De la musique classique au rock, en passant par le bluegrass et le blues, les influences de Megan et Rebecca Lovell sont larges. A l'occasion de la sortie de leur nouvel album "Blood Harmony", les deux sœurs reviennent sur leur parcours musical spécialement pour Music Waves !
Nous avons l’habitude de commencer nos interviews avec la question suivante : quelle est la question à laquelle vous avez répondu trop souvent et à laquelle vous en avez marre de répondre ?
Rebecca : Eh bien, il y en a un certain nombre à vrai dire ! Tu penses qu’on devrait dire quoi ?
Megan : Il n’y a pas de question dont on ait marre de répondre. On essaye de trouver un moyen différent de répondre aux mêmes questions.
Rebecca : On ne part pas du principe que les gens devraient savoir qui nous sommes, donc on est toujours contentes de leur raconter notre histoire. Cela dit, on nous demande beaucoup quelle est l’origine du nom du groupe. Ou alors on nous dit : "Qui est Lark et qui est Poe ?" (rires).
Les gens pourront toujours aller voir sur Wikipedia s’ils le souhaitent (rires). Votre musique est joyeuse, et on ressent cette joie en vous. Est-ce que cela veut dire qu’on n’a pas besoin d’être malheureux et torturé pour jouer du blues ?
Rebecca : J’aime cette question ! (Elle réfléchit). Je pense que c’est un stéréotype de croire que les artistes doivent être torturés, addicts, ou autre, pour faire de la bonne musique. Je préfère les artistes qui ont de bonnes habitudes, des relations équilibrées. Le simple fait que le club des 27 existe est tragique. Imaginez ce que Jimi Hendrix aurait pu accomplir s’il avait vécu jusqu’à 70 ou 80 ans, quand vous regardez les Rolling Stones aujourd’hui. Je pense qu’il est très important que les artistes prennent soin d’eux et qu’ils intègrent des habitudes de vie saines pour continuer d’inspirer les autres.
Je rappelle que vous êtes sœurs toutes les deux. Sur scène, on ressent une forme de compréhension mutuelle chez vous. Au-delà de votre fratrie, y a-t-il des règles que vous appliquez pour conserver cette complicité ?
Megan : Oui ! (Rires). On est très très proches et on a partagé une grande expérience ensemble, du fait que l’on a moins de 2 ans d’écart. On est très fières de la musique que l’on joue et de la carrière que l’on a. Mais effectivement, travailler sur sa relation à l’autre, c’est quelque chose qui ne cesse de se construire avec le temps.
Rebecca : Il y a aussi toute une communication non verbale. En 2020, on a fait beaucoup de concerts en streaming. Certains étaient des sessions de jam où on demandait aux gens de nous dire ce qu’ils voulaient qu’on joue. Parfois, c’étaient des morceaux que l’on n’avait jamais joués. C’est ce que j’ai préféré, c’est très fun.
On attache plus d’importance à la musique qu’à la satisfaction de nos égos
Retrouver des fratries dans des groupes de rock, ce n’est pas si rare, notamment chez des grands groupes. Mais il peut y avoir une forme de compétition dans la relation, ce qui peut mener à la fin du groupe en question.
Rebecca : Il y a forcément eu des tensions entre nous. Souvent, ce sont des problèmes d’égo.
Megan : Au début des années 2000, oui.
Rebecca : On a beaucoup parlé de nos égos. Au final, on attache plus d’importance à la musique qu’à la satisfaction de nos égos. On sait aussi qu’on peut compter l’une sur l’autre et se parler en toute honnêteté quand on sent que l’on va dans la mauvaise direction. Dans tous les cas, on essaye de se concentrer sur la musique, c’est ce qui crée notre connexion avec les gens.
Sur ce nouvel album, "Blood Harmony", il y a une chanson qui symbolise bien cette symbiose entre vous, selon nous en tout cas. Je veux parler de ‘Lips As Cold As Diamond’ qui est un morceau très délicat. C’est une chanson à la fois simple et authentique.
Megan : Cette chanson incarne tout ce que j’aime dans la musique et dans la créativité. Je n’aurais pas décrit ‘Lips As Cold As Diamond’ comme tu l’as fait, mais ce que tu dis est intéressant. C’est la beauté de l’art, la musique laisse place à l’interprétation.
Les gens qui nous écoutent sont le miroir de nos chansons
Les artistes font beaucoup de choses qui sont inconscientes. Les auditeurs en tirent alors leurs propres interprétations.
Rebecca : C’est ce qu’on dit aux gens tous les soirs en concert : ce n’est pas notre concert à toutes les deux, c’est notre concert à nous tous. Et ce n’est pas notre musique à toutes les deux, c’est notre musique à nous tous. Les gens qui nous écoutent sont le miroir de nos chansons. Je ne crois pas en un monde binaire tout est "oui ou non", ou "noir et blanc", ou "vrai ou faux". Tout est sujet à interprétation. Cela ouvre le champ des possibles, et c’est ce qui fait que la vie est précieuse.
Vous parlez justement de vos concerts. Pendant la pandémie, vous avez sorti des covers acoustiques. Quel en était le but ?
Rebecca : C’était pour se faire plaisir à la base ! Quand tu te dédies à une vie de musicien, tu peux vite être très pris, à passer ton temps sur les routes, ou en train d’écrire de la musique, ou à faire encore l’une des nombreuses tâches que tu dois faire en tant que musicien. Tu n’as plus le temps d’apprendre à proprement parler. Quand tu es adolescent et que tu as ta première guitare, tu apprends les solos de Jimi Hendrix ou les morceaux de Black Sabbath. Quand tu deviens adulte, tu n’as plus le temps pour ça. En sortant ces covers, on a eu envie d’apprendre des chansons car cela nous inspire.
Megan : On ne s’attendait pas à ce que les gens aiment nos versions à ce point ! On a été assez surprises. ‘Preachin’ Blues’ a été la première vidéo à devenir virale et on s’est dit : "mais qu’est-ce qui se passe ?". C’est un moyen très intéressant de se connecter aux gens. Au final, cela nous a permis de trouver notre public. Nos fans voulaient que l’on fasse des covers, alors on s’est dit qu’il fallait le faire !
Cela a été un challenge de partir de cette scène acoustique bluegrass et d’apprendre à y ajouter une touche électrique
Vous avez commencé votre carrière avec le trio acoustique The Lovell Sisters. Sur votre nouvel album, on retrouve à la fois des clins d’œil à cet héritage acoustique et une évolution vers un jeu plus porté sur la guitare électrique. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?
Megan : On a démarré à 3 et 4 ans par le violon et le piano. On a vraiment grandi au cœur de la musique acoustique. Mais en même temps, on a écouté beaucoup de classic rock, Black Sabbath, Queen, Led Zeppelin, The Allman Brothers, Fleetwood Mac… Cela a été un challenge de partir de cette scène acoustique bluegrass et d’apprendre à y ajouter une touche électrique. C’est une approche très différente de la musique. Il faut apprendre à jouer plus fort, à jouer avec des pédales, des amplis. Il y a eu un certain processus d’apprentissage, pendant 5 ou 6 ans, je dirais.
Le blues et surtout le blues rock sont des styles relativement masculins. Est-ce qu’il y a des artistes féminins de cette scène qui vous ont inspirées ?
Megan : C’est certain.
Rebecca : On a cité des groupes essentiellement masculins juste avant, mais je pourrais aussi parler de Bonnie Raitt, Susan Tedeschi, Sister Rosetta Tharpe, Elizabeth Cotten, Big Mama Thornton, Koko Taylor…
Megan : Mais les choses sont en train de bouger malgré tout. Les festivals essayent aussi de diversifier leur affiche.
Vous avez mentionné beaucoup de groupes de rock tout à l’heure. Votre musique s’apparente plutôt à du blues, mais est-ce que vous vous sentez "rockeuses" ?
Rebecca : (Rires) Oui, même sans batteur, le bluegrass peut rocker ! Vraiment ! J’ai grandi en apprenant la mandoline, donc j’essaye toujours d’écrire des riffs groovy et lourds !
Votre marque de fabrique repose notamment sur l’utilisation de la guitare lap steel et sur le fait que vous êtes des artistes féminines. Mais au-delà de ça, est-ce que votre succès n’est pas tout simplement dû au fait que vous êtes deux personnes très simples qui sont bien dans leurs baskets et chez qui on remarque cette joie de jouer ensemble ?
Megan : C’est très gentil ! Je suis très reconnaissante du fait que l’on soit sœurs et que l’on ait eu cette capacité à construire des choses ensemble. C’est un très beau cadeau. Je suis aussi très reconnaissante du fait que tu aies mentionné le lap steel, car c’est vrai que cela nous a aidées à nous développer, c’est l’instrument du futur.
Rebecca : La guitare, c’est chiant ! (Rires). Ce n’est pas un instrument si fréquent, mais quand tu veux ajouter des textures, c’est parfait. Le lap steel est très présent dans le classic rock, dans Pink Floyd… Si tu prends le morceau ‘Running On Empty’ (de Jackson Browne, ndlr), tu as l’un des solos les plus iconiques, et pourtant, peu de gens savent que c’est du lap steel. Les gens entendent, ils sont familiers avec ça, mais ils ne savent pas vraiment ce que c’est. J’aimerais en voir plus souvent. Mais vu que ce n’est pas très commun, on n’en trouve pas si facilement. En général, les gens en jouent assis, mais j’aimerais vraiment en jouer debout. J’ai développé un lap steel pour jouer debout, cela devrait aider les gens à jouer debout.
Des chansons comme ‘Blood Harmony’ et ‘Might As Well Be Me’ ont des influences évidentes. Est-ce qu’un tournant vers la musique soul pourrait vous intéresser à l’avenir ?
Rebecca : Absolument ! J’aime les chansons qui me font étendre ma palette vocale, car j’ai des influences soul et gospel. Mais qui sait ce que l’avenir nous réserve ?
Vous avez sorti un album live l’an dernier, "Paint The Roses", avec l’orchestre Nu Deco Ensemble. C’est assez courant dans le metal, mais beaucoup plus rare dans le blues. Comment l’idée a-t-elle germé ?
Megan : Nu Deco nous ont contactées pendant le confinement. Ils voulaient faire une série de live streams. C’était l’occasion d’essayer quelque chose de nouveau. On a répété un jour, et puis on a enregistré les morceaux le lendemain. Le résultat est vraiment très différent des morceaux originaux, je ne l’aurais pas cru. Je ne crois pas forcément au destin, mais c’est amusant de voir que l’on a grandi en apprenant la musique classique, et vingt ans plus tard, on se retrouve à adapter nos chansons en classique. C’est une heureuse coïncidence, cela enlève ce côté "aléatoire" de la vie. Certaines choses arrivent pour une bonne raison. C’est un peu une approche "yin et yang" : les mauvaises choses font apprécier encore plus les bonnes choses. Il faut apprendre, mais apprendre à lâcher certaines choses. Je dis ça car nous sommes de vrais control freaks !
J’imagine que l’expérience avec cet orchestre a été un bon moyen d’être moins en contrôle de la situation.
Megan : Oui ! Rien qu’au niveau du tempo ! Un orchestre avance a sa propre allure, alors que dans le rock, on a une approche plus "métronomique". C’était une expérience très intéressante pour un groupe de rock.
Rebecca : Et je pense que quand tu es de nature optimiste, tu vis avec l’espoir et la foi. C’est l’objectif, je pense, mais ce n’est pas facile, surtout quand les choses ne se passent pas comme tu le voudrais.
On a commencé cette interview en vous demandant quelle était la question que l’on vous avait posée trop souvent. Au contraire, quelle serait celle que vous aimeriez que je vous pose ?
Megan : (Rires) Je ne sais pas !
Dans ce cas, je vous propose que vous y réfléchissiez, et la prochaine fois que l’on fera une interview ensemble, on démarrera par cette question !
Megan : Ça me plait ! J’ai hâte !
Merci beaucoup !
Les deux : Merci !
Et merci à Newf pour sa contribution...