Nous nous sommes rencontrés en 2010 juste avant votre montée sur scène, quoi de neuf depuis ?
Kobi Farhi : Alors, on a tout d'abord sorti en 2011 un DVD pour fêter les 20 ans du groupe : "The Road To Or-Shalem". C'était génial, on a pu avoir
Steven Wilson et d'autres invités pour chanter des chansons d'
Orphaned Land.
Steven est un Dieu. On a ensuite tourné en tête d'affiche à travers l'Europe. Première fois en tête d'affiche, c'était grandiose. Puis on s'est remis au boulot pour préparer ce "All Is One".
Est-ce que ce DVD suivi de la tournée vous a influencé dans la direction qu'a pris le groupe avec ce nouvel album ?
Ce qui nous a influencé pour prendre cette nouvelle direction, c'est plutôt le fait qu'
Orphaned Land existe depuis maintenant 22 ans. Si tu écoutes les chansons qu'on a écrites à l'époque, comme 'Sahara' par exemple, on chante les mêmes sujets, et 22 ans plus tard, rien n'a changé. Le monde n'a pas changé, le Moyen Orient est toujours aussi ensanglanté, les gens deviennent des soldats, le conflit est toujours là. La Syrie et la Palestine se battent jusqu'à la mort. Je ne me vois pas faire autre chose que d'essayer de faire de meilleures chansons et de les rendre plus puissantes parce que c'est ce que je sais faire. On a donc voulu faire un album abordable dans lequel tout est clair, le nom de l'album, la pochette, les paroles, les voix... C'est dans cette optique qu'on a fait de cet album ce qu'il est. Pour rendre le message plus fort.
En effet, ce "All Is One" est très abordable et plus mélodique que les albums précédents. Les touches Progressive et conceptuelles de "ORWarriOR" ont laissé place à un Heavy Metal plus naturel. Vous avez donc aussi voulu revenir à une musique plus facile ?
Je pense que d'une certaine façon, certaines chansons sont toujours progressives. Si tu prends 'Children' ou 'Our Own Messiah' qu'on vient tout juste de sortir, c'est toujours progressif. Pas autant qu'"ORWarriOR", c'est vrai, mais on a voulu qu'il soit le plus accessible possible. Quand les gens ont découvert "ORWarriOR", il a parfois fallu plusieurs écoutes pour comprendre les compositions parce qu'elles étaient très compliquées. J'adore la musique compliquée mais dans cet album on a voulu qu'en une seule écoute le message soit clair. Ce qu'on veut transmettre est tellement puissant, tellement fort, que cette fois, il faut qu'il soit simple, au détriment d'une musique trop sophistiquée.
Le message d'Orphaned Land a toujours été fort, notamment dans "ORWarriOR", où tu nous disais à l'époque que tu te considérais et nous considérais comme des guerriers porteurs de la mission et du message pacifiste d'Orphaned Land. Donc cet album serait une façon de diffuser plus largement ce message, pas uniquement pour les Metalleux ?
Exactement. Il n'a pas pour but d'être commercial, ni d'être taillé pour passer à la radio, mais tu vois, j'habite en Israël, et je sais qu'il n'y a personne là-bas de plus connu dans les pays arabes que les membres d'
Orphaned Land. Les gens se font des tatouages voire vont en prison à cause de nous. Les gens viennent d’Istanbul, de Syrie, d'Iran, d'Arabie Saoudite pour voir un groupe Israelien ! Donc je me dis qu'en 20 ans de carrière, rien n'a changé dans le monde et pourtant j'ai des centaines de fans qui suivent un groupe Israelien. Je veux qu'ils soient des centaines de milliers, des millions ! Ce n'est pas pour l'argent - nos albums sont interdits donc on n'en vend pas là-bas - mais si on pouvait faire passer ce message au plus grand nombre de musulmans : Regardez, des milliers d'entre vous nous suivent, les Israëliens ne sont pas ce qu'on vous dit, on est des gens comme vous, venez nous parler, on peut communiquer, c'est le plus important pour moi !
C'est donc très ciblé, et conscient de votre part...
Oui, mais le plus important pour nous est de ne pas perdre de vue l'esprit du groupe. Un vieux fan doit toujours retrouver cet esprit encore aujourd'hui. Je ne veux pas les perdre, mais je veux être plus accessible aussi.
Tu nous disais à notre dernière entrevue qu'une des questions qu'on te posait souvent était de savoir pourquoi les albums mettaient si longtemps à sortir (6 ans). C'est une des premières fois que vous composez et sortez un album si rapidement. C'était voulu aussi ?
Tu sais quoi, notre maison de disque nous a pas mal titillé à cause de ça (6 ans entre "Mabool" et "ORWarriOR") - rires - mais c'est parce qu'on était vraiment très perfectionnistes. "ORWarrior", c'est 15 chansons, 78 minutes de musique, bref beaucoup d'informations d'un coup ! Mais on n'est pas obligé de faire 78 minutes à chaque fois ! Cette fois-ci, on pouvait faire 58 minutes, et si la musique est plus accessible, c'est plus facile à composer parce qu'il n'y a pas tant de couches et de complications.
Quand on écoute "Mabool" ou "ORWarrior", on constate effectivement que vous avez plein de contenu à mettre dans un album. Est-ce que ça n'a pas été difficile de vous restreindre dans votre créativité et dans l'écriture pour répondre aux demandes de la maison de disque de sortir un album plus rapidement ?
Je me souviens quand on a fini "ORWarrior", on s'est dit qu'il fallait qu'on trouve un moyen pour sortir le prochain en moitié moins de temps. Après le DVD, il s'est passé un truc important dans le groupe.
Matti a dû nous quitter pour se rapprocher de sa famille et se lancer dans des projets personnels. Sur la fin, il avait perdu toute motivation. Et son remplaçant, Chen, a insufflé énormément de fraîcheur. Il est très jeune, et c'est l'histoire classique du fan qui finit par entrer dans le groupe. Il publiait sur YouTube des chansons d'
Orphaned Land qu'il jouait à la guitare. Quand Matti est parti, il a débarqué ! Le groupe a plus de 22 ans, lui en a 21 ! (rires)
Tu dois être fier, c'est un enfant d'Orphaned Land !
Orphaned Land c'était déjà sa vie quand il était du côté des fans. T'imagines le rêve pour lui ! Je lui ai dit que la prochaine tournée promo, il faudra qu'il la fasse parce qu'il a une belle histoire à raconter ! (rires) Bref, il a vraiment été bénéfique pour le groupe. Toute la production de cet album, on l'a faite chez lui ! Ca a été très vite parce qu'il s'est entièrement consacré à
Orphaned Land. Quand j'avais des remarques, je lui envoyais des listes avec 50 points : 'fais ça', 'allonge ça', 'mets plus de batterie là', 'des claviers ici', blablabla. Il faisait tout dans la même journée ! C'est un gamin de l'informatique en plus, il peut te séquencer des samples en un rien de temps, faire une ligne de batterie en moins de deux. Nous on vient des 90's, mec (rires) ! J'aime aller en salle de repét et jouer tu vois ! J'y connais rien là-dedans. On a fait énormément de progrès dans ce sens et on a vraiment pu avancer beaucoup plus vite cette fois-ci.
Yossi a sorti il y a tout juste un an son album solo "Melting Clocks", très Folk. Est-ce que ça a été une influence également dans l'écriture ?
Non, du tout. Ce qu'il a fait, ce sont des choses qu'il n'aurait pas pu faire dans
Orphaned Land : bluesy, jazzy... Au contraire, Yossi était tellement pris dans l'enregistrement de son projet solo qu'il n'a pas beaucoup contribué à l'écriture du nouvel album. Pendant tout le processus, Yossi était en tournée avec
Marty Friedman. L'album a vraiment pris forme sans lui. Je dirais que pour l'aspect Folk, c'est uniquement parce que c'est comme ça qu'on avait voulu que cet album sonne, c'est tout.
Steven Wilson avait produit "ORWarrior" qui avait amorcé une grande évolution dans votre son. Est-ce encore le cas ?
Non, malheureusement. J'aurais voulu qu'il produise cet album également, et même le DVD, mais il a été vraiment très occupé ces derniers temps, avec la sortie de son superbe album solo. Même pour le DVD, il nous a dit qu'il n'avait pas le temps de mixer tout le concert, mais uniquement les chansons sur lesquelles il a joué. Donc il nous a orienté vers
Jens Bogren qui a fait un super boulot. Mais tu vois, je pense que ça ne change pas grand chose au final car on sait produire de la musique Folk. C'est une des raisons pour lesquelles il était fasciné par
Orphaned Land.
Mira Awad assure maintenant la partie vocale féminine depuis le départ de Shlomit. Il semblerait qu'elle soit plutôt relayée au rang de back vocals pour les refrains. Est-ce une façon d'amplifier la tradition des chants du Moyen Orient ?
Shlomit a en effet dû quitter le pays avec son mari pour s'installer aux USA. Elle attend son 2ème enfant. Je pense que notre musique est déjà très riche, avec beaucoup d'instruments, de couches... J'adore les groupes à voix féminines comme
The Gathering.
Paradise Lost a agrémenté son chant d'une voix féminine aussi, mais avec parcimonie, je pense que c'est un bon dosage comme ça.
Opeth l'a fait sur un titre aussi.
Mira est une chanteuse Palestinienne merveilleuse. Elle apporte une touche Arabe à l'album.
C'est un pas de plus pour illustrer votre message...
Oui, et il y a même une chanson ('Through Fire And Water') où l'on reprend les même mots, moi en Hébreux, elle en Arabe. Ca fait très cliché, mais c'est une chanson romantique. Comme le concept de l'album, elle traite du pouvoir de l'amour. On chante que malgré le feu, la guerre et le sang, je franchirai les eaux et le feu pour partir avec elle. C'est comme ça que l'amour devrait être, il doit vaincre malgré tous les obstacles. Si tu écoutes bien, tu noteras la façon dont elle se termine très brutalement pour démarrer sur le gros kick de 'Fail'. Avec l'amour tu suis ce rêve jusqu'à ce que la réalité vienne te rattraper.
'Shama'im' est une autre chanson magnifique qui peut être traduite par 'Paradis' ou 'Ciel' sur laquelle on peut entendre des chants grégoriens. De quoi parle-t-elle en particulier ?
Sur le DVD, on a invité Yehuda Poliker pour la jouer avec nous. Yehuda est un très grand artiste extrêmement apprécié en Israël. Il a 62 ans et il est le seul à avoir vraiment traité le sujet de l'holocauste parce que c'est le fils d'un survivant. Je vais vous faire 2 confessions : Le nom
Orphaned Land vient d'un texte qu'il a écrit dans une de ses chansons. C'était un chanteur plutôt Rock'n'Roll qui combinait du bouzouki et des riffs orientaux. C'est un peu notre père. C'est probablement le plus grand artiste en Israël. Il a accepté notre invitation pour l'enregistrement du DVD de nos 20 ans. Il nous a même proposé de nous écrire une chanson. On était dingue, on n'en revenait pas ! (rires) C'est un rêve devenu réalité. Au delà de la musique qui est magnifique, le texte qu'il a écrit décrit tellement bien
Orphaned Land...
Dans le livret, la chanson est traduite. Elle s'appelle 'Ciel' en référence au ciel, un endroit sans frontière. Elle traite du fait qu'on se détruit nous et notre terre à cause de croyances stupides et parce qu'on suit de faux messies et qu'on est des moutons à écouter des bergers stupides. C'est un requiem pour cette terre universelle. Les chants grégoriens chantent une partie de l'histoire du Déluge en Latin. Ca rappelle beaucoup "Mabool" d'une certaine façon, ce sont les funérailles de la terre sainte.
Autre chanson qui nous a marqué : 'Let The Truce Be Known'. Si tragique, avec un mid-tempo et ses cordes et piano qui couvrent les bruits de guerre... Le message est très fort. Qu'attendez-vous d'une telle chanson ?
J'adore ce titre, il est tellement tragique en effet. Je vais t'avouer que quand je l'ai enregistré, j'ai pleuré... Elle est issue d'une histoire qui me retourne complètement, "La Trêve de Noël" pendant la première guerre mondiale. Ca faisait des mois que les soldats étaient en guerre, à subir de lourdes pertes. Puis le soir de Noël, les deux camps ont joué ensemble au foot, dansé, bu des bières, se sont offert des cadeaux... le lendemain c'était reparti. Tu vois, cette histoire me fout en l'air. On a adapté cette histoire aux soldats Israeliens et Arabes. Ils se battent parce qu'ils sont prisonniers de la propagande, ce sont les marionnettes des dirigeants. Alors qu'ils sont sur le point de s'affronter, ils se cachent. Puis l'un des deux entend l'autre jouer de la flute - pour illustrer que la musique peut unir les gens - et commence à chanter par dessus. Puis ils vont vers l'autre, se rencontrent, s'apprécient et passent la soirée ensemble. Le lendemain, les affrontements reprennent et ils se tuent sans même s'en rendre compte. Je voulais illustrer à quel point la musique pouvait être puissante. Je le vois avec
Orphaned Land. Nous avons des fans dans les colonies israeliennes et d'autres qui viennent d'un Iran à l'Islam radical... Comment est-ce possible ? La musique.
On le voit aussi dans l'illustration de la pochette où vous mixez tous les symboles des religions pour n'en faire qu'un. Est-ce une façon d'insister sur le fait que ce qui divise les gens doit plutôt les unir ?
L'artwork est en totale contradiction avec la vie réelle, exactement. Les chansons sont la réalité, les soldats, les enfants meurent, la propagande nous lave le cerveau... Ce sont les premiers mots de 'All Is One' : encore et toujours, on a l'espoir que tous ne fassent qu'un.
Vous n'avez pas peur qu'avec des chansons plus folk vous perdiez vos fans Metal ? Parce qu'Orphaned Land, c'était avant tout un groupe de Death ?
Si j'ai peur, bien sûr. Je suis terrifié même. On ne sait jamais comment et si les fans vont l'accepter. Mais même en étant terrifié, on doit suivre notre Vérité. C'est parce que j'étais terrifié qu'on les a prévenu à l'avance en leur disant qu'il n'y aura pas de growl.
Il y en a pourtant un soupçon sur la chanson 'Fail'...
Oui, c'est vrai. Mais au début, on n'était pas censé le faire. On a dit aux fans "Faites-nous confiance, suivez-nous, on est toujours des musiciens, et on suit notre Vérité, continuez de suivre notre musique". Mais voilà, quand j'ai écrit 'Fail', j'étais tellement en colère, j'en voulais aux journaux, aux hommes politiques pour tout le lavage de cerveau qu'on subit sans arrêt. Je me suis posé pour y réfléchir et j'ai finalement décidé d'inclure ce passage. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y en aura plus. Quand on me demande si c'est fini le growl, je réponds toujours : "On verra si je suis toujours en colère sur le prochain album." Ce qui est tout à fait possible !
Un certain nombre de fans ont déjà vu Opeth arrêter le growl et ont été très déçu, ils vont penser "Pas Orphaned Land maintenant !"
Je ne pense pas qu'ils aient déçu par "Damnation" ! Mais effectivement, ça n'a pas marché avec "Heritage" : je ne saurais pas dire pourquoi ?
Peut-être parce que "Damnation" faisait suite à l'obscur "Deliverance" ?
Oui, c'est vrai. Tu as vraisemblablement raison !
La plupart des groupes puisent leur inspiration dans leur vécu et leur environnement. Comment expliquez-vous qu'Israël, qui n'est pas une terre de tradition Metal soit pourtant présente dans le paysage mondial (avec Orphaned Land, Arafel, Salem...) ?
Déjà, Israël est la seule démocratie du Moyen Orient. Nous sommes les seuls qui pouvons faire ce que nous voulons. Je peux faire tout un album en disant que je veux cracher sur le premier ministre, j'ai le droit de le faire. Les pays Arabes ne le permettent pas. Tu ne peux pas être Metalleux sans être considéré comme infidèle... Ensuite, la vie dans le Moyen Orient est sacrément hardcore. En Suisse, il n'y a pas de guerre, tu vois ce que je veux dire ? Je m'attends plus à ce que le meilleur Metal vienne du Moyen Orient en fait, parce que nous vivons au milieu des armes, dans la guerre. Nous sommes littéralement une terre de Metal.
Un dernier mot pour les lecteurs de Music Waves et peut-être même en français ?
J'ai réellement hâte de tourner sur les quelques dates qui sont prévues à travers la France. Venez nous voir sur scène, vous allez aimer notre dernier album. Nous avons une affection particulière pour la France parce qu'
Holy Records était notre premier label, que vous nous avez toujours bien accepté et reçu. J'espère que pour le prochain album, le monde sera plus vivable, et que je pourrai écrire des chansons de fête. J'ai hâte de vous rencontrer, et vous dis à très bientôt.
Merci, Kobi !
Merci pour tout et notamment le fait de diffuser notre message...
Merci à Noise pour sa contribution...