Avant de commencer à vous parler de cet album, j'aimerais attirer l'attention sur un phénomène discographique étrange. Lorsqu'un regard est jeté sur l'œuvre globale d'un groupe, il est fréquent de réunir les albums par période, en considérant donc ces blocs comme différents et souvent représentatifs d'une évolution. Concernant Queensrÿche, il est habituel de considérer "The Warning" et "Rage For Order" comme d'équivalentes mises en bouche avant le gigantesque "Operation: Mindcrime", qui, lui, révolutionnera le Metal. Amen.
Est-ce une façon de mettre (encore plus) en valeur "Operation: Mindcrime" que de lui accorder en plus le crédit de l'innovation? Quoi qu'il en soit, il convient de préciser que le fossé entre "The Warning" et "Rage For Order" est bien plus grand que celui entre ce dernier et le sus-cité concept-album, et il suffira d'une seule écoute pour s'en persuader. L'introduction de l'album par "Walk In The Shadow", n'est pas très représentative mais reste efficace, avec ce son Heavy racé et mélodique qui à fait les beaux jours de "The Warning". Si ce morceau s'inscrit dans une certaine continuité discographique, notons tout de même le chant de Geoff Tate sur les couplet, un peu plus théâtral et vivant, qui tranche avec un refrain efficace mais convenu. La mélancolie s'invite sur "I Dream In Infra Red", titre qui montre l'aisance de ce groupe à créer des ambiances et à y naviguer.
Les choses se corsent un peu avec "The Whisper", dans laquelle les claviers très 80's annoncent la direction qui sera prise sur "Empire". La reprise "Gonna Get Close To You" marque le départ véritable de l'album. A partir de ce morceau aux couleurs variées, Queensrÿche montre un nouveau visage, moderne, avec cette utilisation tribale et minimaliste de la batterie, avec des guitares sobres et mélancoliques, des synthés discrets mais décisifs lorsqu'ils s'expriment, et le chant si expressif de Tate, qui à lui seul parvient à donner une cohérence à l'ensemble. Quelle modernité dans le break de "Surgical Strike" (rappelons que nous sommes en 1986), quelle intelligence dans l'utilisation des guitares sur "Neue Regel" qui souligne l'atmosphère sombre du morceau. Les passages acoustiques sont également bien plus présents à l'image du sublime "I Will Remember".
"Rage For Order" est donc un tout et une démarche. Plus que les morceaux, c'est, comme bien souvent chez Queensrÿche, l'impression globale qui est bonne. Certains titres paraissent encore un peu faibles car tout n'est pas maitrisé à la perfection ("Screaming in Digital", malgré de bons moments, est un peu poussif et lourd), et d'autres, très aventureux, dérouterons de nombreux auditeurs non avertis qui pensent trouver du Heavy Metal classique. Le tournant pris par Queensrÿche s'avère ici passionnant, et il manque bien peu pour obtenir un chef d'œuvre. Cet album ouvre une autoroute pour l'avenir du groupe. Lorsque, à la fin de "Rage For Order", Tate nous dit I Will Remember, peut-être sait-il déjà ce qui va arriver quand il nous dira enfin:
I Remember Now.