JJ WILDE (11 SEPTEMBRE 2024)

On s’est rencontrés il y a exactement quatre ans et aujourd’hui, on se retrouve quelques minutes avant ton concert aux Étoiles, nous avons couvert ton concert en ouverture de Scorpions toujours à Paris… Je suppose que tu es plus heureuse que jamais de ne pas avoir arrêté la musique faute de succès comme tu l’avais avoué lors de notre première interview ?

JJ WIlde : Oh oui ! Honnêtement, j'ai l'impression que depuis la sortie de "Ruthless", je n'ai pas arrêté de tourner, d’écrire… Oui, je suis effectivement très heureuse !


Ton nouvel album "Vices" a été décrit comme un "album de rupture", chose que tu avais juré de ne jamais faire. Comment cette expérience de rupture a-t-elle influencé le choix des genres musicaux et le son global de l'album ?

Pour moi, cet album est effectivement à propos d’un sujet sur lequel j’avais dit ne jamais écrire parce que j’ai toujours considéré qu’il y avait des sujets plus intéressants à aborder qu’une rupture (Rires), mais mon cœur a été totalement détruit. Ça s’est passé la veille d’une tournée de deux mois qui m’a fait traverser les États-Unis. Ça a été la catalyse du début de cet album à savoir traverser le chagrin et le deuil de cette relation et la vie que je pensais avoir dans mon esprit. Tu te remémores cette période qui est un échec avec cette personne qu’il faut oublier, et finalement, dans cette période sombre, tu trouves la lumière en toi pour poursuivre et continuer à avancer et au fur et à mesure, je retrouvais du plaisir et j'ai trouvé ces petits morceaux de moi que je pense que j'ai perdus dans cette relation et finalement, j’ai réalisé que cette personne ne me définit pas et je n’arrivais pas à m’aimer avec lui…
En ce sens, cet album est une suite de montagnes russes de deux années de grands changements, de tournée continue et de tenter de régler toutes les émotions qui se produisaient en moi dans le même temps. C'est un voyage de recherche personnelle à savoir faire des erreurs, s'accepter et tout le reste (Sourire)…


J'écris une meilleure musique quand je suis malheureuse




Pour "Ruthless", tu t’étais inspiré de tes années de galère, et cet album "Vices" est né d’une rupture. Doit-on obligatoirement être malheureux pour composer ?

Je ne pense pas que j'aie besoin d'être malheureuse pour écrire de la musique, mais je pense que j'écris une meilleure musique quand je suis malheureuse (Rires) ! Je dirais qu’il y a une partie de nous quand nous sommes au plus bas, qui nous fait trouver une force différente parce que nous sommes les seuls qui pouvons nous aider à nous tirer de ces moments. Et quand tu es vraiment au plus bas, quand les émotions sont intenses, c'est le meilleur moment de les faire sortir ! Et c'est également thérapeutique de le faire. Il y a également un sentiment de "guérison" quand tu laisses sortir ces émotions avec des mots et des chansons.


Tout le cycle d’écriture de cet album avait l'air d'une session de thérapie !


Tu parles de thérapie. A ce propos, dans notre interview de 2020, tu disais que la musique est une thérapie qui permet de faire son deuil et de surmonter les étapes. C’est donc plus que jamais d’actualité ?

Oui, je suis à 100% d'accord avec ce que tu viens de dire. Tout le cycle d’écriture de cet album avait l'air d'une session de thérapie (Rires) ! Il y a quelque chose d'incroyable : quand j’écris seule ou avec une autre personne, on cherche à écrire sur ces moments sombres. Certes, ça fait mal mais il faut le faire et le ressentir pour qu’ils puissent passer.
Parfois, dans les sessions d'écriture, tu es au départ avec des étrangers auxquels tu ouvres ton cœur, tu parles de choses et d’autres choses. On finit par traîner ensemble à passer des heures à discuter pour se connaître. Et honnêtement, en ouvrant ton cœur de la sorte, tu peux créer des choses magnifiques. C'est toujours fou, après une session d’écriture, de prendre du recul et se dire que trois heures avant, tu ne connaissais même pas cette personne et après coup, on a créé ce truc ! Je ne me lasserai jamais de ça (Sourire) !


Musicalement, comment cette catharsis s'est-elle traduite en termes de dynamique, de tempos, ou de tonalités dans les chansons pour exprimer à la fois la douleur et la résilience après une rupture ?

Il y a beaucoup de dynamiques, de changements dans cet album. Il y a des chansons comme ‘Best of me’ qui me représente -à savoir celle qui fait des erreurs et parfois de la merde- mais la musique autour de ça est très positive et amusante. Mais effectivement, les paroles sont : "Tous mes vices sont le meilleur de moi-même…" : ce n'est pas vraiment une chanson positive à proprement parler mais c'est plus reprendre le contrôle. Et puis il y a aussi d’autres chansons comme ‘Perfect Stranger’, une ballade au piano très émotionnelle. Et enfin, il y a toutes ces chansons entre ces deux extrêmes : je me sens comme une personne qui a une large palette d'émotions, changeantes tous les jours. Tu vois ce que je veux dire ? Je peux être heureuse, triste, pleurer, excitée… toutes ces émotions dans une même journée.


Des montagnes russes dans tes émotions au sein de la même journée comme tu le dis de ton album finalement…

Exactement (Sourire) !


Nous utilisons ce qui sert le mieux les chansons en fonction de l’humeur que créé la chanson




Certaines chansons, comme ‘Options’ semblent célébrer des possibilités infinies malgré la douleur, tandis que d'autres, comme ‘Takes Me Back’, bien que très dynamique, explorent une introspection plus profonde. Comment ces différentes approches musicales reflètent-elles les différentes étapes émotionnelles que tu as traversées pendant cette période ?

Je pense que dans le processus d’écriture, nous utilisons ce qui sert le mieux les chansons en fonction de l’humeur que créé la chanson en question. Quand tu as une idée de chanson, tu cherches quelque chose de spécifique pour la chanson. Pour cet album, je n'étais pas nécessairement en recherche d’une tonalité ou de dynamismes. Quand j’entrais dans le monde d’une chanson, je cherchais plutôt comment lui donner vie… Et donc, pour 'Takes me Back' -une chanson à propos de la nostalgie, ma ville et tous ces petits morceaux qui me font qui je suis - je voulais vraiment que ma guitare ait ce son nostalgique, presque comme Bruce Springsteen, un peu comme les années 1970-1980, quelque chose de ce genre… Alors que pour d’autres chansons comme ‘Hands’ ou ‘Options’ sont plus amusantes et insouciantes et je voulais également explorer cela. J'ai trouvé ‘Options’ très responsabilisante en ce sens que tu peux avoir beaucoup d'options mais finalement ne pas s’en soucier, s’en foutre… car la seule option importante est celle que tu souhaites le plus au monde…


Ta voix est particulièrement expressive et sincère sur cet album, reflétant les thèmes de la rupture et de la guérison. Comment as-tu travaillé ta technique vocale pour transmettre ces émotions variées et complexes ?

J'ai fait beaucoup de choses différentes avec ma voix ces deux dernières années. J'ai arrêté de fumer il y a deux ans ce qui a permis à ma voix d’élargir ma palette vocale...


Tu as arrêté de fumer ?

(Rires) Okay, je continue de fumer mais en fait, j’ai arrêté les cigarettes ce qui m'aide énormément pour ma voix. Je peux chanter dans un registre haut que je n’avais pu atteindre auparavant et cela me permet d’être encore plus convaincante dans les moments intimes d’une chanson, quand c'est calme et doux. Avant, je chantais toujours de façon très forte et agressive -ce que j'aime toujours faire- mais maintenant, j'ai la capacité d’aller plus haut… Et c’est beaucoup plus amusant en plus.
Et enfin, j'ai dû lutter contre des modules vocaux il y a quelques années. J'ai donc appris à prendre soin de ma voix à travers différents exercices… et ça m'a permis d’écrire d’une nouvelle façon…


Est-ce que cette évolution explique en partie que ta voix éraillée évoque Selah Sue comme sur ‘Hands’ ?

Pas vraiment, mais j’aime la comparaison (Sourire)…


J’ai été harcelée mais c’est incomparable avec ce qu’il se passe aujourd’hui




Dans le titre ‘Toxic’, tu dénonces le harcèlement. Aujourd’hui, le harcèlement passe aussi par les réseaux sociaux. En as-tu été victime toi-même et que pourrais-tu conseiller à ceux qui en sont victimes ?

Oui, j'ai été harcelée au lycée et c'est ce dont il est question dans la chanson. J’ai été harcelée mais c’est incomparable avec ce qu’il se passe aujourd’hui. Je me sens vraiment mal pour les adolescents et enfants d’aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est extrêmement facile de se cacher derrière son ordinateur et dire ce qu'ils veulent et ne pas voir les conséquences de leurs propos parce qu'ils ne voient pas les personnes en question. Ce qui encore plus dommageable parce que les personnes harcelées -les victimes- se sentent impuissantes sur une situation qu’elles ne contrôlent pas. Mais pour l’avoir vécu, les personnes qui harcèlent sont des personnes elles-mêmes harcelées ou en situation d’insécurité ou encore malheureuses dans leur vie et elles se projettent sur quelqu'un dont elles sont jalouses et finalement peu importe les raisons parce que ça n'a strictement rien à voir avec les victimes : le problème vient des harceleurs ! C'est difficile d’être rationnel dans ces situations mais que les victimes n'oublient jamais qu'il n'y a rien de mal avec eux… Chacun a un avis mais cela ne veut rien dire. Un avis reste un avis, ce n’est pas un fait ! Les gens peuvent donc dire ce qu’ils veulent, l’essentiel reste de savoir dans notre cœur qui nous sommes.


Dévoiler [...] ces sentiments très intimes et profonds est très intimidant et terrifiant




On mesure le choix d’un album dans lequel tu es loin de te morfondre. Était-ce important pour toi de montrer cette force et moins la fragilité ?

Oui, dans cet album, il y a beaucoup de vulnérabilité et beaucoup de fragilité, mais je pense que parce qu’il y a eu ces moments, je me sens forte, je me sens forte grâce à ça. Mais je dirais que c'est malgré tout mon album le plus vulnérable parce que dévoiler ainsi au public ces sentiments très intimes et profonds est très intimidant et terrifiant. Finalement certaines chansons ont un aspect très thérapeutique et si je me sens ainsi, je sais que c’est le cas de quelqu’un d’autre également et si cette personne peut se sentir concernée par ce que je raconte et si ça peut l’aider : c’est le but recherché !


Et aujourd’hui, comment te sens-tu personnellement ?

Aujourd’hui ? Je me sens super bien : je suis passée de l’autre côté (Rires) !


C’est le plus important ! En termes d'instruments et d'arrangements, y a-t-il eu des choix particuliers qui visaient à renforcer le caractère émotionnel des chansons sur "Vices", peut-être plus un travail sur la rythmique ?

C’est définitivement le cas et ‘Perfect Stranger’ est un bon exemple. Nous avons décidé de ne pas surcharger cette chanson. Nous aurions pu ajouter beaucoup plus de choses mais nous l'avons gardé simple pour que les chansons, la mélodie et le piano puissent prendre le dessus. Et la simplicité tire l'émotion ! Nous avons fait plusieurs versions de cette chanson mais finalement rien ne fonctionnait vraiment et le constat est que cette chanson devait rester un moment simple, comme si tu parlais à quelqu'un. C'était intentionnel !
Inversement, ‘Toxic’ est une chanson intentionnellement très agressive quand je chante "I'm not crazy, you're just an asshole" (NdStruck : que l'on peut traduire par "Je ne suis pas folle, tu n'es qu'un trou du cul"), elle représente le reflet du comportement agressif que je projetais sur moi. Et c'était également une façon d’écrire ma frustration et ma colère et j'ai voulu que ça se reflète également dans la musique…


Tu l’as dit, tu rends hommage à ‘Born To Run’ de Bruce Springsteen dans le titre ‘Takes Me Back’. Mais quelle est ton histoire avec cette chanson ?

C'est tout album en fait ! C'est un de mes albums préférés. Mon père a une discographie énorme. J’y vais souvent pour lui prendre quelques albums que je lui rends pour en reprendre d’autres. Et dans mon premier appartement, j'ai mis cet album et ce vinyle ne m'a pas quitté pendant trois mois : chaque nuit, je passais cet album et ça a duré trois mois (Rires)… C’est définitivement mon album préféré !


Tu nous dis que ton père est un passionné de musique. Comment vit-il la carrière et le succès de sa fille ?

C’est mon plus grand soutien !





Mais il doit être fier de te voir tourner ainsi à travers le monde avec notamment Scorpions ?

Il est très fier ! Mes parents sont tous les deux très fiers et me soutiennent énormément ! Mon père a souvent conduit le van. Il fait tout ce qu'il peut pour nous aider sur les tournées etc… Il est toujours là, il veut être là quand il peut. Il me répète sans cesse à quel point il est fier.


Enfin, "Vices" reprend toutes les chansons de ton Ep "Best of Me". Quel était l’intérêt pour toi de sortir l’EP avant l’album ?

J’ai juste voulu donner un avant-goût de ce que serait l’album parce que ça faisait longtemps que je n’avais rien sorti. J’ai donc voulu donner un avant-goût de ce qui allait arriver


Et finalement, quelles sont tes attentes pour cet album ?

Aucune ! Je n’ai aucune attente ! En fait, avoir des attentes, c’est prendre le risque d’être déçue. Au moment du mixage, cet album était encore le mien. Une fois que je l'ai dévoilé au monde entier, il ne m’appartient plus. Les gens vont avoir des avis sur cet album, j’espère seulement qu’ils l’aimeront. Mais si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave parce que j’en suis fière et c'est tout qui me soucie.


Mais cette tournée et cette date en France signifie que ton public se l’est déjà approprié et l’aime déjà…

J'espère (Rires) !





Merci beaucoup !

(En français) "Merci !"


Et merci à Newf et Calgepo pour leurs contributions...