La genèse
Question : je suis un fan de rock progressif dont le pays est quasiment déserté par les formations étrangères évoluant dans ce secteur, et où les groupes autochtones éprouvent les pires difficultés pour trouver des organisateurs de concerts pour les accueillir. Comment faire pour écouter de la musique en live ?
Réponse 1 : renoncer et se contenter des écoutes de CD en solitaire
Réponse 2 : effectuer de longs déplacements à l'étranger, direction la Belgique ou l'Allemagne
Réponse 3 : se prendre en main et faire venir à soi ses groupes préférés.
Et c'est cette dernière option que Thomas et Jean-Michel, accompagnés de leurs épouses respectives Agnès et Monique, regroupés sous la bannière de Pete2r Productions, ont prise au printemps 2013 en décidant de forcer le destin pour leur plaisir … et le nôtre !
C'est donc en faisant jouer leurs relations récentes ou anciennes que les 4 fantastiques ont monté une affiche 100% française pour cette première édition de Prog en Beauce, en conviant un groupe débutant, deux ténors à la réputation bien établie, et la révélation de l'année 2012 à venir se produire sur scène.
Le contexte
Après avoir cherché mon chemin dans Nogent-le-Roi, charmante bourgade posée au milieu d'immenses plaines céréalières, c'est finalement dans une zone industrio-commerciale que je finis par apercevoir quelques têtes aux cheveux gris et des tee-shirts au design connu, annonciateurs de la tenue d'un événement culturel intéressant à proximité !
La salle de petite capacité (120 personnes – sold out depuis plusieurs semaines) se révèle tout à fait adaptée à l'événement, avec des dimensions favorisant la proximité des artistes avec le public, une mezzanine surplombant l'ensemble, et surtout, surtout, une acoustique qui va se révéler excellente, d'autant que les organisateurs ont fait venir du matériel de top niveau, tant pour le son que pour les lumières, le tout géré depuis des tables de mixages impressionnantes par des "ingénieurs" du son et un éclairagiste à la hauteur.
THE MORGANATICS
Régionaux de l'étape, les
Morganatics ont le redoutable privilège d'ouvrir le bal, de surcroit devant un public majoritairement composé de vieux progueux, pas forcément connaisseurs du répertoire du groupe, lequel venant juste de fêter la sortie de son premier album 4 jours plus tôt lors d'une release-party.
Le premier contact s'avère un peu rude, les deux premiers morceaux étant très rentre-dedans, le groupe jouant avec deux guitares métalliques en diable, une section rythmique typée métal et qui se déchaîne derrière les deux 6 cordes. Heureusement, les parties chantées permettent de calmer tout ce beau monde, Sébastien jouant de son registre dans les aigus, en étant soutenu par la voix féminine de Christelle, tantôt à l'unisson, tantôt en accompagnement.
Inévitablement, on ressent la jeunesse de la formation et son manque d'expérience, avec quelques "pains" de ci de là, mais petit à petit, la sauce finit par prendre grâce à des morceaux plus complexes, avec en apothéose le magnifique "
Ready" qui va déchaîner le public. L'enthousiasme de Sébastien est communicatif, et on sent une intense sincérité dans son implication.
Au final, le public demandera (en vain faute de temps) un rappel amplement mérité pour une formation dont on reparlera très sûrement dans les prochains mois.
Set-list : Come With Me / The Great Deceiver / Pro-Mia / Fade Away / Little Finger Syndrome / Ready / Sand (As Children Say)
WEEND'Ô
Après cette mise en bouche, place à
Weend'ô, groupe comptant de nombreux supporters conquis par avance dans la salle. Il faut dire que leur premier album publié l'an passé et quelques prestations mémorables ces derniers mois ont établi une réputation de valeur montante aux agenais qui leur vaut notamment d'être conviés l'an prochain à Montréal ! Et, pour ceux qui ne les avaient encore jamais vus en live, ce qui est le cas de votre serviteur, ils ont très vite rejoint le premier camp après une ouverture somptueuse aux ambiances mêlant Porcupine Tree et Violet District, avec un jeu de guitare aérien.
Le son est tout bonnement formidable et le restera tout le long du set, savant équilibre entre tous les protagonistes, sans que les basses ou les riffs de guitare ne viennent submerger les autres instruments. Le jeu de lumières savamment agencé participe également à l'excellence de la mise en place.
Mais surtout, dès les premières notes délivrées de sa voix extraordinaire dont la tessiture ferait pâlir d'envie bien des artistes lyriques, Laetitia aimante littéralement la salle par sa présence : elle vit sa musique comme peu d'artistes, et sa complicité à la scène (comme à la ville) avec Terrence délivre quelques moments d'émotions purs (
The Soulmate). Ce dernier possède d'ailleurs un jeu qui rappelle celui de Kalle Wallner (Violet District / RPWL) : ribambelles aériennes ou gros riffs, tout paraît si facile quand on le regarde jouer !
Et les deux de la section rythmique sont loin de laisser leur part aux chiens avec une basse à six cordes joueuse en diable et surtout un batteur fabuleux, dont le solo en laissera plus d'un scotché sur place
Il ne faudra que quelques instants pour que toute la salle soit sous le charme, lequel persistera bien longtemps après les dernières notes du poignant
Deadline, et c'est sous une ovation plus que méritée que le quatuor va quitter la scène, avec pour beaucoup de spectateurs l'espoir de les revoir au plus vite.
Petite annonce personnelle : messieurs-dames d'Inside Out ou autres KScope, qu'attendez-vous pour vous intéresser à ces "frenchies" ?
Set-list : You Need to Know Yourself / Welcome / Run Away / The Soulmate / Betrayal / Why Not / Deadline
NEMO
Après un tel moment d'émotion, difficile de reprendre la main sur un public encore sous le charme, et c'est tout le challenge que doit maintenant relever Nemo, dont il serait leur faire injure que de présenter ici les états de service.
Souhaitant une ouverture instrumentale soignée, le quatuor auvergnat va pourtant rater quelque peu son effet, en raison de problèmes techniques rencontrés sur un des claviers de Guillaume Fontaine. Très professionnel, celui-ci va néanmoins enchaîner comme si de rien n'était, et c'est au son de la cornemuse que le groupe nous sert en guise d'apéritif une version remaniée (pour ne pas dire complètement méconnaissable !) de
Stipunt Liporum, les harmonies vocales ayant laissé la place aux instruments. Dans un registre différent des groupes l'ayant précédé, Nemo déroule son rock progressif technique, flirtant régulièrement avec un registre métallique mais sans jamais franchir la "ligne rouge".
Attentif, et probablement encore sous le coup de la performance de Weend'ô, le public a toutefois du mal à s'enthousiasmer, malgré les efforts réels des musiciens et une mise en place là encore de très haute tenue. La faute peut-être à une set-list faisant la part belle au dernier album (7 titres sur 9), que certains ont probablement découvert avec cette prestation. Peut-être pas le meilleur choix pour une durée réduite dans le cadre d'un partage de la scène avec d'autres formations (… mais cet avis n'engage que moi). Les musiciens vont toutefois assurer un maximum malgré la fatigue liée à une route nocturne en provenance de Lyon, tout en affichant un réel plaisir de jouer et une belle décontraction.
Finalement, il faudra attendre "
Revolu$ion" pour que l'ambiance monte clairement d'un cran, avant que le groupe n'invite Dominique Léonetti à monter sur scène pour interpréter un titre de Lazuli (
Laisse Courir), superbe initiative de la part de Nemo qui, bien que disposant d'un temps de scène réduit (1H15) en a offert une partie à ses amis, et ce pour le plus grand plaisir du public partageant là encore un grand moment d'émotion.
Set-list : Intro (Stipant Luporum réarrangé) / A la Une / Milgram, 1960 / Un Pied dans la Tombe / Seul dans la Foule / Arma Diania / Opium / Verset XV / Revolu$ion / Laisse Courir (Cover Lazuli avec Domi)
LAZULI
Tête d'affiche de cette première édition de Prog en Beauce, les gardois de Lazuli ont une fois encore démontré tout leur talent scénique, malgré un sound-check effectué en live en 10 minutes devant le public, en raison d'une arrivée tardive liée à des soucis de transport !
Malgré cela, le son s'est révélé quasi-parfait dès le départ, ce qui n'a pas empêché Dominique de descendre quelques instants plus tard taper la discute avec l'ingé-son, laissant ses collègues improviser pendant ce temps-là.
Dire que l'ambiance au sein de Lazuli est bonne est un doux euphémisme ; ces cinq-là prennent un pied incroyable sur scène, et le transmettent avec efficacité vers un public aux anges, séduit tant par des compositions qui ne laissent pas de marbre, que par leur interprétation pleine de dynamique et d'émotion.
Pour ce quatrième concert de la soirée, nous avons de nouveau eu affaire à des musiciens encore une fois de top niveau, avec une base arrière aux multiples talents (le clavier s'adonnant également au cor anglais et aux percussions et le batteur tenant le poste aux marimbas), tandis qu'au premier plan, les trois chevelus/barbus régalent la galerie avec leurs instruments "à corde"
Les titres vont ainsi s'enchaîner pendant une heure, alternance de morceaux récents et "tubes" anciens, avant qu'une improvisation (vraiment improvisée) de 10 minutes au clavier de Romain Thorel ne vienne clore cette première partie. Celui-ci reçut une ovation du public à la fin de sa performance … sauf celle de votre serviteur qui a peu goûté la chose, venant complètement casser le rythme du concert.
Pas bien grave, un petit "
Captain Cœur de Miel" va relancer la machine et c'est reparti pour une nouvelle heure de bonheur et de bonne humeur, sorte de concert entre potes complètement dans l'esprit de ce festival, Gederic terminant ses pitreries avec une descente dans le public tout en continuant ses improbables saillies électriques. Cerise sur le gâteau, une dernière couche d'émotion sous la forme d'un "spécial dédicace à Monique" viendra parfaire une prestation de nouveau inoubliable, avec une "
Valse à Cent Ans", délivrée toute en retenue, avant que les 9 mains ne viennent comme de coutume se rejoindre autour des Marimbas pour un dernier au revoir là encore non dénué d'humour.
Set-list : L'arbre / Dans le Formol au Museum / Le Miroir aux Alouettes / Festin Ultime / Je te Laisse ce Monde / Film d'Aurore / 15h40 / L'Azur /Une Pente qu'on Dévale / On nous Ment comme on Respire / Cassiopée / Solo Romain Thorel / Capitaine Coeur de Miel / Abime / Les Malveillants / La valse à Cent Ans / Naif / 9 Hands Around the Marimba
Puisque tout à une fin …
Quelques mots de conclusion pour souligner :
- l'organisation fabuleuse, tout simplement à la hauteur (pour ne pas dire plus) de bien des concerts ou festivals dits "professionnels"
- l'énorme disponibilité et la gentillesse de tous les musiciens
- la qualité du son et des lumières
- un grand moment de bonheur partagé entre amis et en toute simplicité
et regretter …
… qu'il faille attendre 12 mois pour revivre de telles émotions.
Mille mercis et bravo aux organisateurs et rendez-vous le 1er novembre 2014 … Turn the Hour Glass Again …
… et un dernier merci à Bill Bocquet pour les photos illustrant cet article.