Loin d'être un long fleuve tranquille, la fin des années 80 a apporté une (nouvelle) pierre de discorde à la longue histoire de Yes, le quatuor Anderson-Bruford-Wakeman-Howe ayant décidé de voler de ses propres ailes, tandis que l'autre fraction historique menée par le couple Squire/Rabin continuait à travailler sous son nom propre. Sous la pression de leurs maisons de disques, les deux entités ont finalement accepté de faire cause commune, sortant sous la bannière de Yes un treizième album au titre évocateur, construit à grands coups d'arrangements négociés ou non avec leurs auteurs par le producteur/guitariste Jonathan Elias.
A la lecture de ce line-up de rêve, le fan de Yes serait en mesure d'attendre monts et merveilles d'un album qui présente 70 minutes de musique, réparties en quinze titres issus de manière très inégale des deux pôles : les deux tiers proviennent du potentiel album des ex-ABWH, tandis que le restant découle des sessions de la formation auteur de 90125 et Big Generator. Trait d'union entre les deux parties, Jon Anderson assure la majorité des parties vocales, secondé par Chris Squire venu s'incruster au sein du quatuor "adverse", les autres musiciens restant sagement cantonnés dans leurs formations respectives.
Construit de la sorte, tout laisserait penser à une opposition flagrante de style au sein de l'album, tant les premiers nommés avaient su ressusciter la tonalité originale de Yes avec leur première (et unique) production, tandis que les deux œuvres sorties dans les 80's sous la houlette de Trevor Horn affichaient crânement une modernité collant furieusement à leur époque. Or, malheureusement diront certains, c'est cette deuxième tendance qui l'emporte nettement sur Union, la plupart des compositions des premiers étant passées sous le joug de Jonathan Elias, pour présenter une uniformité de ton et de production ultra-modernes avec un son énorme porté par une batterie mise au premier plan, des sonorités de guitares agressives et des claviers synthétiques en diable.
Au-delà de ce parti pris en phase avec son époque, les compositions souffrent d'une identité floue, hésitant entre la tendance Fm des deux derniers albums de Yes et l'incorporation d'une dose de complexité en référence aux œuvres antérieures. De cette dichotomie découlent des titres souvent bancals, ayant de surcroit du mal à trouver un second souffle une fois les parties couplets/refrains épuisées, les développements instrumentaux étant bien souvent réduits à leur plus simple expression, en guise d'alibis progressifs. On retiendra tout de même l'intéressant Shock to the System, le tubesque Lift me Up ou encore le majestueux The More We Live, tous droits bien dans la lignée de Big Generator. Seuls survivants de la mouvance ABWH, le "Do it Yourself" de Stewe Howe (Masquerade) et la superbe respiration Take the Water to the Mountain viennent donner un léger contrepoint à un ensemble tape à l'œil et par trop brouillon pour déclencher de véritables émotions.
Album de commande formaté à grands coups de hache par un producteur visiblement peu soucieux de l'histoire du groupe, Union offre un résultat contrasté laissant l'auditeur sur sa faim, le potentiel proposé par une réunion qui ne s'avèrera que de façade étant en grand décalage avec le résultat final. Sans rentrer dans une logique binaire informatique qui affirmerait que 1+1 = 0, il est certain que cette addition de talents à but outrageusement marketing est bien loin de remplir les espérances suscitées à la simple évocation des noms qui la composent.