L'an 2000 voit le mythique empereur du black métal se préparer à une longue et inexorable agonie. L'aggravation des divergences artistiques entre les deux leaders-nés que sont Ihsahn et Samoth, aussi prolifiques et intransigeants l'un que l'autre, pousse Samoth à accompagner Trym sur son side-project Zyklon, orienté vers le death métal, tandis qu'Ihsahn accompagne sa femme et son beau-frère dans l'aventure Peccatum, qui lui permet d'explorer encore davantage les côtés plus progressifs et mélodiques du métal extrême. Pour finir, le groupe se sépare de Candlelight Records. C'est dans ce contexte troublé que naît Prometheus. Sentant la fin arriver, Ihsahn décide de voir les choses en grand, et compose entièrement seul ce concept-album de 51 minutes, qu'il produira lui-même et fera ensuite distribuer par Nuclear Blast, rien de moins. Annoncé immédiatement comme le dernier album d'Emperor, il ne sera même pas accompagné d'une tournée, le groupe se séparant définitivement sitôt l'enregistrement achevé.
Ihsahn, désormais seul maître à bord, se lance à corps perdu dans une expérience musicale qu'il faut par défaut qualifier d'avant-gardiste, tant cet album explose avec rage toutes les barrières existant entre les genres. Laissant libre cours à la bestialité qui l'habite depuis toujours, il donne naissance à une monstruosité absolue, hybride, plénière et majestueuse. Le titre "Empty", dont le clip vous est proposé à la suite de cette chronique, est un exemple parfaitement représentatif de l'audace brillante dont fait preuve un Ihsahn libéré des contraintes, et visiblement parfaitement à l'aise dans ses nouvelles chaussures de démiurge. Les auditeurs courageux qui auront le cran de s'aventurer sérieusement dans les entrailles du Titan seront largement récompensés, ne serait-ce que sur le plan émotionnel, car Prometheus dresse un parallèle entre son propre concept et l'histoire même d'Emperor, avec une intelligence vertigineuse et un à-propos reflétant le soin incroyable apporté à sa conception. En revanche, les plus pressés seront certainement refoulés par l'agressivité ahurissante des morceaux, chaotiques au-delà de toute description.
L'arrêt d'une carrière aussi exemplaire, bien qu'inévitable, laisse un goût amer après l'écoute d'un tel monument. Comment, en effet, ne pas être irrémédiablement attristé par la disparition d'une entité aussi iconique qu'Emperor de la scène métal – surtout à une époque, 2001, où le genre tout entier était plongé dans les affres d'un mercantilisme sauvage niant tout mérite artistique à une immense majorité des musiciens ? Cependant, une fois le sentiment de perte dissipé, on se surprend à apprécier cette conclusion, car de fait, jamais Emperor n'aura la vieillesse pénible de légendes comme Metallica, pour ne citer qu'eux. Jamais le groupe ne pourra être taxé de compromission, jamais leur cursus ne sera souillé par la parution de best-of à répétition, et autres dégradations si courantes pour les combos dont la longévité a depuis longtemps supplanté le talent. Demeurent 4 albums cultes, et deux lives qui le sont tout autant. Le dernier, Live Inferno, sera enregistré pendant la tournée de reformation organisée en 2006, et pendant laquelle Emperor fit souffler une dernière fois le vent glacial de Norvège sur le monde, notamment au Wacken Open Air 2006, enregistrant même un DVD de ce concert phénoménal. Demeurent également les souvenirs d'une décennie de progrès, de création... Et l'émotion d'avoir été là pour cette épopée désormais légendaire.
Now that I am gone, lay thorns on my grave...