Plutôt que d'évoquer tout ce qui nous sépare, nous avons longuement parlé musique avec cette talentueuse artiste caméléon -chanteuse, comédienne et écrivaine- qui abordera également son passé couronné de succès, son actualité bien sûr avec son neuvième album "Sur les Cendres Danser" mais également le futur et notamment celui proche, le 12 décembre pour un concert au Café de la Danse... Rencontre avec une attachante artiste passionnée et sans concession...
Quelle est la question qu’on t’a trop souvent posée et à laquelle tu aurais marre de répondre ?
Jil Caplan : "Pourquoi Jil Caplan ?" (Rires) (NdStruck : née Valentine
Guillen-Viale prend le pseudonyme de Jil Caplan en référence à George
Kaplan, personnage du film d'Alfred Hitchcock "La mort aux trousses") ou
alors "C’est votre retour, qu’avez-vous fait pendant tout ce
temps ?", ce n’est pas une question : c’est juste quelqu’un qui ne fait
pas son boulot… mais je sais que toi, ce ne va pas être ça (Sourire)…
Tu t’avances justement, à propos de question récurrente, comment
vis-tu le fait de voir ta carrière résumée à tes titres ‘Tout ce qui
nous sépare’ et ‘Natalie Wood’ qui ont eu un très fort succès aux débuts
des années 90 alors que tu as sorti des albums plus audacieux par la
suite dont l’excellent "Avant qu’il ne soit trop tard" presque
expérimental avec notamment le titre ‘La grande malle' séparé en trois
parties comme un peu le style rock progressif à la Genesis ?
Oh, j’aime bien le rock prog mais Genesis, ce n’est pas vraiment trop
mon truc… Mais c’est vrai que la démarche pouvait s’y apparenter…
Alors première question, comment je vis cela ? Je n’ai pas trop le
choix : je suis bien obligée de le vivre. Ça m’énerve parfois mais en
même temps, je me dis qu’il y en a tellement qui n’ont aucun repère de
succès dans le temps que je ne peux absolument pas me plaindre.
C’est autant une malédiction qu’une bénédiction finalement ?
Exactement ! C’est une bénédiction parce que c’est une certaine chance,
bien sûr. Malédiction, les mots sont un peu forts mais ça cache le
reste.
C’est vrai qu’à l’époque, je passais tous les jours à la télé dans
des émissions que je ne connaissais absolument pas parce que je n’avais
pas la télé moi-même : quand on y pense, c’est complétement dingue,
quand on se retrouve à l’Académie des 9, ça fait tout drôle (Rires) !
C’est comme ça mais heureusement, j’ai fait pleins d’autres disques
après. Je me suis toujours amusée mais le grand changement est intervenu
dans les années 2000 où tout a changé : j’ai quitté Sony qui était un
gros label et je me suis mise à faire des disques un peu plus
indépendants comme "Toute crue" avec le chanteur des Innocents, J.P.
Nataf…
Et toujours concernant cette célébrité subite, comment as-tu vécu toute
cette reconnaissance intervenue rapidement avec notamment la
reconnaissance publique et critique avec une victoire de la musique du
meilleur espoir ?
Tu es obligée de le prendre en pleine poire parce que c’est quand même
un peu bizarre ! Il faut quand même remettre ça dans le contexte : j’ai
21 ans -ce qui est relativement jeune- et ce n’est pas du tout la même
époque qu’aujourd’hui, je n’ai pas la télé et j’habite une chambre de
bonne de 9 m²… Donc quand on me reconnaît dans la rue, quand je prends
le métro… je vis sur Mars !
Un vrai décalage entre ta vie médiatique et celle privée…
Complément ! Un décalage énorme…
On avait ce culte du single, du hit !
Mais concrètement comment as-tu vécu la période moins exposée qui a suivi ? Avais-tu une pression d’écrire un tube ?
Je n’avais pas trop de pression mais quand on était plus jeunes, avec
mes potes Les Innocents, on avait ce culte du single, du hit !
On écoutait énormément la radio et passer à la radio et être classé au
hit-parade, c’était un truc de dingue ! Notre amour de la musique vient
de notre enfance, de l’objet single qu’on achetait au supermarché :
‘Instant Karma !’ de John Lennon, ‘Master Blaster’ de Stevie Wonder…
c’était de la super musique et quand c’est ton tour, tu te dis que c’est
génial : tu vis un rêve éveillé !
Mais cette volonté de faire un hit à tout prix a quand même dû être source de pression ?
Ça n’a jamais été une pression mais on a toujours voulu faire la chanson
qui tue… Bien évidemment, tu vas en faire d’autres dans l’album. Et
c’est encore le cas aujourd’hui ! Tu sais que quand j’ai fait cet album
avec Emilie (NdStruck : Emilie Marsh), je me dis qu’il faut un riff, un
truc catchy…
Et concrètement dans ce nouvel album "Sur les Cendres Danser" qui nous réunit aujourd’hui, quel serait cette chanson qui
tue ?
Je dirais ‘Animal animal’…
C’est amusant parce que c’est celui que j’avais en tête avec son côté The Cure notamment…
Bravo, parce que c’était effectivement un peu notre référence de base et
notamment ‘A Forest’ extrait de "Seventeen Seconds" qui est mon album
fétiche des Cure. Il y a certainement aussi du Joy Division dans les
parages mais moins, il y a un côté plus cold, plus dark alors
que The Cure, il y a toujours ce truc très pop mais en même temps, très
sombre…
Il y a toujours des références, des phares. Sur ‘Virginia’, par exemple,
c’est Ralph McTell qui est un folkeux qu’adorait le père d’Emilie et
sur le pont, je voulais faire un truc à la ‘Grace’ de Jeff Buckley que
j’adore : un pont long avec une espèce de tumultes…
Ton début de carrière est le fruit d’une rencontre artistique
avec Jay Alanski -qui a collaboré avec d’autres artistes tels que
Plastic Bertrand, Louis Bertignac…
Et Lio ! C’est quand même lui qui a composé ‘Banana split’ !
… Est-ce que cette rencontre a été déterminante pour la suite et sans
elle tu n’aurais pas franchie le cap de devenir chanteuse ?
Ah non, pas du tout ! C’est clairement notre rencontre qui a été déterminante !
Quand on s’est rencontrés, il produisait le premier single des
Innocents ‘Jodie’. Ils étaient en studio et je n’arrêtais pas de lui
poser des questions : "Pourquoi tu mets du delay ?", "Pourquoi tu
mets une boîte à rythmes et de la batterie ?"… Et à la fin, il m’a dit
qu’il avait une chanson qui m’irait bien ! J’ai accepté sous la seule
condition que ce ne devait pas être une chanson que Lio lui avait
refusée parce que je ne prends pas les rebuts des autres (Rires) ! Et
c’est parti ainsi… Ça a été une rencontre qui a changé ma vie à plus
d’un titre évidemment parce que c’est un super compositeur et que je
suis chanteuse et aussi parce que c’est une personne qui est extrêmement
cultivée qui avait à l’époque environ plus de 10.000 vinyles…
… des quoi ?
(Rires) Tu rigoles ? Ça revient, mon album va sortir en vinyle : je suis
trop contente ! La Fnac m’a commandé une édition spéciale bleu ciel…
Et pour en revenir à Jay Alanski, c’est grâce à lui que j’ai connu Todd
Rundgren, Nick Drake… il m’a vraiment initié non seulement musicalement
mais également en termes de littérature, de cinéma, de visions
artistiques… C’est quelqu’un d’hyper intransigeant qui adore le tube
aussi : on était une famille !
Travailler en duo, c’est toujours plus intéressant que travailler seul !
On a l’impression qu’à l’époque, beaucoup de "couples" se sont
créés ainsi : Niagara mais aussi quelques pygmalions compositeurs tels que
Romano Musumarra avec Jeanne Mas ou Elsa, on avait l’exemple de
Gainsbourg France Gall plus tôt, mais aussi à l’international avec
Stock, Aitken et Waterman (Bananarama, Kily Minogue…). Beaucoup de
collaborations chanteuse-compositeur, chose qui semble s’être estompée de nos
jours avec de plus en plus d’interprètes et compositrices. Comment
expliques-tu cette évolution ?
On était dans un monde certainement plus macho qu’aujourd’hui ,même si on
l’est toujours bien… C’est en train un petit peu de changer, chez les
jeunes surtout…
Disons que dans le couple, il y avait le côté : la fille, sex-symbol
et le mec, éminence grise… Genre Niagara, c’était Daniel (NdStruck :
Daniel Chenevez) qui faisait tout, qui était le mec en costard qui
faisait la musique et Muriel (NdStruck : Muriel Moreno) qui faisait
Barbarella en bottes cuissardes…
Malgré tout, je pense que travailler en duo, c’est toujours plus intéressant que travailler seul !
Ce que tu continues de faire encore aujourd’hui…
Exactement, et je n’ai jamais cessé de le faire : avec J.P. puis
Jean-Chri (NdStruck : Jean-Christophe Urbain) des Innocents, avec Jay…
J’ai toujours travaillé en binôme parce 1+1, ça créé une troisième
chose, quelque chose de nouveau qui n’aurait pas existé autrement et qui
est hyper intéressante !
Avec Emilie, nos idées s’additionnent, se transforment, chacune rebondit sur les idées de l’autre pour faire cet album…
Ce nouvel album justement s’intitule "Sur les Cendres Danser" qui sort
le 15 septembre. Un album qui s’oriente vers un style plutôt rock après
avoir exploré des styles comme la pop française, le jazz. Te considères
tu comme un caméléon musical ?
Certainement avec avant tout, un goût très, très prononcé pour le
rock même si c’est très restrictif ! Par exemple, Todd Rundgren encore
une fois, Joe Jackson, Elvis Costello pour moi : c’est du rock ! Tant
que ça reste de la musique avec cette énergie brute, pour moi, c’est du
rock ! C’est l’esprit ! Metallica même si c’est metal reste du rock ! Il
y a du pop rock comme The Strokes, Arctic Monkeys… Il y a du rock pop
comme The Smiths, The The… toute cette scène rock pop des années 1990
que j’adore et qui reste du rock. Et puis The Pretenders, Patti Smith
qui est du rock un peu plus "intello"… Mais par exemple le Velvet
Underground, quand Lou Reed fait "Transformer" et le morceau
‘Satellite of Love’, on ne peut pas dire que ce soit franchement du rock
en termes d’esthétique avec son piano, ses petites flûtes… pourtant, ça
l’est : on est complétement dans le rock ! Donc pour moi, c’est plus
une question d’attitude, de liberté, de choix, de s’emparer des choses
et de les affirmer avec force : on est clairement dans l’esprit du
rock !
Il a pourtant des limites à ça, tu as cité Metallica et Lou Reed dans la même réponse et on a en tête l’improbable "Lulu"…
Ah ? Je ne savais pas, je n’avais absolument pas entendu parler de ce
disque ! Comment c’est possible : je ne suis même pas au courant ! Tu
vois, je suis très curieuse d’écouter ça ! Mais en même temps, ça ne
m’étonne pas…
Un caméléon comme toi, finalement… D’ailleurs, toujours à ce
propos, tu es caméléon également dans tes activités : chanteuse mais
aussi comédienne, écrivaine. D’où te vient cette créativité débordante ?
Je ne sais pas (Rires) ! Ça ne me semble pas très compliqué à vrai dire…
C’est naturel pour toi…
Je ne sais pas si c’est naturel parce que quand on écrit un bouquin…
heureusement que c’était le confinement sans aucune porte de sortie…
… Toujours dans ta chambre de bonne ?
(Rires) Non mais merci, j’ai quand même grandi !
Donc quand on se met à travailler seule sur un bouquin, on a tout le
temps de foutre le camp -on a faim, on a soif, on regarde une merde à la
télé…- on cherche une porte de sortie mais à un moment donné, on sait
qu’il va falloir y aller : ce livre, il va falloir l’écrire et surtout
le finir (Sourire) ! On se met donc en cage et effectivement, pour ça,
le confinement, c’est génial parce que tout le monde est en cage : au
moins, on est tranquille !
A ce titre, t’étais-tu engagé vis-à-vis d’un éditeur ?
J’avais signé un contrat avant de l’écrire…
… d’où la pression…
(Rires) Mais le pitch de ce livre (NdStruck : "Le feu aux joues")
est bien : il concerne les albums qui ont marqué ma vie et il y a de
quoi dire !
On n’a pas tellement décidé, la musique a décidé pour nous !
Ton nouvel album est lui le fruit d’une rencontre avec Emilie
Marsh qui a été longtemps musicienne de Dani, comment s’est déroulé
cette rencontre et pourquoi cette volonté de travailler ensemble toi aux
textes et elle à la musique) ?
Ça s’est imposé ! On n’a pas tellement décidé, la musique a décidé pour
nous ! On se retrouve après un concert de Dani. Je l’adore, je la trouve
super, elle a un super son… On va boire des shots de vodka au bar
du Bataclan et on avait vraiment envie de travailler ensemble... Le
lendemain, je lui envoie un texte et même si j’avais eu trois musiques
sur ce texte, aucune ne me plaisait mais elle tombe pile-poil dans le
mille ! Et ça a continué comme ça ! C’est la musique s’est vraiment
imposée, ça coulait de source…
Le nom de cet album "Sur les Cendres Danser" ferait presque
penser à un album revendicatif au regard du contexte de la société
actuelle, c’était conscient ?
Non, pas du tout ! Pour moi, ce n’est pas sociétal mais il y a une
résonance, c’est certain, mais ce n’est pas une volonté de revendiquer
la poudrière de tous climats que ce soit social, ambiant… dans laquelle
on vit en ce moment : tout flambe !
Non, je parlais plus du feu de la passion qui consume et qui détruit
aussi et puis malgré tout, la force de vie : la joie de danser !
Peut-on voir alors dans ce titre, une référence à ‘Ashes to
Ashes’ de David Bowie, une source d’inspiration même inconsciente au
regard de tous les styles que tu as abordés dans ta carrière ?
Tu sais, l’inconscient est quelque chose de très puissant et sans que tu
en aies conscience justement, c’est ce qui te meut dans la vie. Donc
non, c’est tout à fait inconscient et je l’ai réalisé quand j’ai écrit
tous les remerciements…
Et puis pendant l’écriture de cet album, il y a deux énormes décès.
Celui de Dani, le 18 juillet dernier -il y a quasiment un an. Pour
Emilie, c’était épouvantable et pour moi aussi parce qu’on avait
commencé à lui écrire des chansons : je suis presque passée à côté,
j’aurais voulu mieux la connaître… Et ensuite, mon père est mort cet
hiver… Donc si tu veux "Sur les Cendres Danser", c’est ‘Ashes to
Ashes’ et c’est rigolo comme un titre peut résonner à pleins d’endroits
selon les circonstances, selon les gens…
Chacun l’interprète à sa manière…
Exactement, et c’est ce qui est super ! Au départ, pour moi, c’est une
énergie vitale qui devient beaucoup plus vraie, "Sur les Cendres Danser"…
En quoi les destins des actrices de cinéma est une source
d’inspiration pour toi ? On l’avait remarqué notamment avec Natalie Wood,
mais cet album fait écho à Marylin Monroe (‘Même Marylin’) ou Virginia
Wolf (‘Virginia’), en quoi leur destin est commun au tien, au nôtre ?
Elles sont toutes mortes tragiquement. Natalie Wood s’est noyée en
tombant d’un bateau, on se demande même si ce n’est pas un meurtre…
Virginia Wolf s’est suicidée : elle a quand même foutu des pierres dans
les poches de son manteau pour être sûre de couler : il faut quand même
avoir une sacrée volonté de mourir. Et puis Marylin Monroe s’est aussi
suicidée ou on l’a aidé à le faire… Ce sont des femmes mortes de mort
violente…
Mais pourquoi évoquer des destins si tragiques ?
Alors figure-toi que je ne m’en rends compte qu’a posteriori…
C’est-à-dire que sur le moment, je ne me rends absolument pas compte de
tout ça…
Rassure-nous, il n’y a pas de lien avec toi…
(Rires) Non, c’est une conjuration ! Et puis, je trouve que les destins
tragiques sont fascinants parce qu’ils sont souvent conjugués avec
quelque chose de très puissant, une très grande beauté, un très grand
talent : Marylin était et est encore quand même l’icône de plusieurs
générations, Virginia est l’icône du féminisme et Natalie Wood était
l’icône d’Hollywood à un moment donné, un modèle de beauté, de grâce…
Et en plus, ces femmes, Marylin notamment, n’était pas du tout la
ravissante idiote qu’on pense, c’était une femme qui a passé sa vie à se
développer, à faire de la psychanalyse, elle a monté sa boîte de
production pour être maître du choix de ses films, elle a pris des cours
de théâtre avec Lee Strasberg, elle s’est mariée avec Arthur Miller qui
était un écrivain intellectuel… Elle n’a eu de cesse de se développer…
Tu te projettes en elle dans cette volonté ?
Dans le contrôle et l’augmentation de soi, ce qui est quand même un but
dans la vie sinon on reste des béotiens toute notre vie ! J’ai toujours
cette volonté de chercher, de créer, de lire, de comprendre les choses,
d’aller gratter un peu plus loin…
Les parents appartiennent plus à leurs enfants que le contraire…
Tu évoques avec la douceur d’accords acoustiques l’amour maternel
dans ‘Daronne’. C’était important pour toi de partager cela dans cet
album ?
C’est l’amour maternel mais c’est le côté un peu triste de voir notre
enfant grandir et qu’on ne lui appartient plus… Je pense que les parents
appartiennent plus à leurs enfants que le contraire… Les enfants ne
nous appartiennent pas, on les met au monde mais on sait très bien
qu’ils vont vivre leur vie peut-être en Australie, à l’autre bout du
monde… mais on leur appartient parce qu’un enfant veut que ses parents
lui appartiennent et c’est beau cette appartenance ! Mais quand ils
grandissent, ils ne veulent plus qu’on leur appartienne : ils veulent
qu’on soit là de temps en temps mais régulièrement, non… Donc ce titre
est plus sur la tristesse de voir ses enfants grandir un peu vite et
qu’ils nous échappent…
Dans cet album, il y a une envie de mettre en avant les textes
avec une musique folk rock. C’était le but, de faire passer avant tout
les paroles dans un album qui semble être singulier voire important et
cathartique de te soulager de certains "poids" ?
Il y a toujours quelque chose que tu transformes… La chanson la plus cathartique pour moi est peut-être ‘Feu’…
… On va en parler par la suite…
(Sourire) mais disons qu’il n’y a pas tellement de chansons d’amour, il
n’y en a même pas dans les thèmes que j’aborde… Les thèmes sont la
solitude, le spleen existentiel, les destins tragiques comme ‘Virginia’,
la lassitude d’être malheureuse sur ‘Tu te Lasses’, le courage de se
sortir de son sale caractère … Je ne dirais pas que c’est philosophique
puisque le mot est trop grand mais il y a quand même une réflexion sur
tout ça… ‘Etre Heureux’ peut-être que ça n’existe pas : c’est quand même
un disque qui n’est pas très gai quand tu regardes bien !
Fais-tu partie de ces artistes qui considèrent qu’on compose mieux dans la douleur que dans le bonheur ?
Honnêtement, j’ai dépassé ça…
Je suis plutôt d’un naturel extrêmement mélancolique !
Même si tu conviendras que la mélancolie des albums composés dans la douleur touche plus l’auditeur…
C’est une énergie très puissante ! Moi qui suis pleine de joie dans la
vie et j’essaie de cultiver ça, je suis plutôt d’un naturel extrêmement
mélancolique ! Mais je pense que le mythe du clown triste ne vient pas
de nulle part : plus tu vas montrer une espèce de solarité, plus à
l’intérieur de toi, ça ne rigole pas trop !
J’ai l’impression d’être supra consciente de ma finitude, de mes
défauts, des choses que je pourrais vraiment améliorer, de mon
intelligence qui ne va pas assez loin et d’une énorme sensibilité aux
choses… et ça me rend très, très mélancolique ! Après, il y a des
épiphénomènes comme des séparations qui font que tu es pris dans une
espèce de maelström total mais ce n’est pas forcément à ce moment que tu
écris les meilleurs parce que c’est trop larmoyant : il faut en sortir
et digérer !
Mais je voulais dire que je suis sortie du côté "j’ai besoin de
souffrir pour écrire", je n’ai plus besoin de ça : ouf (Sourire) !
On revient au titre que tu évoquais tout à l’heure ‘Feu’ qui est
probablement le plus beau et qui repose lui sur des percussions
martiales et qui apparait un peu à part dans cet album, est-il là pour
faire le deuil de quelque chose ?
On ne fait jamais le deuil, il y a des étapes qui se franchissent et à
un moment donné, les choses ne font plus trop mal mais tu auras toujours
les stigmates à un endroit. Donc oui, ‘Feu’ est le feu de la passion,
le feu de l’amour qui brûle mais c’est aussi la mort : c’est un mot qui
dit à la fois la passion et à la fois la mort, et je trouvais que
c’était intéressant de jouer là-dessus !
Donc oui, c’est feu, mon amour, feu, ma flamme… C’est feu, dans le sens, morte ma flamme, mort, mon amour…
Malgré tout, selon nous cet album sonne de façon très sereine dans son ensemble…
Ah, cool, c’est chouette (Sourire) !
Je ne suis pas vraiment en paix...
… As-tu trouvé la paix si tant est que tu aies été en guerre contre certains démons ?
Je ne suis pas vraiment en paix (Sourire)... Le côté serein vient du
côté maîtrisé des textes, de la voix et des arrangements. On a réussi à
maîtriser quelque chose avec Emilie dans les arrangements, dans les
mélodies : on a beaucoup réfléchi et essayé de choses…
Justement, cet album sonne organique là où beaucoup d’albums
actuels semble électro et un peu froids. En quoi donner une couleur
chaleureuse à cet album était important pour vous deux ?
En fait, on n’a pas vraiment réfléchi. J’adore la musique folk, j’adore
Crosby, Stills, Nash, j’adore Neil Young, j’adore Joni Mitchell, j’ai
une passion pour Paul Simon…
Steely Dan ?
Ah ! Le cas Steely Dan, attention avec Steely Dan. Il y a des purs trucs
dans Steely Dan comme 'Deacon Blues' mais franchement, c’est un peu de
la musique pour musiciens, c’est comme Toto : je ne suis pas cliente…
As-tu prévu des dates pour partager cet album de façon la plus intime avec ton public ?
Oui, bien sûr ! Il y a le 12 décembre au Café de la Danse…
… sachant que l’album sort le 15 septembre…
J’aurais préféré avoir des dates en octobre mais non parce que si tu ne t’y prends pas un an avant, tu n’as de dates…
Et de façon générale, quelles sont tes attentes pour cet album ?
Les plus grandes, les plus hautes bien évidemment (Rires) !
Ce ne sont plus trop les Victoires de la musique mais un peu les Victoires du marketing !
Et que notamment ‘Animal animal’ soit le tube prévu…
Oui j’aimerais bien mais bon tu sais, les tubes maintenant, avant de
passer à la radio, il faut se lever de bonne heure. Tout est quand
même un peu biaisé maintenant, c’est-à-dire que ce ne sont plus trop les
Victoires de la musique mais un peu les Victoires du marketing
finalement !
… via le lobby des labels…
Voilà, tu achètes de la pub…
… et répondre à un cahier des charges avec des formats courts, le refrain au bout de 15 secondes…
Mais encore que tu aies sans doute remarqué qu’il n’y a aucune chanson
qui dépasse 3 minutes 58 qui est la chanson la plus longue… C’est
l’école Beatles : 2’50, 3’10, 3’20…
Tu vois les chansons qui sont trop longues : ça m’ennuie ! Ou alors
c’est du rock progressif comme Pink Floyd : j’aime limite plus Pink
Floyd que les Beatles ! Pour moi, Pink Floyd, King Crimson que j’adore,
les albums de Robert Fripp…
Alors dans la mouvance rock progressive plus contemporaine, je
te conseille Porcupine Tree qui est notamment passé au Hellfest cette
année..
Je ne connais pas mais je suis allée au Hellfest, je suis restée juste
une après-midi : j’ai vu Aurore, j’ai raté Amenra que je voulais
absolument voir -ce groupe me fait frissonner, il y a quelque chose qui
détruit tes parois…- Treponem Pal et en plus, on est dans le même
label : je suis fière d’être chez A(t)home, tu sais, depuis que je suis
gamine, la boîte de disques indépendante, c’est mon rêve ! Quand je suis
arrivée la première fois chez A(t)home, j’ai vu ce local à Pantin avec
des cartons de disques, des t-shirts, du merchandising… je suis me dit
que j’étais chez moi (Sourire) alors que j’ai connu Sony, avenue de
Wagram…
L’inconscient est un moteur puissant
On a commencé cette interview par la question qu’on t’a trop
souvent posée au contraire quelle est celle que tu souhaiterais que je
te pose ou à laquelle tu rêverais de répondre ?
Il n’y a pas spécifiquement mais toutes les questions que tu m’as posées
étaient très intéressantes. J’aime les questions où on sent que la
personne a écouté ton travail, l’a compris, peut-être aimé -ce n’est pas
une obligation- mais en tous cas, qui va te poser des questions qui
vont te faire aller un peu plus loin que les morceaux…
C’est Jean-Eric Perrin qui m’a fait remarquer que les deux femmes de mon
album -Virginia Wolf et Marylin- s’étaient suicidées : je n’y avais
même pas pensé. C’est toi qui me fais penser au lien entre "Sur les Cendres Danser" et ‘Ashes to Ashes’ de Bowie : je n’y avais pas pensé
non plus… L’inconscient est un moteur puissant, des choses que les
autres remarquent mais pas toi… La maïeutique est un concept grec de
Socrate qui est l’accouchement de soi-même par la parole. Toute la
psychanalyse fait partie de la maïeutique. Et je pense que dans
l’interview, il y a toujours un côté psychanalytique !
Après André Manoukian, tu as la deuxième personne à me faire cette remarque… Merci…
Merci pour la psychanalyse (Rires) !
Et merci à Calgepo pour sa contribution...