Avant de parler de musique, Justine, tu as continué sous le nom Elyose, alors que “Persona” est un disque presque-solo. Pourquoi ce choix ? Est-ce que tu as continué sous le nom Elyose de peur de perdre tes fans et tout le travail effectué sous le nom d’Elyose ?
C’était surtout la logique des choses. Au-delà du fait d’avoir toujours représenté la voix et l’image d'
ELYOSE, je me suis sentie responsable de continuer à faire
grandir ce bébé qui a toujours occupé une grande partie de mon temps. Bien-sûr, la composition du groupe a évolué au fil des ans, mais le cœur d'
ELYOSE, son identité artistique, sa musique, son univers visuel ont toujours été sous mon aile. Par ailleurs, un groupe c’est aussi une petite entreprise, et j’ai toujours assumé pleinement et souvent seule ce volet (la gestion de production, des concerts, des réseaux sociaux, des relations avec les fans, du shop etc.). Au final, la question ne s’est pas vraiment posée. Mais je crois qu'
ELYOSE a enfin trouvé le parfait père d’adoption avec Anthony pour continuer à grandir !
L’actualité de
Elyose est la sortie de “Déviante”.
Qui est “Déviante” sur ce disque : la société, toi, les chansons de l’album ?
Les "déviants" ce sont tout ceux qui se retrouvent dans le fait de ne pas suivre un chemin imposé. Donc c’est un peu moi et un peu tout le monde, j’espère ! Ce thème est devenu très vite le fil directeur de l’album, que ce soit au niveau de la musique ou des textes. Musicalement, on a mis dans la composition et production tout ce qui nous plaît et qui fait notre identité, sans trop nous soucier des cases, des genres, des codes imposés. S’agissant des textes, chaque morceau a été écrit comme un court-métrage, racontant une histoire, avec le parcours d’un protagoniste à la recherche de sa propre voie.
Le disque mêle les styles tout en restant cohérent. Comment as-tu réussi à garder une cohérence ?
Au-delà de la prod et du chant qui créent tout de suite une identité, la cohérence vient à mon sens du fait qu’on a cherché à créer des contrastes, de la dualité. L’album est très mélodique, parfois éthéré, aérien et en même temps très explosif notamment côté guitare et batteries. Avec cette approche, l’album tient une vraie impression d’ensemble, sans que l’expérimentation viennent la troubler. “Vendredi noir” est un bon exemple, avec ces parties rappées avec un “triplet flow” typique de la culture hip-hop et assez loin des code metal. Mais ça reste toujours à la fois très mélodique et très explosif sur les refrains. Pour chaque morceau on a essayé de trouver l’équilibre parfait.
Pourquoi avoir choisi Anthony Chognard en tant que guitariste ? Est-ce que c’est pour sortir du metal symphonique lisse et apporter plus de puissance ?
Oui, tout à fait. Dans le metal symphonique, j’ai parfois l’impression d’entendre toujours un peu la même chose, un son souvent ancré dans la culture Heavy Metal des années 80. Je ne me suis jamais reconnue là dedans alors j’ai fait appel à quelqu'un de très éloigné de ce type de son et de composition. Anthony est plutôt influencé par le nu-metal de la fin des années 90 et par des groupes de metal alternatif comme
Architects,
Periphery ou
Bring Me The Horizon, ce qui est beaucoup plus en phase avec ce vers quoi je voulais amener
ELYOSE.
Justement, la puissance des guitares surprend. Est-ce que c’est un moyen de sortir de ta zone de confort ?
Non, c’est justement dans ce style que je trouve ma zone de confort ! J’ai toujours écouté des styles de metal variés, allant du plus éthéré au plus extrême. Pour
ELYOSE j’avais toujours aspiré à quelque chose de plus agressif, mais n’en avais pas eu la possibilité avec l’ancien
line-up. C’est quasiment un retour aux sources pour moi !
As-tu laissé carte-blanche à Anthony pour intensifier la puissance et tu t’es concentrée sur la sensualité et les mélodies ?
Nous avons travaillé main dans la main à toutes les étapes de la production et de la composition, et la direction artistique a été claire depuis le début. Je souhaitais vraiment aller vers un son plus "dans ta face", et ça n’a pas été un problème pour Anthony, puisque j’ai souhaité travailler avec lui justement pour cela. Sur les mélodies aussi, ça a été un travail collaboratif, nous sommes 3 compositeurs sur cet album (avec Jean-Baptiste), chaque morceau est le fruit de nos échanges.
Les paroles du disque sont comme des poèmes.
Est-ce que cette poésie sombre et romantique est le cœur d’Elyose, comme le contraste entre la brutalité des guitares et la douceur relative des mots ?
On doit beaucoup des textes à Jean-Baptiste qui est un
songwriter pur-jus et qui a complètement intégré l’univers d'
Elyose. Quand on fait le choix de chanter en français, on a pas envie de se contenter de recycler les lieux communs et on a voulu offrir des textes très travaillés et très en adéquation avec la musique. On s’est donc autorisé à aborder des thèmes plus pointus, comme la politique-spectacle dans 'L’Assemblée', le consumérisme dans 'Vendredi noir', la schizophrénie dans 'De la Lune à la Terre', le féminisme dans 'Le glaive', l’aliénation
corporate dans 'Ils t’ont dit' etc. mais toujours en racontant une histoire et de manière aussi littéraire et musicale que possible.
Est-ce que l’écriture en français est naturelle ou un défi pour toi ?
Ça reste un défi à titre personnel, car je suis très exigeante et je suis avant tout musicienne. Même si je signe quelques textes et que je reste à la direction artistique, j’ai encore du mal à les assumer, même si les autres m’y encouragent. Et puis, j’ai la chance d’avoir une plume de talent à mes côtés, je serais folle de m’en priver !
'Vendredi Noir' porte un message presque anticonsumériste. Quel est ton sentiment face à notre société de consommation ?
Tout est dit dans le morceau et dans le clip, où je joue à la fois le rôle du consommateur dans les galeries et le gardien de la conscience dans la salle de vidéo-surveillance. Je pense que la plupart des gens sont conscients que nous vivons dans un monde trop matérialiste, trop fasciné par les objets et qu’ils aimeraient s’en détacher. Et en même temps, nous continuons à prendre du plaisir à s’acheter de jolies choses, quand on peut. Il n’y a pas réellement de jugement, mais simplement un constat sur ce grand paradoxe de la société de consommation. Mais dans tout le cas, il y a un appel à trouver sa propre voie "déviante", à trouver ses propres schémas.
Tu sembles désabusée, déçue sur ‘Retour Au Réel’. Est-ce que ce titre est une marque d’engagement ou est-ce simplement la trace d’un instant ?
Le climat sombre du morceau vient du tableau post-apocalyptique qu’il dépeint, avec une référence totalement assumée à l’univers de
Matrix et de
Blade Runner. D’où une vision assez noire du monde… Mais il s’agit du monde en l’an 2123. C’est surtout un appel à l’union et à sortir d’un cadre oppressif pour reconstruire.
Le chanson 'L’Assemblée' est mystérieuse et presque inquiétante. Quelle est la signification de cette chanson ? Pourquoi était-il nécessaire d’ajouter du chant saturé ?
Elle n’est pas si mystérieuse une fois qu’on rajoute "Nationale" à l’Assemblée ! Ce titre raconte la vie tortueuse d’un homme politique, pris dans la tenaille des compromis, de ses ambitions personnelles, de la politique-spectacle, de ses responsabilités, de la corruption, de la démocratie de façade. C’est au final un message d’alerte crié par le peuple, ce qui appelait forcément à faire entendre une voix ayant de plus en plus de mal à se maîtriser.
“Déviante” est assez court.
Est-ce que ta musique a besoin d’être percutante, sans trop de digressions, pour aller à l’essentiel ?
C’est la prix d’un album sans aucun
filler ! De mon point de vue tous les titres sont forts et pourraient être des singles !
Mais même avec cette impression d’aller à l’essentiel, on sent une envie de faire de la musique progressive (changements de rythmes, d’ambiances...)
Est-ce que ce disque est un album progressif ?
Tout dépend ce qu’on entend par "progressif". Pas tant que ça, dans le sens où les structures restent classiques et plutôt les mêmes au sein de l’album. Nous ne sortons pas tellement des sentiers battus au niveau de la longueur des morceaux non plus. Pas de démonstrations techniques non plus, même si Anthony peut avoir un jeu de guitare très élaboré, il n’en surjoue pas et a su amener des ambiances plus atmosphériques sur les morceaux comme 'Déviante' ou 'De la lune à la terre' par exemple. En revanche, c'est vrai qu'il y a une volonté d’expérimentation sur les textures sonores et sur les conjonctions de styles.
Tu as fait un grand pas en avant avec ce disque alors que l’EP “Persona” était presque timide. Est-ce que tu as trouvé ta voie avec “Déviante” ?
Je considère plutôt
“Persona” comme un prélude à “Déviante”. Après être passée en solo, j’étais attendue au tournant et j’ai eu envie de m’exprimer assez vite, sans pour autant faire aucun compromis sur la qualité des morceaux, d’où le format court. Pour “Déviante” les choses s’étant bien installées avec mon équipe, on avait l’expérience et le temps de travailler à une sortie plus sereine.
On a le sentiment qu’en “solo” on découvre mieux ta personnalité musicale. Est-ce que c’est comme cela que tu as vécu cette aventure ?
Oui, tout à fait. J’avais accumulé une certaine frustration et me sentais un peu dans un carcan d’abord artistiquement, comme évoqué précédemment, mais surtout par rapport à mon engagement de vie pour la musique. Je n’ai jamais voulu faire ça en dilettante et aujourd'hui j’ai la possibilité d’en vivre et de m’exprimer pleinement.
Est-ce qu’il va y avoir une tournée ? Quelles sont les prochaines étapes pour toi et pour Elyose ?
En ce qui concerne le live, malheureusement ça n’est pas prévu parce qu’
ELYOSE est à présent un duo et la richesse de la musique de nous permet pas de la restituer sur scène à seulement 2 musiciens. Il faudrait embaucher une équipe spécialement pour ça, ce qui serait très onéreux, sans parler des autres coûts de production, de voyage, de matériel et même de devoir payer pour jouer en plus de tout ça dans la majorité des cas. C'est ce que l'on appelle le
pay to play et qui est de plus en plus répandu de nos jours, dans les festivals notamment. Donc non,
ELYOSE est plutôt devenu un projet studio à cause de toutes ces raisons évoquées. En revanche, le prochain album d’
ELYOSE est déjà en cours d’écriture et je vais me consacrer ensuite à l’enregistrement du deuxième album de mon autre groupe
The Erinyes.
Un dernier mot pour les lecteurs de Music Waves.
Je vous invite à découvrir
ELYOSE en vous rendant sur notre site
www.elyosemusic.com, c’est la meilleure introduction à notre univers si vous ne nous connaissez pas, et vous pourrez même repartir avec des morceaux gratuits !