Cinq années après notre rencontre dans le cadre de la promotion de "Ball Trap", nous avions de nouveau rendez-vous avec le passionné et passionnant Xavier Malemort qui évoque bien évidemment la genèse de ce nouvel ambitieux album "Château-Chimères" mais également les désillusions qu'il a pu connaître et la renaissance au gré de rencontres marquantes comme celle étonnant de Dan Ar Braz...
Il n’était pas question de verser dans une espèce de pastiche musical des années 1970
Notre dernière rencontre remontre à 2017 pour la sortie de "Ball Trap" et tu avais l’idée de sortir un album sur le château d’Hérouville depuis longtemps, tu n’avais pas pu la concrétiser en disant que tu n’avais pas toutes les clés pour le faire… Qu’est-ce qui finalement a pu te donner les clés du château ?
Xavier Malemort : J’ai continué à beaucoup lire… mais c’est compliqué parce que ce que les informations sur le château qui circulent sur Internet ou même dans des bouquins sont très disparates. Il fallait choper de vieilles interviews… Pendant des années, je m’intéressais à tout ça et progressivement, les pièces du puzzle s’assemblaient.
Mon problème au moment de "Ball Trap" est que je me disais que si j’attaquais sur le château d’Hérouville dont l’histoire au niveau de la créativité des groupes qui y sont passés se déroule pendant les années 1970, la décennie qui me fascine… il n’était pas question de verser dans une espèce de pastiche musical des années 1970 ou des groupes dont j’allais parler : ça aurait été ridicule ! Ce n’était pas du tout mon souhait mais il fallait que je trouve ma voie et en fait, j’ai compris progressivement que je propose des vignettes et des fenêtres ouvertes sur ce château avec des instantanés de moments qui me touchaient particulièrement. Une fois que j’ai compris ça, je me suis dit qu’on pouvait composer du Malemort selon le cahier des charges de ce dont j’ai besoin pour évoquer chacun de ces épisodes.
La petite difficulté était que je voulais onze épisodes -il y en a finalement eu douze, on en parlera après- que j’avais sélectionnés. Je voulais que ce soit dans un ordre chronologique et donc ça voulait dire qu’il fallait que je sente l’ambiance de chaque morceau qu’on commençait à écrire et il fallait que ça entre dans la dynamique de l’album.
C’est ta vision de la musique dans l’appréhension d’un album dans sa globalité mais c’est assez éloigné du mode de consommation actuel en mode playlist…
Bien sûr, j’ai composé cet album dans cet optique…
Mais cette vision de la musique n’est pas obsolète ?
Je n’en ai rien à foutre ! La musique me coûte suffisamment cher financièrement et physiquement…
… justement, financièrement arrives-tu à l’équilibre ?
Avec le degré d’exigence qu’on a eu sur "Château-Chimères", je n’en sais rien du tout… La scène a énormément changé, on ne sait pas vers quoi on se dirige…
Mais admettons que tu récupères ce que tu as récupéré pour "Ball Trap", arrives-tu à l’équilibre ?
Non, parce que "Château-Chimères" m’a coûté plus cher parce qu’on est allé plus loin dans tous les domaines…
Mon honneur personnel serait lavé si j’arrivais à récupérer deux tiers de la somme que j’ai engagée…
Justement, l’objet physique propose une édition spéciale avec outre le CD un grimoire qui fourmille d’anecdotes autour du château d’Hérouville. Ce choix qui a un coût devrait également générer des revenus supplémentaires ?
Non, parce que comme un con (Rires), j’ai tellement de respect pour les gens qui acceptent de nous suivre dans cette aventure que nos tarifs sont convenables… Je ne suis définitivement pas un financier, sinon je ne serais pas là.
En revanche, mon épouse l’est et connaît la difficulté du milieu et sait très bien que l’équation est quasiment impossible à réaliser… Mon honneur personnel serait lavé si j’arrivais à récupérer deux tiers de la somme que j’ai engagée…
Les gens qui nous ont participé aux préventes ont conscience de cette problématique. Mais en général, les gens se disent que sur un album vendu à 15 euros, le coût de fabrication est de 5 euros mais combien nous a coûté le mixage, le
mastering du disque ? Tout ça avec un degré d’exigence poussé au point qu’on a fait chier Alan Douches pour qu’il reprenne son master, quand même… Quand tu rentres tous ces éléments dans l’équation, pour rentrer dans mes fonds, il faudrait vendre mes albums 20 ou 22 euros… Tout ça pour dire qu’on a essayé de faire les choses les plus belles possibles !
A ce titre, comment as-tu connu Laurent Blitz qui a illustré l’album ? Les dessins semblent s’inspirer de l’univers de Tim Burton ?
Il a un petit côté Tim Burton. Je le suivais depuis quelques temps déjà, j’aime beaucoup son boulot.
Nicolas Dubuisson qui avait fait l’album précédent est en train de commencer sa première BD et j’ai compris qu’il ne pourrait pas travailler en plus sur Malemort. Et je me suis dit que Laurent Blitz que je suivais depuis un certain temps était super et il avait ce côté qui pouvait convenir à l’idée de la chimère de ce château qui échappait à tout contrôle et fantasmé - parce qu’on y projette beaucoup de fantasmes sur ce château, moi le premier.
Et quand je l’ai appelé, il a tout de suite accepté en me rappelant qu’on se connaissait, qu’il est musicien dans Frantic Machine, on a fait des scènes ensemble et notamment une où il est arrivé à moitié à poil à côté de moi (Rires)… Il a tout de suite adhéré quand je lui ai parlé de l’idée d’Hérouville, il s’est projeté dans cet univers en s’amusant à faire lui-même ses propres recherches…
Dans ce nouvel album "Château-Chimères" chaque chanson est une étape de la vie du château et de son ancien propriétaire Michel Magne. De l’acquisition à la faillite jusqu’à la mort de Michel en décembre 1984. Tu as eu une approche cinématographique pour cet album ce qui semble être un des aspects importants de Malemort (y compris dans les clips et notamment le premier extrait ‘Quelles sortes d’Hommes’). La question est de savoir si en composant les douze épisodes, tu avais également des images en tête ?
Oui, oui ! Les images font partie du processus de composition, ce n’est pas toujours le cas mais ça aide…
Dans le prolongement de la question financière précédente, admettons que tu aies des fonds illimités…
… Je te coupe, tu as déjà la réponse à ta question, on aurait pu faire douze épisodes de cette histoire !
Messieurs-dames de Netflix, Amazon, si vous nous écoutez…
(Rires) Sur Hérouville, il y a un truc mortel à faire. Ça fourmille d’anecdotes, il y a des trucs délirants et qui sont très cinématographiques. Donc oui, on aurait pu faire douze court-métrages sur les douze chansons du disque. J’aurais adoré ça, j’adorerais déjà en sortir un troisième mais c’est une question de blé : je sais exactement quelle chanson j’aimerais sortir et je sais à peu près ce que je voudrais faire…
Qu’est-ce que tu as découvert dans tes recherches qui t’a surpris sur la vie du château ?
Avec ce château, tu vas de surprise en surprise. De toute manière, si tu t’intéresses un peu à la vie de Michel Magne, tu te rends compte que ce type avait mille vies en une : c’est un type qui allait plus vite que tout le monde. En composition, il faut savoir que c’est quelqu’un qui avait une formation classique et donc qui était capable d’écrire de la musique symphonique mais composait également de la musique expérimentale et n’avait aucun problème avec la pop… En termes de composition, c’était un fou…
Il aurait pu composer pour Malemort sauf que si cet album est très riche, la base reste heavy metal…
… (Rires) C’est vrai qu’il n’a pas composé de heavy metal…
… mais tu y apportes des touches pop (‘Magnitude Pop’), metal (‘Comme une Balle’)… Comment as-tu abordé les compositions pour chacune de ces histoires dans l’Histoire ?
Je m’étais tranquillement préparé le terrain avec le premier disque de Malemort parce que j’y avais collé du rock, du metal, du hard rock… donc j’ai ma petite sécurité qui fait que je me suis octroyé le droit d’utiliser ça au sens large. Et ensuite, je sais que ma voix -qu’on aime ou qu’on n’aime pas- fait beaucoup le lien et donne de la cohérence à l’ensemble.
Je voulais avoir une écriture un peu plus épurée que sur les précédents parce que je pensais que ça pouvait mieux sonner
Est-ce qu’en tant qu’interprète, cet album a représenté un défi pour toi ?
Oui, parce que je pense que j’étais un peu trop prolixe par le passé.
Pour cet album, je voulais avoir une écriture un peu plus épurée que sur les précédents parce que je pensais que ça pouvait mieux sonner. J’ai beaucoup travaillé la diction par rapport à l’écriture parce que je pense que c’est un album où tout est limpide. Ça m’a apporté beaucoup parce que pendant longtemps j’ai demandé à ce qu’on arrête de me faire chier avec ça : la diction, l’organisation…
Et cette évolution est-elle également un défi pour les futures scènes à venir ?
Non, parce que justement je me suis facilité la tâche. Je vieillis donc j’ai décidé de me faciliter la tâche pour le
live : c’est plus "chantable" que certains trucs que j’ai faits avant en termes de tessiture par rapport à ma voix, en termes de diction et d’écriture de la syllabe, c’est mieux pensé sans avoir à sacrifier pour autant la mélodie parce que cette mélodie est toujours préexistante : aucune maquette ne vaut quoi que ce soit à mes yeux tant que je ne sais pas quelle ligne je vais mettre dessus.
On est beaucoup rattaché à l’idée de chanson dans Malemort…
C’est vrai que Malemort a toujours eu comme objectif la recherche de mélodie avant tout…
Oui et là, j’ai réussi à conserver ça tout en faisant en sorte d’être plus limpide : c’est quelque chose qui caractérise ce disque !
Tu l’as évoqué, il y a douze titres dans cet album, le douzième qui n’était pas prévu est cette collaboration très intéressante avec Dan Ar Braz sur ‘Je m’en Irai’, quel a été son apport qui semble être plus large que sur ce titre ?
En fait, je te dirais qu’il a presque été une figure paternelle sur ce disque ! Pourtant il est arrivé tard dans le processus…
Il y a des moments où je me suis senti très seul pendant la création de ce disque…
Une rencontre marquante donc…
Oui,parce qu’il y a des moments où je me suis senti très seul pendant la création de ce disque…
Pourtant lors de notre précédente rencontre, tu nous soulignais le fait que Malemort était une famille…
J’ai vécu de très fortes désillusions…
… Et Dan Ar Braz t’a aidé ?
Oui mais il y avait déjà l’équipe qui m’a redonné vie… En fait, le processus de création, je le fais toujours avec Seb Berne -un des deux guitaristes- on travaille ensemble depuis longtemps et on sait qu’à chaque fois, c’est une bataille de chiffonniers mais on savait où on voulait arriver et on y est arrivé ! Mais ce n’est jamais dans le confort !
Mais n’est-ce pas de là qu’on tire le meilleur ?
Oui, oui… on y est arrivé !
Si tu veux, le dessinateur Laurent Blitz, la graphiste Amandine Gombert qui a travaillé à mettre en scène ces dessins… sont des personnes qui tout d’un coup m’ont apporté un enthousiasme, une chaleur, une envie qui m’ont fait un bien fou…
Et arrive derrière ça, Dan qu’on a rencontré par hasard. En fait, c’est Seb Berne qui achète du matos musical -un pédalier- à un mec qui s’avère être Dan Ar Braz ! Il ne le connaissait pas trop -alors que le gars, Goldman lui a écrit une chanson, il a joué avec Alan Stivell…- et il me raconte après coup, je lui dis qu’il est fou mais surtout ce mec a enregistré sept albums à Hérouville : un hasard de folie !
Je ne voulais pas donner l’impression que Malemort avait été mis à mort !
Finalement il semblerait que ce soient des rencontres qui t’ont remis sur les bons rails. Si tu ne les avais pas faites, cela aurait-il remis en cause ton investissement dans Malemort ?
Ne serait-ce que parce que je ne voulais pas donner l’impression que j’avais craqué, je ne voulais pas donner l’impression que Malemort avait été mis à mort ! Je ne voulais pas de cette fin moche et ce même dans les moments désespérés !
‘Sémaphore’ est l’un des meilleurs titres de l’album avec notamment les cuivres qui rappellent un peu la Mano Negra avec un côté plus alternatif, et à la toute fin après une pause de quelques secondes, le morceau se clôt avec quelques secondes de metal à la Dream Theater, qu’est-ce qui explique cela ?
J’adore ce morceau et bizarrement il a été conçu ainsi… Ce n’est pas un jeu de collage comme c’est parfois le cas de morceaux qui naissent d'un collage de différents éléments ; je n’aime pas beaucoup fonctionner ainsi. J’ai toujours conçu une chanson comme une entité : quand je suis sur un morceau, je créé ce morceau.
Dans le cas de ce titre, cette introduction de cuivres puis cette chanson très rock puis ce final -tu parles de Dream Theater parce qu’il y a une décomposition de la mesure sur le riff- pourtant si, c’est comme ça que ça a été écrit. Je trouve qu’il y a une âme dans ce morceau.
Les morceaux sont relativement courts (aux alentours de 4 minutes), ce format s’imposait-il pour la trame et la narration et pourquoi ne pas avoir tenter de les allonger en développant un côté progressif comme Pink Floyd par exemple qui a travaillé au château d’Hérouville ? Ou bien peut-on imaginer que ces douze morceaux forment un tout, un seul morceau ?
C’est exactement ça ! La réponse est un peu là mais j’ai toujours considéré que la force de Malemort était de proposer des morceaux qui sont assez concis mais qui ont des choses à raconter et sans une note inutile.
La vie du château était très libre voir libertaire, c’était toute une époque qui aujourd’hui semble être révolue. L’industrie musicale n’est plus la même, plus frileuse. Comment te situes-tu par rapport à cela et regrettes-tu de ne pas avoir vécu à cette période ?
Je suis né en 1977, l’année juste après que Bowie et Iggy Pop soient passés là-bas pour enregistrer "Low "et "The Idiot".
Il y a deux choses qui me font fantasmer dans l’histoire de ce château : c’est la personnalité de Michel Magne et ce qu’a représenté ce château. Tu parlais de la musique dans les années 1970 : la musique dans les années 1970, c’est que la musique pouvait changer le monde, que la musique pouvait prendre une place phénoménale dans la vie des gens mais aussi changer le monde. C’était une illusion complète, ça a tenu dix ans et ensuite, ça a été la désillusion.
C’est la raison pour laquelle je parle de "Château-Chimère" : cette vaste chimère, ce sont ces disques, ce sont ces moments où la moindre déclaration d’un ex-Beatles mettait le monde en émoi…
Nous le vivons toujours mais pour l’aspect buzz bien souvent négatif…
C’est vrai mais à cette époque, c’était de changer le monde par le haut et ça donnait une place à la musique qu’elle n’avait jamais eu avant dans l’histoire de l’Humanité et qu’elle n’aura peut-être plus, c’est-à-dire cette croyance selon laquelle quand tu écoutais un disque de Led Zeppelin, tout à coup, ces gens vont changer le monde : une sorte de culture qui s’imposait et qui allait renverser la table et qui en plus bénéficiait de moyens…
Quand ces gens arrivaient à Hérouville, personne ne les emmerdait : ils s’installaient pour trois semaines ou deux mois voire plus et ils créaient… Voilà ce qui me fait fantasmer dans cette période !
On te sent sur cet album totalement affranchi des codes, est-ce que cette expérience de raconter l’histoire de quelqu’un, d’un lieu, d’une époque est le prétexte pour toi de te sentir plus que jamais libre dans ta direction artistique ?
Oui parce que Hérouville, c’est l’histoire de musiques très différentes les unes des autres et qui pourtant sont marquées du même sceau d’indépendance et de liberté. C’est ma bouffée d’oxygène dans notre monde actuel très resserré.

La prochaine tournée se prépare, avec un tel concept, penses-tu jouer l’album en entier et apporter des changements d’arrangements pour faire vivre sur scène toute sa richesse ?
J’aimerais beaucoup faire quelque chose de très beau au niveau visuel mais c’est très compliqué quand tu fais de petites scènes d’apporter quelque chose qui ne soit pas "kitsch".
En revanche, l’idée de jouer en entier me plait énormément y compris l’instrumental parce que je trouve qu’elle mérite d’être entendue : j’en suis très fier pourtant je ne pose pas une note de voix dessus.
Et j’avais beaucoup aimé jouer "Ball Trap" en entier -on ne l’a fait qu’une seule fois- j’avais adoré !
Et je pense que c’est ce qu’attendent vos fans de jouer cet album dans son intégralité.
Et de ton côté, quels sont tes attentes outre tourner ?
C’est compliqué ! Aujourd’hui, nous sommes au jour le jour. J’attends que certaines personnes vivent une expérience de vie avec certains morceaux. Sur l’album précédent, des gens pleuraient quand ils entendaient telle chanson en
live, je l’ai vu de mes propres yeux. C’est ça la force d’un disque, c’est quand il y a des morceaux qui vont toucher et accompagner quelqu’un dans sa vie pendant un certain temps…
Et ça sera le cas à n’en pas douter comme en témoignent certains commentaires qui circulent déjà sur Music Waves et notamment celui de Spenser : "Assurément le meilleur album français (mais pourquoi cette restriction ?) de l'année !"…
Avec les préventes, je reçois plein de messages privés touchants. C’est mon premier but : que les chansons vivent !
Sur scène également, tu as des dates à nous annoncer ?
Il n’y en a pas pour le moment mais c’est un peu volontaire : c’est tellement le bordel en ce moment avec la fermeture de salles, le report de dates… : il y a un encombrement général !
Je veux faire un truc qui soit solide, je vise donc 2023 !
Un groupe comme Malemort, son meilleur allié, ce sont des disques ! Contrairement à d’autres groupes qui sont des bêtes de scène et qui sortent des disques parfois peut-être moins bons et un peu anecdotiques mais nécessaires pour justifier une tournée, s’il doit rester une seule chose de Malemort ça sera les disques et pourtant j’adore le
live…
Merci et rendez-vous sur scène en 2023…
De rien, de rien…. c’était vraiment un plaisir de vous revoir !
Merci à Calgepo pour sa contribution...