Je me présente Struck de Music Waves, site de musique dédié aux musiques progressives. Pour toi, qu’évoque ce terme progressif ?
Murray Head : Pour moi, c’étaient des gens qui voulaient montrer leur dextérité. Pour moi, c’était un clash entre un esprit honnête basé sur le blues d’Amérique mélangé avec un peu de "pompe" de l’Europe. Quand je parle de "pompe", je parle de l’influence classique. Ca a commencé avec Emerson, Lake and Palmer qui n’arrête pas de montrer sa dextérité. Par contre, je suis d’accord pour dire qu’il y a des moments sublimes dans cette musique mais ce sont des assemblages de liens. J’ai vu Steve Howe de Yes qui avant joué dans Tomorrow avec Keith West : c’était un groupe formidable dans les années 1960 mais ce n’était pas du tout progressif.
Et l’intrusion de Wakeman (Rires)... L’autre jour il faisait un programme de télé tous les dimanches où tu vas dans des églises pour faire des chansons de Dieu avec la congrégation… Et comme soliste, on avait Rick Wakeman… et à la question "Comment pourriez-vous décrire votre musique ?", il a répondu : "Surjoué… Beaucoup trop !" (Rires) ! Il était honnête vis-a-vis de lui-même !
Je comprends la fascination pour cette musique mais ça m’a toujours troublé personnellement, c’était plus basé sur la technique que sur les émotions !
Quelle est la question qu’on t’a trop souvent posée ?
(Silence) "Qu’est-ce que vous préférez ?", "Quel est votre métier : acteur ou chanteur ?"...
Ou encore "Est-ce que vous allez jouer les tubes ce soir ?" et la réponse est toujours la même : il n’y en a que deux et un concert de 10 minutes, franchement… on va entendre d’autres choses ce soir !
Justement, tu n’en as pas assez de voir ta carrière réduite à deux titres certes mythiques "Say it isn’t so" ou "One Night in Bangkok" dernier titre qui ne reflète pas forcément ton univers ?
On n’en a jamais assez de rien, on apprend à être content avec ce que l’on a. Tu ne peux pas pousser les gens à faire autre chose, tu ne peux pas changer le monde… On n’arrivait déjà pas à lutter à l’époque… Peut-être nous sentions-nous dépendant de la simple diffusion en radio ? Le jour où les gens de radio, les Djs sont rentrés dans notre vie, ils se sont appropriés notre musique. Quand un Dj te passe, c’est comme si il avait écrit la chanson lui-même, c’est comme si il la jouait lui-même…
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Notamment avec un titre comme "One Night in Bangkok" dont la longue introduction symphonique n’a jamais été diffusée en radio.
Oui mais ça, c’est une question de finance ! Pour "One Night in Bangkok", il y avait une certaine somme d’argent, un budget qui permettait d’avoir un orchestre. Il y avait probablement une question d’heures dans les studios qui ont utilisées pour plusieurs chansons avec l’orchestre. Et ils ont inventé cette énorme introduction pour ce titre, qui je pensais, était influencé par Ravel mais depuis, j’ai pensé qu’ils ont été influencé par Vanilla Fudge qui était composé de grands musiciens américains Carmine Appice, Tim Bogert, Vince Martell… et ils ont ralenti la musique : le premier tube c’était une chanson des Supremes ! C’était énorme, ils ont étendu la musique pour lui donner un maximum de force ! Et j’ai senti dans cette introduction, cette combinaison de choses parce qu’il faut savoir que les suédois ont de bonnes oreilles (Sourire) ! A l’époque, avant le clip qui a tout détruit…
C’est à dire ?
Il faut comprendre que la plupart de la musique que tu écoutes vient du même endroit, de la même époque, c’était les années 1960 où on a abandonné les américains et les Sinatra… La bourgeoisie anglaise a cherché un cri primal quelque part et est tombée sur le blues et elle a trouvé une façon de l’imiter : au commencement, c’était du plagiat, c’était du "white blues". Ca correspondait à la première vague d’orchestre qui arrivait dans tous les sens, on avait tous à peu près le même âge dans les années 1960. Plus de 50% des groupes blues sortaient des collèges d’art car on était transporté par la passion de la musique qui était un moyen de s’exprimer vu que le focus était sur les sciences. On avait tous besoin de s’exprimer, on a été élevé dans du coton par des parents qui ont vécu la guerre et qui ont donc surprotégé leurs enfants et spécialement la bourgeoisie. Ce qui fait qu’on ne se connaissait pas, on se cherchait une identité. Il y avait des écoles de garçons, de filles…
Donc tout ça réuni fait qu’on a vécu la plus grande période d’expression après-guerre et on voulait comprendre l’autre sexe. On pensait que c’était par hasard mais ce n’était pas le cas si les mecs avaient les cheveux longs, portaient des jabots, des dentelles… et les filles, commençaient à mettre des pantalons, des coupes très courtes… A la moitié des années 1960, tu avais les premiers coiffeurs dits "Unisex". C’était un énorme amalgame !
Je pense que c’était exagéré, je sais que le clash qui s’est passé à Brighton a été monté par les journaux qui avaient trouvé un moyen de descendre la jeunesse. La plus grande peur de l’homme est le changement : il y avait non seulement un changement d’établissement, les histoires de la prostituée Christine Keeler avec les politiciens et les membres du cabinet… Ce qui est sorti du procès, c’est que la haute bourgeoisie qui a été dévoilée pour la première fois et on voyait à quel point, elle se moquait du public, elle se protégeait avec leur argent et à quel point, elle était décadente !
Et avec cette découverte de la décadence, c’était un moyen de faire sortir les partis de droite pour ceux de gauche, le parti socialiste avec Howard Wilson et d’ailleurs, le slogan du parti conservateur "You never have so good" (Tu n’as jamais eu aussi bien !) et on le croyait ! Mais quelques temps après, il y a eu ce scandale !
On cherchait quelque part à blâmer cette musique qu’on ne comprenait pas mais qui explosait : le Who était le punk de l’époque. Je pense que la voix qui nous a le plus influencé a été Ray Charles, bien avant les années 1950 ! La voix rauque, rock, symbolise quelqu’un qui a vécu, quelqu’un qui a souffert, qui a un fardeau et ça correspondait à cette vague de blues. Le blues pouvait se faire avec une guitare sèche, ça ne coûtait pas trop cher à l’époque et tout le monde pouvait s’accompagner. Et il n’y avait jamais une question d’argent, les maisons de disques s’en foutaient royalement parce que leur base, c’était la musique classique qui certes ne vendait pas en masse mais était tout de même une mane financière énorme.
Tout cela fait qu’ils n’ont pas vraiment pris au sérieux le marché du rock, même si je trouve que c’est un hasard que Clive Davies (NdStruck : fondateur du label J Records) soit tombé sur le festival de Monterey avec Jimi Hendrix, Janis Joplins… Tous les groupes présents étaient différents mais c’était le même mouvement qui n’était jamais motivé par l’argent ! Ce qui fait que tout le monde jouait avec tout le monde et moi, j’ai eu la chance de voir jouer pour la première fois, Jimi Hendrix, les Stones jouer à Londres. J’étais dans le public mais j’étais avec eux dans l’esprit, je voulais faire la même chose. Je voyais untel faire, je prenais une guitare sèche, j’apprenais les chansons et je les reprenais !
Ce qui est marrant c’est qu’on a commencé avec cette mentalité de pouvoir chanter les chansons des autres et d’en ajouter quelques unes qu’on écrivait nous-mêmes : ce qui fait que si quelqu’un d’une maison de disques passait et constatait qu’il y avait une chanson originale qu’il ne connaissait pas et que le public semblait aimer, il pouvait te proposer de faire un 45 tours ! Et il pouvait repasser deux ans plus tard et te proposer la même chose ! On ne pensait pas à faire des 33 tours, on ne pensait qu’à jouer… Tout le monde a eu la chance incroyable de pouvoir évoluer avec son public parce qu’il n’y avait pas la presse qui voyait la musique pop comme une folie de jeunesse, une passade… qui ne faisait certainement pas partie de l’art !
Il y avait un critique classique dans le Times qui a décortiqué une chanson de Lennon "Strawberry Fields". Le mec disait que c’était du pur génie et là, pour la première fois avec cette étiquette critique, la pop était considérée comme de l’art : non seulement c’était populaire mais c’était du génie !
Et la fin de cette période a commencé dans les années 1980 avec l’arrivée des comptables. A ce moment-là, nous n’avions plus de nom, nous n’étions plus que des numéros… C’était le commencement de la mort ! On commençait à faire des disques et la seule raison de jouer en spectacle, c’était pour vendre des disques. Ce qui fait qu’on faisait tellement de choses en studio, qu’il n’y avait plus de spontanéité…
Donc si je suis ton raisonnement, quelque part, l’arrivée d’Internet a permis un retour aux fondements de la musique à savoir que ne pouvant plus vendre, les artistes reviennent aux fondamentaux et notamment la scène ?
Non, non… Oui mais non ! Ce n’était pas l’intention. C’est une question de timing, Internet est arrivé au moment où les maisons de disques finissaient d’épuiser leur recyclage (Rires) ! C’est assez simple, c’est une lâcheté épouvantable pour ce métier qui a décidé d'arrêter le pressage et la distribution et de profiter des moyens modernes. Ils n’ont pas pensé une seconde au rite d’avoir quelque chose en main avec quelque chose écrit dessus… Même le fait d’avoir rétréci la pochette du cd, c’est frustrant en comparaison avec le vinyle. Après, parce que c’est une rareté, beaucoup de gens préfèrent le vinyle et aiment le son qu'il produit : bon, c’est une question de goût…
C’est une question de nostalgie ?
Cette nostalgie a été pensée pour la même raison à savoir que la seule façon de capitaliser sur cette lâcheté, c’était de commencer à recycler tous les anciens titres du catalogue ! Ce qui fait qu’on est réduit à deux ou trois tubes qu’on a eu. Gérard Lenorman a pu faire un malheur aujourd’hui parce qu’il a fait pas mal de chansons qui sont biens. Je ne suis jamais arrivé à ce niveau !
En France…
Ou nulle part !
Tu parles de recyclage et de Gérard Lenorman mais tu te vois faire un album de reprises avec d’autres artistes ?
Tu parles d’un disque de reprises ? C’est assez simple, la compil’ était presque épuisée avec l’arrivée de Steve Jobs qui n’avait qu’une chose en tête : vendre ses ordinateurs ! Il l'a amenée à un mec de Sony qui n’a pas voulu vendre ses Ipod… Il est donc allé chez Universal avec qui ils ont fait un deal épouvantable ce qui nous a réduit au titre simple à 0,99 euros. Cela a ajouté au phénomène d’un artiste réduit à une chanson. Le nombre de pères qui m’ont dit que leurs fils avaient écouté un titre de Led Zeppelin et qui ont voulu faire écouter la discographie du groupe ont eu comme seule réponse que ce qui intéressait leur fils, ce n’est que la chanson et seulement la chanson, pas le groupe ! On est réduit à ça, je ne critique pas, c’est un constat. Alors maintenant, ça empire encore plus parce que les maisons de disques sont encore plus lâches que jamais. L’argent qu’ont les maisons de disques est dépensé pour leurs employés. Et ces employés s’en foutent de la musique, ce qu’ils savent faire mieux que tout, c’est rester en place !
Alors avec ce recyclage, naturellement, je me suis retrouvé qu’avec deux titres ! C’est quelque chose que j’accepte, ça ne change pas mon attitude : je continue à faire ce que je veux faire et ce que j’aime faire !
L’effet de faire une compil’, de choisir les meilleurs titres de l’artiste, c’est le commencement de l’effet de nostalgie comme tu l’as dit toi-même. Il faut comprendre d’où vient cette chose plutôt que de l’accepter ! Ca vient des maisons de disques mais ça a été pompé un max : il y a le "triangle d’or" : Louvin, Nègre et Zeitoun qui ensemble avaient un cynisme énorme ! On créé ce phénomène de Star Ac’… où tu ne faisais que recycler le catalogue d’Universal ! Et je dis qu’ils étaient cyniques parce qu’ils se foutaient des jeunes, le gagnant était balayé 3 semaines après sa victoire. Cela a mis de plus en plus en place cet élément de compétition !
Mais toi, dans tout ça, tu dis que tu as été réduit à deux titres. Ne penses-tu pas que le fait d’avoir eu une carrière entre chanteur, comédien… n’a pas limité ta carrière musicale ?
Ah, tu essaies de me remettre dans le truc (Rires) ! Non, pour dire simplement, ma vie a toujours été une fuite perpétuelle. Fuir la prison, fuir la cage, fuir l’étiquette… parce qu'on doit s’exprimer : à partir du moment où tu as une étiquette, où tu es dans une cage, tu n’as plus de liberté, tu ne peux plus respirer : il faut que je puisse regarder ce qu’il se passe. Pour moi, la chose la plus importante est de voir la vérité !
Pour Universal, le fait est qu’ils n’avaient pas le courage d’aller chercher de nouveaux artistes sous prétexte que c’était trop cher. Ils nous ont mené en bateau. Ce qui fait que la musique, en ce moment, est un concept complètement différent ! La musique a commencé avec une générosité énorme de la part des créateurs parce que c’est une bonté de jouer, de chanter. Cette bonté, c’est un cadeau au public et tout le monde était content parce que pour nous, dans les années 1960, la musique était thérapeutique ! Et tous les parasites qui ont suivi les maisons de disques ont écrasé la musique et ce qu’il reste maintenant c’est la nostalgie : histoire de faire penser qu’en cette période de crise, c’était mieux avant et c’est une fausse idée !
Je rencontre plein de connards qui me disent que pour eux, la musique s’est arrêté en 1970, 1980… il y a toujours de la bonne musique ! J’ai récemment découvert un groupe américain Seven Wall qui a fait un clip époustouflant vu cent million de fois sur Internet : c’est formidable ! Comment se fait-il qu’avec toute cette presse, je n’ai jamais entendu parler de ces gens ? Grâce au Net, ils ont réussi à éviter cette pression commerciale !
La chose que tu as dit qui est intéressante et qui m’a fait rire, c’est qu’on a fait un tour de 360° à savoir que la plupart des artistes ne vendent plus donc ils sont forcés de faire la route ! Alors maintenant, on fait donc ce que tu as dit pour maintenir le lien entre le public et soi-même mais on ne va pas chanter que des chansons qu’ils n’ont pas connu, c’est con ! Je me souviens être allé voir un concert d’Elton John où il avait décidé de ne jouer que des titres de son nouvel album : les spectateurs sont peu à peu sortis à partir de la moitié du concert : c’était effroyable ! Il ne faut jamais faire ça, il faut revenir en arrière mais c’est à nous, c’est notre boulot de trouver le bon équilibre entre les choses que le public n’a pas entendu et les choses qu’ils connaissent !
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Se faire plaisir et faire plaisir au public !
Nous, on protège ce plaisir ! On est là que pour le plaisir ! Quand des gens viennent te voir et te disent que tu es généreux, je réponds : "Non, je ne suis pas généreux ! Ce sont les autres qui sont radins !" (Sourire) ! Ce sont des gens qui viennent me voir en me disant que j’ai l’air de m’amuser avec mes musiciens dans une sorte d’homogénéité ! Oui mais c’est parce que c’est différent tous les soirs ! Ce n’est pas énormément différent mais il y a des moments de spontanéité : je ne donne pas les partitions, je ne suis pas un "m’as-tu vu" sur scène… Je suis là en tant que membre d’un orchestre, chacun fait son boulot, le mien est de chanter. Malheureusement, le public a besoin d’un point focal et c’est tombé comme ça ! Je ne le renie pas et en même temps, je ne le souligne pas !
Non, c’est quand quelqu’un vient te voir à la fin d’un concert en te disant qu’il a plein d’emmerdes mais qu’il les a oublié pendant les 2 heures et demie de concert : ça, c’est formidable, c’est ce qu’on cherche à faire ! C’est comme quand des gens viennent te dire qu’ils ont traversé des moments difficiles et que ta musique les a soutenu ! Si une personne te dit ça, ça vaut la peine de continuer et c’est pour ça qu’on le fait parce que non seulement c’est la joie qu’on a mais on arrive à partager cette joie avec les autres !
Au niveau comédien / chanteur, c’est assez simple : ça vient de la même racine, c’est un besoin de m’exprimer ! J’ai vécu des années à la maison avec un père qui faisait des films documentaires, qui faisait beaucoup de recherches… ce qui fait que c’était un homme très curieux, peut-être est-ce psychologique parce que sa mère avait été tuée par l’IRA lorsqu’il avait 2 ans. Mais il avait une curiosité qu’il m’a transmise et c’est pour ça que je ne suis pas aigri, c’est la pire chose du monde. Malheureusement aujourd’hui, les raisons sont de plus en plus claires, c’est l’argent !
Tu parlais de plaisir, est-ce que tu comptes en donner à nouveau avec de nouveaux titres car la sortie de ton dernier album date maintenant ?
Sur ce dernier album, c’était une chance de faire des chansons en français parce qu’ils avaient besoin d’une chanson en français pour le générique d’une série de télé qu’ils ont acheté en Angleterre. Il n'y a eu qu'une saison de 3 mois donc c'était mort avant que le disque ne sorte. Ils m’ont mis avec des jeunes qui avaient écrit pas mal de chansons en français. Elles étaient pas mal mais toutes écrites à l’ordinateur… Je trouve cette façon de faire fascinante à voir mais il y a un manque de…
… expérience ?
… d’expérience et de savoir-faire ! Auto-thuner la voix : c’est la folie, ça enlève toute la personnalité ! Ils n’ont rien compris à la recherche d’une certaine perfection parce que c’est dans leurs têtes, la perfection c’est mathématique et il y a des outils pour y arriver ! Le pro-tool, c’est pour corriger quelques petits trucs qui ne sont pas bien pour l’oreille mais ça enlève la confiance ! Et dans le même sens, quand ils font des choses avec les pro-tools, ils n’ont plus confiance en leur jeu ! Désormais, quand quelqu’un sort un disque normal sans auto-thune, on le voit comme une merveille (Rires) ! A côté de ça, aujourd’hui, tu ne vois plus une photo qui n’est plus retouchée avec toujours cette image de perfection ! On peut travailler des choses qui ont l’air parfaites mais qui n’ont aucune vie à l’intérieur ! Et c’est la raison pour laquelle, mes héros sont des gens comme Ry Cooder qui a bien respecté la notion de silence qui doit être présente à côté de la musique : il faut les deux ! Il faut de l’imperfection autant que de la perfection !
Et la jeunesse aujourd’hui a un besoin de célébrité. Je trouve que la première à avoir eu cette attitude c’est Madonna dans les années 1980. Elle n’avait pas vraiment un grand talent - elle chantait, dansait c’est tout… et encore on a besoin de tripler les voix pour avoir quelque chose qui tienne la route - mais par contre, elle avait un point fort : c’était son ambition ! Et c’est cette ambition-là que tous les jeunes ont aujourd’hui ! Ils sont entrés dans un autre monde !
C’est vrai, nous sommes rentrés dans une autre perception de la musique. Mais la tienne, tu ne nous réponds pas : où en es-tu de l’écriture d’un futur album ?
A quoi ça sert d’écrire d’un album ? Si tu veux savoir, je n’ai pas assez d’argent pour faire tout moi-même alors on m’a demandé de faire une autobiographie l’année dernière. On l’a fait mais j’étais pressé : il fallait la faire en 5 mois ! Ce n’était pas comme je voulais : le monsieur qui enregistrait mes propos avait vécu un an en tant que rédacteur en chef aux Etats-Unis, il pensait comprendre l’anglais mais le problème c’est qu’en Amérique, le vocabulaire est limité à 100 mots (Sourire) ! Quand il m’a fait lire la première version de ce que j’avais dit, il avait souvent écrit l’inverse ! Avec tout ça, je suis revenu en arrière, chercher les chansons phares, les moments phares que j'ai aimé car je ne suis pas différent du public : il y a des chansons que j’écoutais en boucle comme celle de Carole King chantée par the Everly Brothers en 1962 (NdStruck : "Crying in the Rain"). Et je n’avais qu’une envie, c’était le faire ! Ce qui a changé, c’est que je n’aurais jamais pensé à le faire à l’époque. Mais maintenant, avec le recul et en voyant tellement de gens forcés de faire des reprises, qui d'ailleurs ont fait moins bien que l’original, je me suis dit pourquoi aller contre la nostalgie ? Parce que malheureusement, il y a un système qui t’emprisonne. La première chose qu’un promoteur te demande est de savoir si tu as une maison de disques parce qu’il veut qu'elle paie pour t'entendre à la radio sinon il ne va pas te prendre ! On a fait un concert avant-hier où on s’est fait entuber par le promoteur qui nous a dit que remplir des salles comme nous le faisons sans maisons de disques, c’est déjà pas mal ! Mais on y va, on s’en fout ! Et mon secret personnel, c’est qu’une bonne partie de la "clientèle" qui vient nous voir veut retrouver le sentiment qu’elle a connu à l’époque ! Elle a malheureusement élargie le sentiment qu’elle a eu !
A l’époque, je buvais pas mal de Cognac - peut-être une bouteille par jour - je fumais, je prenais des drogues… Et ma voix n’était pas à la hauteur. J’ai arrêté de fumer à 50 ans - c’est à dire, il y a 16 ans - Maintenant, ma voix est meilleure qu’elle ne l’était à l’époque ! Et quand je vois les gens venir me voir à la fin des concerts me dire que le concert était aussi bien qu’à l’époque, je sais que c’est infiniment mieux aujourd’hui que ce que ça n’était avant (Rires) ! Je ne sais pas où on va avec tout ça ? Le besoin de s’exprimer comme je te l’ai expliqué mais il n’y a pas que ça : ça permet une objectivité, ça veut dire que je n’ai pas besoin de dépendre d’un métier ou un autre : quand un des métiers me fait chier, peux aller sur l’autre. Ce qui est sûr, c’est que le cinéma, c’est l’inverse du rock ! Quand les gens viennent aux concerts, c’est pour me voir, c’est le meilleur compliment qu’on peut avoir ! Mais au cinéma, tout ce qu’on te demande, c’est d’apprendre tes textes, de rester sur une ligne pour les caméras : on ne te demande rien d’autres, on ne te demande pas ton avis, on s’en fout et tu leur appartiens 24 heures par jour ! C’est humiliant mais tu apprends vraiment à être un torchon, à faire ce que l’on te dire de faire… Ca me donne une objectivité de constater que n’importe quel métier peut imaginer que tu lui appartiens parce qu’il te paie ! Et maintenant, c’est encore pire, je vais voir un metteur en scène cet après-midi qui va me demander de faire un boulot pour des clopinettes. Et pour l’avoir déjà fait, je sais que moins on te paie, plus on te traite comme de la merde ! C’est bizarre et c’est un autre paradoxe !
Si j’ai bien compris, tu es en train de nous concocter un album de reprises. A propos de reprise, quel est ton avis sur la reprise de "One Night in Bangkok" par Steve Vai ?
Je ne connais pas.
Et bien, c’est un guitar hero qui a repris l’introduction symphonique de ce titre.
Ah oui, ça, ça vaut la peine ! Je ne sais pas combien Abba était responsable pour ça. Je pense que c’est plutôt le travail d’Andersson (NdStruck : Benny Andersson), il a écrit ça avec l’orchestre, il s’est mis chef d’orchestre ! Ce jeune homme était un petit génie parce que même si on sait que c’est du plagiat, quelque part, c’est du bon plagiat, c’est fait avec classe ! C’est qui est intéressant la-bas : tu te rends chez un disquaire suédois et tu te rends compte qu'ils ont une culture musicale énorme ! Ce qui fait que la base d’Abba était quand même Benny, l’accordéoniste qui a même fait un disque d’accordéon !
On a commencé par la question qu’on t’a trop souvent posée, au contraire, quelle est celle que tu souhaiterais que je te pose ?
(Silence) La base de ma vie est d’être disponible et les lecteurs de MusicWaves peuvent me demander ce qu’ils veulent, c’est pour ça que la grande recherche est d’essayer de trouver la vérité dans ce qu’il nous arrive et ce qu’il se passe. Et étant donné que je suis confiant là-dessus, je dois être prêt à répondre à n’importe quelle question ! Donc je n’ai pas à demander qu’on me pose une question en particulier, on peut me poser n’importe quelle question. C’est vrai, parfois, on n’a pas très envie de répondre à certaines questions ! Peut-être que dans ma vie, j’ai eu une douzaine de questions très, très intéressantes qui m’ont fait penser mais en général, ce sont des choses auxquelles on n’a aucun problème à répondre !
Et ce soir, comment te sens-tu à quelques minutes d’entrer sur scène ?
La seule sensation que j’ai est que je suis à Paris ! C’est une ville blasée qui n’a pas besoin de Murray Head… Ou peut-être quelques personnes ?
Oui justement ceux qui vont remplir le Café de la Danse ce soir !
Heureusement mais c’est une minorité très élitiste (Rires) ! Que puis-je dire (Rires) ? Non, le nombre de gens qui te disent : "J’ai tous tes albums !", ça veut dire qu’ils sont "Say Isn’t So !" ! Ceux qui te disent : "J’ai écouté tous tes disques !", ça veut dire qu’ils ont écouté "Say Isn’t So !" ! Ceux qui te disent : "J’adore ce que tu fais !", ça veut dire qu’ils adorent "Say Isn’t So !" ! En même temps, quand je parle de la France, toi-même, tu as fait une moue. La France, c’est un pays littéraire et pour moi, ça a trop influencé leur appréciation de la musique, ils ne se sont pas laissés aller avec la musique. Ils se sont laissés aller avec la musique dont ils ne comprennent pas les paroles, c’est à dire la musique anglo-saxonne ! Il y avait une époque où je vendais des disques, je le dis à chaque fois mais je les fais attendre des heures avant de jouer mon tube et ainsi éviter d’avoir une fixation sur une chanson ! Je leur dis à la fin qu’ils m’ont mis dans une situation d’impuissance totale depuis 40 ans parce que ils ont pris ma chanson politique, ma rage de jeunesse… qui par un hasard ou une chance incroyable, aujourd’hui, a plus de force : elle n’a jamais été aussi appropriée aujourd’hui contre les chefs d’état ! Et ils l’ont prise pour une chanson d’amour !
Et c’est vrai que cette chanson est plus que jamais d’actualité.
Oui parce que c’est trop fort pour un mec, c’est clair ! Pour un chef d’état, la vérité devient très effrayante ! Et une autre question qui revient souvent est : "Tu n’en as pas marre de toujours chanter les deux mêmes chansons tout le temps ?". La seule fois où ça devient difficile, c’est quand on la chante en play-back !
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Mais quelque part, c’est le lot de chaque artiste de toujours chanter les mêmes chansons, ce n’est pas propre à Murray Head et ses deux tubes ?
Oui mais c’est à nous de le contrôler ! Ce qui se passe c’est qu’il y a une énergie brute qui vient sur scène, je la ramasse et la rejette encore plus fort sur eux et ça monte, ça monte et à la fin, c’est la banane (Sourire) ! Mon idole - quand je suis arrivé en France dans les années 1970 - dont j’ai vu 5 concerts l’un après l’autre et qui venait faire deux ans de théâtre de la rue, c’était Higelin ! Il y a peu de vrais showmen comme lui et ce n’est pas en restant enfermé dans un château pendant 3 semaines qu'on devient un showman ! Je n’y suis jamais allé mais on m’a raconté que tout le monde allait à un concert de la Star Ac’ à l’époque pour leurs enfants ou ceux de leurs amis. Comme ils n’étaient pas intéressés, ils parlaient avec les autres pendant le concert et ça devenait une cacophonie incroyable, on n’entendait même pas la musique ! En plus ils amenaient leur bouffe pendant le concert (Rires) ! Ce n’est pas juste la responsabilité de la télé. Le cinéma gagne son argent sur la bouffe et pas sur le film ! Et c’est toujours la même chose, on est confronté à de faux contextes et je pense qu’un de ces jours, ça va mal se terminer ! Je pense qu’un de ces jours, le public va petit à petit se rendre compte que des gens font mal ce métier, friment, ne signent pas de dédicace ce qui est une chose tout à fait naturelle. Les gens vont commencer à faire le tri !
Le mot de la fin aux lecteurs de Music Waves ?
(Silence) Ne faîtes pas de musique pour frimer ! Trouver vos vraies passions, trouvez ce qui vous emporte parce que la musique, c’est plus que de la nostalgie ! Il faut trouver les vraies valeurs de la musique, ce qu’elle te donne et ne soyez pas influencés parce qu’il y a beaucoup de critiques ! Je n’ai pas d’argent pour faire des affiches ou une ou deux par ci, par là ! On m’a fixé cette date-là parce qu’un artiste s’est décommandé en décembre. Je suis en autoproduction, donc je savais que j’allais perdre de l’argent mais pourquoi pas ? On a des amis sur Paris, on va essayer de faire quelque chose ! Les gens attendent qu’on les matraque, il faut faire des affiches partout un an… Maintenant, ils attendent assommés dans leurs fauteuils en se disant que ça ne doit pas être bien parce qu’on n’a pas mis assez d’argent sur l’affiche !
Dans ces conditions, pourquoi jouer pour ces gens-là ? Il y a suffisamment de choix partout, on fait Paris parce qu’on est de passage, ce n’est pas dans mon intérêt : l’intérêt c’est pour les gens qui nous aiment ! On tourne dans des lieux comme Rouillac avant-hier : il y avait 700 personnes, avant ça, on a fait Royan, c’est bourré, on a fait Charenton, il y avait 800 personnes… Mais le mot de la fin, c’est rester fidèles à vous-mêmes, vos goûts et essayer de ne pas être influencés par les critiques !
Merci beaucoup !
Enchanté de t’avoir rencontré et merci pour l’entrevue.