceaux de "The Awakening" sur scène, je me suis aperçu que j'avais envie de jouer des choses qui font remuer les gens. En jouant la reprise 'Stratus' de Billy Cobham qui est un morceau que j'adore, je me suis aperçu que les gens aimaient et cela a inspiré 'Vertigo' a été composé à cette image, je ressentais cette envie d'avoir un tel instrumental qui groove. Donc, le souhait était donc de développer cet aspect-là d'Esthesis avec ce renouvellement, d'ailleurs qui continuera sur le prochain album car j'ai envie qu'un album ait une entité à part entière et apporte quelque chose de plus par rapport au précédent. Il y a eu pour le précédent pas mal de comparaisons avec Pink Floyd et Airbag et pour cette dernière j'avoue que je ne l'ai jamais comprise. Quand je voyais que ça revenait, je me disais “ce n'est pas ça” et j'ai toujours dit dans les interviews qu'on ne comprendra Esthesis que quand les trois albums seront sortis.
"The Awakening" était plus ambient et ces comparaisons ont été soulignées, est-ce que tu as pris conscience aussi des avis nuancés pour préparer ce second album, ou est ce que tu es totalement hermétique à cela ?
C'est une bonne question car en tant qu'artiste il faut avoir un certain recul avec toutes les chroniques qui paraissent. Qu'elles soient négatives ou très positives... J'essaye de garder la tête froide car on n'en est qu'au début. Mais effectivement ça a pu avoir une influence. Quand j'ai sorti "The Awakening", je savais qu'a priori ce serait meilleur que "The Raising Hand" mais j'avoue que je ne m'attendais pas à autant de comparaisons par rapport à
Pink Floyd,
Porcupine Tree et
Airbag. Ce sont les trois groupes qui ont été cités majoritairement. Mais c'est normal et ça m'a un peu influencé même si j'avais toujours cette optique de faire un album différent. Prendre à rebrousse-poil les gens pour ne pas comprendre totalement dès le second album le style du projet même si la base reste progressive mais c'est large, c'est comme si on essayait de résumer
Talk Talk à un seul album mais c'est impossible, ils ont eu deux phases. Je suis très éclectique dans mes écoutes et j'aime donner à un album un spectre de ma personnalité, une de mes facettes musicales. Peut être que "Watching Worlds Collide" aurait été différent si il n'y avait pas eu toutes ces comparaisons sur le premier album. J'ai peut-être voulu aller à l'opposé, presque à l'extrême.
Est ce que tu n'as pas peur de perdre des fans en route avec cette façon de faire un album différent à chaque fois, à l'image de ce que fait Steven Wilson, dont le dernier album a clivé les fans ?
Je rassure tout le monde, je ne ferai pas de 'Permanating' avant une crise de la cinquantaine (rires). Je ne pense pas en perdre avec ce nouvel album mais plutôt en gagner. Il est à mon sens plus abouti, plus riche. Après, ceux qui aiment les ambiances planantes s'y retrouveront moins mais pourront apprécier les morceaux tels que 'Skimming Stones' ou '57th Street', sur certains passages de 'Amber'. Il y a un lien qui fait la complémentarité entre le premier et ce second album. C'est une continuité.
Oui, '57th Street' est celui qui semble le plus proche de "The Awakening', mis à part ce titre, le nouvel album est plus accessible et peut être moins hermétique, avec l'ajout de contrastes qui efface ce sentiment de linéarité...
Tu parlais de frustration la dernière fois je me souviens....
Oui et notamment elle est gommée par ces contrastes avec aussi l'ajout de cuivres, de violon, du banjo, la basse, le piano... Cette densité-là donne un album plus ouvert...
C'est possible, en étant plus dans l'air du temps. Je voulais des morceaux plus courts, plus directs même si il y en a un de 12 minutes sur "Watching Worlds Collade" et je suis content de ce morceau car il dit tout ce qu'il faut dans le timing parfait. Il aurait pu durer plus longtemps mais je voulais qu'il ne soit pas trop long non plus. Je ne voulais pas de solo de guitare et de démonstration technique. Par exemple 'Downstream', qui est un titre que j'aime bien, la fin est un gros crescendo et j'aurais pu faire la même chose sur '57th Street' mais je ne l'ai pas voulu. Je voulais quelque chose d'assez compliqué et pour moi il n'est pas facile d'accès. C'était une façon de faire un petit cadeau aux fans de morceaux à tiroirs. Le final se termine sur un accord de piano tout en tension qui colle au thème de film noir. Sur cet album, je n'ai pas forcément eu envie de mettre des solos de partout non plus. Les interventions de Baptiste sont plus personnelles. La seule consigne que je lui ai donnée c'était de faire l'exact opposé que dans "The Awakeking".
Baptiste, Marc et Arnaud ont vraiment donné vie à ce que j'imaginais dans la tête et dont je suis le garant.
C'est-à-dire que sur le précédent, tu l'avais un peu trop drivé ?
Ce n'est pas forcément trop drivé mais comme je te l'ai dit, c'est moi qui compose la plupart des solos. Je pense que Baptiste a un jeu très rythmique et très
groovy. Je l'ai vu dès le début et avec ce nouvel album, il a pu exprimer beaucoup plus de choses qui lui correspondent plus, et Marc c'est pareil. La moitié des lignes de basse, notamment les lignes de couplets, ont été composées par moi pour donner la base du morceau. Au-delà de cela, les refrains, l'enrichissement de ses lignes, c'est Marc qui arrive derrière et qui le fait, et c'est indispensable pour moi car c'est ça qui fait que l'album arrive à un niveau intéressant de basse et la batterie c'est pareil. Je compose aussi ces parties batterie mais c'est Arnaud qui a pris le flambeau de Florian et les a enrichies en leur donnant vie. Baptiste, Marc et Arnaud ont vraiment donné vie à ce que j'imaginais dans la tête et dont je suis le garant.
C'est un mode de fonctionnement qui leur convient bien...
Je pense qu'en termes de genre musical oui. Marc adore les lignes qui sont très funk, très soul et en même temps il écoute beaucoup de metal progressif. "Images and Words" de Dream Theater est un de ses albums préférés. Forcément, il a un potentiel technique incroyable. Lui, Baptiste et Arnaud sont d'excellents musiciens notamment sur scène. Sur "Watching Worlds Collide" je voulais leur donner la possibilité de s'exprimer davantage même si je reste à la direction à la base.
"The Awakening" parlait de quête d'identité, "Watching Worlds Collide" semble être la continuité. Il est illustré par des dessins réalisés par Mathilde Collet qui prend de plus en plus de place dans cet album. Peux-tu nous expliquer ce travail et que représente cet esthétisme sur ce nouvel album ?
C'est vrai que ce n'est pas seulement une musique que j'essaye d'exprimer mais un tout, d'aller au bout des choses et d'être cohérent. En termes de fil rouge pour cet album, dès que j'ai compris qu'il y aurait un aspect jazzy dessus, je me suis dit qu'il y aurait des cuivres. J'étais en train de composer 'Place Your Bets', je suis sorti du studio et j'ai dit à Mathilde qu'à un moment dans le morceau il y aurait un passage au sax. Elle m'a dit : "Tu es sûr ?" et j'ai répondu "oui !". Un an après le morceau est sorti et il y a bien un passage au sax. Du coup, je suis allé au bout de cet aspect jazzy tant musicalement que tout ce qui l'accompagne avec l'
artwork derrière. J'ai demandé à Mathilde, qui dessine très bien, si elle pouvait illustrer l'
artwork. C'est venu un peu tardivement, environ deux ou trois semaines avant l'envoi en pressage. J'ai eu une révélation de mettre des dessins dans le livret plutôt que des photos qui est un art que j'adore. L'idée était de faire un dessin par morceau. Malgré le court délai, elle a fait des ébauches et on a affiné en écoutant les morceaux, relisant les paroles. Il y a un super travail fait par Mathilde. Elle a prolongé la musique. Par exemple celui de '57th Street' on voit une femme dans le taxi qui fume qui correspond à l'ambiance. Ce morceau bénéficie de deux dessins dont un exclusif pour la version numérotée.
D'où cet aspect aussi noir et blanc de l'artwork (hormis pour le livret numéroté où il y a des photos en couleur) ?
Oui, c'est venu lorsque j'ai trouvé la photo de la pochette. Je fouillais dans mes photos et j'ai trouvé celle où on voit se personnage en haut dont on ne sait pas ce qu'il regarde. Cela collait parfaitement au titre de l'album "Watching Worlds Collide". J'aime bien les pochettes qui en révèlent un peu mais qui ne disent pas tout. C'était pareil pour "The Awakening". Beaucoup ont dit que c'était un truc
photoshopé mais pas du tout, c'était la lumière naturelle. Cette photo était en noir et blanc et je me suis dit qu'il fallait des dessins dans cette lignée.
C'est ce décalage qui m'intéresse.
L'album parle de plusieurs mondes qui rentrent en collision et semble être la suite, d'un point de vue thématique, du précédent album qui parlait de quête d'identité. 'Amber' parle de harcèlement, '57th Street' parle d'une rencontre qui peut tourner mal... est ce que tu voulais donner à cet album une couleur moins introspective et plus sociétale ?
Pas forcément. C'est venu au fil de l'eau et c'est vers la fin que j'ai trouvé le concept. Je me suis aperçu que toutes les chansons dont je parlais avaient systématiquement un narrateur ou une autre personne ou un narrateur qui observait quelque chose qui finalement était différent et avec lequel il était en décalage. C'est ce décalage qui m'intéresse. Ce n'est pas politique. C'est moins introspectif car le précédent parlait d'identité au sens propre. Là c'est plus le rapport au monde et les rapports entre les personnes. 'Wandering Cloud', c'est une hôtesse de l'air qui recherche le grand amour ou à revoir quelqu'un comme un passager... Je trouve que c'est toujours intéressant de prendre deux personnes qui sont dans un univers différent ou qui n'arrivent pas à obtenir ce qu'elles veulent et de voir où cela mène. C'est un peu ce qui se passe dans les films comiques. On prend une situation et on la met dans une autre situation et c'est ça qui crée l'élément comique. 'Amber' est venu comme ça, j'étais en voiture et je me suis arrêté pour laisser traverser une personne et la personne m'a regardé. J'ai ressenti quelque chose quand cette femme m'a regardé. j'imagine comme si je l'avais connu... tout un film derrière. L'écriture était instinctive. C'est comme des ricochets, pourquoi les gens en font, qu'est-ce que ça lui apporte, il y a un peu de sorcellerie aussi et vous le verrez dans le clip prochainement.
L'autre aspect et tu l'as évoqué c'est la dualité accentuée notamment par les interventions vocales de Mathilde sur plusieurs titres de l'album. Est-ce que c'est aussi pour voir le thème avec une vision féminine des relations ?
Totalement, c'est bien vu cette dualité notamment sur 'Wandering Cloud' puisque Mathilde a un peu le rôle de cette hôtesse de l'air mais aussi sur '57th Street' avec cette femme qui est très manipulatrice et érotique... avec cet homme qui se retrouve prisonnier dans cette relation. Elle a servi le concept et la musique car sa voix est complémentaire à la mienne. On est allé plus loin de ce qui avait été esquissé avec "The Awakening".
Cette direction rappelle celle de The Wishing Tree, à une moindre mesure, Dead Can Dance voire Peter Gabriel (sur certains morceaux avec Kate Bush ou Paula Cole ou Sinnead O' Connor). C'est quelque chose que tu souhaites développer à l'avenir en incluant par exemple d'autres invités ?
En termes de voix féminine, je veux toujours aller en opposition entre les albums et il est probable que Mathilde aura un peu moins d'importance et sinon de manière différente. En terme d'invités, j'avais des arrangements de cordes pour violon, des parties de cuivres... c'était important de déléguer à quelqu'un. Sur 'Place Your Bets' par exemple j'avais un solo que j'avais composé. En session, le saxophoniste n'avait pas appris le solo. Je lui ai dit d'improviser et après une vingtaine de prises, on en a gardé une. Finalement, toutes les interventions de sax ont été improvisées et ce n'est pas plus mal, même si je l'ai coaché sur la vision globale de ce que je voulais. Toutes les parties cuivres en nappes je les faisais au synthé et en live je les mêle au vrai synthé et donc je peux les reproduire moi-même. Donc sur le prochain album, il n'y aura pas autant d'invités que sur cet album car la direction qu'il prend ne le nécessite pas. Il sera plus électro et de nouveau assez ambient. Le fait d'avoir fait un album ambient m'a donné envie de faire un album plus groovy et le fait d'avoir fait un tel album groovy m'a donné envie de faire quelque chose de plus planant et ambient. Je l'imagine très en contraste à mon image. Il sera certainement le plus en contrastes avec des choses plus violentes et extrêmement calmes.
"Watching Worlds Collide" est dense au niveau des instruments, comment comptes tu retranscrire cette densité en live ?
Réponse demain (rires) ! En fait je programme beaucoup sur mon synthé. On réadapte certains morceaux aussi car par principe j'aime bien ne pas reproduire les mêmes choses en live qu'en studio. Je me suis fait plaisir d'avoir des cuivres et des cordes sur le disque. Je pense d'abord en termes d'album, c'est gravé dans le marbre. Si tu n'as pas cet instrument en live, les gens ont toujours la possibilité d'écouter ce qui a été gravé dans le marbre. Sur 'Place Your Bets', le solo de sax a été remplacé par un solo de guitare ce qui rend la chose plus nerveuse avec un cachet différent. C'est l'occasion pour les musiciens de montrer des choses différentes et qui apportent indéniablement. Si un jour un live paraît à court ou moyen terme (j'en ai l'intention), cela apportera un plus car je n'aime pas les groupes qui reproduisent note pour note les versions studio en concert. Le live doit faire vivre une expérience différente et doit apporter. La musique doit y évoluer et ne pas être figée. Les musiciens d'ailleurs apportent, notamment Baptiste avec des solos de guitare différents quasiment à chaque concert sur ces morceaux. C'est une force.
Je me suis aperçu que j'écrivais sur des personnages féminins,
Sur cet album, il y a moins d'effet sur ta voix. Tu te fais plus confiance en tant qu'interprète ?
Je pense, oui, même si ce n'est pas totalement parfait en n'étant pas bilingue à la base. J'essaye de m'améliorer, de faire passer plus d'émotions avec le minimum d'effets possible. J'ai une voix dans une tessiture medium. Je me suis challengé sur certains morceaux notamment sur '57th Street'. Des artistes comme Goldfrapp m'ont influencé, d'ailleurs se sont souvent des femmes et je me suis aperçu que j'écrivais sur des personnages féminins, va comprendre pourquoi... Alors que pourtant notre
fan base est composé à 90% d'hommes (chiffres spotify). Qui sait si avec cet album cela s'inversera ? J'ai encore plus envie d'aller plus loin dans le troisième avec des effets Vocoder, des effets renversés... Sur cet album il y a des sifflements en hommage à Ennio Moricone car ça me plait de siffler (3 morceaux de l'album).
Un clip est déjà sorti pour cet album, un second ne va pas tarder à sortir... C'est devenu un passage obligé l'aspect vidéo, encore plus aujourd'hui ?
Déjà je voulais placer la barre plus haut à tout point de vue. Et le clip vidéo était un passage obligé. Pour moi un clip doit apporter quelque chose de plus qu'un simple groupe qui joue sur scène. Sur le clip de "Place Your Bets' j'ai voulu qu'on apparaisse sur les refrains, mais sur les couplets je voulais un truc différent. J'aime que cela apporte au concept. C'est un outil obligé mais qui doit être manié avec précaution -il faut savoir où aller. Cela demande beaucoup d'investissement. Pour ce clip par exemple il y a eu 24 ou 25 pages de storyboard. C'est Mathilde qui s'en est chargé. Le réalisateur a respecté les indications. Le budget a été assez important. On a eu un cadreur, un réalisateur, trois éclairagistes, trois maquilleuses et une trentaine d'acteurs et bénévoles, la plupart des amis. Pour
Esthesis avec son aspect cinématographique, c'est important aussi les clips et c'est quelque chose que j'aimerais bien développer à l'avenir. Pour la scène, la question se pose des projections. Pour l'instant c'est une question de budget. C'est à l'étude. Pour le second clip qui est en animation, c'est quelque chose qui pourra se faire.
Avec cette ambiance film noir, cet aspect cinématographique, travailler pour le cinéma (court ou long métrages) est quelque chose qui pourrait te plaire ?
Pour l'instant je ne me suis pas posé cette question, mais après tout pourquoi pas ? Pour des courts métrages ce serait envisageable. Je suis de la génération d'après mais je sais que des clips vidéos qui ressemblent à des courts métrages sont nés dans les années 80 notamment avec Michael Jackson même ceux de Mylène Farmer... d'un point de vue visuel cela peut être intéressant.
Qu'est-ce que tu attends de ce nouvel album.
C'est d'abord se faire plaisir pour moi et pour les musiciens. Se faire plaisir en live comme en studio. S'être mieux trouvés par rapport au précédent. C'est ajouter une pierre à l'édifice car en tant qu'artiste, je ne sais plus qui a dit ça, mais on essaye de refaire la même œuvre les unes après les autres toute sa vie. A mon sens j'essaye de faire l'album parfait à mes yeux à l'instant T. Il y a eu une rupture avec le précédent d'un point du vue du style mais ça reste moi. Je me suis plus trouvé moi-même et ainsi de suite. A un moment, il faut sortir ces albums, avoir confiance en soi-même si ce n'est pas parfait, on l'a fait pour l'EP et on en est là aujourd'hui. On essaye à chaque fois de se trouver. Ce qui est intéressant aussi : le rapport entre le musiciens et sa musique.
On a commencé l'interview par la question qu'on t'a trop posée, quelle est celle à laquelle tu aurais aimé répondre et qu'on ne t'a pas posée ?
Cela pourrait être sur l'aspect des tournées. C'est vrai que par rapport à cela, on est aidé par Fabrice de l'Association Eclipse, basée à Bordeaux qui nous fait notre jeu de lumières. On essaye de développer un show plus synchro musique - lumières qui aide à porter le concept. Je tiens à saluer tout son travail et son accompagnement. On essaye de faire ce qu'on peut en tournée. On n'est passé à Lille, aux Pays-Bas.... J'aimerai passer dans le plus de villes possible et pourquoi pas en Europe dans le cadre de cette tournée notamment en 2023.
Merci à toi
Merci Music Waves pour le soutien !