Nous avons rencontré l'homme qui se cache derrière le projet electro Pragma Enigma. Un interlocuteur passionnant et passionné qui possède une vision large et riche de la musique et in extenso de la vie.
En décembre 1974, le groupe allemand de musique électronique Tangerine Dream
faisait un concert dans la cathédrale de Reims, concert qui avait fait scandale à l'époque. Est-ce que cet événement te touche de près ou de loin?
Je n'avais jamais vu ce concert avant que tu me demandes, ça me parle beaucoup évidemment. C’est vraiment un objectif pour moi de faire un live et une installation à l’intérieur de cette cathédrale de Reims, pouvoir jouer avec la reverb' naturelle, les lumières et les formes géométriques de l’espace … Pourquoi pas même proposer une pièce spécialement composée pour la résonance de cette cathédrale en hommage aux siècles d’Histoire qu’elle abrite? Ce serait un projet intéressant, à voir avec les gens de la municipalité de Reims si ça les tente de me laisser faire ça dans une dimension nouvelle.
Je n'ai pas fait le conservatoire mais j’ai fait l'école du Rock, ça c’est certain.
Tu es donc originaire de Reims, élevé dans une famille très portée sur la musique. Tu aurais accompagné ton père à la batterie et à la guitare sur la scène. Peux-tu revenir sur cet apprentissage de la musique? Qu'est-ce qui t'a fait tomber dans la potion magique?
Parce que j’ai été conçu dans le chaudron vibratoire … Quand ma mère était enceinte de moi, les enceintes de mon père était volontairement collées à son ventre dans un petit appartement pendant qu’il composait sa musique qui mélangeait ses influences metal, classique, lyrique et jazz, à ce moment là il écoutait beaucoup de
Stravinski,Bartok, Coltrane, Slayer et j’ai entendu un concert de
Magma depuis le ventre de ma mère - à ce qui paraît, je répondais déjà au kick de la batterie en frappant dans son ventre… Mes parents m’ont offert une vraie batterie pour mes 1 an et j’ai commencé à jouer avec mon père et ses potes qui passaient à l’appart dès cet âge-là. Je ne me rappelle même plus avoir appris à jouer un jour j’ai toujours su comment tenir le rythme, improviser et composer des mélodies. C’est comme parler pour moi, j’ai appris au même moment, je le ressens avant tout comme l’expression spontanée de ma personne avec d’autres gens qui parlent le même langage universel des émotions. À 7 ans, je suivais mon père partout en studio et en concert avec son groupe de rock et cela m’arrivait très souvent de prendre la batterie sur scène pour l’accompagner ou alors pour faire de gros solos de batterie endiablés. Vu que j’étais très jeune, c’était spectaculaire pour les gens de voir ça. Puis à 8 ans, j’ai composé mon premier projet à la guitare électrique, chant et batterie qui s’appelait
Maiden Of Love, je m'inspirais des groupes que j’écoutais en boucle à ce moment là (
Kiss, Iron Maiden, Nirvana) et j’avais même essayé de recruter des membres dans ma classe mais personne n'était motivé. J’avais enregistré ça et fait les batteries sur
Cubase à l’époque, avec comme pochette deux drapeaux américains plantés en X au milieu d’un cœur que j’avais dessiné aux crayons de couleurs. Je n'ai pas fait le conservatoire mais j’ai fait l'école du Rock, ça c’est certain.
Tes goûts s'orientaient vers le hard rock (Kiss), le metal (Iron Maiden) ainsi que l'électronique (un autre groupe allemand, Kraftwerk), sans être totalement antithétiques, ces influences peuvent révéler un éclectisme. Qu'est-ce que tu as aimé dans chacun de ces groupes?
J’avais 5 ans quand j’ai découvert l’album "In Utero" de Nirvana sur l’étagère de mon père et j’ai tout de suite trop kiffé l’énergie qui en sortait, surtout les deux morceaux 'Very Ape' et 'Tourette’s', j’écoutais ces deux-là en boucle et à la suite chaque fois, les visuels et les photos dans le livret du CD m’ont beaucoup marqué aussi. Il y avait une salle de répétition complètement en bordel, des photos du groupe et des dessins d’anatomies humaines. Quand j’avais demandé à mon père qui était ce gars sur la photo il m’avait répondu que c’était Kurt Cobain, le chanteur et guitariste du groupe, et qu’il s'était tiré une balle dans la tête. Pendant quelques années, je croyais qu’il s’était tué juste après avoir pris cette photo dans l’album et qu’il avait enregistré les voix après être mort (rires). Il y avait aussi un vinyle de
Black Sabbath qui m’avait bien marqué quand j’avais le même âge, avec Ozzy qui crachait beaucoup de sang à l’intérieur du livret, c’était aussi les visuels qui m’ont marqué, je me demandais ce que ça pouvait bien être, si c’était vrai ou pas.
Chez ma grand-mère paternelle, mon oncle avait des cassettes VHS entièrement gravés des clips et concerts de Kiss,
Iron Maiden,Van Halen, Scorpions, Quiet Riot, W.A.S.P… et j’ai eu un énorme coup de cœur pour ce genre de musique, notamment avec tout l’univers visuel et les concerts spectaculaires qui les accompagnaient. Pendant toute l’école primaire, j’écoutais exclusivement ce genre de groupes tous les jours et j'apprenais à jouer leurs morceaux à la guitare et batterie. J’étais très friand de leurs visuels, posters, vidéos de concerts, documentaires…Au même moment chez ma grand-mère maternelle, mon autre oncle faisait du skate, du graff et il avait aussi des platines sur son bureau. J’aimais trop aller dans sa chambre pour regarder des vidéos de skate, jouer à "GTA" ou "Tony Hawk Pro Skater", il y avait beaucoup de musique hardcore, punk et rap dans ces choses-là, que j’ai associé à cette esthétique surréaliste et aux jeux vidéos, sports extrêmes. De son côté ma mère écoutait des choses plutôt électro, pop, R’n’B, comme
Michael Jackson, Madonna, Jamiroquai, Black Eyed Peas, Britney Spears, Massive Attack ou encore le morceau 'Maniac' de
Michael Sembello. J’aime encore beaucoup écouter 'Take On Me' de
A-ha et 'Murders On The Dancefloor' de
Sophie Ellis Bextor.
C'est finalement ce dernier genre, l'électro, qui va se montrer décisif. Gary Numan avait trouvé en studio un Mini Moog qui avait eu une incidence sur ces futures créations. Apparemment pour toi, ce serait la découverte des synthétiseurs et du piano qui auraient fait figure de révélation. Peux-tu nous raconter ce coup de foudre?
Quand j’étais en 3ème ça me paraissait évident que c’était mon destin de faire des concerts à la fois puissants comme le rock et transcendants comme la techno, surtout quand j’écoutais les sons de
Justice, Mr. Oizo, Gesaffelstein, j’avais l’impression d’entendre du hard rock en beaucoup plus minimal et avec d’autres types de sonorités qui m’ont vraiment marqué et je voulais absolument savoir comment pouvoir les créer et les développer à ma façon.Mais à ce moment je savais pas bien comment fonctionnaient les synthétiseurs et les logiciels de son, je jouais surtout du hard rock avec mes potes dans une cave à Reims, il y avait une batterie, guitare et basse à disposition 24h/24 7j/7, du coup on s'explosait la tête avec de gros riffs de guitare jour et nuit. Je faisais aussi beaucoup de rap sombre en parallèle et je voyais parfois mes deux potes Paul et Tonio faire de la techno sur l’ordinateur et c’est là ou j’ai commencé à comprendre comment les logiciels fonctionnaient en composant mes premiers sons techno avec eux.
Par la suite mon premier synthé analogique et carte son m’a été offert le jour de mes 18 ans par ma grand-mère peintre, qui est décédée 3 heures après me l’avoir offert… Après je me suis enfermé jour et nuit pour créer ce que je voulais entendre et pour pouvoir comprendre comment la synthèse fonctionnait. Puis en jouant sur les synthés je me suis vite rendu compte que j’arrivais instinctivement à entendre, jouer et improviser plein de mélodies au piano, mieux qu’à la guitare et c’est là ou j’ai acheté un vrai piano et j’ai commencé à vraiment comprendre en étudiant l’harmonie, les intervalles, les gammes en posant toutes mes questions à mon père avec qui je vivais à ce moment-là. J’ai donc compris le fonctionnement de la musique classique en jouant et relevant des passages de
J.S Bach, Mozart, Bela Bartok, Chopin … A ce moment là j’ai mis de côté le hard rocket le rap et je me suis totalement plongé dans la musique baroque, classique, romantique et moderne tout en étudiant les synthétiseurs et en composant des morceaux inspirés par la techno allemande et de Detroit (
Kraftwerk et
Drexciya surtout) en implémentant mes connaissances de la musique classique dans ma musique électro. Au même moment j’ai également beaucoup peint sur toile et j’avais clairement le besoin de visualiser cette musique électro que je composais au travers de formes géométriques et d’associations de couleurs particulières, ma musique à directement inspiré mes créations plastiques et inversement.
"Life Never Ends" commence par des beats synthétiques répétitifs assez anxiogènes. Es-tu influencé par les musiques du cinéma d'horreur/fantastique (Dario Argento via Goblin ou John Carpenter)?
C’est mon père qui m’a fait découvrir ces compositeurs quand il a entendu mes premières compos électro. Du coup, j’ai pas mal écouté par la suite, c’est "Suspiria" qui m’a influencé en termes de sonorités et des couleurs de l’image. Mon inspiration principale dans le cinéma reste
Stanley Kubrick et le choix de ses musiques, cela m’a beaucoup inspiré parce-que j’ai redécouvert les compositeurs que mon père me faisait écouter quand j’étais bébé,surtout
Bela Bartok…
On évoquait ton goût du metal, l’électro et l’influence éventuelle du cinéma d’horreur. Connais-tu et que penses-tu du projet de notre ami, Carpenter Brut?
J’en ai entendu parler mais je n'ai pas encore écouté!
Quel est le concept caché derrière les paroles de cette chanson?
Très bonne question. Derrière les paroles d’apparence très simples du morceau 'Life Never Ends' se cache l’idée qui m’obsède depuis le lycée, qui est l’étude de la visualisation du son (cymatique), c’est l’idée fondatrice du projet
Pragma Enigma, à savoir —> « From Sound Born The Form » en français « Du Son Naît La Forme », cela évoque pour moi une origine vibratoire et musicale du monde, en faisant vibrer de la matière comme de l’eau, on voit que la musique nous permet de révéler diverses formes géométriques existantes dans les fréquences sonores et apparaissant dans la matière par la vibration, formes qui ressemblent exactement aux formes organiques que la nature est en mesure de pouvoir créer, ma question depuis mon adolescence est donc : quelle est cette musique cachée derrière les formes visibles et tangibles de l’Univers? Comment la décoder et la rendre audible grâce à l’harmonie et la synthèse sonore ? Le projet Pragma Enigma dans son ensemble est une réponse musicale et plastique à ces questions métaphysiques qui m’obsèdent. Le morceau et le clip 'Life Never Ends' viennent évoquer l’existence d’autres mondes vibratoires non-observables, d’autres dimensions cachées de la nature, là où les lois de la physique telles qu’on les conçoit se brisent en mille ondes de probabilités qui se superposent en même temps.
La voix est à moitié déformée et déclame en anglais. On ressent qu'elle passe après la musique. A l'avenir envisages-tu un travail plus mélodique sur la voix (pourquoi pas avec Fiona Commins)?
Sur ce morceau la voix est davantage utilisée comme un slogan / symbole, trois phrases fortes et minimales qui se répètent et renforcent le caractère obsessionnel de ma musique et de la force du sens des phrases en elles-mêmes. Il y a également des voix lyriques que j’ai enregistrées et utilisées pour créer de l’organique et le sentiment d’entrer dans un espace sacré en écoutant le morceau ou en voyant le clip également. Avec Fiona Commins, cela s’est fait complètement à l’improviste, elle avait envoyé les voix du son Incognito par message vocal depuis son téléphone que j’ai après retraité dans un synthé analogique pour donner du grain… Il ne me semble pas qu’elle soit chanteuse de base mais sa voix est plutôt sensuelle donc pourquoi pas! J’ai effectué un gros boulot d’écriture avec deux chanteuses d’opéra donc oui, il y a un aspect lyrique dans ma musique, qui s’affirme de plus en plus. Concernant mes nouveaux morceaux, ce sera la surprise…
On ressent plusieurs influences harmonieusement réunies lors de l'écoute (techno, indus, musique de films, électro, baroque). Comment réussis-tu à équilibrer ces inspirations pour ne pas paraitre indigeste (ce morceau ne l'est aucunement)?
Cela s’est fait naturellement, j’ai construit des rythmes et sonorités issus des genres électro, techno et trap que j’ai développé autour d’une ligne mélodique et des nappes de synthétiseurs composées dans un élan baroque. Mon but à toujours été de mettre le doigts sur les éléments communs entre des choses qui paraissent totalement différentes de prime abord, en allant à l’essentiel de chacun de ces styles. Je peux créer des liens entre chacun de ses rythmes, harmonies et sonorités que l’on associe à des styles mais qui sont avant tout différentes valeurs temporelles, rythmiques et mélodiques avec lesquelles je joue et m’exprime par mon émotion et mon expérience de vie, avant de les intellectualiser sur le piano, le synthé puis l’ordinateur. Ayant étudié chacun de ces genres musicaux au cas par cas, je suis capable de composer du rock et metal pour un groupe, de la musique classique pour un orchestre, du jazz pour un trio ou plus, de l’électro et de la trap sur des synthés et des logiciels tout en écrivant des chants et textes rappés sur différents tempos et tonalités. Aujourd’hui je peux donc instinctivement mélanger toutes ces approches pour créer ma propre identité sonore sans me poser de questions techniques, juste en improvisant comme on se parle là, tout en me nourrissant énormément de musiques anciennes et nouvelles, je ne fais pas la différence à vrai dire.
Ce titre semble construit sur une boucle qui ne s’arrête pas, l'introduction est similaire à la conclusion, c'est un ouroboros (le serpent qui se mord la queue), comme si le morceau ne devait jamais s’arrêter et ne cessait de recommencer à l'image de son titre. Est-ce ainsi que tu l'as conçu?
Ta question est intéressante, en ce moment je suis en train de composer une musique pour un film qui s'appelle "Ouroboros" justement. Ma manière de composer est à la fois gourmande et économique, c’est à dire que je suis capable d’exprimer beaucoup de choses avec très peu d’éléments à la base, cela m’a toujours fasciné de pouvoir faire ressentir l’immensité de l’Univers aux auditeurs avec juste quelques vibrations sonores qui vont venir frapper l’oreille. J’ai développé des idées contradictoires en apparence mais qui dans mon processus vont ensemble (le baroque et la techno par exemple). Pour moi la musique touche à cette idée de cycles qui se répètent indéfiniment à chaque fois d’une manière différente, même si la tonalité est la même, la répétition du même schéma installe une vraie transe qui relie à la fois le corps et l’esprit. Je pense que le but de ma musique est de faire ressentir à l’auditeur que le corps et l’esprit sont une même entité et d’ainsi pouvoir se rapprocher chaque fois plus du divin, de l’Esprit brut, élagués de toutes illusions matérielles et évoluant dans ces différents cycles in-finis au sens stricte du terme, cycles qui n’ont jamais eu de début et qui n’auront jamais de fin non plus.
Le clip est également assez mystérieux. Tout de noir vêtu, caché derrière tes lunettes, tu sembles insaisissable. Est-ce que tu penses avoir créé un personnage qui pourrait revenir par la suite dans d'autres clips voire des court-métrages et former une identité visuelle certifiée Pragma Enigma?
Exactement.
Mon but est de rapprocher les Hommes du divin grâce à la musique et aux Arts.
Tu es également plasticien. Comment cette double approche est-elle complémentaire? Penses-tu devoir faire un choix à un moment donné entre ces deux disciplines?
Je n’ai jamais vu d’antagonisme entres ces deux disciplines, au contraire, pour moi elles sont complémentaires dans ma création, la musique m’a appris à peindre et la peinture / géométrie m’a appris à aller encore plus loin dans ma musique, c’est comme une partie ping-pong qui ne peut exister que si les deux jouent ensemble. Avant la création de l’académie en France, beaucoup de mathématiciens étaient aussi astronomes, musiciens, géomètres, leurs travaux et questionnements mettaient en résonance toutes ses disciplines entres elles dans le but de comprendre le comment et le pourquoi de la création de la nature telles qu’on la perçoit avec nos sens. Après la peinture j’ai commencé à faire des photographies et vidéos de ma musique en mettant en vibration différents liquides de vies (eau, lait, blanc d’œuf, sang …) avec mes compositions, et j’ai pu observer l’infinité de formes que les vibrations sonores contiennent depuis la nuit des temps, et c’est à ce moment que le lien entre les deux disciplines s'est renforcé et elles sont rendu indispensables l’une de l’autre de par leur les liens émotionnels, géométriques et scientifiques qui les unient à chaque expérience. Il ne faut pas oublier que la vie telle qu’on la perçoit est la superposition simultanée de tout nos sens en un seul instant. Le fait de les dissocier est une acte rationnel, qui cherche à quantifier, alors que la vie au contraire, se dissout en une infinité d'échelles semblables. Je développe une forme d'œuvre d’Art totale, dans laquelle chaque constituante de nos sens comptent. Mon but est de rapprocher les Hommes du divin grâce à la musique et aux Arts.
Comment vas-tu défendre cet album?
En faisant un maximum de concerts par la suite. Il y a également des clips issus de l’album, qui vont bientôt sortir. Ce sera la surprise ... à suivre sur ma chaîne Youtube et mon Instagram -> @pragma.enigma