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Après un premier album « Urdoxa », aux compositions noires flirtant parfois avec le gothique, et un second opus « Wê-ila », davantage progressif, « Thork » revient avec « Nula Jedan », œuvre à nouveau autoproduite (le groupe peinant à s’imposer dans l’univers impitoyable de l’industrie musicale) et se distinguant des précédentes par l’absence de compositions de groupe puisque les morceaux sont ici l’œuvre d’une seule personne, Sébastien Fillion, artiste aux talents multiples. Ce chanteur-multiinstrumentiste-compositeur-arrangeur-mixeur signe, à travers ce projet personnel, l’intégralité des compositions et, épaulé par des proches aux liens musicaux apparentés, nous montre toute l’étendue de ses habiletés.
« Nula Jedan » signifie « Zéro Un » en bosniaque, allusion au code binaire et à l’algèbre booléenne présente au cœur de la technologie moderne. « Thork » s’interroge, médite. Au centre de ses questions, un thème pour le moins épineux et pleinement d’actualité : « Qu’est-ce qui fondamentalement distingue l’homme de la machine ? », « Les perpétuels conflits de notre terre peuvent-ils altérer l’espèce humaine en la privant de sentiments ? », « L’homme est-il encore un homme sans âme ? ». Autant d’interrogations posées au détour d’un album exposant une dualité homme/machine, avec en trame de fond la récente page noire balkanique.
Osons l’avouer ; ce thème nous interpelle et ne saurait nous laisser insensibles. Après tout, le rêve d’une vie éternelle ne traverse-t-il pas l’humanité ? Le fantasme d’un humain parfait et immortel ne brûle-t-il pas en nous ? Au sein d’une société où les technologies de l’information et de la communication règnent en déesses de l’évolution et du progrès, ne cherche-t-on pas à concrétiser le rêve d’une homme-machine et d’une nature artificielle totalement maîtrisée ? L’humain robotisé ou le robot humanisé ne représentent-ils pas l’avenir de l’humanité, de cette post-humanité, condamnée à obéir au schéma évolutionniste qui veut que l’être humain s’adapte constamment à la complexité sans cesse croissante du monde dans lequel il vit et évolue ? Les machines l’emporteront-elles sur l’homme et provoqueront-elles l’extinction de la race humaine ? Il semblerait qu’il soit venu le temps de se poser de telles questions. Aussi, sans hésitation, nous pénétrons cet univers musical, désireux de vivre un pèlerinage riche d’enseignements.
L’accueil qui nous est réservé se révèle chaleureux, mélange de douceur et de violence, à la profondeur progressive envoûtante (« Ex-Slave »), captivant nos sens et nous immergeant au sein d’un univers où prédomine une atmosphère baignée de sonorités folk, progressives et exotiques. Les voix se superposent au gré d’une guitare aux partitions acoustiques séduisantes et d’un violon aux accords libérant un charme ensorcelant, brillamment délivrés par Claire Northey et conférant au décor qui nous enveloppe une particularité fascinante et unique, attribuant, par là même, une singularité invitante au royaume conceptualisé par Sébastien Fillion. Les yeux fermés, nous nous laissons portés par cette mélodie entraînante jusqu’au titre suivant, « Ici », aux allures de single et au refrain entêtant, s’amusant à jouer avec notre subconscient, au point de réapparaître dans notre esprit à tout moment, échappant à tout contrôle. Notre voyage continue. Nous voici soudainement happés par une ambiance répétitive et obsédante, aux couleurs et aux réminiscences orientales, qui s’étend langoureusement, avant d’être transpercée par un éclat de lumière, métaphore d’une harmonie divinement mélodique (« La Lumière »). Un instant magique où règnent splendeur, rayonnement, scintillement. Cette quiétude et cette paix intérieures sont toutefois abruptement déchirées par l’apparition des machines, aux cris atmosphériques et plaintifs, empreints de tristesse et de regrets, aux voix numérisées et robotisées, nous rappelant que la frontière entre l’homme et la technologie demeure, plus que jamais, infiniment petite (« J'aurais Pu »). Et si les machines pouvaient parler ? Quel reflet nous renverraient-elles ?
Un passage instrumental parfaitement maîtrisé, aux tendances mystiques, soutenu par une basse et une batterie particulièrement inspirées, enveloppant et absorbant l’attention de l’auditeur, l’élève, l’espace d’un instant, au-dessus des réalités matérielles, pour le faire voler dans les airs (« Danse des airs »). La sensibilité humaine aurait-elle inversé la tendance ? Offrirait-elle un état de transe que ne peut procurer le pouvoir matérialiste de la technologie moderne ? Notre âme pénètre ainsi les portes d’un paradis céleste hanté par un chant aigu, cristallin, aérien et angélique. Des harmonies mystiques semblent s’emparer de notre esprit (« Au Ciel »). Ramenés sur terre par un déchirant au-revoir, nous quittons cet éden pour rejoindre des contrées plus rock, entraînés par le mouvement virevoltant d’une guitare enthousiaste dans un eldorado calme et paisible (« Revoir »). Un temps d’apaisement nécessaire pour permettre de se ressourcer avant de s’immiscer au cœur de la deuxième pièce progressive majeure de l’album, au sein de laquelle une ambiance planante s’installe, peinant à prendre son envol, mais soudainement emportée par les riffs menaçants d’une guitare exacerbée, alternance de passages tantôt hypnotiques, tantôt inquiétants où s’enchevêtrent trombone, trompète, cuivres, violon et guitare (« 01 »). Une lutte entre la sensibilité humaine et la froideur mécanique. Qui l’emportera ?
Notre périple prend fin dans un jardin de fleurs ou resplendit un bouquet d’émotions et de tendresse appelé à éveiller les élans de rêve qui nous illuminent et nous exaltent (« Ces rêves-là ») ; l’espoir d’une vie animée par le sentimentalisme, l’attendrissement, la compassion et l’amour. Un titre qui sonne comme un vibrant témoignage, sincère, authentique et pudique, de la grandeur et de la richesse de l’humanité qui couve en chacun de nous, proclamant par la-même la victoire de l’homme sur la machine. Quelle meilleure preuve de notre supériorité que ce final acoustique au bonheur jouissif, offrant un instant d’émerveillement intérieur qu’aucune machine n’est capable d’enfanter à ce jour ?
Avec « Nula Jedan », « Thork » nous offre son œuvre la plus aboutie et la plus accessible, nous immergeant au cœur d’un univers riche, cohérent et fascinant duquel se dégage un sentiment de plénitude et d’absolu. L’écoute de cet album procure un moment d’évasion dans un monde insondable, où règnent la rêverie et la contemplation, arrachant notre être à la morosité du quotidien et le détournant des considérations matérielles et superficielles pour lui faire toucher la profondeur de l’âme humaine. Certes, ce voyage musical souffre encore de quelques petites imperfections, s’enfermant parfois dans les abîmes de passages légèrement répétitifs et délivrant des parties vocales parfois incertaines et trop artificielles, à l’effet robotisé, bien que recherché et volontaire, pouvant soit charmer, soit irriter.
Pénétré de folk et imprégné d’une multitude de mouvances, cet album apparaît original, insaisissable de prime abord, mais montant en puissance au gré des écoutes, pour se révéler au final fascinant. Une découverte séduisante qu’il convient d’appréhender avec persévérance, les yeux fermés, dans le calme et l’obscurité, afin de se laisser peu à peu envoûter par son ambiance atmosphérique aux sonorités médiévales et celtiques. Cet univers particulier n’est pas sans évoquer, par moments, l’album « Caché Derrière » de Laurent Voulzy. Ce rapprochement n’est pas évident, loin de là, ces artistes évoluant dans des registres différents. Ce parallèle s’avère plus subtil et découle du sentiment de se trouver, tout au long de cette oeuvre, bercé par ce même parfum de nuit étoilée, cette même douceur enivrante, ces mêmes arrangements soignés, ces mêmes accents celtes, ces mêmes choeurs sentimentaux, ces mêmes mélodies au charme rêveur et à la sensibilité exacerbée (« Ex-Slave » et « Ces Rêves-Là » de « Thork », « Caché Derrière » et « Guitare Héraut » de « Laurent Voulzy »). « Nula Jedan » est ainsi un album soigné et finement travaillé, fortement conseillé, qui proclame le talent et l’esprit perfectionniste et minutieux de Sébastien Fillion. A n’en pas douter, l’univers musical de « Thork » mériterait davantage de considération et d’intérêt de la part de l’Hexagone, son berceau d’origine, et de la part des différents labels, tant il constitue un bol d’air et de fraîcheur particulièrement bienvenu. - Site officiel
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LISTE DES PISTES:
01. Ex-Slave - 12:43 02. Ici - 5:34 03. La Lumière - 9:10 04. J'aurais Pu - 4:37 05. Danse Des Airs - 6:19 06. Au Ciel - 7:07 07. Revoir - 7:48 08. 01 - 8:03 09. Ces Rêves-Là - 4:22
FORMATION:
Arnaud Fillion ("Arnito") : Violoncelle, Oud Claire Northey: Violon Hugo Quillet : Trompette (6,8), Buggle (6,8) Jérémie Maxit : Tablas (3) Jérôme Blanc: Trombone (6,8) Philippe Maullet: Batterie / Percussions (1,8) Samuel Maurin: Basse Additionnelle (3), Basse Fretless (8) Sébastien Fillion: Chant / Guitares / Basse / Claviers / Synthétiseurs, Rhodes Mark I, Low Whistle, Tin Whistle, Percussions (3,6), Glockenspiel, Programm. Violette Corroyer : Choeurs (1,3,8)
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