Après le succès plus que conséquent de Crises, dû en grande partie au tubesque Moonlight Shadow, Mike Oldfield se retire au calme dans les Alpes suisses dominant le Lac Léman pour poursuivre sa route vers une mutation pop/rock affirmée.
Avec une formation resserrée autour de lui-même et de ses deux chanteurs, avec le seul Simon Philips derrière les fûts comme intervenant extérieur, Mike Oldfield nous délivre un album au format similaire (dans la durée des titres) à QE2, le morceau long étant cette fois positionné en fin d'album.
A tout seigneur tout honneur, The Lake va achever Discovery de façon instrumentale, déroulant ses différents thèmes de manière assagie, en totale harmonie avec les panoramas grandioses visibles depuis le studio d'enregistrement. Ecouter ce morceau, c'est se transporter par l'esprit sur les hauteurs du Léman, et se laisser gagner par la majestuosité du site, tiraillé entre les eaux paisibles du lac et les sommets aux ombres inquiétantes qui l'entourent. Mais avant d'en arriver à cette forme de plénitude, l'auditeur aura tout d'abord reçu, telle une enfilade de perles, sept chansons d'une qualité tout bonnement exceptionnelle.
Les cinq premières, composant à l'époque la première face du vinyle, s'enchaînent avec une évidence telle qu'il m'est encore aujourd'hui difficile d'en écouter une sans immédiatement attendre la suivante. Arghh ! Cruelle déception quand LA station de radio pop/rock programme encore aujourd'hui de manière quasi-quotidienne le lumineux To France, et qu'à la place du majestueux Poison Arrows est ensuite diffusé un jingle ! Ces cinq premières plages en arriveraient presque à former une suite conceptuelle tant leur unité est grande, tant les interprètes (Maggie Reilly et Barry Palmer) sont choyés par la production sans faille et les orchestrations lumineuses du maître. Et puis, cerise sur le gâteau, le travail de Simon Philips à la batterie donne une consistance permanente à des titres pourtant déjà bien charpentés.
Passée cette première symphonie pop conclue par des roulements de batterie à l'écho dantesque, 2 autres petites perles nous sont proposées en hors-d’œuvre. Mike Oldfield, on le sait, est un excellent recycleur... et notamment de ses propres œuvres. Tout au long de sa discographie, et au-delà de la récurrence des thèmes de Tubular Bells à toutes les sauces, il a disséminé de ci de là quelques petits extraits de titres en provenance d'albums antérieurs. Ici, il réalise un autre tour de force, puisqu'il réutilise carrément le thème de To France au sein du même album, en contrepoint de la mélodie de Talk About Your life ... et le tout pour un résultat franchement réussi (la même recette sera appliquée plus tard dans Islands ... avec un peu moins de succès). Saved by a Bell quant à lui est le pendant « face b » de Discovery sur la « face a » : un morceau pêchu, porté à bout de cordes vocales par ses interprètes.
On savait Mike Oldfield touche à tout, tant dans la pratique de nombres d'instruments que dans sa capacité à passer d'un style initial (le progressif majoritairement instrumental) à une affirmation plus « commerciale » de ses ambitions, permettant de coller à l'air du temps. Ce qu'il avait réussi, peut-être par hasard, avec Moonlight Shadow un an auparavant, il le décline cette fois de façon volontariste et brillante, avec à la clé un nouveau succès populaire (et commercial tant qu'à faire). Dans le genre pop/rock de luxe, et près d'un quart de siècle après sa sortie, peu de prétendants sont parvenus à la hauteur de cet album qui a placé la barre vraiment très, très haut. Un grand moment de bonheur.