Trois ans après la mort de son maître à penser Edgar Froese, il était naturel de considérer le Rêve Mandarine comme révolu. Mais une poignée d'irréductibles fidèles ont voulu défier les lois du temps et de la vie en enrichissant la discographie déjà ample du groupe allemand. Si Thornston Quaeschning, entré dans le rêve en 2005, est intronisé nouveau gardien du temple aux côtés d'Hoshiko Yamane et Ulrich Schnauss, l'auditeur aura la surprise de voir apparaître dans les crédits le nom d'Edgar Froese.
L'origine de ''Quantum Gate'' se retrouve dans le projet de
conversion de la physique quantique en musique par Edgar Froese. Cette
recherche aussi philosophique qu'ambitieuse (voire fumeuse) s'est concrétisée par
quelques esquisses finalement complétées au-delà de la mort, comme si le trépas de son auteur était inscrit dans ce processus thématique, comme un ''changement d'adresse cosmique". Hélas l'impression d'ensemble ne permettra pas à l'auditeur de savourer quelques innovations scientifiques et musicales. Les compositions s'avèrent particulièrement ennuyeuses et paresseuses. L'évolution de 'Roll The Seven Twice' apparaît totalement hasardeuse, ses pulsations métallurgiques s'avèrent au final sans éclat, le rôle du violon apparaît purement surestimé. La musique de Tangerine Dream a longtemps été à tort qualifiée de musique froide et sans âme, cette définition outrageante s'applique cruellement à la courte 'Granular Blankets' ou 'Non Locality Destination' (malgré une intéressante utilisation de la guitare) voire à 'Tear Down The Grey Skies'.
Nous avons l'impression de revivre l'histoire de l'apprenti-sorcier : trois apprentis musiciens se sont introduits dans le laboratoire du sorcier pendant son absence et ont commencé à manipuler tous les boutons, programmer tous les séquenceurs (ce constat est certes un peu sévère si l'on considère le rôle de co-compositeur de Thornston Quaeschning). Ce voyage quantique est pour le moins entravé dès la file d'attente. Quelle idée étrange que d'achever ou de faire débuter la plupart des morceaux par une légère séquence silencieuse qui empêche toute osmose et rompt brutalement la continuité ! Inutile de rappeler que la longueur exagérée de l'album n'aidera aucunement à sa réhabilitation.
Mais ce naufrage annoncé n'est pas aussi catastrophique qu'on pourrait le penser. Certains moments de l'album s'avèrent tout à fait captivants comme à la grande époque. Ainsi, la piste inaugurale grâce à ses hypnotiques boucles en spirale et ses parties de clavier irradiées. On regrette qu'un tel titre culminant à plus de quatorze minutes soit placé aux avant-postes car la suite comme nous l'avons dit n'est que rarement glorieuse. S'il rappelle ''Stratosfear'' ou ''Hyperborea'' et pourrait selon l'humeur être qualifié de tribute ou d'auto-plagiat, 'Identity Proven Matrix' s'avère de bonne facture et aurait mérité un développement moins chiche, tout comme 'Proton Bonfire' (avec cette fois-ci un violon émouvant) et 'Genesis Of Precious Thoughts' (belle démonstration de l'alliance humaine/informatique) également hommage à la période Virgin. Et puis bonne nouvelle, les compositions brouillonnes peuvent être recyclées. 'Is It Time To Leave When Everyone Is Dancing' s'avère particulièrement dansante et pourrait faire fureur le samedi soir et permettre à quelques marlous d'approcher des créatures peu farouches (au fond, c'est peut-être ça l'objectif secret de cet album, une rencontre entre neutrons et protons dans un nouvel espace ?).
Faut-il enterrer Tangerine Dream ? A l'écoute de cet album quasi posthume, la réponse est cruelle. En voulant poursuivre le travail de leur maître disparu, les trois jeunes musiciens auraient dû changer de nom plutôt que de galvauder ce dernier. Mais cet album n'est pourtant pas le désastre annoncé et une poignée de titres valent le coup d'oreille. Le jeune auditeur qui n'aurait pas pris le train du krautrock en marche pourra toutefois se faire un aperçu du travail de Tangerine Dream. Espérons que cet album ait le mérite de l'inviter à écouter la discographie pléthorique d'un groupe inclassable et dorénavant légendaire.