|
TITRE:
PATRICK COUTIN (10 OCTOBRE 2022)
TYPE:
INTERVIEWS
GENRE:
ROCK
|
|
Music Waves a rencontré avec beaucoup de plaisir le chanteur et musicien francais Patrick Coutin, qui nous présente son nouveau single.
ADRIANSTORK
- 07.12.2022 -
|
|
|
|
Tout le monde connait Patrick Coutin. Mais son tube de 1981 ('J'aime Regarder les Filles') a quelque peu caché une discographie sensible et éclectique. L'occasion pour Music Waves de regarder derrière le le tronc de l'arbre pour mieux admirer une œuvre touffue et toujours aussi riche.
Sur Music Waves, lorsque nous rencontrons un artiste pour la première fois, nous commençons toujours nos interviews par cette question: "Quelle est la question que l'on t'a trop souvent posée et à laquelle tu en as marre de répondre ?"
"Est-ce que vous n'en avez pas marre qu'on vous parle de 'J'aime Regarder Les Filles' ?" Ma réponse est non, car tout d'abord j'ai écrit cette chanson, ce serait dommage d'en avoir marre. Ensuite c'est une chance dans la vie d'un auteur artiste-compositeur d'avoir écrit un tube plutôt que pas de tube.
A l'inverse, on peut le voir comme une malédiction quand on est comme toi talentueux, de n’être résumé par le grand public principalement qu'à cette chanson.
Il y a le grand public, la presse, les gens qui me connaissent et me suivent. Ce soir, nous allons jouer dans une petite salle qui fait 100 personnes mais nous afficherons complet. Cette chanson m'a quand même permis d'avoir de la notoriété, de travailler avec de grands musiciens, d'aller travailler en Angleterre, en Californie, au Texas. Certes, il y a un coté qui te bouffe. Nous sommes condamnés à être reconnus, nous artistes, par ce qui est populaire. Je suis quelqu'un qui voulait vivre une vie libre, je voulais être indépendant mais pas célèbre. La célébrité ne m'amuse pas trop, ce n'est pas mon truc. Cette chanson m'a permis de faire une dizaine d'albums et ce que j'aime jusqu'à un âge avancé.
Ton histoire commence en Tunisie à Sfax, le 21 mars 1952, ton père était musicien. Est-ce que c'est à cause de cette paternité que tu n'as pas voulu te lancer tout d'abord dans la chanson ?
Mon père était musicien et voulait me faire faire du violon et de la trompette mais ça ne me plaisait pas trop. J'étais plus tenté par la littérature et l'écriture. Lorsque j'avais 13 ans, une prof de français m'avait initié à de grands auteurs. Et puis comme tous les gamins, j aimais le foot, j'aimais courir. Pour la musique, il fallait partir le mercredi après-midi , tu te faisais engueuler, tu devais apprendre des pages de solfège. Ça ne m'amusait pas beaucoup et la passion m'est venue plus tard.
Qu'est-ce qu'on écoutait (ou on te forçait d'écouter) dans le foyer des Coutin ?
On n'écoutait pas grand chose parce qu'il fallait savoir que le premier électrophone à la maison est arrivé quand j'avais 10 ans. C'était dans un salon qui n'ouvrait qu'une fois par semaine. C'est comme la télé d'ailleurs, une fois par semaine j'avais le droit de regarder Zorro. Il n'y avait pas de musique pour les enfants comme nous. Les 45 tours et les 33 tours étaient chers et rares. Mes parents écoutaient Jacques Brel, Georges Brassens, Charles Aznavour. Quand j'étais au collège à 13-14 ans, j'ai commencé à écouter des radios. À un moment de ma vie, j'ai eu le droit de me brancher sur "Salut Les Copains". On passait des Français, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Eddy Mitchell mais aussi des groupes anglais comme les Beatles. Au départ, c'était la chanson française et mon goût de gamin, c'était une musique qui bougeait un peu plus.
Ton parcours est un un peu à l'opposé du rock : tu suis un doctorat de philosophie à la Sorbonne mais finalement tu retrouves le rock en écrivant des articles pour Rock and Folk ou Rock en Stock. Comment était le Patrick Coutin critique et qu'est-ce que tu défendais à cette époque ?
J'ai des goûts éclectiques. J'étais également très intéressé par la technique (guitare, pédale, ampli). J'avais deux spécialités. La première me permettait de présenter du nouveau matériel dans une rubrique et de pouvoir en parler avec des artistes, qui n'avaient pas souvent l'occasion d'aborder ces sujets. Et comme je revenais de Californie envoyé par Rock & Folk, je parlais de Jefferson Airplane, Grateful Dead, The Eagles. J'étais très intéressé par le mouvement punk qui bouillonnait vers 1975 mais j'avais des collègues qui étaient plus spécialisés que moi en punk. Dans Rock & Folk, tu avais de tout, les Sex Pistols et The Eagles pouvaient se côtoyer dans le même numéro. Moi qui étais un rock critique fan de musique, j'aimais quand c'était bien.

C'est Laurent Thibault, entre autres producteur de Magma (encore un autre style!), qui ayant écouté la démo de ton groupe Reporter, t'a mis le pied à l'étrier alors que tu étais venu interviewer Jacques Higelin au château d'Hérouville. Comment s'est effectué ce premier enregistrement professionnel, qui de trois jours est passé à 1 mois ?
Cela a duré au moins trois semaines. Après il y a eu des petits mixages. J'étais un amateur, quelqu'un qui jouait avec ses potes dans le grenier mais ça aurait pu rester dans la cave. Nous nous enregistrions sur des magnéto-cassettes, donc nous avions une vision plutôt imprécise sur ce que nous faisions. Quand tu débarques au château d'Hérouville, l'un des plus beaux studios d'enregistrement de France et connu dans le monde entier avec du matériel de haut niveau, c'est comme si tu te réveillais le matin avec une image de toi multipliée par 50 et que tu constatais d'un seul coup tous tes défauts. Le son est super mais tu vois tout de suite tes limites. Tu rentres dans une période où tu travailles 10 heures par jour. Tu te lèves le matin, tu vas au studio, tu prends ton café et tu t’arrêtes quand tu es cuit.
Avec plusieurs cafés entre temps !
(rires) Ça a été à la fois merveilleux et très stressant. Nous étions démunis. J'habitais Sarcelles... Rock & Folk c'était glorieux mais tu ne gagnais pas très bien ta vie avec. Et se retrouver dans un studio où avaient joué Elton John...
... Bowie...
... Iggy Pop, Higelin et Magma ! C'était magique mais compliqué à vivre.
La pression?
Une pression que tu te mettais à toi-même car tu savais que tu n'avais pas le niveau.
Une pression vis-à-vis de toi car tu n'étais pas connu à l'époque.
Oui, la pression vis-à-vis du château qui nous accueillait aussi. On se disait que la route serait longue. Après avec l'habitude, on ressent moins cette pression. Nous étions comme des éléphants dans un magasin de porcelaine. Nous ne savions pas où nous mettre, comment nous accorder correctement. C'était magique et en même temps un gros choc.
Laurent Thibault t'a-t-il donné à ce moment-là un conseil qui t'a servi par la suite et qui te sert encore aujourd'hui ?
Non pas vraiment, parce que ce n'est pas quelqu'un qui agissait comme ça. Tu comprends beaucoup en studio, tu vas de l'autre coté de la vitre, tu joues et tu chantes, tu es plutôt content de toi et tu entends : "Il y a 90/100 des choses qui sont bien mais il y a deux mots ratés dans une phrase, on la refait!". La musique en général demande énormément de travail. Quand tu as passé dix heures dans ta journée et que tu étais au bout de ton truc, eh bien non, tu dois recommencer le lendemain. Quelquefois au bout de six mois, tu arrives enfin à fabriquer ce que tu avais dans la tête et entre les oreilles et tu comprends que c'est un art extrêmement exigeant. Ce n'est pas comme un concert. L'enregistrement n'est pas spontané. L'enregistrement tu l'écoutes dix fois et à la dixième fois, la fausse note commence à t'énerver sérieusement.
Pourquoi avoir sorti ce premier album sous ton nom alors que Dominique Dufour et Pierre Alessandri formaient avec toi le trio Reporter ?
L'album a eu du mal à sortir. Laurent Thibaut avait fait le tour des maisons de disques sans succès. Personne n'en voulait. Nous-mêmes, nous avions abandonné. J'ai repris mon travail de sonorisateur au Gibus. Cela a bien duré une année.
Quel était ton état d'esprit à ce moment-là ? De la frustration d'avoir investi autant de travail ?
Franchement, nous nous en foutions. Nous avions enregistré à Hérouville!
Je n'ai jamais rêvé d’être une star.

Une bonne expérience mais tu ne voyais pas le coté "Ah c'est dommage".
Comme je te l'ai dit, je n'ai jamais rêvé d’être une star. Je pense que Pierre et Dominique ne le voulaient pas non plus. Nous avions pris une sacrée gifle, "Oh la la il faut travailler plus pour avoir le niveau". Quand tu vois que ton niveau musical est bon pour la scène mais insuffisant pour enregistrer, alors tu es désabusé. Plusieurs mois après, Daniel Lesueur, un journaliste est venu nous voir après un concert au Gibus. Il était enthousiasmé et a voulu nous produire un disque. On lui a dit : "Pas la peine! Nous, on en a déjà enregistré dans un endroit où l'on peut difficilement faire mieux et personne n'en veut tout le monde dit que c'est mauvais." Alors, il a écouté l'album, l'a trouvé bon et a même trouvé des gens intéressés dans des maisons de disques. Le temps que ça se passe, le Château d'Hérouville avait besoin d'argent et nous a donc vendu nos bandes. Je me suis trouvé seul avec les gens qui achetaient les bandes CBS. D'un côté, ils ne voulaient pas signer un groupe et chez nous, Dominique Dufour, qui était prof, a finalement décidé de devenir inspecteur d'académie en Afrique où il est même devenu coach sportif en Sierra Leone avec une championne olympique. Il a été lucide, il a avoué ne pas avoir le niveau pour être un bassiste professionnel et n'était pas vraiment emballé pour le devenir. Je me suis retrouvé avec Pierre. Jouer de la batterie en studio, c'est difficile. C'est presque le plus dur. Tu attends que le batteur soit nickel. Pierre n'était pas non plus sûr et il fallait signer chez une maison de disques et que l'argent revienne à Hérouville qui était proche de la faillite. Dominique Dufour est parti en Afrique. Donc nous avons signé sous mon nom, ce qui m’embêtait un peu, je ne voulais pas qu'on donne mon nom à tout le monde. Avec Pierre, on a fait les deux albums suivants. Je me suis retrouvé à assumer ce statut de mec qui parle à la maison de disques. Ce qui était un statut compliqué pour quelqu'un qui n'avait qu'une envie, fumer des joints et faire de la musique (rires). Très vite, j'ai voulu arrêter.
Fumer des joints : cette pochette, justement...
C'est une cigarette !
On te voit poser de profil avec une cigarette au
bec sur une pochette en noir et blanc. Cette pochette était-elle une
espèce d'instantané et de carte de visite de l'époque de Patrick
Coutin ?
Ça me ressemblait car je fumais beaucoup. La photo a été prise par un ami de ma sœur, Alain Gardinier, qui nous avait dépanné avant alors que nous étions inconnus. Je le connaissais bien, j'avais été chez lui à Biarritz. Je ne devais pas être facile à photographier. Je ne me sentais pas à l'aise, très intimidé. La cigarette n'aurait jamais du être là car je fumais entre les prises. Ce portrait a dû être pris sur une photo plus grande car on voit d'autres photos dans le livret où je suis en studio avec des guitares. Ça représente bien ce que j'étais mais ce n'était pas fait volontaire, je ne voulais pas donner de message. Aujourd'hui être avec une cigarette sur une pochette, c'est presque un message. Mais j'ai arrêté de fumer depuis longtemps!
On est obligé de parler de la première chanson de cet album. 'J'aime Regarder Les Filles', ton plus grand tube est paradoxalement aucunement commercial, nous avons de riffs de guitare poisseux, une ambiance mélodique avec un soupçon de The Doors, une basse entêtante. En somme, tu étais à des années lumière de penser que ce morceau – excellent de surcroît – aurait pu s'écouler à 1 millions d'exemplaires grâce aux radios libres et au travail de Daniel Lesueur qui aurait réussi à convaincre Epic de te signer ?
C'est quelque chose auquel on ne pensait pas. Nous étions contents de faire un disque et contents qu'il sorte. Quand les télés sont arrivés, nous étions moins contents car il fallait se raser, s'habiller... Le matin quand tu te lèves, tu es rarement bien habillé. On te dit : "Écoutez, monsieur Coutin, votre chemise elle est froissée, votre T-shirt a des trous." Les emmerdements commencent là. Mais en même temps, Mitterrand passe en 1981, ça sort en mars 1981, les radios libres arrivent et elles veulent des musiques différentes de ce qui passe sur les grandes radios. D'un coté, c'est un truc pour les mecs qui veulent écouter du rock à la radio et qui est populaire pas trop branché. Et de l'autre, c'est un tube de club sur lequel tu peux faire danser les gens en boîte et ça correspond bien a cette liberté en France en 1981. Ce n'est pas ma chanson favorite de l'album. J'avais fait des trucs que je trouvais plus marrants.
Les paroles ont une inspiration littéraire et suivent une progression dramatique, on passe de la simple observation lointaine de créatures puis on voit l'image de ces filles intouchables nous exploser en pleine tête et on souffre avec toi. Ce morceau est une espèce de catharsis de ton état du moment, la frustration d’être enfermé en studio en été alors que des amis sont sur la Cote d'Azur et t'invitent à te rejoindre ?
C'est ça, le texte est sorti comme ça. A un moment tu te dis, ça va comme ça. Au début, tu es en pleine forme et dix jours plus tard en studio, tu es épuisé. L'été avance et tu te dis “finalement je ne suis pas sur d’être fait pour ça”.
Le succès de cette chanson a été l'arbre qui cache la forêt et a été à double tranchant, au lieu de s'intéresser à ton album, les médias t'ont invité pour jouer (souvent en playback) ce morceau. Est-ce que c'est ce qui t'a invité à prendre un peu tes distances ?
Oui, déjà on chantait toujours en playback. C'est très compliqué de la chanter en playback car le texte était spontané. Il y a une partie des paroles qui part d'un côté et qui revient dans l'autre. Tu te retrouves devant le monde de la télévision et de la radio, les grandes ondes. Ça ne m'a pas plu. J'avais même décidé d’arrêter et d'écrire un livre que je n'ai toujours pas écrit (rires).
Il n'est jamais trop tard...
Oui, bien sûr. C'était ma première idée. Au bout d'un moment, la maison de disques te dit : "Ce mec il va en faire un deuxième." Le Château d'Hérouville te dit la même chose. Pour eux, cela représente une somme d'argent dont ils ont besoin, car nous avions de l'argent pour le deuxième album. A force d’être invités tous les quinze jours dans des pizzerias hors de prix, j'ai finalement dit "Oui, on va en refaire un". Comme j'avais plein de chansons, ça collait. Juste après Hérouville, j'avais été très créatif pendant 5-6 mois. J'ai pu m'acheter un peu de matériel pour enregistrer grâce au tube et j'ai fait un deuxième album.
Ce premier album fait transparaître une mélancolie rock à fleur de peau qui mérite toujours l'écoute ('Reporter', Le Roi Des Losers', 'Toi'), bonne carte de visite pour auditeur néophyte ?
Le premier reste un très bon souvenir. D'abord, car j'avais écrit les chansons sur 4-5 ans où je parlais de mes anciennes copines.
Quelle est la meilleure porte d'entrée pour entrer dans ta discographie ?
Bizarrement, 'Fais-Moi Jouir', c’était vraiment ce qui nous amusait le plus. Car au départ nous ne savions pas que cet album serait un jour destiné pour les grandes ondes. Et puis CBS a acheté l'album et a mis son veto.
C'est un tube mais je ne veux pas entendre mes enfants chanter ce tube.

'Fais-Moi Jouir', chanson parfaite qui prend à
contre-pied la distance de 'J'aime Regarder Les Filles', ne figure
pourtant pas sur le premier album en raison de la décision d'Alain Lévy,
président de CBS qui n'aurait pas voulu que ses enfants la chantonnent.
Est-ce que tu regrettes de ne pas t’être battu pour l'imposer ?
Non je ne pouvais pas me battre. J'étais signé chez CBS, je n'avais pas de management, pas de maison d'édition, CBS avait racheté l'édition, j'étais un peu perdu dans ce monde-là. Le jour où on te dit: "Votre album est super, on va vous signer un contrat mais par contre, on ne pourra pas sortir ce morceau car "C'est un tube mais je ne veux pas entendre mes enfants chanter ce tube". Tu ne peux pas lutter face au patron. Il y a Bruce Springstreen, Michael Jackson dans sa société et moi je n'avais rien fait si ce n'est 10 articles dans Rock & Folk et un malheureux enregistrement. Tu te dis "Ce n'est pas grave, je ne le ferai que sur scène" et c'est ce que j'ai fait.
Ton deuxième album "Un Étranger Dans La Ville", qui
renoue avec un portrait de l'artiste avec une cigarette possède un son
plus urbain. Le titre est-il inspiré par cette soudaine célébrité qui tu
as eu du mal à assumer ?
J'ai eu du mal à assumer. Cet album a été accueilli de façon bizarre. Cela paraissait triste par rapport à ce que j avais fait avant, mais c'était parce que les gens ne savaient pas ce que j'avais fait avant. J'étais un gamin de banlieue qui avait fait des études à la Sorbonne et qui était invité dans des clubs. Tout cela n'avait pas de sens. L'enregistrement a été pénible. Il y avait beaucoup de drogue à Hérouville, les gens perdaient pied, la famille qui s'occupait du château était en décomposition. C'est une expérience que je n'ai pas aimée. Je ne voulais pas le faire. Je l'ai fait parce qu'on ne peut pas refuser de faire un album et puis ça rend service à des gens. CBS était devenu un peu ma famille. Cet album a beaucoup révélé mon mal-être, deux ans après l'explosion des radios libres où le monde changeait. Le sida arrivait...
Cet album a été enregistré avec Dan Ar Braz (qui fait un solo dans l'album dont je te parlais plus tôt), Bernard Paganotti et le larron de Reporter toujours sous la direction de Laurent Thibault, à ce moment-là l'objectif était de faire la musique que tu aimais, un rock amer teinté de blues, au lieu de surfer sur la plage?
Dans cette période, nous voulions être libres et ne pas faire les chansons que te demandait la maison de disques. La maison de disques voulait la suite de 'J' Aime Regarder Les Filles'. Moi si j avais su l'écrire, je l'aurais fait depuis longtemps ! Je voulais revenir aux Stones, aux Doors, à Lou Reed.
Dans cette période, nous voulions être libres et ne pas faire les chansons que te demandait la maison de disques.
Le titre éponyme débute comme une tradition de poème mi-chanté, comme le pourrait le déclamer un Hubert-Félix Thiéfaine et que l'on retrouvera sur les premières pistes de plusieurs de tes albums suivants, était-ce un gimmick ou une véritable signature artistique ?
Pour moi, un auteur-compositeur ou le rock c'est un auteur-compositeur-chanteur qui fait de la musique. Comme Neil Young, Dylan, Jim Morrisson, dans le rock le texte est plus important que la musique. Ça cela vient sûrement de ma culture Brel/Brassens. Je trouve cela dans le rock américain en tout cas, un peu moins dans le rock anglais parce que les Anglais usent de leur musique comme une arme de guerre pour conquérir le monde et font des chansons bien enrobées. Ce sont des grands compositeurs de rock/variété. Les Américains ont cette tradition de troubadours que tu retrouves dans le rock, la country, chez Jefferson Airplane... Je suis très attaché à cette tradition. En français, de temps en temps tu ne peux pas chanter ton texte alors tu le racontes. Chanter 'Un Étranger Dans La Ville' avec ces mots-là, organisés comme ça, il faudrait tout changer. Il faudrait faire des phrases qui finissent bien, avec la bonne rime, qui te prête à la mélodie alors que l'anglais est une langue tellement simple, tu peux tout chanter en anglais. Si je suis arrivé à cette idée que régulièrement il y aurait une chanson parlée dans mes albums, c'est un peu pour ça, c'est aussi parce qu'à l'époque j'écoutais beaucoup de rhythm and blues dans lequel existait déjà dans les années 60 une espèce de rap qu'on parlait.
Cette signature que j'évoque, ce n'est pas quelque part un regret de voir que les médias t'ont catalogué avec un tube qui a eu un énorme succès alors que dans des groupes français comme Feu! Chatterton, on entend beaucoup de Patrick Coutin ?
Mais c'est bien, ça veut dire que j'ai des enfants (rires). Soyons clair, j'ai vécu la vie que j'ai voulu vivre. À certains moments, j'ai fait autre chose que de la musique car je souhaitais faire autre chose. Cela a pu durer 7 ou 8 ans. J'ai dirigé une salle de musiques actuelles, j'ai produit d'autres artistes comme les Wampas ou Dick Rivers donc mon objectif était d'être libre. La liberté j'ai tout de suite compris qu'avec 'J'Aime Regarder Les Filles" que si j'alignais les tubes, je deviendrais une industrie et perdrais ma liberté. Car en tant que produit d'une industrie, il fallait que je vende car des gens gagnaient leur vie grâce à moi. Tu vaux de l'argent car tu vas en télévision, tu fais des chansons... Si j'avais voulu courir après l'argent, je serais devenu autre chose. Pour moi le rock 'n' roll et la musique, c'était une façon d’être libre, d'écrire ce que je voulais, quelquefois cela plaît aux gens, quelquefois non. J'assume ça totalement bien.
Il y a un album que tu sembles ne plus apprécier, "L'Heure Bleue", qui a été produit à Londres avec Nick Patrick et Clive Martin. Un album que d'après ton site tu trouves trop léger, trop édulcoré, alors que des morceaux comme 'Rends-Moi Mon Cœur, Gamine' chantée par un crooner froid, aurait pu devenir un tube. Le deuxième morceau 'Louise', qui est le nom de ta fille, aurait également pu avoir du succès. 'Condamné À L'Amour' semble être une profession de foi lucide et 'Assassinat', un reggae qui pourrait battre Bernard Lavilliers sur son terrain... Certes, plus de cigarette sur la pochette, mais pourquoi ce rejet ?
C'est le rejet dans la suite du rejet du deuxième. Le deuxième s'était tellement mal passé humainement avec les gens que la maison de disques m'a demandé si je voulais continuer dans ces conditions - car ils n étaient pas idiots non plus, les directeurs artistiques - "C'est dommage car vous avez plus de potentiel que ça". Alors j'ai dit "OK on va essayer". "Allez à Londres!" m'ont-ils conseillé. C'était marrant d'aller à Londres. Je suis parti avec Pierre Alessandri qui était devenu le chef des machines dans mes affaires. Dès le deuxième album, Laurent Thibault avait voulu le remplacer par un autre batteur. Pour pouvoir le garder, je suis passé à la boîte électronique. Moi je n'étais pas très bon guitariste non plus, nous étions deux bras cassés. L'idée d'aller à Londres et de continuer le truc, cela m'a paru une bonne idée à l'époque. Et puis au fur et à mesure que les chansons que j'avais prévues à la maison et qui m'avaient pris du temps (j'avais travaillé avec Pierre pendant un an et demi) étaient enregistrées - c'était bien fait les musiciens son étaient fantastiques - mais petit à petit elles se sont éloignées de moi, au point que j'ai commencé un peu à les prendre en grippe. Je ne me suis pas retrouvé dans cet album qui est pourtant un album bien fait et aujourd'hui quand je reprends les chansons sur scène comme 'Louise' ou Rends-Moi Mon Cœur, Gamine', je me dis que ce texte est bien. Mon bassiste m'avait dit qu'il fallait que je les joue sur scène et il a eu raison. Le deuxième et le troisième album parlent de ma sortie du show-biz. Ça ne s'est pas fait en une seule journée. Être une vedette du show business me casse les pieds. J'essaie un truc, puis j'essaie autre chose et puis après basta, je reprends ma liberté.
"Aimez-Vous Les Uns Les autres", ton album suivant traite de plusieurs genres, rap sur le premier morceau, country sur 'Inventaire 1993' mais malheureusement la poisse est avec toi puisque ton nouveau label New Rose/Fnac fait faillite. Est-ce que cette explosion spectaculaire explique pourquoi tu as décidé ensuite de te mettre à l'écart, faire des clips, produire pour des autres, Dick Rivers (Plein soleil) ou les Wampas (Trop Heureux). Ta carrière d'artiste est jalonnée d'évènements qui ne te plaisent pas trop.
Tu en sais des choses, toi ! Oui c'est vrai, j'avais oublié que New Rose avait fait faillite. De toute façon, j'avais voulu faire cet album pour être marginal. Une façon de dire que je ne voulais plus passer à la radio. Il y a du sexe et un côté "je vous emmerde". C'est à ce moment-là que j ai commencé à m'intéresser à la technique avec les Pro Tools qui arrivaient, l'informatique, ce qui peut me permettre de gagner un peu plus de liberté et de faire ce que les gens qui ont de l'argent peuvent faire, sans avoir cet argent. C'est un album que j'aime beaucoup par contre, celui-là. New Rose m'avait laissé carte blanche. Cet album a été possible grâce à mon manager de l'époque Bernard Nove Josserand de Louise Music, qui est resté le label qui produit mes disques. Cet album c'est le début de la liberté.
En 2019, tu régales tes fans avec la sortie d'un triple album vinyle. "Obsolètes Paradise", album de reprises avec entre autres 'La Musique que j'Aime' plus blues que l'original, "Welcome to Paradise", un album en anglais et "Paradis Électriques", un album en français (avec un chef-d’œuvre 'Paris La Nuit'), qui se sont présentés dans une édition limitée à 3 sérigraphies, le tout emballé dans une box en forme de boite à pizza. Quelle était ta volonté d'aller à l'encontre des formats prédéfinis avec la conception de ce véritable objet d'art ?
Ce qui s'est passé, c'est que j'ai laissé tomber la musique pendant un certain temps. J'ai travaillé avec d'autres artistes. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase c'était un album que j'avais fait avec Universal...
"Industrial Blues"?
Oui, "Industrial Blues" qui avait reçu un super accueil mais qui avait été massacré. En fait alors qu'on approchait de Noël, les gens m'appelaient pour me dire qu'ils ne trouvaient pas mon album. Je suis allé voir le patron d'Universal, qui était ma boîte. Il m'a dit qu'il était au courant mais qu'il ne pouvait pas faire de pressages supplémentaires car Universal vendait du 2B3 par paquet de 10 000 par jour et qu'il ne pouvait pas arrêter les presses. Et là tu te dis : "Bon d'accord, je ne suis vraiment pas fait pour ce putain de métier." Donc, j'ai cassé mon contrat chez Universal et je me suis dit que je devais arrêter car je commençais à en avoir plein le dos. Là-dessus on m'a proposé de gérer une salle de musique, le patron de New Rose m'a fait rencontrer Dick Rivers, qui cherchait un réalisateur pour travailler aux USA où j'avais déjà travaillé. Je suis parti dans autre chose. Les albums que j'ai fait après c'était des amusements. Je me suis finalement trouvé avec un surplus de liberté, j'ai commencé à écrire mine de rien des chansons et je me suis dit : "Tiens je vais faire un album 80's", revenir aux machines boum boum boum. Il y a eu de mauvaises choses mais aussi des trucs fantastiques pendant cette décennie. Pendant que j'écrivais, Johnny est mort. Pour un gars de ma génération, la mort de Johnny, c'est marrant. C'est terrible, mais je ne parle pas de la mort en soi mais c'est un choc. Tu vis avec Johnny depuis que tu as 14 ans. J'ai réécouté des albums par la suite. Un mec comme lui qui fait partie du paysage, à la fin tu ne l'écoutes même plus et tu ne sais même plus comment il chante. Tu t’aperçois après que c'était un type avec des capacités vocales assez exceptionnelles. Petit à petit, mes gribouillages sont devenus une somme de disques et de chansons, j'en avais 45! Un jour, j'en parlais avec un copain qui m'a suggéré de sortir 3 albums vinyle. J'ai décidé de faire un coffret et d'en vendre peu avec trois œuvres d'art à l'intérieur.
'La Ballade De Jesus Cat' était sorti en éclaireur mais maintenant c'est officiel avec la sortie de 'A Part Ça Tout Va Bien', il y aura un nouvel album de Patrick Coutin en mars prochain. Les paroles de cette chanson rock-bluesy qui transpirent l'urgence font référence à une actualité très morose. Tu as enregistré ce nouvel album dans la capitale du Texas (Austin), qu'est-ce ce cadre t'a offert ? Peux-tu nous en dire plus sur le contenu de l'album à paraître, que beaucoup attendent? J'ai envie de dire à nouveau le mot "Liberté" ?
Toujours la même histoire. On est resté enfermés 2 ans comme des cons. Je n'en pouvais plus, j'avais écrit des chansons que j'aimais bien et je me suis dit : "Je vais aller faire un album à Austin." J'ai pas mal travaillé à Austin, je connais des musiciens de là-bas. J'ai appelé un grand guitariste, David Grissom, pour lui dire que j'aimerais bien aller enregistrer à Austin et que j'avais besoin de 3 semaines. Il m'a rappelé pour me dire qu'il avait trois semaines libres mais en décembre. En décembre, c'est trop loin! Moi, je veux enregistrer là, maintenant. Il m'a dit là maintenant j'ai deux jours et demi avec le meilleur batteur et le meilleur bassiste d'Austin. Comme lui est le meilleur guitariste d'Austin (rires), je suis parti une semaine plus tard, j'ai enregistré, je me suis baladé. C'est un album très simple, j'avais envie de revenir à une musique rock basique basse-batterie-guitare. Là il y a deux guitaristes, lui et moi. Une voix, des paroles, un rock qui swingue un peu comme le rock d'Austin, qui n'est pas du rock binaire à la Clash. Des paroles d'un mec qui a beaucoup vécu mais qui s'en amuse un peu de la vie. Mais il y a une partie sombre, le morceau dont tu parles 'À Part Ça Tout Va Bien' c'est une chanson que j ai écrite un jour où j'étais un peu inquiet. Je n'écris pas des chansons engagées. Un artiste engagé c'est quelqu'un qui va toujours se retrouver en porte-à-faux avec son public et moi je préfère respecter mon public, mes opinions politiques qui sont très tranchées je les garde pour moi. La je trouvais que ce qui se passait avec la planète, c'était beaucoup trop et à un moment donné, tu te dis qu'il faut en parler.
Mais est-ce que ce n'est pas un peu vain?
Avec ce qui s'est passé cet été, beaucoup de gens ont compris. Je suis marin, le réchauffement climatique, je le vis depuis 20 ans, des océans de plastique, tous les ans, il y a de plus en plus d'orages en Méditerranée, il y a des poissons dans l'eau à Marseille que tu n'as jamais vu de ta vie. Je pense qu'il faut bien s'occuper de la planète. Je ne sais pas si on va réussir mais au moins j'ai apporté ma petite pierre à cet édifice.
Je vis la vie que je veux.

Quelles sont tes attentes, est-ce qu'on a encore des attentes avec une telle carrière et tout ce que tu as vécu ?
J'espère que les gens qui s'intéressent a cette musique vont l'écouter et puis que cela va nous permettre de faire des concerts en trio. Une fille qui joue de la batterie, un mec qui joue de la basse et moi de la guitare sur scène. J'ai tellement pris du plaisir à Austin pour enregistrer que ce n'est pas dit que je n y retourne pas pour en enregistrer un autre.
D'abord cet album ou ton livre, ton autobiographie ?
L'autobiographie prend trop de temps et ce n'est pas une autobiographie mais un souvenir.
On a commencé par la question que l'on t'a trop souvent posée. A contrario, quelle est celle que tu aurais aimé que je te pose ou à laquelle tu rêverais de répondre ?
"Bonjour, ça va ?"
Est-ce que ça va ?
Oui, merci. Merci d’être venu. J'aurais bien aimé avoir à nouveau dix-huit ans, recommencer l'aventure du rock 'n' roll. Mais pour le reste, j'ai de la chance, je vis la vie que je veux. C'est la plus belle question qu'on puisse poser à un être humain, bonjour comment vas-tu?
Merci beaucoup !
Merci à toi.
Plus d'informations sur https://coutin.net
|
| |
(0) COMMENTAIRE(S)
|
|
|
| |
|
|
|
Haut de page
|
|
|
|
|
EN RELATION AVEC PATRICK COUTIN
|
|
|
|
|
| |
|
AUTRES ARTICLES
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|