Même s'il n'a rien d'un nouveau venu sur la scène metal hexagonale, Stormhaven risque fort de réellement faire parler de lui avec son quatrième album "Blindsight". Music Waves a rencontré son guitariste fondateur Zachary Nadal pour une interview sincère d'un musicien en proie aux doutes mais qui se donne réellement les moyens pour ne pas avoir de regrets, et que son bébé -Stormhaven- passe un cap, un cap qu'il mérite amplement de franchir à l'écoute de "Blindsight"...
Quelle est la question qu’on t'a trop souvent posée et à laquelle tu aurais marre de répondre ?
Zach : Pourrais-tu présenter le
groupe ?
Et on ne te la posera pas… En
revanche, l’actualité
de Stormhaven est la sortie de “Blindsight”. Après “Liquid Imagery”, Quentin
Geniez et Régis Royer sont partis alors que “Liquid Imagery” avait reçu de
bonnes critiques. On sait que la vie d’un groupe est faite de changements mais
pourquoi ces deux ex-membres sont partis malgré cette reconnaissance ?
Malheureusement, ce qui justifie le départ, ce sont leurs vies professionnelles.
On aurait aimé les garder bien évidemment mais Quentin -le batteur- a trouvé un
job vers Rodez et pour répéter quand on habite à deux heures, c’est compliqué
surtout en tant que groupe amateur. C’était un peu la même chose pour Régis qui
avait fait une formation à Paris et qui ne savait pas trop pour la suite de sa vie…
ça devenait compliqué !
Les nouveaux membres viennent d’un
univers heavy mélodique… Ces arrivées avaient-elles vocation de rafraîchir vos
compositions ?
Leur arrivée permet d’avoir une autre
vision. Ça peut paraître bateau de le dire, mais l’aspect humain n’est pas tout
à fait pareil : on apprend à travail avec d’autres musiciens, d’autres personnes…
Il y a du plus, du moins par rapport à avant mais c’est vrai que je suis content
qu’ils viennent d’un univers plus mélodique…
Je ne pense pas qu’on prenne le virage comme Opeth a pu le prendre
depuis quelques albums
Est-ce que c’était une volonté de
faire une musique plus mélodique ?
Je ne pense pas qu’on prenne le virage comme Opeth a pu le prendre
depuis quelques albums… mais un virage
un peu plus mélodique… Mais c’est dur à dire parce que si j’ai mis plus de
mélodies sur cet album, on a également été plus brutal à la fois…
Peut-on dire que cet album est plus
dans les extrêmes que jamais ?
Ouais !
Vous avez également travaillé aux studios Fredman de Fredrik Nordström. Avez-vous
fait ce choix pour passer un cap ?
Notre travail avec lui a été
relativement limité dans le sens où on n’est pas allés sur place. On a géré l’enregistrement
des instruments nous-mêmes avec l’aide de techniciens toulousains et ensuite,
on lui a envoyé les pistes avec quelques indications… On lui a balancé énormément
d’informations mais c’est lui qui a façonné l’album comme il l’entendait ce qui
d’ailleurs nous allait très, très bien et c’est la raison pour laquelle on
voulait bosser avec lui : on lui faisait confiance !
Concrètement, sur quels éléments on
peut se dire que c’est la patte de Fredrik Nordström ?
Vu que je suis guitariste, le son
des guitares ! Jusque-là, je n’étais pas mécontent de mon son de guitare
mais ce n’était pas le 10/10 et en écoutant le résultat actuel, je me dis que
nous n’avions pas ça auparavant.
Pareil pour le son de la batterie…
C’est clairement ce qui fait la différence
avec les productions passées -qui étaient bien- mais quand on vise un des
meilleurs, on comprend et on voit la différence…
Avant de parler musique, la première chose qu’on voit, c’est le visuel. Quel
est le sens de la pochette et de cet homme au milieu de l’univers ? Sommes-nous
minuscules face à l’univers, “rien de plus que d'éphémères incidents” comme
disait HP Lovecraft ?
Cet album est un concept dans lequel on suit un personnage à travers les chansons.
Il y a différents éléments qui sont représentés dans l’album dans le sens où "Blindsight"
parle de ce personnage qui perd la vue mais développe quelques pouvoirs mystiques
par la suite. On suit son cheminement et les rencontres qu’il faites… Je trouve que cette pochette
représente plutôt bien ce voyage où il est à la fois perdu et où il traverse beaucoup
de paysages différents…
Comme la plupart des musiciens, je suis en recherche de quelque chose.
Doit-on faire un parallèle entre ce
concept et notre société ou votre vécu à savoir qu’on est dans un monde, une
société où on avance un peu à l’aveugle ?
A la base, ce n’était pas
spécialement censé être un reflet de la société, mais peut-être un reflet de
moi-même… à savoir que je pense que comme la plupart des musiciens, je suis en recherche de quelque chose.
Finalement, j’ai encore du mal à mettre des mots là-dessus : même si
je raconte une histoire, j’ai l’impression de tourner autour du pot…
A ce titre, album concept avec une vraie cohérence entre les chansons. Est-ce
qu’il est facile et satisfaisant pour ton ego de privilégier une grande
cohérence au profit de démonstrations ?
Je pense que c’est un choix que j’ai
fait en montant Stormhaven, tout simplement, j’étais très pragmatique dans le
sens où je n’aurais pas le temps de tout faire dans une seule vie de mener à
bien un groupe qui était déjà énormément de boulot… Dans le fond et comme
beaucoup de guitaristes, j’aurais aimé être le prochain Van Halen mais finalement,
écrire un morceau qui a du sens pèse un peu plus lourd dans la balance. Et c’est
ce qui marque les gens et ce qui me marque aussi plus que le travail sur l’instrument.
Il faut bien évidemment trouver un
équilibre entre tout ça mais c’est vrai que le gros du boulot est d’essayer de
composer des choses qui j’espère ont du sens sur un album et par rapport au projet
en lui-même…
"Blindsight" est donc un album concept qui développe des thèmes
presque philosophiques, introspectifs et métaphysiques. Etait-ce également une
volonté de gommer l'image violente du death en apportant votre profondeur ?
Musicalement, j’adore le death, une
bonne musique rentre-dedans qui te prend au bide : oui, ça me parle !
Mais pour le cliché, aborder des thématiques à la Cannibal Corpse, ce n’est pas
trop le délire ! Le mien, c’est plutôt l’introspection, réflexion par rapport
aux choses… c’est peut-être ça qui m’a fait pencher pour ce style qui permet
cette liberté…
Comme l’as très vite abordé
finalement, tu es plus Opeth que Cannibal Corpse. Mais encore faut-il de faire
en sorte que l’ensemble cohérent. Comment arrivez-vous à faire en sorte que vos
morceaux restent fluides et cohérents ?
Même si on est fans de prog, il y a
beaucoup de choses qui nous parlent et d’autres non… Quand on me parle de prog,
il faut que ce soit une chanson et pas une démonstration de technique même si
moi, le premier, j’aime jouer des trucs techniques -si j’arrive à les jouer- et
j’essaie de mettre dans ce saladier, un peu toutes mes influences qu’elles
soient blues, folk, rock, rock prog, death… et on voit ce qui sort !
Tu évoques le côté technique, ce qui fait penser au titre qui ouvre l’album ‘Fracture’ avec son clavier très
technique à la Dream Theater…
Tout à fait !
… permettant de ne pas cantonner Stormhaven
à un clone d’Opeth, mieux, on aurait envie de dire que Stormhaven est la
passerelle entre Opeth justement et Dream Theater…
Je ne l’avais pas spécialement vécu
comme ça mais après réflexion, c’est évident, il n’y a pas meilleure manière c’est-à-dire
pas vraiment un prog moderne et plutôt un prog tel que j’aimerais en entendre
plus…
On arrive peut-être
vingt ans trop tard mais c’est comme ça !
Tu résumes parfaitement votre situation
mais justement bien que "Blindsight" soit d’excellente facture, Stormhaven
n’arrive-t-il pas avec vingt de retard ?
C’est peut-être con de le dire mais
c’est comme ça ! On n’est pas dans l’optique de suivre tel ou tel style.
Bizarrement ou pas, je ne suis pas spécialement fan du prog moderne. Le djent
par exemple ne me parle pas du tout !
Du coup, c’est vrai qu’il se trouve
donc qu’on arrive peut-être
vingt ans trop tard mais c’est comme ça !
Mais justement, en 2023, est-il possible
d’apprécier votre musique profonde et complexe, dans une société guidée par le
plaisir instantané ?
C’est compliqué ! Sans parler
du dernier morceau (NdStruck : de 24 minutes), on est en moyenne entre six
et huit minutes, dans certain milieu, c’est quasi-impensable ! Mais ça représente notre état d’esprit !
C’est comme ça que j’aimerais écouter des albums de groupes qui prendraient le
temps de développer leur musique et leurs idées…
On essaie de faire au mieux en
suivant nos Dieux et de produire quelque chose d’à peu près cohérent
Faire du progressif notamment en France
n’est pas courant mais comment expliques-tu que les régions Garonne- Haute Garonne
soient un peu les fers de lance de cette niche en France avec vous dans la
catégorie death prog à la manière d’un Opeth et Altesia dans la catégorie metal
prog à la Haken ?
On joue justement avec Altesia
vendredi à l’Usine à Musique à Toulouse pour notre release…
Mais comment j’explique ça ?
Je ne sais pas trop dire parce qu’effectivement, les groupes de prog, ce n’est
pas si courant mais c’est selon les sensibilités de chacun… Dans le style, on est face à des
espèces de monstres comme Dream Theater et on essaie de faire au mieux comme
Haken finalement qui sont également des monstres techniques… On essaie de faire au mieux en
suivant nos Dieux et de produire quelque chose d’à peu près cohérent
tout simplement (Sourire) !
On a souvent évoqué Opeth depuis le
début de cet entretien mais finalement, comme ton discours l’indique, ce disque
sonne plus comme un disque de metal progressif général que comme un disque de
death progressif -il y a peu de dissonances, de blasts…-. Est-ce que vous
vouliez sortir d’un carcan death et montrer que vous étiez un groupe de
progressif avant tout ?
Avant toute chose, on a essayé de
mettre le prog en numéro un, on adore nos fondamentaux prog que sont Dream
Theater ou même Iron Maiden sous certains aspects… C’est plus cette démarche
qui nous guide que le death dissonant… même si dans ce dernier, c’est plus ce
que le chant guttural peut exprimer qui nous guide ou le côté rentre-dedans qu’on
a peut-être du mal à retrouver dans des certains groupes comme Haken qui à mon
goût, manque un peu d’un petit poing dans la figure de temps en temps…
Si on pousse la comparaison plus loin, ce disque m’a rappelé les disques de
metal progressif allemands on pense notamment à "The End Of Light"
de Dreamscape. A savoir un progressif clair, optimiste sans le côté sombre et
morbide du death. Est-ce que vous vouliez faire passer comme sentiment : une
élévation plus qu’un abaissement ?
De manière générale, oui ! C’est
un album introspectif, j’ai l’impression d’une quête du moins c’est ainsi que je
le ressens… Pour la caricature, l’objectif n’est
pas déprimant…
… contrairement à Opeth qui pouvait
l’être par moment…
Avec une vraie influence black qu’on
n’a pas vraiment !
Certains passages de ‘Salvation’ font penser à du Ayreon et plus précisément “The
Electric Castle”…
Tout à fait !
… Est-ce que comme Arjen Lucassen, vous
voulez faire se rencontrer des styles soi-disant incompatibles ? En d’autres
termes, est-ce un défi que vous vous êtes lancés ?
C’est une bonne question… Je dirais
que nous nous sommes posés moins de questions que ça ! On compose le morceau, on
rebondit sur pleins de riffs et on arrive avec une ébauche de morceau… et on se
pose la question de savoir si on le garde ou pas…
Comme la plupart des groupes, on
compose et il arrive qu’on se rende compte qu’on a composé quasiment le même
morceau qu’un autre groupe… Et dans le cas précis, ‘Salvation’ est un très bon
exemple. Je suis tombé sur un morceau de Dream Theater et en écoutant le refrain
de ‘These Walls’, je me suis dit que j’avais quand même piqué pas mal d’idées
sans que ce soit conscient mais tant pis, c’était composé…
Et t’est-il arrivé de ne pas garder
un passage / un morceau pour ressemblance trop flagrante ?
‘Blindsight’ c’est presque l’essai
2.0 pour l’album c’est-à-dire que j’aime bien composer et donc directement
après "Liquid Imagery", j’avais presque un album de prêt mais
on m’a fait comprendre que ce n’était pas top… On est donc reparti de zéro…
Et je pense que cela a dû se passer
peu de temps avant la pandémie, est-ce que cette dernière et les confinements successifs
t’ont permis de mieux vivre cette situation pour recomposer tranquillement
puisque tu n’avais que ça à faire ?
Je n’avais pas la pression de faire
autre chose et je pouvais me concentrer sur la composition, dans l’exploration…
Et qui t’a fait comprendre que ce n’était
pas top ? Les autres membres du groupe ?
Oui…
Et notamment certains qui ont
quitté le groupe depuis ?
C’était plutôt avec Régis qui a quitté
le groupe depuis avec qui j’avais trouvé cet équilibre tout du long de ces
quatre albums. Grosso modo, je pondais un morceau et il avait ce retour sans
filtre…
Une relation super-constructive
en soi, mais comment vas-tu faire à l’avenir vu qu'il est parti ?
Ça reste à découvrir… J’ose espérer
après quatre albums que j’arriverai peut-être à mieux me gérer mais je ne
doute pas que les autres membres ne me fassent pas de retours constructifs malgré
tout… On n’en est pas encore à cette étape : à suivre !
On arrive au titre conclusif, ‘Dominion’ de 24 minutes. Comment avez-vous
réussi à maintenir l’intensité ? Est-ce que cela passe par son refrain entêtant
et des mélodies fortes ?
Il y a clairement trois parties
dans ‘Dominion’ et de mon point de vue, je vois trois morceaux à la suite de
huit minutes qui font les vingt-quatre… On aurait pu le découper en trois…
Ce qui aurait pu faire très
progressif à la manière d’un Dream Theater…
Je l’ai fait au niveau des paroles
et on s’est permis de faire ça à la fin de l’album parce qu’on a tous en tête
Dream Theater, Symphony X qui nous proposent leur masterpiece à
la fin de l’album.
On a beaucoup parlé de progressif
tout le long de cette interview et on arrive à la question bateau… qu’est-ce
que le progressif selon toi ?
Tout est relatif. Tel que je le vois,
le terme progressif est plus narratif c’est-à-dire on suit une histoire. C’est
ainsi que je le décrirais que ce soit du rock progressif au metal progressif
tel que je l’aime. On suit un cheminement mais pour suivre une histoire, il
faut prendre le temps.
Mais on revient à la question
précédente à savoir notre société de consommation actuelle laisse le temps à
des groupes de Stormhaven d’être visible ?
Je pense que dans le milieu du
metal, on a cette chance d’avoir des gens qui ont une capacité de concentration
pour la musique qui est encore très respectable. Pour en avoir
discuté avec d’autres gens qui écoutent d’autres styles de musique, le fait même
d’écouter un album ne leur vient même pas à l’esprit.
Mais je suis d’accord avec toi, on
n’a pas forcément la formule du succès mais comme je te l’ai dit, je fais la
musique comme j’aimerais l’entendre plus souvent…
On a encore évoqué le départ de
Régis Royer, désormais tu es le seul guitariste comment allez-vous adapter vos
morceaux complexes sur la scène ? Allez-vous appeler du renfort ou comme d’autres
mettre des samples ?
Sauf les premiers mois du groupe, j’ai
toujours été le seul guitariste de Stormhaven, ça n’empêche pas que j’en mets des
tonnes et des tonnes dans les albums. Mais en live, j’accepte qu’il
y ait une petite perte d’information.
Il y a certains trucs que je vais
peut-être sampler mais j’aime bien l’aspect brut : même si
tu n’as pas tout, si c’est à peu près bien fait et qu’il y a l’énergie, ça me
va…
Et finalement, quelles sont tes
attentes pour cet album ?
(Silence) Je pense que tu m’as
eu parce que je ne vois pas…
J’ai toujours lutté entre le fait de douter de ma
musique et d’assumer de la défendre
… Je pose cette question qui a
d’autant plus de sens dans votre cas parce que dans le cas présent, vous vous
donnez les moyens : vous avez collaboré avec Fredrik Nordström, vous
organisez cette journée promotionnelle au Hard Rock Café de Paris… Si vous avez
ces efforts (voire sacrifices), c’est que quelque part, vous avez des attentes ?
C’est une très, très bonne
question… Evidemment, on attend d’être plus connus, plus visibles qui est le
terme le plus approprié… Je me rends compte qu’il y a beaucoup de gens qui
aiment ce style mais vu qu’on n’était pas visibles jusque là, on est passé totalement
à côté avec les trois premiers albums. Finalement, j’ai toujours lutté entre le fait de douter de ma
musique et d’assumer de la défendre : il y a toujours un équilibre
à trouver, pour moi en tous cas…
Je ne préfère pas me donner d’objectif
concret mais j’ai envie de me donner une chance d’aller à fond et être plus
diffusé, d’avoir plus de chance de jouer…
En un mot, tu te donnes les moyens
pour ne pas avoir de regrets…
Oui, et peut-être nous
aurions dû le faire avant…
Dans ces conditions, peut-on
dire que "Blindsight" ouvre un nouveau chapitre de la vie de Stormhaven
voire marque le réel départ du groupe ?
Exactement : ne pas avoir
de regret !
On a commencé par la question
qu’on t’a trop souvent posée au contraire quelle est celle que tu souhaiterais
que je te pose ou à laquelle tu rêverais de répondre ?
Pffftttt….
Comme tu as l’air de sécher,
je te propose d’y réfléchir et lors de la promotion du prochain album, nous commencerons
notre interview par cette question et ta réponse…
Ça me va !
Merci…
Merci à toi !
Merci à ThibautK pour sa contribution...